Plaignant
François
Laramée
Mis en cause
Maurice
Giroux, journaliste et rédacteur en chef et
Point Sud
Résumé de la plainte
M. Laramée, nouvellement choisi directeur des
communications à la Ville de Longueuil, porte plainte contre le journaliste de
l’hebdomadaire Point Sud, Maurice
Giroux, à la suite de plusieurs publications, commentaires et entrevues
accordées à son sujet. La plainte repose particulièrement sur des articles des
6 août 2002 et 2 octobre 2002 du journal Point
Sud ainsi que sur une entrevue diffusée le 16 octobre 2002 à CKAC
RadioMedia Montréal et une autre publiée dans
La Presse le même jour.
Griefs du plaignant
Le plaignant
expose 10 « champs d’activité » pour lesquels le journaliste serait fautif :
1.
Il aurait atteint à sa réputation en
indiquant que M. Laramée est reconnu pour sa faible sensibilité aux questions
éthiques et en prétendant que sa nomination au poste de directeur des
communications est « toute partisane ».
2.
Il aurait depuis trois mois
littéralement harcelé des gens de son entourage, tenté de le discréditer et de
nuire à sa nouvelle carrière, tout cela pour tenter de monter un quelconque
conflit d’intérêts à son endroit.
3.
Le journaliste aurait également induit
ses lecteurs en erreur en mélangeant allègrement trois genres journalistiques
pour mieux servir sa vengeance. D’ailleurs, jamais aucun texte signé par
M.Giroux n’est identifié.
4.
Il y aurait faute également en regard
du choix de couverture et de l’intérêt public. Le plaignant parle de vengeance
puisque M. Giroux s’acharnerait à enquêter sur son cas en tentant de découvrir
un quelconque conflit d’intérêts. Le plaignant demande où est l’intérêt, pour
le public, de savoir si les scores de golf publiés dans le
Courrier du Sud avaient été transmis à une journaliste par François
Laramée, le directeur des communications à la Ville.
5.
En matière d’exactitude de
l’information, le journaliste mériterait plusieurs blâmes sévères. Notamment,
il associerait les gestes de M. Laramée à des dates erronées, l’accusant d’être
signataire d’une chronique pour laquelle il sous-entendrait qu’il y a
rémunération.
6.
L’impartialité de l’information serait
également en cause. M. Giroux est le fondateur d’un journal qui a été en
concurrence avec le sien lorsqu’il était au Courrier
du Sud. Son journal a demandé à la Ville sa part de publicité, ce à quoi M.
Laramée a personnellement répondu non au nom du maire. Depuis ce temps, selon
le plaignant, c’est la vengeance qui guide ses actions journalistiques.
7.
Relativement à la rigueur de
l’information, ses textes sont « truffés d’allégations malsaines, de
sous-entendus, de prétentions; des textes qui transpirent la vengeance et le
règlement de compte personnel. Malgré tous ses écrits, le journaliste ne l’a
jamais interrogé sur les faits; il y va plutôt de ses conclusions, de ses
impressions et en tire des leçons. Pour le plaignant, il s’agit d’une opération
de salissage à son endroit.
8.
En outre, le journaliste n’aurait pas
respecté la vie privée du plaignant. Il se demande pourquoi le journaliste
implique l’épouse de M. Laramée dans le dossier de l’agence Dehors.com, une
agence qu’elle a effectivement enregistrée. Il reconnaît que son épouse
travaille au Courrier du Sud mais demande
pourquoi faire ce lien pour créer une mise en situation conflictuelle. Il
reproche au journaliste d’avoir fouillé dans le passé de sa femme pour trouver
des enregistrements corporatifs à son nom, en 1994, et de les avoir publiés.
Pour lui, il s’agit d’intrusion dans leur vie privée.
9.
Le plaignant affirme ensuite que M.
Giroux est en conflit d’intérêts. Fondateur d’un journal à l’agonie, ce dernier
viserait depuis plusieurs mois ceux et celles qui ne lui fournissent pas l’argent
nécessaire pour survivre. Après s’être vu refuser de la publicité de la Ville,
il tente de démolir le messager. Il a agi de la même manière avec le Centre
local de développement (CLD) de l’endroit pour en expliquer les problèmes,
l’organisme lui ayant refusé une subvention.
10.Finalement, en ce qui concerne la collecte des informations, le
journaliste aurait joué en coulisses pour obtenir de l’information. N’ayant
rien trouvé de répréhensible, il s’est alors accroché à ses impressions. Il n’a
jamais contacté le plaignant. Il aurait donc prétendu, affirmé, et sous-entendu
ce qui, aux yeux du plaignant est vicieux et insidieux.
Commentaires du mis en cause
M. Maurice Giroux, rédacteur en chef,
indique que dans l’édition du 12 novembre de
Point Sud, à la page 2, il a publié des corrections à deux
inexactitudes.
La première concernait la date de l’entrée
en fonction de M. Laramée en tant que directeur des communications de la Ville
de Longueuil, qui était le 25 février et non le 25 mars. Cette erreur
involontaire lui avait fait écrire que M. Laramée avait procédé le 23 mars à
l’enregistrement auprès de l’Inspecteur des institutions financières du nom
ICI Longueuil, le journal municipal de
la Ville, avant même son entrée en fonction. Il ajoute qu’il est par contre exact
que cet enregistrement a été fait à son nom personnel et à l’adresse de sa
résidence privée.
M. Giroux fait cependant observer que cette
erreur de date alourdit la responsabilité de M.Laramée et porte à neuf
semaines plutôt qu’à cinq semaines le temps qu’il a pris pour faire radier son
nom comme unique actionnaire de l’Agence de presse Rive-Sud, corporation
fédérale qui gère la rédaction de l’hebdomadaire
Courrier du Sud, son ex-employeur.
La deuxième inexactitude corrigée ne
concernait pas M. Laramée lui-même, mais sa conjointe Diane Lapointe,
journaliste contractuelle au Courrier du
Sud et propriétaire unique de l’Agence Dehors.com. L’immatriculation de
l’entreprise avait été faite en août 2002 et non en 1994, comme le laisse
sous-entendre le document gouvernemental. Cependant, pour M. Giroux, ceci
n’infirme pas pour autant le reste de l’article. C’est en effet sous cette
raison sociale que, selon son journal, M. Laramée écrit et continue à écrire ou
à collaborer anonymement à des sujets à caractère sportif. Que M. Laramée
reçoive ou non une rémunération, directement ou indirectement par sa conjointe
pour ces articles hebdomadaires n’a pas été soulevé par
Point Sud, faute de preuve. Le mis-en-cause ajoute qu’il est
toutefois plausible que M. Laramée ou des membres de sa famille en retirent des
avantages sous forme de laissez-passer dans des pourvoiries, des clubs de golf
et des centres de ski.
Selon M. Giroux, il serait fastidieux et
contre-indiqué au plan juridique de répondre à M.Laramée dont la plainte
ne parvient pas à remettre en question les faits majeurs rapportés par
Point Sud et qui ont été confirmés par
des sources les plus fiables. En fait, cette plainte ne constituerait qu’un
autre geste d’intimidation. Pour M. Giroux, le Conseil de presse se trouve en
présence d’un dossier éminemment politique, où il sera difficile de départager
les écrits journalistiques, les personnages en cause et la conduite des élus et
fonctionnaires municipaux.
Réplique du plaignant
M. Laramée répond que les commentaires de
M. Giroux ne changent rien au fond de la plainte. Les propos du mis-en-cause
démontrent et confirment que M. Giroux est guidé, sinon aveuglé par la
vengeance.
Pour le plaignant, M. Giroux ne répond pas
au contenu de la plainte mais au lieu de répondre, il préfère en remettre et
poursuivre son enquête, même dans ses commentaires. Alors qu’il avait écrit en
octobre dernier dans son journal que François Laramée avait interrompu sa
collaboration au Courrier du Sud, il
affirme maintenant dans sa réponse que celui-ci continue d’écrire ou de
collaborer anonymement. Le plaignant demande si ce sont des informations
pertinentes au dossier, si nous sommes toujours dans « l’enquête perpétuelle »
de M. Giroux et en quoi ces informations seraient d’intérêt public.
De plus, il relève que M. Giroux est à
soulever des avantages que des membres de sa famille pourraient en retirer.
Pour lui, cela frise la démence et confirme son acharnement.
Analyse
Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter non seulement les conflits d’intérêts, mais aussi toute situation qui risque de les faire paraître en conflits d’intérêts ou sembler avoir partie liée avec quelque pouvoir politique, financier ou autre.
De plus, dans l’exercice de leur fonction, les professionnels de l’information ne doivent pas se faire les publicistes ou les promoteurs des mouvements dans lesquels ils militent même si, dans les faits, ils transmettent l’information d’une façon adéquate et rigoureuse. Leur rôle n’est pas de dicter au public ce qu’il doit penser, mais de le renseigner le plus justement possible pour qu’il soit en mesure de porter un jugement éclairé sur les événements. Les entreprises de presse ont aussi une responsabilité en cette matière : elles doivent veiller, entre autres, à ce que, par leurs affectations, leurs journalistes ne se retrouvent pas en situation de conflit d’intérêts. Si le public venait à douter de la probité et de l’intégrité de la presse en ces matières, non seulement la crédibilité de cette dernière en serait diminuée, mais le droit à l’information s’en trouverait compromis.
Si le Conseil a tenu à rappeler ces principes, c’est que le différend qui oppose les parties dans ce litige lui est apparu fondé sur une vision mal interprétée du rôle de la presse. Or, ce rôle, selon le Conseil, est de renseigner le public le plus justement possible pour qu’il soit en mesure de porter un jugement éclairé sur les sur les événements d’intérêt public.
Dans le présent cas, la plainte soumise au Conseil de presse mettait en présence plusieurs acteurs : deux journaux régionaux; M. Maurice Giroux, rédacteur en chef d’un de ces journaux et mis en cause conjointement avec son journal; le plaignant, M. François Laramée, ex-journaliste qui après 23 ans dans un autre journal est devenu directeur des communications de l’information de sa Ville. Sont aussi impliquées indirectement la conjointe du directeur de l’information de même que le directeur général de la Ville de Longueuil. La plainte impliquait accessoirement les journalistes Éric Trottier de La Presse et Paul Arcand de la station CKAC RadioMédia.
S’il n’est pas du ressort du Conseil de presse de porter un jugement en matière d’éthique municipale, le Conseil a constaté que le plaignant reconnaissait, dans les documents soumis à son examen, avoir agi à la fois comme responsable de l’attribution des contrats de publicité et de promotion de la Ville et comme collaborateur indirect à une agence qui appartenait à son épouse et qui contractait avec son ex-journal où travaillait encore son épouse.
Dans ce contexte, le Conseil a jugé tout à fait légitime que médias et journalistes s’interrogent sur cette situation qui prenait toutes les apparences d’un conflit d’intérêts.
En ce qui a trait spécifiquement aux motifs de plainte, le Conseil a considéré tour à tour les griefs concernant la collecte des informations et la conduite journalistique de M. Giroux, mais d’abord le produit journalistique, soit ses articles dans le journal Point Sud.
Après examen, il ressort que si le plaignant avait raison de pointer certaines inexactitudes dans les textes du mis-en-cause, ce dernier a corrigé les erreurs dans l’édition suivante de son journal. Comme l’indique la jurisprudence consultée en cas d’erreur corrigée, le Conseil ne retient habituellement pas la plainte sur cet aspect. Par ailleurs, toujours à ce chapitre, le Conseil a noté que même si certaines autres inexactitudes auraient éventuellement pu être fondées, le plaignant n’en a pas fait la démonstration.
À la rubrique des genres journalistique, le Conseil a constaté un mélange des genres entre le reportage et le commentaire. Le Conseil a estimé que cette confusion prend sa source dans le fait que le journaliste est impliqué dans le dossier comme il le rapporte lui-même dans un article du 2 octobre 2002. Le Conseil a donc retenu la plainte sur cet aspect.
Au chapitre de la collecte des informations, l’examen des griefs en regard du harcèlement est arrivé aux conclusions suivantes. Même s’il a été établi plus haut que les journalistes pouvaient s’intéresser légitimement à ce qui prenait toutes les apparence d’un conflit d’intérêts, il appert que M. Giroux a outrepassé ses fonctions de journaliste qui consistent à rapporter les événements en devenant lui-même un acteur dans le dossier. Dans son article du 12 octobre il reconnaissait avoir prié le directeur de la Ville de faire enquête, lui suggérant de consulter pour vérifier l’aspect « éthique publique » de la collaboration de son directeur des communications, et informant la rédactrice en chef du Courrier du Sud de l’absence d’enregistrement de son agence « Dehors.com ». Donc, le grief est retenu.
En regard des griefs concernant l’équilibre et l’exhaustivité de l’information, M.Laramée reprochait au journaliste, qui n’avait rien trouvé de répréhensible, de s’être alors limité à ses impressions, omettant de contacter le plaignant. Le Conseil s’explique mal qu’après toutes les démarches pour faire la lumière sur la situation de conflit d’intérêts, le journaliste n’ait pas donné la parole au principal intéressé, ce qui dans les circonstances prend la forme d’un procès d’intention. En conséquence, le grief sur cet aspect doit être retenu.
Au dernier chapitre soit celui des comportements journalistiques, le Conseil n’a pas retenu les griefs concernant le manquement au respect de la vie privée, considérant la situation particulière dans laquelle se trouvait l’ex-journaliste. Le mis-en-cause pouvait légitimement faire cette recherche et mentionner ces informations dans son journal.
Au terme de cet examen, le Conseil de presse retient la plainte et blâme le journal Point Sud et son rédacteur en chef Maurice Giroux sur les aspects spécifiés.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C12C Absence d’une version des faits
- C16D Publication d’informations privées
- C16E Mention non pertinente
- C17E Attaques personnelles
- C17G Atteinte à l’image
- C17H Procès par les médias
- C20A Identification/confusion des genres
- C22C Intérêts financiers
- C23J Intimidation/harcèlement
Date de l’appel
7 July 2003
Décision en appel
Les membres de la Commission ont conclu
unanimement de rejeter votre demande d’un ban d’audition et de maintenir la
décision rendue en première instance. Bien que les membres de la Commission
comprennent la situation difficile dans laquelle se retrouve votre journal face
à l’octroi des budgets publicitaires de la Ville de Longueuil, la décision de
la Commission repose principalement sur la considération éthique suivante:
la mission communautaire d’un journal ne peut en aucune manière légitimer des règles
déontologiques différentes de celles auxquelles adhère l’ensemble de la
communauté journalistique québécoise.
Griefs pour l’appel
M. Maurice Giroux