Plaignant
Yves
Pageau
Mis en cause
Janie
Bourgeois, journaliste, et Le Québécois
(Patrick Bourgeois, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
La plainte vise un article paru le 4
octobre 2002 dans le journal Le Québécois
sous la rubrique «La Québécoise». M. Pageau déplore qu’en voulant
démontrer les problèmes qu’engendre la violence conjugale envers les femmes, la
journaliste ait utilisé des statistiques qui ne sont pas à jour, ce qui aurait
donné une fausse interprétation de ce problème.
Griefs du plaignant
M. Yves Pageau rapporte que le texte de la
journaliste Janie Bourgeois comporte une «imprécision importante»
quand elle énonce que «… plus de 17,9 % de tous les homicides commis au
Québec sont perpétrés par des conjoints ou des ex-conjoints contre leur femme
». Selon lui, les rapports les plus récents émis par le ministère de la
Sécurité publique, intitulés «Statistiques 2000 sur la criminalité au
Québec et Violence conjugale statistiques 2000 », mentionnent
«qu’au cours de l’année 2000, 14
femmes ont été assassinées par leur conjoint ou leur ex-conjoint alors que 7
hommes ont subi le même sort. Ces chiffres représentent des proportions de 9,52
% et 4,76 % respectivement ». Donc, pour le plaignant, il semble clair que la
journaliste n’a pas vérifié ces informations. Il demande donc la publication
d’un article portant sur la violence conjugale dont les hommes sont les
victimes.
M. Pageau ajoute qu’étant donné que
l’article publié sous la rubrique «La Québécoise » est dédiée aux
questions féminines, il souhaiterait que la direction du journal
«équilibre le contenu éditorial en consacrant une rubrique aux
préoccupations masculines ».
Commentaires du mis en cause
M. Patrick Bourgeois mentionne que la
statistique citée par la journaliste provient du site de la Fédération des
femmes du Québec où l’on peut y retrouver l’étude la plus récente de
Statistiques Canada (1993) portant sur la violence conjugale. «Cette
étude stipulait que pas moins de 17,9 % de tous les homicides commis au Québec
à cette époque l’étaient dans un contexte de violence conjugale et que les
auteurs de ces gestes violents étaient les conjoints ou les ex-conjoints des
femmes assassinées. » Le mis-en-cause mentionne que «le Collectif
Masculin contre le sexisme corrobore indirectement cette information de
Statistiques Canada ». La comptabilisation du collectif «indique qu’entre
1989 et 2001, pas moins de 491 femmes qui ont été assassinées par un conjoint
ou un ex-conjoint».
M. Bourgeois fait remarquer que dans les
statistiques fournis par le plaignant, l’on y retrouve une confirmation
«du fait que la violence conjugale a progressé de 19 % entre 1997 et
2000». Bien que ne soit pas indiqué le pourcentage de meurtres commis
dans un cadre conjugal, le phénomène décrit dans l’article et expliqué par Mme
Vivian Barbot (présidente de la Fédération des femmes du Québec), n’a en rien
diminué depuis 1993.
Pour M. Bourgeois, «le fait que rien
ne soit dit dans les rapports remis par le plaignant, sur le pourcentage de
meurtres commis dans un cadre conjugal a un autre effet pervers». Ce qui
pousse donc M. Pageau à calculer ses propres statistiques, résultat qui n’a
qu’une très faible crédibilité, car rien n’indique que M. Pageau ait
l’expertise nécessaire pour tirer des conclusions de la sorte.
Le mis-en-cause tient à relativiser les
statistiques du pourcentage d’hommes assassinés au Québec. Il mentionne
«que la grande majorité des études portant sur le sujet soutiennent que
les hommes tués par leur conjointe ou ex-conjointe l’ont été à la suite de trop
nombreuses années de violence conjugale, contexte dans lequel les hommes
aujourd’hui disparus jouèrent le rôle de bourreau ». Il souligne que la
journaliste Janie Bourgeois détenant une formation en service social (cégep et
université) et en droit, possède les aptitudes nécessaires pour tirer ce genre
de conclusions. «Ce qui fait qu’elle se sentait tout à fait à l’aise de
mettre l’accent, dans son article, sur la violence faite aux femmes et non sur
la violence faite aux hommes.»
Quant à l’équilibre de la ligne éditoriale
que critique sévèrement M. Pageau, le mis-en-cause fait remarquer «que la
violence conjugale dirigée contre les hommes est beaucoup trop marginale pour
que nous lui donnions autant d’importance que la violence conjugale dirigée
contre les femmes ». Il ne saurait être question de créer une section traitant
des affaires masculines à cette seule fin.
M. Bourgeois souligne que si M. Pageau
avait communiqué avec l’équipe du journal, il aurait pu être assuré d’un
certain traitement de son commentaire dans la section «La Québécoise »,
dans un numéro subséquent.
Réplique du plaignant
Premièrement, pour M. Pageau «la
confirmation de l’information communiquée par la présidente de la Fédération
des femmes du Québec qui provient du site Internet de l’organisme que madame
Barbot dirige ne constitue pas une confirmation recevable de ladite
information». Deuxièmement, le Collectif masculin contre le sexisme ne
constitue absolument pas une source d’information fiable en matière de
statistiques. «Il s’agit d’un organisme farfelu constitué d’un seul
membre et qui répand des sottises manichéennes toujours hostiles envers les
hommes au sujet d’une conspiration ourdie par un soi-disant « Lobby des
hommes violents ». » M. Pageau joint un texte de ce collectif qui selon lui
illustre le manque de sérieux qui caractérise ce collectif; et que, lors de
manifestations contre les hommes, «le seul membre est reconnaissable par
sa tunique et cagoule semblables à celles que portent les membres du Ku Klux
Klan». Troisièmement, M. Pageau mentionne que contrairement à ce
qu’avance M. Bourgeois, «la violence conjugale dont les femmes sont
victimes est en régression alors que la violence conjugale dont les hommes sont
victimes est en augmentation ». M. Pageau tient à préciser que ce n’est pas là
l’objet de sa plainte. Quatrièmement, en ce qui concerne les statistiques
publiées par le Gouvernement du Québec, M. Pageau ne demande pas mieux que d’y
voir confirmation des statistiques avancées par le magazine. L’exercice
semblait simple au plaignant pour qu’il ait «la prétention de le faire
soi-même ». Et cinquièmement, le texte fait abstraction de la violence dont les
hommes sont les victimes. Dans un contexte où s’applique «la politique de
tolérance zéro en matière de violence conjugale », M. Pageau refuse d’admettre
que les 7 hommes assassinés par leurs conjointes en 2000 sont une quantité
négligeable contrairement aux 14 femmes qui ont connu le même sort. Le
plaignant ajoute que ce n’est pas, ici non plus, l’objet de la plainte.
Analyse
L’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Ils doivent livrer au public une information complète et conforme aux faits et aux événements.
Dans le cas présent, le plaignant déplorait que l’article de Janie Bourgeois comporte une imprécision importante, selon laquelle, «… plus de 17,9 % de tous les homicides commis au Québec sont perpétrés par des conjoints ou des ex-conjoints contre leur femme ». Pour M. Pageau, ces chiffres donnent une fausse représentation de la réalité et occultent le fait que des hommes sont aussi au nombre des victimes de la violence conjugale.
De son côté, le rédacteur en chef du journal en cause, M. Bourgeois, mentionne que la journaliste a tiré ses sources d’un rapport de Statistiques Canada de 1993 et provient du site de la Fédération des femmes du Québec, dont Mme Barbot, présidente, faisait l’objet du reportage. De l’avis du Conseil, cette précision quant aux statistiques de 1993 aurait dû se retrouver dans l’article en cause, pour mieux en situer le contexte.
L’examen de la plainte démontre que les pourcentages tirés de Statistiques Canada de 1993, présentés par Mme Barbot, qui représente un organisme reconnu et crédible aux yeux du Conseil, sont justes et vérifiables.
Dans la présentation de ses faits saillants, le rapport sur la «violence conjugale statistiques 2000 » mentionne que «le taux de victimisation de la violence conjugale déclarée <…> était près de six fois plus élevé pour les femmes que pour les hommes, soit 418 contre 76 ». Le Conseil est à même de constater que selon les derniers rapports, la violence conjugale demeure en grande majorité un délit perpétré par les hommes. Ce grief est donc rejeté.
D’autre part, en réponse au souhait exprimé par le plaignant voulant que la direction du journal équilibre son contenu par une rubrique sur les préoccupations masculines, le Conseil tient à préciser que nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information. Le contenu d’un journal relève de la discrétion de l’éditeur qui est libre d’établir la politique du média dans ses pages.
Pour les raisons énumérées ci-haut, au-delà d’une réserve exprimée au sujet de la mise en contexte du reportage, le Conseil de presse rejette sur le fond la plainte à l’encontre de Janie Bourgeois et du journal Le Québécois.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C12A Manque d’équilibre
- C15D Manque de vérification