Plaignant
Pierre-Paul
Sénéchal
Mis en cause
André Poulin, rédacteur en chef et La
Voix du Sud (Marc-Noël Ouellette, vice-président et directeur général,
Groupe des journaux communautaires, Hebdos Transcontinental)
Résumé de la plainte
La plainte déposée par M. Sénéchal vise
essentiellement un présumé conflit d’intérêts dans lequel se serait placé le
rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Voix du Sud, André Poulin. La
plainte porte particulièrement sur l’édition du 17 novembre 2002 de
l’hebdomadaire régional.
Griefs du plaignant
M. Sénéchal indique que sa plainte vise
l’entreprise de presse, sa direction et le journaliste. Elle se rapporte
particulièrement à l’édition du 17 novembre 2002 de l’hebdomadaire La Voix
du Sud. Le plaignant estime également qu’il existe, depuis un certain
temps, un déséquilibre apparent dans le traitement de l’information de la part
de ce média lorsque les dossiers sont de nature politique ou concernent des
personnalités politiques.
La situation spécifique dénoncée par le
plaignant et illustrée par le numéro du 17 novembre de LaVoix du Sud,
est la suivante : la conjointe de M. André Poulin est Mme Dominique Vien,
directrice de la programmation de la station Radio-Bellechasse CFIN-FM.
Mme Vien est aussi candidate libérale désignée, pour le comté de Bellechasse,
depuis le 18 juin 2002. Selon le plaignant, depuis cette date, Mme Vien se voit
accorder une visibilité qui lui apparaît tout à fait disproportionnée par
rapport à ce qui est normalement consenti par un média. Et, selon lui, tout ce
qui est prétexte à la mise en valeur de sa personne et les meilleurs espaces
publicitaires lui sont réservés. M. Sénéchal rappelle qu’à titre de rédacteur
en chef, M. Poulin est responsable du choix des articles, des titres, des
photos de presse et de leur positionnement dans les pages du journal. De plus,
il rédige lui-même des articles, les signe et prend les photos.
Pour le plaignant, une telle pratique est
carrément non-professionnelle et est en totale violation des règles
déontologiques défendues par la Fédération professionnelle des journalistes du
Québec et le Conseil de presse du Québec. Se référant à ces règles, le
plaignant rappelle les notions de conflit d’intérêts et d’apparence de conflit
d’intérêts. Pour lui, les agissements des mis-en-cause sont contraires au
principe et à l’obligation d’une information au-dessus de tout soupçon. Et la
situation de déséquilibre dont il saisit le Conseil de presse est d’autant plus
grande que La Voix du Sud et Radio-Bellechasse CFIN-FM sont les
deux seuls organes de presse desservant le territoire de Bellechasse tout
entier.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du rédacteur en chef de
La Voix du Sud, André Poulin:
M. Poulin divise ses commentaires en cinq
parties. Il présente d’abord le bilan rédactionnel de la trentaine
d’éditions de son hebdomadaire durant les huit mois précédents la plainte : le
député Lachance ou des ministres du Parti Québécois ont fait l’objet de 46
articles; Mme Vien a fait l’objet de 12 articles dont deux comme bénévole d’un
mouvement communautaire et non comme politicienne; et le parti de l’ADQ et son
candidat potentiel, Serge Carbonneau, ont été couverts trois fois. Dans les
deux derniers cas, la couverture n’a débuté qu’après que leur candidature ait été
évoquée, soit respectivement les 3 mai pour Mme Vien, et le 18 août pour M.
Carbonneau.
En ce qui a trait à la couverture
journalistique, parmi les 46 articles à caractère politique publiés entre
le 3 mai et le 8 décembre 2002, 26 sont signés pas Serge Lamontagne, 13 par
André Poulin et 2 ne sont pas signés. Le rédacteur en chef détaille le contenu
des deux articles non signés. Pour ce qui est des 13 articles signés André
Poulin, il indique que 10 impliquent le député Lachance ou des ministres péquistes
et trois impliquent son adversaire libérale Dominique Vien.
M. Poulin explique ensuite le contexte
de travail qui prévaut à La Voix
du Sud : une seule personne est en charge de la rédaction d’articles, de
la prise de photos et de la mise en page du journal. De plus, dans le cas des
journaux du Groupe Transcontinental, journalistes et directeurs de
l’information sont tenus de respecter des normes rédactionnelles qui précisent
notamment l’ordre de
disposition des nouvelles dans le journal. Ainsi, l’actualité
occupe les premières pages et les événements à caractère politique, les
dernières pages de la section générale.
Le rédacteur en chef ajoute que le
lendemain de l’annonce de la candidature de Mme Vien, l’éditrice, Mme Caroline
Gilbert, et lui-même ont alors convenu qu’en autant que ce serait possible,
c’est le journaliste pigiste Serge Lamontagne qui couvrirait les événements
politiques à caractère partisan, convention dont copie est annexée aux
réactions des mis-en-cause. Comme le journaliste Lamontagne ne pouvait être
présent au moment de la visite du chef de l’Opposition officielle dans le
comté, André Poulin a dû effectuer la couverture des événements et rédiger
l’article. Sa publication a été faite conjointement avec celle de l’article
rédigé une semaine auparavant par M. Lamontagne sur la tournée des députés
libéraux. L’article était signé Serge Lamontagne et André Poulin, ce qui est
conforme à la réalité, selon le rédacteur en chef.
Au sujet de l’équilibre de l’information
dans l’édition du 17 novembre 2002, M. Poulin explique pourquoi Mme Vien est
photographiée deux fois en première page : elle figure une première fois avec
huit autres personnes associées à une activité charitable pour laquelle
La Voix du Sud et
Radio-Bellechasse étaient partenaires;
et dans le second cas, le chef de l’Opposition avait choisi cette semaine pour
venir appuyer sa candidate libérale et avait tenu plusieurs activités
publiques. L’importance du personnage et de sa visite justifiaient d’en faire
état en première page. M. Poulin s’étonne que le plaignant parle de
déséquilibre de l’information quand on considère le bilan rédactionnel des
articles dédiés au député Lachance et aux membres de son parti au cours des
huit mois précédents.
M. Poulin indique qu’il faudrait être inconscient
pour ne pas admettre l’apparence de conflits d’intérêts dans laquelle il se
retrouve en raison de l’engagement de sa conjointe en politique.
À la lumière du bilan rédactionnel et des
mesures prises par La Voix du Sud,
il faut reconnaître, estime le rédacteur en chef, que la plainte est non fondée
et qu’elle ne s’appuie que sur des apparences. Donner raison au plaignant
reviendrait à faire des journalistes un groupe à part dans la société, un
groupe dont les membres ne peuvent entretenir quelque relation personnelle que
ce soit avec des politiciens, ce qui est virtuellement impossible, voire
irréel, pour qui connaît la profession journalistique. Il invoque également le
principe du respect de la vie privée, auquel est en droit de prétendre tout journaliste.
Commentaires du vice-président et directeur
général, Groupe des journaux communautaires des Hebdos Transcontiental,
Marc-Noël Ouellette:
M. Ouellette indique que son groupe de
presse était déjà conscient d’une possibilité d’apparence de conflit d’intérêts
dans laquelle son employé, et partant l’entreprise de presse, seraient placés à
la suite de la décision de Mme Vien de briguer l’investiture libérale. À cet
effet, une ligne de conduite à suivre a été édictée pour permettre, sans
toutefois l’éliminer complètement, de diminuer cette possibilité d’apparence de
conflit d’intérêts. Le vice-président et directeur général annexe le document.
M. Ouellette fait ensuite observer que M. Poulin est à l’emploi du journal
depuis 25 ans et qu’il est le seul journaliste permanent dans ce journal.
En ce qui a trait au « manque d’équilibre
dans l’information » invoqué par le plaignant, celui-ci prêterait aux
mis-en-cause l’intention de favoriser Mme Vien et le parti qu’elle représente
aux dépends des autres formations politiques. Ce à quoi il répond que la
vigilance démontrée par la ligne de conduite annexée et la politique interne de
transcontinental devraient suffire à protéger cet équilibre. En outre, les
mis-en-cause ont fait le relevé des articles depuis le dépôt de la candidature
de Mme Vien et estiment qu’il faut considérer la couverture dans son ensemble
et non sur la base d’une seule édition. Pour le vice-président et directeur
général, le conseil ne peut retenir une plainte sur une situation appréhendée.
Soulignant la difficulté de naviguer entre l’éthique journalistique et le droit
d’un conjoint à sa vie privée, il rappelle que Mme Vien s’est intéressée à la
politique bien après l’embauche de M. Poulin et le début de leur relation.
Réplique du plaignant
Selon M. Sénéchal, l’ajout de la politique
rédactionnelle transmise par M. Ouellette suscite plus de questions qu’il ne
répond à celles déjà posées. Ainsi comment expliquer, si cette politique
existait bel et bien, que M. Poulin se soit assigné la couverture de la
campagne électorale de sa conjointe pour l’édition du 17 novembre 2002, celle
précisément qui est l’objet de cette plainte.
Pour le plaignant, la volumineuse recension
réalisée par M. Poulin ne peut infléchir la présomption que le lien conjugal
qui relie le rédacteur en chef et la candidate libérale crée un conflit
d’intérêts, qu’il soit apparent ou réel.
En outre, il conteste l’analyse que fait M.
Poulin de sa recension puisqu’il aurait fallu plutôt considérer dans le calcul
seulement « la couverture des événements politiques à caractère
partisan», ce qui aurait donné une lecture différente où là c’est Mme
Vien qui est avantagée. Ce qui démontre la thèse selon laquelle La Voix du
Sud ainsi que son rédacteur en chef n’ont pu se soustraire à une situation
de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.
Analyse
Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter non seulement les conflits d’intérêts, mais aussi toute situation qui risque de les faire paraître en conflits d’intérêts ou sembler avoir partie liée avec quelque pouvoir politique, financier ou autre. Les entreprises de presse ont aussi une responsabilité en cette matière. Et elles doivent veiller, entre autres, à ce que, par leurs affectations, leurs journalistes ne se retrouvent pas en situation de conflit d’intérêts.
Ces principes sont extraits du document déontologique du Conseil de presse « Les droits et responsabilités de la presse », en usage depuis 30 ans au Québec et reconnu par la majorité des médias et des professionnels de l’information. Il vise à protéger la crédibilité des médias et des professionnels de l’information. En effet, si le public venait à douter de la probité et de l’intégrité de la presse, non seulement sa crédibilité en serait diminuée mais le droit à l’information s’en trouverait compromis.
Le rédacteur en chef de La Voix du Sud et le vice-président du Groupe Transcontinental ont reconnu tous deux l’apparence de conflit d’intérêts dans laquelle se trouvait M. Poulin. Ce dernier a également expliqué pourquoi, dans le cas de l’édition du 17 novembre 2002, il s’était retrouvé temporairement dans une situation de conflit d’intérêts réel.
En soupesant tous les éléments en cause soumis à son attention, le Conseil de presse a pris en compte le fait que le journal La Voix du Sud et le Groupe Transcontinental avaient pris tous les moyens pour éviter ou minimiser, dans les circonstances, les impacts que la situation particulière de M. Poulin pouvait engendrer.
Le Conseil a également considéré que nul ne pourrait exiger, d’un média disposant de ressources humaines très limitées, de s’abstenir de couvrir un événement parce que le seul journaliste disponible se retrouve en apparence de conflit d’intérêts, ce qui équivaudrait à priver tous les lecteurs d’une information à laquelle ils ont droit.
Ainsi, tout en déplorant la situation et en invitant les mis-en-cause à la plus haute rigueur possible dans leur travail quotidien, le Conseil ne peut dans les circonstances retenir les griefs sur cet aspect.
En ce qui concerne maintenant l’équilibre dans le traitement de l’information, le Conseil a jugé fondé le calcul issu de la compilation présentée par M. Poulin en ne faisant pas la distinction proposée par le plaignant sur la nature, partisane ou non, des apparitions lors d’événements publics. L’usage veut que de telles distinctions ne soient pas prises en compte dans le calcul de la couverture électorale par les médias.
Ces calculs démontraient que la couverture générale dont avait bénéficié la conjointe de M. Poulin était moindre que celle accordée au principal parti adverse et à ses représentants. Le Conseil n’a donc pas retenu non plus les griefs sur ces aspects.
Pour ces motifs, et tout en les exhortant à la plus grande prudence dans le contexte actuel, le Conseil de presse du Québec ne retient pas de blâme contre l’hebdomadaire La Voix du Sud et son rédacteur en chef André Poulin.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C22F Liens personnels