Plaignant
Odette
Savard
Mis en cause
Cédric
Bélanger, journaliste et Le Journal de
Québec (Serge Côté, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
La présente
plainte est portée par Odette Savard contre un journaliste du
Journal de Québec, Cédric Bélanger.
La plaignante
dénonce le manque de respect du journaliste et le traitement sensationnaliste
d’un accident de la route affectant mortellement son conjoint. Celui-ci,
récidiviste de la conduite en état d’ébriété, est à l’origine de l’accident.
Griefs du plaignant
La plaignante amorce sa
plainte en exprimant son accord avec le fait quel’on doit dénoncer les
personnes qui prennent la route en état d’ébriété mais ne pense pas que les
propos tenus dans l’article en cause, qualifié de «sensationnel»,
soit àla mesure de l’événement.
Selon elle, il ressort
une idée fausse de la personne décédée dans l’accident. «On pouvait
s’imaginer le plus dangereux assassin […], un criminel notoire et dangereux
sans aucune qualité[…].» Le fait qu’il soit sans famille n’autorisait pas
le journaliste à détruire cet homme. «Toutes les suppositions les plus
grotesques ont même été avancées!» dit-elle. Odette Savard précise que
l’homme parlait d’avenir et non pas de suicide, qu’il voulait fonder une
famille et désirait se marier.
Elle qualifie ensuite
d’audacieux l’intégration de photographies: celle du corps du défunt
gisant sur la route et celle montrant une caisse de bière «supposément
retrouvée près de l’accident!». Odette Savard précise que rien ne pouvait
confirmer que la caisse de bière appartenait à son conjoint.
Elle déclare avoir pris
conscience que tout ce qui intéressait le journal était de «faire mousser
les venteset de faire sensation auprès des lecteurs». À ses yeux,
le journaliste n’a pas respecté «les êtres chers qui subissaient ses
quasi-sarcasmes».
La plaignante souligne
par la suite qu’elle a pensé poursuivre le journal devant les tribunaux pour
avoir tenu de tels propos et pour l’acharnement dont le journaliste a fait preuve
dans son article. Elle demande que des excuses soient publiées dans le
Journal de Québec.
Elle déclare ne pas nier
les faits et admet les fautes de son conjoint mais déplore que les propos du
journaliste soient teintés de «négativisme, de suppositions non
nécessairement fondées où [son conjoint] est décrit pratiquement comme un
monstre».
Commentaires du mis en cause
M. Serge Côté commence ses commentaires en
citant une phrase énoncée par Mme Savard dans sa plaintedans laquelle
elle ne nie pas que le geste de son conjoint était criminel. Pour lui, cette
phrase justifie l’utilisation des éléments faite par
le Journal de Québec. Il déclare que des preuves, des
«affirmations de sources autorisées» ainsi que la réalité
dramatique de six morts en quatre jours viennent appuyer les propos tenus dans
l’article. La récidive est un fait indubitable.
Le rédacteur en chef
dit comprendre la douleur de Mme Savard mais
affirme aussi que «l’information doit aller au-delà de ce type de
considération».
Il se prononce ensuite sur le choix de
photographies ou de titres et dit que celui-ci relève de l’initiative de chaque
média. Le journal considère «avoir bien servi le public en utilisant ces
éléments qui traduisaient parfaitement toute l’horreur du drame».
Serge Côté insiste sur le fait que
«les éléments de cette information étaient factuels ou provenaient de
témoignages divers (policier, témoin, etc.)».
Le rédacteur en chef termine ses
commentaires en affirmant que le Journal
de Québec a agi avec professionnalisme.
Réplique du plaignant
La plaignante amorce sa réplique en
exprimant sa déception par rapport à la
réponse de la rédaction du Journal de
Québec.
Elle ne croit pas en la compassion de la
rédaction et note que le journal n’aurait jamais publié un article qui soit en
relation directe avec l’un de ses employés. Elle considère que le fait qu’elle
ne soit qu’«une citoyenne à moyen revenu [et] qu’elle ne peut poursuivre
le journal» a été pris en compte.
Odette Savard rappelle ensuite sa douleur
de devoir vivre avec l’horreur de la photographie de son conjoint après
l’accident et le manque de respect envers elle et sa famille dont a fait preuve
le journaliste.
La réplique se conclut par une
énumération des qualités personnelles du
défunt.
Analyse
Les griefs exprimés par la plaignante mettent en cause l’article paru dans le Journal de Québec sous la plume de Cédric Bélanger.
Le Conseil de presse rappelle que les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entrave ni menace ou représailles. L’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
Le reproche invoqué par la plaignante dans le présent cas vise un manque de respect ainsi qu’une accusation de sensationnalisme en utilisant des suppositions et des propos non fondés. De l’analyse de la plainte, il appert que le journaliste a avancé des hypothèses non avalisées par les services de police pertinents mais qu’il a fait mention de cet état hypothétique dans son article. Au nombre des hypothèses dont le fondement n’a pas été confirmé, le Conseil note l’utilisation discutable par le journal d’une photographie de caisse de bière ayant prétendument appartenue au conducteur incriminé.
Cependant, le Conseil estime que les titres employés dans l’article manquent singulièrement de nuance: «Un autre kamikaze tue», «Un kamikaze fait un autre mort» et «Il voulait mourir plutôt que se faire pincer». Ainsi, le journal a tiré des conclusions hâtives sur l’état mental de l’automobiliste alors même que les conclusions de l’enquête policière n’ont pas été rendues. Les titres sont prématurément affirmatifs et à saveur sensationnaliste. Plus de prudence et de nuances dans les titres aurait pleinement satisfait la déontologie journalistique. La plainte est donc accueillie sur ce point.
Après étude des documents soumis par Mme Savard, le Conseil de presse n’a pas constaté par ailleurs de manquements aux chapitres du respect de la vie privée et rejette conséquemment le grief sur ce point.
Pour ces raisons, le Conseil ne retient que partiellement la plainte à l’encontre du Journal de Québec sur la base des titres utilisés, mais juge non fondée la demande faite par la plaignante d’une réponse publique du journaliste pour réparer ses propos.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15C Information non établie
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches