Plaignant
Conseil de presse du Québec (complément de
plainte: Dossier 2002-12-030)
Mis en cause
Mme
Dominique Vien, directrice de la programmation et
Radio-Bellechasse CFIN-FM (Jean-Pierre Pampalon, directeur général)
Résumé de la plainte
À la suite d’une plainte de M. Pierre-Paul
Sénéchal contre l’hebdomadaire La Voix du
Sud et contre son rédacteur en chef André Poulin, un échange de
correspondance a conduit le Conseil de presse à examiner la situation non
seulement de M. Poulin et de son média mais également celle de l’autre partie
pouvant avoir des intérêts dans le dossier, soit la conjointe de M. Poulin, Mme
Dominique Vien. Il faut dire que Mme Vien est à la fois candidate libérale aux
prochaines élections et, en même temps, employée d’un média régional. Ayant
constaté une possibilité de conflit d’intérêts, ou d’apparence de conflit
d’intérêts, le Conseil de presse s’est adressé à Mme Vien pour lui demander des
explications avant de conclure en ce sens.
Griefs du plaignant
Le 9 décembre
2002, le Conseil de presse du Québec a reçu une plainte de M. Pierre-Paul
Sénéchal contre l’hebdomadaire La Voix du
Sud et contre son rédacteur en chef, André Poulin. La possibilité de
conflit d’intérêts dans le cas de l’hebdomadaire et de son rédacteur en chef
provenait du fait que la conjointe de ce dernier amorçait son entrée en
politique.
L’échange de
correspondance avec le plaignant et les mis-en-cause lors du traitement du dossier
a conduit le Conseil de presse à examiner de près non seulement la situation de
M. Poulin et de son média mais également celle de l’autre partie pouvant avoir
des intérêts dans le dossier, soit de la conjointe de M. Poulin, Mme Dominique
Vien, directrice de la programmation de la station
Radio-Bellechasse CFIN-FM.
Devant le fait
que Mme Vien occupait cette fonction alors qu’elle devenait véritablement
candidate officielle aux élections provinciales, le Conseil a constitué un
dossier de plainte pour les motifs de conflit d’intérêts ou d’apparence de
conflit d’intérêts, et après avoir rappelé les règles déontologiques à ce
sujet, le Conseil a demandé par lettre à Mme Vien ses commentaires.
Le Conseil adressait des copies conformes
de cette lettre au directeur de CFIN-FM,
Jean-Pierre Pampalon, au chef de l’Opposition et chef du Parti Libéral du
Québec, Jean Charest et à M.Pierre-Paul Sénéchal.
Commentaires du mis en cause
Le 19 décembre 2002, Mme Dominique Vien
expédie au Conseil sa réponse. La directrice de la programmation dit ne pas
voir en quelle qualité le Conseil de presse du Québec lui demande de fournir de
tels renseignements puisque aucune plainte la concernant n’a été déposée. Elle
demande alors si le Conseil peut, à partir d’informations obtenues de façon
parallèle et de son propre chef, « demander des comptes à une entreprise de
presse et/ou à ses employés » et si en agissant ainsi le Conseil n’outrepasse
pas son rôle.
Mme Vien s’interroge ensuite sur le
caractère officiel que prend cette missive quand le Conseil en expédie une
copie conforme à MM. Charest et Sénéchal. Elle demande également ce qui
justifie d’en expédier copie à M. Sénéchal dont la plainte s’adresse à un autre
média. « Le Conseil de presse veut-il suggérer à Pierre-Paul Sénéchal de couvrir
plus large avec ses doléances? » écrit-elle.
La directrice de la programmation présente
ensuite sa réponse. Elle affirme adhérer au principe d’intérêt public et aux
valeurs démocratiques. À l’hiver 2002, elle a informé la direction générale et
la salle des nouvelles de sa station radiophonique de ses ambitions politiques.
À la suite de cette annonce, un protocole a été élaboré entre la direction
générale et elle pour baliser son travail en ondes.
Suivant les avis du CRTC et d’un conseiller
juridique, le conseil d’administration de la radio a décidé de la retirer des
ondes le 18 juin 2002, soit dix jours après l’investiture libérale. Il a alors
été convenu qu’elle soit en congé sans solde durant la prochaine campagne
électorale.
Mme Vien affirme qu’en aucun moment
quelqu’un ne s’est plaint de son travail mais qu’au contraire elle a été
félicitée pour son professionnalisme. Jamais elle n’a utilisé son micro pour se
mettre en valeur ou pour invectiver ses adversaires.
À titre de directrice de la programmation,
elle a la charge de mettre en ondes des émissions qui répondent à la mission de
la station et aux besoins de l’auditoire. Elle voit à la qualité du contenu et
à la gestion du personnel «annonceur ». La station
CFIN-FM a une salle des nouvelles où les affectations et les choix
éditoriaux appartiennent en propre au jugement du chef de pupitre. La
programmation dont elle a la responsabilité accorde aux députés fédéral et
provincial des temps d’antenne à une heure de grande écoute, en plus des entrevues
réalisées en fonction de l’actualité.
La directrice de la programmation termine
en demandant si le fait de travailler dans un média empêche un travailleur de
s’impliquer dans la défense des intérêts de sa région. « Sommes-nous à ce point
aseptisés pour prétendre tout de go au conflit d’intérêts? » Mme Vien estime
possible qu’il existe des professionnels consciencieux qui savent prendre des
mesures appropriées pour éviter des situations embarrassantes, et elle et son
équipe en font partie.
COMMENTAIRES ADDITIONNELS
Commentaires
de M. Pierre-Paul Sénéchal:
Le 6 janvier 2003, M. Pierre-Paul Sénéchal
dépose au Conseil de presse des commentaires relatifs à la lettre du Conseil
adressée à Mme Vien. Dans ces commentaires, M. Sénéchal affirme que la station
CFIN-FM sollicite régulièrement des
contributions financières de la part des maires des municipalités de
Bellechasse et des Etchemins. Il ajoute, en annexant copie du document, que le
26 avril 2002, Mme Vien adressait, à partir des équipements de
CFIN-FM et sur papier portant
l’identification de la station, une invitation à tous les maires de Bellechasse
et des Etchemins. L’invitation concernait sa propre candidature à l’investiture
libérale dans le comté de Bellechasse et soulignait que « leur présence serait
grandement appréciée ». Pour M. Sénéchal, une telle façon de faire soulève des
interrogations au plan déontologique.
COMMENTAIRES ADDITIONNELS DES MIS-EN-CAUSES
En réponse aux éléments précédents, Mme
Vien soulève pour sa part, certains questionnements à l’endroit du Conseil de
presse et sur les réels objectifs poursuivis par M. Sénéchal ainsi que sur la
crédibilité à lui accorder. Elle fait d’abord observer que la plainte de M.
Sénéchal s’adressait à l’hebdomadaire La Voix du Sud et concernait le
traitement journalistique dans l’hebdomadaire et non son employeur, la station
CFIN-FM. Elle demande ensuite de quel droit le Conseil de presse, de son propre
chef, lui adresse une plainte ainsi qu’à son employeur; et également de quel
droit le Conseil de presse en informe-t-il M. Pierre-Paul Sénéchal.
En ce qui concerne la lettre du 6 janvier
de M. Sénéchal, Mme Vien demande « quel est le lien entre la première plainte
formulée au journal et cette seconde lettre? » Elle demande également le lien
entre le financement de CFIN-FM et la plainte de M. Sénéchal adressée au
journal. Pour elle, le Conseil aurait dû savoir que les informations contenues
dans la lettre du 6 janvier ne concernent que les affaires internes de sa
station « et que cet élément ne le regarde ni lui, ni le Conseil, ni de près,
ni de loin. » Pour Mme Vien, le Conseil de presse porte préjudice à sa personne
et à son employeur en leur adressant une plainte de lui-même et en informant
M.Sénéchal, un citoyen impliqué dans un autre dossier.
Mme Vien se demande enfin comment M.
Sénéchal ne s’indigne pas de voir à chaque semaine le candidat péquiste et
député de Bellechasse dans un journal régional et à l’antenne d’une chronique
hebdomadaire à CFIN-FM alors qu’elle est retirée des ondes depuis huit mois.
Pour elle, cela sent la chasse aux sorcières, la mauvaise foi, la partisanerie
et la mauvaise plaisanterie.
Réplique du plaignant
Aucune réplique.
Analyse
Le Conseil de presse du Québec a pour mandat de promouvoir le respect des plus hautes normes éthiques en matière de droits et responsabilités de la presse. Son action s’étend à tous les médias d’information distribués ou diffusés au Québec, qu’ils soient membres ou non du Conseil, qu’ils appartiennent à la presse écrite ou électronique, de même qu’à leur personnel.
En poursuivant ces objectifs, le Conseil de presse vise notamment à favoriser l’exercice d’une presse responsable et soucieuse du respect de son public. Par diverses interventions publiques, le Conseil de presse est ainsi amené à contribuer concrètement au développement du respect des normes qu’il préconise.
Lors de l’étude récente d’une plainte impliquant un hebdomadaire régional et son rédacteur en chef, le Conseil a constaté que si ce dernier pouvait se retrouver en apparence de conflit d’intérêts à cause de l’entrée récente de sa conjointe en politique, il était possible que cette dernière, qui travaille aussi dans un média régional, se retrouve également en conflit d’intérêts potentiel.
Le Conseil a considéré qu’il ne pouvait pas faire l’examen de la première situation et fermer les yeux sur la seconde sans s’interroger. C’est ainsi que le Conseil a été amené à s’adresser à Mme Dominique Vien et à son employeur, la station Radio-Bellechasse CFIN-FM pour obtenir leurs commentaires à ce sujet.
Avant de faire connaître sa décision, le Conseil estime pertinent de rappeler les règles déontologiques à propos de la question du conflit d’intérêts.
Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter non seulement les conflits d’intérêts, mais aussi toute situation qui risque de les faire paraître en conflits d’intérêts ou sembler avoir partie liée avec quelque pouvoir politique, financier ou autre. Les entreprises de presse ont aussi une responsabilité en cette matière. Et elles doivent veiller, entre autres, à ce que, par leurs affectations, leurs journalistes ne se retrouvent pas en situation de conflits d’intérêts.
Ces principes en usage depuis 30 ans au Québec, et reconnus par la majorité des médias et des professionnels de l’information, visent à protéger la crédibilité des médias et des professionnels de l’information. En effet, si le public venait à douter de la probité et de l’intégrité de la presse, non seulement sa crédibilité en serait diminuée mais le droit à l’information s’en trouverait compromis.
Après examen, il appert que les dirigeants de CFIN-FM de concert avec Mme Vien ont pris, dans l’ensemble, les moyens pour éviter que sa candidature en politique provinciale ne la place en situation de conflit d’intérêts. Un seul incident de parcours a été identifié par le Conseil, une entorse aux principes reconnus en cette matière concernant l’utilisation d’un télécopieur identifié à sa station de radio pour la convocation à une rencontre de nature partisane.
En contrepartie, le Conseil de presse a pris en compte le fait que Mme Vien et son employeur ont convenu de son retrait des ondes plus de huit mois avant le déclenchement de la campagne électorale et que la directrice de la programmation sera en congé sans traitement durant toute la campagne.
Ces mesures strictes indiquent, aux yeux du Conseil, une volonté ferme chez les mis-en-cause d’éviter tout conflit d’intérêts réel et de minimiser autant que faire se peut les risques d’apparence de conflit d’intérêts.
Ainsi, tout en déplorant l’incident de l’utilisation malencontreuse de l’équipement de la station radiophonique à des fins personnelles, le Conseil de presse ne retient pas de blâme formel contre Mme Dominique Vien ni contre son employeur, la station Radio-Bellechasse CFIN-FM dont le Conseil reconnaît la rigueur dans les circonstances.
Analyse de la décision
- C22B Engagement politique