Plaignant
Action
pour la protection des forêts du Québec (APFQ) (Sébastien Béland, président)
Mis en cause
Jacques
Brassard, chroniqueur et Le Quotidien
(Bertrand Genest, éditeur adjoint et rédacteur en chef, et Carol Néron, chef
éditorialiste)
Résumé de la plainte
Au nom de l’Action pour la protection des
forêts du Québec (APFQ), Sébastien Béland porte plainte contre le chroniqueur
du journal Le Quotidien, Jacques
Brassard. Selon monsieur Béland, le chroniqueur Brassard s’est placé en
position d’apparence de conflit d’intérêts et de manquements à l’éthique
journalistique, en écrivant deux chroniques portant sur la gestion forestière
au Québec.
Griefs du plaignant
Le plaignant rappelle le long passé
politique de Jacques Brassard, d’abord comme député pendant plus d’un quart de
siècle, mais aussi successivement comme ministre de l’Environnement et de la
Faune et ministre des Ressources naturelles. Selon lui, il est clair qu’en tant
qu’ancien ministre, «M. Brassard doit faire preuve de prudence lorsqu’il
commente l’actualité reliée à ses anciennes fonctions publiques».
Or dans les deux chroniques incriminées,
celle du 27 novembre 2002 et celle du 22 janvier 2003, Jacques Brassard
commente le débat sur la gestion forestière, et s’attaque à la crédibilité des
critiques du régime forestier, un régime qu’il a lui-même contribué à mettre en
place quand il était ministre! Dans ce contexte, l’APFQ se demande comment le
chroniqueur «fait abstraction des points de vue qu’il défendait lorsqu’il
était ministre?» Comment le public peut-il être certain que le
chroniqueur n’entretient pas encore des liens privilégiés avec
«l’industrie forestière ou le milieu politique», ou que ses
articles sont le fruit d’une démarche journalistique et non la réflexion
«d’un ancien ministre des ressources naturelles qui s’était alors opposé
à tout discours environnemental?»
Bien sûr, l’APFQ reconnaît avec le Conseil
de presse, que les chroniqueurs ont «une grande latitude dans
l’expression de leurs points de vue et de leurs jugements» et qu’ils
peuvent même «adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer
leurs critiques…». Le plaignant souligne cependant que cette latitude ne
signifie pas que le chroniqueur puisse se «soustraire aux exigences de
rigueur et d’exactitude». Or selon lui, dans ses chroniques, Jacques
Brassard dépasse les bornes.
Aux yeux de M. Béland, le mis-en-cause
attaque la crédibilité d’Anne-Marie Dussault, animatrice de l’émission
L’Effet Dussault diffusée à
Télé-Québec à propos de «La
supercherie boréale de Richard Desjardins». Il reproche à Jacques
Brassard d’avoir insinué que l’animatrice avait
perdu «tous ses moyens et sombré dans une complaisance
mielleuse». De Christiane Charrette, le chroniqueur dira l’avoir déjà vu
«se confondre en courbettes devant le même personnage», à son
émission «Christiane Charrette en direct ».
Toutes deux, ajoutera plus loin le chroniqueur, sont
«affligées d’une ignorance quasi absolue en matière de forêt».
Le plaignant note que dans ses deux
chroniques, M. Brassard s’en prend également au coauteur de «L’erreur
boréale », Richard Desjardins, et aux groupes qui défendent un point de vue
différent du sien. Il dira du film de M. Desjardins qu’il s’agit d’une
«supercherie en images», d’une «imposture, une supercherie,
une menterie». Pour ceux qui seraient tentés de partager le point de vue
de ce «Chevalier des épinettes», Jacques Brassard les qualifiera
tour à tour d’«écolos-gauchistes», de «verdoyants» ou
de «verts». Sébastien Béland ajoute: «L’APFQ se sent
visée par ces attaques à sa crédibilité.»
En utilisant des termes méprisants ou
propres à ridiculiser des personnes ou des groupes, le chroniqueur du
Quotidien contrevient à une autre règle
du Conseil de presse qui veut que «les médias et les professionnels de
l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés. Leur
devoir est plutôt de les dissiper».
Pour Sébastien Béland, le public n’est pas
dupe. Depuis l’arrivée de M. Brassard au journal, le nombre de courriers des
lecteurs a connu une augmentation sans précédent. «Ce soudain intérêt des
lecteurs doit être compris comme une non-acceptation des propos tenus par M.
Brassard. Il traduit bien le malaise ressenti par la population qui se sent en
quelque sorte manipulée par un chroniqueur commentant des dossiers auxquels il
était directement lié lorsqu’il était ministre. La qualité des débats publics
et l’intégrité de la presse écrite sont grandement affectées par les propos
tenus dans ces deux chroniques.»
Commentaires du mis en cause
Commentaires
du chroniqueur du journal Le Quotidien, Jacques Brassard:
Jacques Brassard
rappelle qu’il n’est pas journaliste mais chroniqueur, et qu’à ce titre, il ne
«couvre» pas l’actualité mais exprime plutôt son opinion sur un
certain nombre de sujets. Contrairement à la prudence qui devait être la sienne
quand il «était en politique», il peut maintenant donner son point
de vue «sans détours» en ayant parfois recours «au sarcasme,
à la raillerie et à… un ton polémiste». Monsieur Brassard reconnaît que
ses chroniques suscitent des réactions des lecteurs qui l’attaquent aussi…
«vertement». Il considère que cela fait partie du débat public.
Quant à
l’accusation d’apparence de conflit d’intérêts, le mis-en-cause la trouve
absurde. «Je suis toujours lié par le serment de ne pas révéler le
contenu des délibérations du Conseil des ministres, mais je ne vois pas
pourquoi je ne pourrais pas exprimer des opinions sur des sujets et des
dossiers qui faisaient partie de mon champ de compétence ministériel. Ayant été
ministre, aurais-je moins de droits que les autres?»
Commentaires
du chef éditorialiste du Quotidien, Carol Néron:
Carol Néron
rejette les accusations d’apparence de conflit d’intérêts et de manquements à
l’éthique journalistique concernant le chroniqueur Jacques Brassard.
Il rappelle que
M. Brassard n’est plus ministre, et qu’il n’entretient aucun lien avec une
quelconque organisation gouvernementale. En fait, si
Le Quotidien a proposé à Jacques Brassard de devenir chroniqueur,
«c’est justement pour faire profiter nos lecteurs de son expérience de 25
ans au sein de plusieurs gouvernements québécois». Les organismes comme
l’APFQ reprochent souvent aux chroniqueurs «de parler à travers leur
chapeau» sur des dossiers qu’ils sont appelés à commenter. On ne peut pas
faire ce reproche à M. Brassard.
Pour ce qui est
de l’accusation de manquements à l’éthique dont serait coupable l’ancien
ministre, Carol Néron la rejette. En tant que chroniqueur, Jacques Brasssard
peut être identifié à un parti politique ou à un courant d’opinion, comme
l’était Pierre Bourgault au Journal de
Montréal, par exemple. «Nos lecteurs savent à quoi s’attendre quand
ils prennent connaissance d’un texte signé par cet ex-ministre péquiste».
Ce qui n’empêche pas le chroniqueur d’être parfois très sévère et
«critique à l’endroit du gouvernement auquel il a appartenu».
Quand au ton des
chroniques de Jacques Brassard, Carol Néron reconnaît qu’elles sont marquées au
coin de la passion et parfois, du sarcasme. Et même si cela peut déplaire
«souverainement au lobby vert», reste que les arguments du
chroniqueur «reposent sur des faits précis, vérifiables». En tant
qu’acteur majeur du développement socio-économique de la région,
Le Quotidien poursuit comme objectif de
favoriser les débats constructifs. Et pour Carol Néron, les chroniques de
Jacques Brassard suscitent justement de tels débats.
En terminant, le chef éditorialiste du
Quotidien affirme que son journal ne
part pas en guerre contre les écologistes. Il «considère comme essentiel
le rôle de ces défenseurs acharnés de l’environnement». Mais,
ajoute-t-il, «leur mission ne les met pas à l’abri de la
critique…». Dans ce contexte où s’exerce la liberté d’expression, le débat
mené dans le respect des règles permet l’évolution des sociétés. C’est pourquoi
Le Quotidien publie les textes de
Jacques Brassard et en même temps, «se fait une obligation expresse
d’accorder des droits de réplique immédiats aux individus et organisations,
comme l’APFQ, qui se sentent lésés par des propos publiés dans ses
pages».
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a pas produit de réplique.
Analyse
Selon l’Action pour la protection des forêts du Québec, le chroniqueur Jacques Brassard s’est placé en situation d’apparence de conflit d’intérêts quand il a écrit deux articles dans le journal Le Quotidien du 27 novembre 2002 et celui du 22 janvier 2003. Ces chroniques portaient sur le régime forestier québécois, alors que l’auteur a été pendant plusieurs années le ministre responsable du secteur.
Aussi, l’APFQ et son porte-parole Sébastien Béland reprochent à M. Brassard d’avoir manqué à l’éthique journalistique, en tenant des propos susceptibles de discréditer des personnes et des groupes qui ne partagent pas son point de vue.
Pour le plaignant, il est clair que Jacques Brassard doit faire preuve de «prudence» quand il commente des dossiers reliés à ses anciennes fonctions ministérielles. Or dans les articles incriminés, le chroniqueur traite du débat sur la gestion forestière en s’attaquant à la crédibilité de tous ceux qui expriment un désaccord, «et en défendant haut et fort le régime… qu’il a contribué à mettre en place».
Ce point de vue jumelé à son implication politique dans le dossier et à ses liens avec l’industrie forestière présente, selon l’APFQ, toutes les apparences d’un conflit d’intérêts. «Le public ne peut, hors de tout doute raisonnable, conclure que M. Brassard défend l’intérêt public et non des intérêts personnels ou particuliers».
Le Conseil de presse est d’avis que le plaignant exagère la portée des restrictions qu’imposerait le devoir de réserve à un ancien ministre. La discrétion durable exigée d’un ancien membre du gouvernement ne concerne que le contenu des délibérations du Conseil des ministres et les informations confidentielles recueillies dans l’exercice de sa fonction. Pour le reste, une fois retiré de la vie publique, l’ancien membre du gouvernement peut donner son opinion sur les dossiers de son choix, comme n’importe quel citoyen.
Dans ses chroniques, M. Brassard ne cache pas son passé politique. Au contraire, il s’en réclame ouvertement. Que les idées défendues par Jacques Brassard, chroniqueur, soient les mêmes que celles que soutenait Jacques Brassard, ministre, ne devrait surprendre personne.
Pour ces raisons, et parce que le plaignant ne montre pas comment les «liens avec l’industrie forestière» de l’ancien ministre dictent son point de vue, le Conseil rejette la plainte d’apparence de conflit d’intérêts contre lui.
Sébastien Béland affirme aussi que le chroniqueur du Quotidien aurait manqué à l’éthique journalistique «dans les propos qu’il a tenus envers certaines personnes ou certains groupes de citoyens et citoyennes».
Comme chroniqueur, Jacques Brassard bénéficie d’une grande latitude dans l’expression de ses opinions et dans le ton qu’il choisit pour les faire valoir. La lecture des textes incriminés ne permet pas d’affirmer que les limites du genre ont été outrepassées comme le soutient le plaignant.
Les arguments servis et le ton employé par M. Brassard invitent sans doute à la réplique. Mais dans ce cas-ci, ce n’est pas devant le Conseil qu’il faut poursuivre le débat. Peut-être l’APFQ devrait-elle prendre au mot le chef éditorialiste du Quotidien, quand il dit que le journal «se fait une obligation expresse» d’offrir un espace aux lecteurs et aux groupes qui veulent réagir aux chroniques de Jacques Brassard.
Compte tenu de ce qui précède, la plainte pour manquement à l’éthique journalistique contre Jacques Brassard est rejetée.
Analyse de la décision
- C17C Injure
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17E Attaques personnelles
- C17G Atteinte à l’image
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C22B Engagement politique
- C22D Engagement social
- C22F Liens personnels