Plaignant
Le Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles (Lise
Bernatchez, directrice)
Mis en cause
Henri
Michaud, journaliste, et Le Soleil
(Philippe-Denis Richard, vice-président, Affaires juridiques, GESCA Ltée)
Résumé de la plainte
La plainte
concerne essentiellement un article paru dans
Le Soleil sous le titre «La DPJ force deux enfants à se
rendre en classe» dont le traitement médiatique de l’information est
dénoncé et dont la déontologie journalistique ne serait pas respectée.
La présente
plainte est présentée par Lise Bernatchez, directrice de la protection de la
jeunesse du Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles. Elle dénonce le non-respect de
la confidentialité et l’identification de personnes mineures.
Griefs du plaignant
Dans un premier temps, le
Centre jeunesse déclare qu’il est de son devoir de dénoncer le traitement
médiatique d’informations à caractère confidentiel dans un dossier impliquant
des enfants et la Direction de la protection de la jeunesse.
Dans sa lettre, la directrice du Centre
explique que «Henri Michaud a, contrairement à la déontologie
journalistique reconnue au Québec et aux principes de la protection de
l’anonymat des mineurs (Art. 11.2, 72.5 et 83 de la Loi sur la protection de la
jeunesse), sciemment identifié deux enfants en les désignant nommément ainsi
que leurs parents, et en liant leurs noms à une intervention en matière de
protection de la jeunesse».
Ensuite, le Centre
exprime sa réprobation quant au fait que le journal
Le Soleil ainsi que son journaliste «aient choisi de
privilégier le sensationnalisme aux dépends du respect de la confidentialité et
de la non-identification de personnes mineures». Les termes excessifs du
titre de l’article sont dénoncés pour la raison qu’ils peuvent induire le
public de façon négative à l’égard de la Direction de la protection de la
jeunesse. Selon la directrice, «ce type de manchette ne sert qu’à saper
la crédibilité d’une institution plutôt qu’à fournir une information claire,
précise et complète à la population».
Le Centre rappelle que la
Loi sur l’instruction publique oblige la fréquentation scolaire d’enfants de
moins de 16 ans et que ce sont les parents qui ont la responsabilité de veiller
à ce que leurs enfants fréquentent un établissement d’enseignement.
Par ailleurs, le Centre
déplore l’identification des deux enfants en cause car celle-ci peut entraîner
leur «stigmatisation sociale dans leur milieu scolaire ou dans leur communauté,
et a fortiori dans une région à faible densité de population ».
Le Centre jeunesse
souhaite voir la fin de reportages permettant l’identification de mineurs.
Il énonce ensuite que tout
en assurant le droit à l’information, les médias et leurs employés doivent
respecter la confidentialité de certains renseignements et agir avec rigueur.
Pour l’organisme, le traitement de l’information, dans cette affaire, s’est
fait en contravention même des principes véhiculés par le Conseil de presse du
Québec car même «si nul ne peut empêcher un citoyen de raconter
publiquement ses difficultés, et partant de là, celles de ses enfants»,
il appartient «aux journalistes et aux médias de déterminer ce qu’ils
peuvent et doivent publier et ce dont ils doivent s’abstenir». Il est
rappelé ensuite que la Société Radio-Canada, alors même qu’elle avait
l’autorisation d’un mineur et de ses parents, s’est présentée devant la Cour
afin d’obtenir jugement pour pouvoir diffuser une émission les identifiant.
La directrice du Centre
jeunesse demande au Conseil de presse de rappeler à l’ordre la presse et les
professionnels concernés afin que de tels événements ne se reproduisent plus.
Il lui apparaîtrait «approprié que le journal en cause publie à ses
frais, un article qui rétablit le fait que les noms des enfants et de parents
liés à la protection de la jeunesse doivent demeurer confidentiels». La
directrice précise que cela aurait pour mérite de rassurer ces autres parents
et enfants auxquels on garantit la confidentialité.
Le Centre fournit la
décision du Conseil de presse ainsi que le jugement de la Cour du Québec dont
il fait référence dans la plainte.
Commentaires du mis en cause
M.
Philippe-Denis Richard amorce sa réplique en mentionnant que la plainte du
Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles comporte deux volets: la publication
d’information jugée confidentielle et la couverture sensationnaliste de
l’événement. Le journal ne croit pas qu’il y ait lieu de retenir la plainte.
Philippe-Denis Richard énonce ensuite que Henri Michaud et
Le Soleil ont fait preuve de diligence dans leur recherche de
faits, de retenue dans le traitement médiatique de l’événement et ont respecté
les dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse.
M. Richard
déclare ne pas être de l’avis de Mme Bernatchez qui affirme que la publication
d’informations concernant l’identité des enfants est contraire aux articles
11.2, 72.5 et 83 de la Loi sur la protection de la jeunesse.
Suit une explication de la position du
journal en se référant aux articles de la Loi sur la protection de la jeunesse.
M. Richard énonce le contenu de l’article 11.2. Celui-ci stipule que «les
renseignements recueillis dans le cadre de l’application de la présente loi concernant
un enfant ou ses parents et permettant de les identifier sont confidentiels et
ne peuvent être divulgués par qui que ce soit, sauf dans la mesure prévue au
chapitre IV.1».
Le
vice-président précise le contenu de l’article 72.5 du chapitre IV.1. Celui-ci
énonce que «[…] les renseignements recueillis dans le cadre de
l’application de la présente loi concernant un enfant ou ses parents et
permettant de les identifier ne peuvent être divulgués qu’avec l’autorisation
de l’enfant de 14 ans et plus, dans la mesure où les renseignements le
concernent, ou celle de l’un de ses parents s’ils concernent un enfant de moins
de 14 ans. […]».
Enfin, il
précise le contenu de l’article 83 dans lequel est stipulé qu’il est interdit
«[…] de publier ou de diffuser une information permettant d’identifier un
enfant ou ses parents parties à une instance ou un enfant témoin à une instance
dans le cadre de la présente loi […]».
À la lecture des
ces articles, il apparaît clair au journal que la confidentialité des informations
impliquant des enfants et la Direction de la protection de la jeunesse n’est
pas absolue. Pour appuyer ses propos, M. Richard s’appuie sur les articles 11.2
et 72.5 ci-dessus détaillés. Ce dernier permet la divulgation de renseignements
concernant un enfant de moins de 14 ans avec l’autorisation des parents.
Le
vice-président précise ensuite que le Code civil du Québec consacre le principe
de l’autorité parentale au titre V du chapitre de la famille. Ce principe est
aussi affirmé dans la Loi sur la protection de la jeunesse.
Il est, par la
suite, fait récit des contacts qui ont eu lieu entre
Le Soleil et les parents des enfants concernés. Ainsi,
Le Soleil a été contacté par les parents
des deux enfants âgés de 10 et 12 ans au début septembre afin de raconter leur
différend, avec la direction de l’école de leurs enfants. Henri Michaud ayant
été choisi pour traiter l’histoire, rencontre toute la famille Savard le 10
septembre. Il note la version des faits des parents et les raisons qui les
poussent à ne pas envoyer leurs enfants à l’école. Le journaliste contacte des
personnes au ministère de l’Éducation pour obtenir leurs commentaires sur cette
affaire et complète ainsi son enquête. Le 23 septembre, M. Savard contacte à
nouveau le journaliste pour l’informer que la Direction de la protection de la
jeunesse l’a forcé à envoyer ses enfants à l’école. Ceci à la suite d’une
visite d’une employée du Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles au domicile familial
et qui a suggéré aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école, conformément à
la Loi sur l’instruction publique. Bien que mécontent, le père envoie ses
enfants à l’école tenant le Centre jeunesse responsable de leur sécurité.
Ainsi, le
mis-en-cause affirme que le journaliste avait l’autorisation des parents de
divulguer des informations identifiant leurs enfants. De plus, il écrit que
l’article est d’intérêt public car «il concerne une famille qui a des
démêlés avec l’école de quartier». L’article rappelle l’obligation des
parents d’envoyer leurs enfants à l’école jusqu’à l’âge de 16 ans et informe le
public qu’il est du devoir de la Direction de la protection de la jeunesse de
s’assurer du respect de cette obligation.
En ce qui
concerne le caractère sensationnaliste du titre de l’article ainsi que de son
contenu, il est dit que «le titre résume adéquatement les faits de
l’affaire et ne […] semble pas péjoratif. L’article présente des éléments
factuels et les opinions des parties impliquées».
Philippe-Denis Richard
considère que l’article 83 de la Loi sur la protection de la jeunesse n’est pas
pertinent pour l’affaire comme ne l’est l’arrêt de la Cour supérieure soumis
par Lise Bernatchez. Il s’explique: «Les enfants Savard n’étaient
pas, au moment de la parution de l’article de M. Michaud, parties à une
instance ni sous le coup d’une ordonnance.»
Il termine ses commentaires en racontant la
suite de la «petite histoire de la famille Savard». Le père des
enfants a annoncé au journaliste que le différend avec la direction de l’école
est réglé et que «la publication d’informations permettant
l’identification de ses enfants ne leur a pas nui, bien au contraire, l’article
aurait plutôt contribué à rétablir des relations plus normales avec la
direction de l’école».
Réplique du plaignant
Le Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles, par
la voix de Lise Bernatchez, amorce sa réplique en affirmant que toutes les
allégations contenues dans la première correspondance sont réitérées. Il
maintient que le titre de l’article en cause constitue une démonstration de
sensationnalisme.
Lise Bernatchez cite M. Richard dans ses
commentaires et met en contradiction, d’un côté, le fait que M. Richard parle
d’une visite d’une intervenante du Centre jeunesse pour faire une suggestion
aux parents et d’autre part, d’une rencontre entre les parents et une
intervenante du Centre jeunesse. Selon elle, l’utilisation d’un titre tel que
«La DPJ force deux enfants à se rendre en classe», «suggère
une intervention beaucoup plus « musclée »de la direction de la
protection de la jeunesse, que ce qui s’est réellement produit, et risque
d’entraîner des craintes inutiles et non fondées dans la population».
Le Centre jeunesse conclut sa réplique en
affirmant de nouveau que le journaliste n’a pas respecté les règles de
déontologie encadrant l’exercice de sa profession, en privilégiant un
traitement sensationnel et en choisissant de divulguer l’identité des enfants
en cause.
Analyse
La déontologie journalistique reconnue au Québec veut, lorsque la presse juge pertinent d’informer le public sur les problèmes qui mettent en cause le développement et la sécurité des personnes mineures, qu’elle s’abstienne de publier toute mention propre à permettre leur identification, que ces personnes soient impliquées comme accusées, victimes ou témoins d’événements traumatisants, et cela en vue de ne pas compromettre leurs chances de réinsertion sociale et familiale.
Les médias et les journalistes sont libres de choisir leurs sujets de même que la façon de les traiter. Nul ne peut empêcher un citoyen d’aller sur la place publique raconter sa vie intime, ses problèmes et partant ceux de ses enfants. En revanche, il appartient aux journalistes et aux médias de déterminer ce qu’ils peuvent et doivent publier et ce dont ils doivent s’abstenir, selon les contextes.
La plainte du Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles fait totale abstraction des événements préalables à la publication de l’article, c’est-à-dire les différents contacts et rencontres que le journaliste a eus avec les parents des enfants et surtout l’autorisation donnée par les parents de divulguer les informations identifiant leurs enfants.
Comme il l’a déjà exprimé à plusieurs reprises, le Conseil estime que la presse devrait éviter, et à plus forte raison lorsqu’une loi le lui interdit, de publier toute information de nature à porter préjudice à une personne mineure à cause du risque pour celle-ci de voir ses chances de réhabilitation sociale et familiale compromises.
Mais dans le présent cas, la situation s’inscrit dans le cadre légal d’une divulgation de renseignements autorisée par les parents pour leurs enfants de moins de 14 ans. En outre, le non-respect de la confidentialité ne semble pas avoir compromis la vie sociale et scolaire des enfants dont il est question.
Le Conseil de presse ne voit pas de sensationnalisme dans le titre de l’article et note plutôt que le titre manque de nuance.
Considérant la réserve exprimée sur la nature sensationnaliste du titre de l’article et pour toutes ces raisons, le Conseil de presse ne retient pas la plainte contre Le Soleil et son journaliste ni la requête formulée par le plaignant de demander au journal la publication d’un article rétablissant le fait que les noms d’enfants et de parents liés à la protection de la jeunesse doivent demeurer confidentiels.
Analyse de la décision
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16B Divulgation de l’identité/photo
Date de l’appel
8 October 2003
Décision en appel
Les membres ont conclu à l’unanimité de
maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
Mme Lise Bernatchez, directrice, le Centre
jeunesse Gaspésie/Les Îles