Plaignant
Mario
Zunino
Mis en cause
Marie Lou
Thomas, journaliste, et Main Blanche
(Geneviève Lemoine, rédactrice en chef et Éric Paré, chef de pupitre de la
section État critique)
Résumé de la plainte
Sous la plume de la critique Marie Lou
Thomas, la revue littéraire Main Blanche,
publie dans son édition de mars 2002, un article intitulé «Rose sang au
tapis, critique du roman Rose sang, de Mario Zunino».
Le plaignant, Mario Zunino, auteur de
l’ouvrage faisant l’objet de la critique, s’insurge contre l’article et le
traitement journalistique de son droit de réplique par la rédaction de la revue.
Griefs du plaignant
Tout d’abord, le
plaignant juge que l’auteur de la critique a fait preuve d’un manque de sérieux
en «descendant en flammes le contenu du livre tout en restant
suffisamment et vicieusement évasive
pour que le lecteur ne puisse se forger sa propre opinion». Mario Zunino
fait remarquer que l’article ne comporte «pas ou presque pas de résumé de
l’histoire, aucun exemple des soi-disantes et multiples erreurs de syntaxe,
aucune reprise des mille et un appendices qui, en plus d’être inutiles,
déforment la phrase, lui enlèvent sa beauté et son sens».
M. Zunino énonce ensuite que Marie Lou
Thomasn’a jamais cherché à se renseigner pour connaître le nom des
différents intervenants du livre et que, par là, elle a manqué de rigueur. Il
souligne que l’auteur avance ses propos de «façon quasi haineuse».
Ensuite, le plaignant déclare que Marie Lou
Thomas s’est «acharnée sur les Productions Zedem Inc. sous prétexte que
celles-ci visaient la « polyvalence »». Il affirme que cet
acharnement a été fait avec «une mauvaise foi consternante, pour ne pas
dire sadique».
Enfin, Mario Zunino termine sa plainte en
mettant en relief que le journal Main
Blanche «refuse et invoque des prétextes pour ne pas publier
intégralement [son] droit de réplique». Il fait ensuite référence à un
échange de courriers électroniques avec la rédaction de la revue dans lesquels
il y a justification du refus de publier la réplique par la rédaction et une
demande de reconsidérer cette position par Mario Zunino.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Geneviève Lemoine,
rédactrice en chef:
Le journal Main Blanche, dès le début de
ses commentaires, affirme son droit d’éclaircir les raisons soutenant son refus
de publier la réplique de M. Zunino à Mme Marie Lou Thomas.
La rédaction, par la voix de Geneviève
Lemoine, situe ensuite la position de Main Blanche au sein de la presse
québécoise. Elle précise ainsi que Main Blanche est le journal des étudiants en
études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Le but du journal est
de donner une voix aux étudiants en littérature. Il semble important à la
rédaction de considérer que le journal «est créé sur des bases
volontaires et bénévoles, se voulant le lieu d’essais… et parfois
d’erreurs». La rédaction se réjouit du fait que Marie Lou Thomas ait reçu
une réponse de l’auteur: «Celle-ci lui permettra certainement de
réajuster ses méthodes critiques.»
La mise-en-cause fait remarquer que son
refus de publier la réponse de Mario Zunino est maintenu, comme en témoigne
l’absence de la lettre dans le numéro de novembre 2002 de Main Blanche. Le
rejet porte principalement sur l’impertinence et le manque de professionnalisme
de la réplique. La rédaction considère que cette réplique attaque
personnellement Marie Lou Thomas. Elle cite le texte de Mario Zunino:
«Vous n’avez réussi qu’à passer pour une vieille et grosse militante
M.L.F., en casquette et salopette, plus à l’aise avec une clé à molette qu’avec
un stylo. » Selon la mise-en-cause, Mario Zunino «dépasse des bornes que
[la] journaliste, elle, avait évité de franchir ».
Les commentaires se poursuivent par une
considération sur le genre journalistique de la critique: «une
critique, aussi véhémente ou élogieuse qu’elle puisse l’être, demeure fondée
sur un jugement que, malheureusement, l’écrivain ne contrôle pas. Si l’écrivain
de «Rose sang » croit devoir justifier chacune des critiques et des
interprétations de son texte, son roman demeurera sûrement son seul
écrit».
Geneviève Lemoine termine ses commentaires
en mentionnant que si Mario Zunino n’accepte pas de modifier sa réplique, le
refus de publier un article qui discréditerait personnellement une de leurs
anciennes journalistes et, conséquemment, le journal Main Blanche lui-même
serait maintenu. En revanche, il est dit que si M. Zunino accepte de supprimer
le dernier paragraphe de sa réponse, la demande de publication sera prise en
compte même si cet acte «brimera le droit d’expression de [leurs] propres
journalistes».
Commentaires de Éric Paré, chef de pupitre
de la section État critique:
Pour soutenir ses propos, la rédaction de
la revue fait appel à un «appui législatif» lequel vient en
complément de ses commentaires. Dès le début de ce texte, Éric Paré, chef de
pupitre de la section État critique, convient que Marie Lou Thomas aurait pu
tempérer ses propos. Il donne ainsi raison, sur ce point, à Mario Zunino.
Après consultation du site Internet du
Conseil de presse, Éric Paré constate que le travail de Marie Lou Thomas est
rigoureux. Il cite un passage des «Droits et responsabilités de la presse
» concernant les droits que confèrent le genre journalistique de la
critique.L’équipe de la rédaction de la revue croit
«pertinemment» que Marie Lou Thomas n’a pas dérogé à la rigueur intellectuelle
et professionnelle exigée pour défendre son point de vue. Pour ces raisons, il
est décidé que la revue appuie Marie Lou Thomas.
Éric Paré fait de nouveau appel aux
DERPconcernant les responsabilités que la critique attribue aux
journalistes: «[…] il importe que [le chroniqueur et le critique]
présentent d’abord les événements de façon factuelle, avant d’en faire la
critique, pour que le public puisse se former une opinion en toute connaissance
de cause». Éric Paré fait remarquer que si tel avait été le cas ici,
«la presse [n’aurait pu] se
permettre de taire ou de donner une image déformée des faits sous prétexte
qu’ils sont l’objet de quelque tabou ou qu’ils sont susceptibles de
compromettre certains intérêts particuliers ».
En conclusion de son «appui législatif»,
Éric Paré déclare que «c’est le journal qui devrait porter plainte contre
M. Zunino et non le contraire, le Conseil de presse s’adressant principalement
aux journalistes et non aux auteurs».
Réplique du plaignant
Le plaignant amorce sa réplique en faisant
remarquer que Marie Lou Thomas «n’as pas daigné répondre
personnellement» à sa plainte, «nouvelle preuve de son
incurie».
Il note que la rédactrice en chef et le
chef de pupitre de la section État critique ont reconnu que, grâce à son
intervention, Marie Lou Thomas pourra à l’avenir «réajuster ses méthodes
critiques» et «tempérer ses propos».
Il répond ensuite aux commentaires sur sa
réplique en précisant qu’elle ne «dépasse pas les bornes» et qu’il
ne dit pas que Mme Thomas est «une vieille et grosse militante M.L.F.
…» mais que celle-ci, par ses procédés plus que douteux, donne l’image
caricaturale d’une «vieille et grosse militante M.L.F. …». Il fait
remarquer qu’en revanche, Marie Lou Thomas dans sa critique est «on ne
peut plus affirmative, catégorique, nullement ironique et son style absolument
pas caricatural». Il cite l’article: «Des scrupules, vous
n’en verrez pas l’ombre d’un seul… la machine est sur la position
destruction.» Selon lui, «il n’y a là, ni ailleurs dans le texte,
pas la moindre trace « d’humour et de satire » contrairement à ce
qu’essaient de faire croire Mme Lemoine et M. Paré».
Mario Zunino dit assumer et maintenir sa
réplique du 24 août 2002 «y compris la conclusion que Mme Lemoine
voudrait voir censurée en cas d’éventuelle publication dans son journalen
réaction à l’infamie de Marie Lou Thomas».
Dans un autre point, il dit ne pas chercher
«à contrôler le jugement des critiques ni à justifier chacune des
critiques et des interprétations découlant de [son] texte».
Selon lui, Marie Lou Thomas «a
failli» en ne respectant pas la garantie d’une information de qualité
dont doit faire preuve un journaliste, n’a pas satisfait aux exigences de
rigueur et d’exactitude. «Elle a semé le doute dans l’esprit du lecteur
en avançant des faussetés éhontées et suffisamment évasives pour mieux
manipuler le dit lecteur.»
Par ailleurs, Mario Zunino affirme sur
l’honneur avoir porté plainte auprès du Conseil de presse «moins pour [sa]
modeste personne que pour tous les intervenants du livre que Marie Lou Thomas
traite, indirectement, d’incapables et d’incompétents». Il cite
l’article: «C’est dommage que les Productions Zedem… aient omis de
laisser aux professionnels de l’édition le soin d’écarter ce roman…» et
encore « La couverture est d’un goût douteux: … l’impression énorme et la
mise en page exagérément étendue donnent le sentiment de lire un roman pour
adolescents… On bute régulièrement sur des erreurs grossières de syntaxe…»
Le plaignant juge que la revue « louvoie
afin de se couvrir». Pour lui, il semble évident que le journal
s’inquiète davantage de son image que de celle desdits chroniqueurs. Il affirme
que «M. Paré essaie de [le] « bluffer » en concluant que le Conseil
de presses’adresse principalement aux journalistes». M. Zunino
s’exclame que cette déclaration est fausse et que «le Conseil de presse
s’adresse à toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses
droits et/ou son honneur par la faute d’un… journaliste». Il dénonce
l’intimidation qu’il subit de la part de Mme Lemoine et M. Paré: selon
lui, le titre «Appui législatif» des commentaires des mis-en-cause
laisse croire que «les tribunaux sont de leurs côtés»,
la phrase «[son] roman demeurera [son]
seul roman» avec ce désir de justification est aussi révélatrice et enfin
que la conclusion des commentaires énonçant que c’est la revue
Main Blanche qui aurait dû porter
plainte contre lui fait aussi partie d’une intimidation de la part de la revue.
Analyse
Les griefs exprimés par le plaignant mettent en cause la critique parue dans le journal des études littéraires Main Blanche sous la plume de Marie Lou Thomas.
Le Conseil rappelle que la critique littéraire laisse à son auteur une grande latitude dans l’expression de son point de vue et de son jugement. Elle lui permet d’adopter un ton de polémiste pour prendre parti et exprimer ses critiques, ce qu’il peut faire dans le style qui lui est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. Le journaliste doit cependant présenter les événements de manière factuelle, sans se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude qui doivent guider tout travail journalistique.
Dans le cas soumis à l’attention du Conseil, la journaliste avait pleinement le droit de porter un jugement critique sur le livre du plaignant. Le texte incriminé aurait eu avantage en revanche à étayer la critique du roman en l’illustrant par quelques exemples extraits de l’ouvrage en question.
Si le plaignant ne remet pas en cause le droit du mis-en-cause à critiquer son œuvre, il dénonce en contrepartie le refus de la rédaction du journal de publier intégralement sa réplique. Dans le présent cas, la rédaction d’un journal avait le devoir d’accorder un légitime droit de réplique à l’auteur de l’ouvrage ayant fait l’objet d’une critique littéraire. Mais le plaignant ne pouvait pas exiger la publication intégrale de son texte; la rédaction de Main Blanche avait pour sa part le droit d’en modifier le contenu, à condition de ne pas altérer le sens de la lettre de M. Zunino. Le grief du plaignant est conséquemment rejeté sur ce point.
Pour l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du journal Main Blanche et de sa journaliste.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C09C Modification du texte
- C12D Manque de contexte
- C15A Manque de rigueur
- C15D Manque de vérification
Date de l’appel
8 October 2003
Décision en appel
Les membres de la Commission ont conclu à l’unanimité
de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. Mario Zunino