Plaignant
Patricia Bratley
Mis en cause
Anthony Bonaparte «
Napoleon »,
caricaturiste, et
The West Island Suburban
(Jim Duff, rédacteur en
chef)
Résumé de la plainte
La plainte de Mme
Patricia Bratley concerne une caricature publiée dans
The West Island Suburban, édition du 5
février 2003. La plainte vise à la fois l’
hebdomadaire et son caricaturiste.
Griefs du plaignant
Les reproches
de Mme Patricia Bratley visent le
journal
The West Island Suburban
, de même que son caricaturiste qui signe sous le pseudonyme de «
Napoleon ». La plaignante estime la caricature publiée le 5 février 2003
tellement irrespectueuse de la femme musulmane qu’elle doit être considérée
comme raciste.
Mme Bratley souligne qu’elle n’est membre
d’aucun groupe et qu’elle ne représente personne d’autre qu’elle-même dans la
présente plainte.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du rédacteur en chef, Jim
Duff:
M. Jim Duff rappelle que la plaignante
s’offusque de la caricature publiée dans le Suburban
le 5 février 2003 parce qu’elle manquerait de respect envers les femmes de foi
et de tradition musulmane. Pour sa part, il conteste fermement cette prétention
et se demande pourquoi, si Mme Bratley en était si fermement convaincue, elle
ne l’a pas fait savoir dans les pages du
Suburban.
Le rédacteur en chef indique qu’il a
inclus à son envoi des coupures de presse des trois éditions subséquentes dans
lesquelles on trouve une sélection de lettres critiquant la caricature en
question. Il ajoute qu’il a même encouragé toute personne ayant communiqué par
téléphone ou par courriel pour se plaindre à se prévaloir de leur droit de
réplique, jusqu’à ce qu’une plainte soit déposée devant le Conseil de presse.
Selon M. Duff, Mme Bratley n’a jamais tenté de communiquer avec le journal.
Tel que démontré antérieurement, et tel
que le Conseil de presse a lui-même statué en appel dans le dossier
D2001-10-022 (Marie Malavoy c. Suburban),
la tradition québécoise en matière de caricature à caractère éditorial confère
aux caricaturistes une latitude considérable pour exprimer leurs commentaires
sur un sujet particulier.
Le rédacteur en chef inclut à ses
explications les commentaires du caricaturiste, reproduits ci-après.
M. Duff fait suivre ces commentaires du
texte d’une nouvelle intitulée « Arabs rejoice at shuttle crash » qu’il avait
en main au moment de l’événement. Connaissant les risques de reproduire
certains stéréotypes raciaux durant la semaine qui a suivi la perte de la
navette Columbia, il avait alors décidé de s’abstenir de la publier.
En ce qui a trait à la prétention de Mme Bratley à l’effet qu’elle
ne représente personne d’autre qu’elle-même dans la présente plainte, le
rédacteur en chef invite le Conseil à consulter le forum de discussion (
chatroom) sur Internet dont l’adresse
est
http://msa.concordia.ca/phpBB2/
viewtopic.php?t=27911/4highlight=cartoon « Serious Case of
Anti-Islamism in West Island Suburban ». Le nom de ce groupe de discussion
indique clairement, selon lui, que
The Suburban a été
ciblé par des extrémistes inspirés par des motifs idéologiques qui ne
démontrent aucune sensibilité ni aucun respect pour la liberté de la presse.
En somme, aux yeux du rédacteur en chef,
la réaction de Mme Bratley à la caricature de M.Bonaparte est
caractéristique d’une campagne orchestrée qui refuse toute tentative d’entrer
dans le monde du dialogue.
Le but de cette plainte n’est pas de
faire de la censure mais de bâillonner son journal et, en fin de compte, de le
réduire au silence à travers l’intimidation et l’autocensure.
Cette pratique est tout à fait l’antithèse
de celle d’une presse libre et il demande au Conseil de presse de rejeter la
plainte sur cette base.
Commentaires du caricaturiste Anthony
Bonaparte (Napoleon):
M. Bonaparte
indique qu’il a apprécié la préoccupation suscitée par sa caricature du 5
février 2003 et il dit très bien comprendre la peur d’une communauté à se voir
stéréotypée. Malheureusement, un caricaturiste doit arriver à faire passer un
message de la façon la plus simple et la plus claire possible, à travers une
illustration, et avec le moins de mots possible.
De plus, le
sujet de la caricature était l’attitude et la réaction épouvantables de
certaines personnes qui, à la suite de deux tragédies, célébraient ce carnage
et le justifiaient en disant que c’était la «volonté de Dieu ». Ces
personnes existent, elles ont une voix et elle savent qui elles sont. Leur
dénominateur commun est qu’elles sont toutes musulmanes. C’est ainsi qu’il a
dessiné une femme dans des vêtements nettement identifiables.
Le texte de la
caricature est écrit au singulier et il n’y a qu’une seule personne qui
apparaît dans le dessin. S’il ne l’avait pas fait ainsi, on aurait pu penser qu’il
tentait de décrire toute une culture ou une communauté toute entière d’un seul
coup de pinceau mais, selon lui, ce n’est pas ce qu’il a fait. La formulation
de la caricature condamne spécifiquement et sans justification des individus.
Mais, elle ne visait pas à décrire tout un groupe de personnes.
Il explique : «
La caricature dénonce le plus fermement possible cette haine, cette rage et
cette soif de vengeance qui existe chez certains de mes frères et de mes sœurs
musulmans. Est-ce que j’aurais dû ignorer cela, le balayer sous le tapis?
Prétendre que ça n’existait pas afin de ne pas embarrasser ou offenser qui que
ce soit? »
Tel n’est pas le travail du caricaturiste,
estime-t-il. Sa responsabilité est plutôt celle de commenter les événements,
d’ajouter sa voix au débat et parfois d’en provoquer un. Le sujet a été
présenté honnêtement. Le caricaturiste n’a pas incité à la haine ou au racisme.
Il a simplement décrit quelqu’un qui le faisait.
Réplique du plaignant
Après lecture des commentaires, Mme Bratley
répond qu’elle considère toujours la caricature comme irrespectueuse et
raciste. Pour elle, la caricature d’une personne dessinée avec des vêtements
identifiables à un groupe signifie que cette personne représente ce groupe.
D’autres personnes partagent aussi cette
opinion. On peut le voir dans les lettres publiées par
TheSuburban
dans les deux semaines qui ont suivi la publication de la
caricature et dans les commentaires rapportés sur le site Internet de la
communauté musulmane de l’Université Concordia, qu’elle n’avait d’ailleurs
jamais vus jusqu’à ce qu’elle en reçoive copie annexée aux commentaires de M.
Duff.
Mme Bratley ajoute que dans sa démarche
initiale, elle a précisé au départ qu’elle parlait en son nom propre, sans
affiliation à quelque groupe que ce soit. Elle réaffirme qu’elle n’a aucun lien
avec l’Université Concordia.
Le Suburban
est distribué gratuitement et sans sollicitation dans de nombreux de foyers. Il
contient des avis municipaux. À cause de son accès privilégié, il devrait
respecter les plus hauts standards éthiques.
Analyse
Le Conseil rappelle que la caricature est un mode d’expression très particulier. Sa fonction est d’illustrer ou de présenter, de façon satirique ou humoristique, un trait, un personnage, un fait ou un événement. C’est un véhicule d’opinion qui s’apparente à l’éditorial; il confère au caricaturiste une grande latitude, laquelle n’est toutefois pas absolue.
Dans ses commentaires, M. Bonaparte expliquait que sa caricature visait, selon ses propres termes, «à dénoncer le plus fermement possible cette haine, cette rage et cette soif de vengeance qui existe chez certains de mes frères et de mes sœurs musulmans ».
Et le caricaturiste indiquait que la raison pour laquelle il avait utilisé le dessin d’une femme musulmane pour représenter ces personnes était qu’elles avaient pour dénominateur commun d’être toutes musulmanes.
Après examen, le Conseil de presse a constaté que l’explication donnée par M. Bonaparte était tout à fait vraisemblable. Il était possible que le caricaturiste n’ait pas voulu viser la communauté d’obédience musulmane toute entière, mais seulement celles qui se réjouissaient des récentes hécatombes.
Cependant, force est de constater que tous les lecteurs du journal n’ont pas accordé la même interprétation à la caricature en question, ne serait-ce que la plaignante et certains participants au forum de la communauté musulmane de l’Université Concordia.
À la lumière de tous ces éléments, le Conseil a décidé de ne pas retenir la plainte, tout en invitant les mis-en-cause à la plus haute vigilance pour éviter les situations équivoques, surtout quand un sujet revêt une telle sensibilité.
Au surplus, le Conseil a noté que la direction de l’hebdomadaire avait ouvert ses pages aux commentaires des personnes désirant exprimer leur désaccord.
En conséquence, le Conseil de presse rejette la plainte contre l’hebdomadaire
The West Island Suburban et son caricaturiste Anthony Bonaparte, dit « Napoleon ».
Analyse de la décision
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17G Atteinte à l’image
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination