Plaignant
Berthe
Boulet-Lagacé
Mis en cause
Martin-Pierre
Tremblay, journaliste, et Le Soleil (Alain
Dubuc, président-éditeur)
Résumé de la plainte
Madame Berthe
Boulet-Lagacé porte plainte contre le journal
Le Soleil pour la publication d’un dossier publié le 21 février
2003 et intitulé «Les coulisses de la porno». Cette série
d’articles, encadrée de photographies à caractère pornographique, est signée
Martin-Pierre Tremblay.
Griefs du plaignant
La plaignante formule une plainte à l’endroit du journal
Le Soleil concernant la couverture
photographique d’un reportage de Martin-Pierre Tremblay. Celui-ci contient
trois articles: le premier intitulé «Chairs appâtées», le
second «Elsa toute nue dans Internet» et le troisième «Non
aux mineurs, à la bestialité et à l’inceste». Elle précise que le premier
article figure en une de la section «Arts et vie» encadré par des
photos couleurs.
Fait suite à cette introduction, un descriptif des photographies encadrant
les articles. «L’article “Chairs appâtées”, encadrant des photos d’un
couple couché et enlacé. À la droite de la page, sur un espace sans écriture
d’une dimension de 13” sur 8” de large, une femme nue, debout et portant un G
string, est enlacée par un homme qui pose sa main sur son sein nu.
»
Aux yeux de la plaignante, la scène que l’une des photographies décrit est
«provocante et choquante. Il est injustifiable de la présenter dans un
journal non pornographique destiné à tous les publics». Selon elle,
l’article s’adresse seulement à des personnes désirant faire des films
pornographiques.
Cet article enfreindrait le code d’éthique journalistique. «Ce n’est
pas du journalisme, c’est du voyeurisme.» La plaignante fait remarquer
que le journal Le Soleil est un grand
journal, identifié à la ville de Québec.
À la plainte de Berthe Boulet-Lagacé se sont jointes Marguerite Morency et
Gemma Gauvin.
La plainte est appuyée
par deux autres personnes.
Desistement:
Marguerite Morency a fait
savoir au Conseil de presse qu’elle retirait sa plainte. Son but premier était
de «protester vigoureusement contre un état de choses choquant»
pour beaucoup d’abonnés du Soleil.
Celui-ci étant atteint, elle n’a pas tenu à poursuivre d’autres démarches.
Informations complementaires:
Berthe
Boulet-Lagacé informe le Conseil de presse que le dossier de plainte a été
transmis au conseil d’administration du journal
Le Soleil, accompagné d’une lettre exposant sa pensée.
Elle affirme que
de nombreuses personnes se sont exprimées en signe de réprobation sur le
reportage en cause et note qu’une lettre de Marguerite Morency a été publiée
dans la section «Opinion du lecteur» du journal le 8 mars 2003.
Elle spécifie en fin de ces informations
complémentaires que «l’affaire n’est pas de nature à poursuites
judiciaires [et qu’elle] désire [se] réconcilier avec le journal ».
Commentaires du mis en cause
M. Alain Dubuc
commence ses commentaires en émettant son avis quant à la conformité du dossier
sur la pornographie aux règles de l’art journalistique et aux normes d’éthique
professionnelle. Il précise que Le Soleil
souscrit pleinement aux normes auxquelles se réfèrent le Conseil de presse.
Selon lui,
l’information publiée est exacte et le travail journalistique rigoureux.
«Portant sur un phénomène de société suffisamment important et
significatif pour qu’un quotidien en rende compte», les articles se
trouvent être pertinents.
Alain Dubuc
estime que le traitement visuel de ce dossier est approprié. Il fait remarquer
que le choix des photos n’a pas été gratuit et a cherché à illustrer la réalité
de la pornographie. Selon lui, la présentation visuelle ne s’écarte pas des
normes appliquées par les autres médias accessibles aux lecteurs.
Il exprime
ensuite son point de vue sur la nature véritable des critiques. Celles-ci, ne
portant pas sur un manque d’éthique, révéleraient plus une divergence de
conception de «la morale et du bon goût». Les plaignantes
exprimeraient leur déception face à la constatation que les valeurs implicites
transparaissant dans ce dossier ne correspondent pas aux leurs.
Dans le
paragraphe suivant, le mis-en-cause fait référence à la liberté rédactionnelle
des médias et dit qu’il est inévitable que les choix pris par les rédactions ne
soient pas toujours en accord avec les choix des lecteurs. Il mentionne que le
dossier en cause a fait l’objet de plusieurs plaintes auxquelles le journal a
fait écho dans le courrier des lecteurs et qu’il a répondu à chaque plaignant.
Alain Dubuc
termine ses commentaires en soulignant le fait que les désaccords soulevés
ouvrent la porte à un débat de valeurs qui ne relève pas de la compétence du
Conseil de presse et qui ne justifie pas une plainte auprès de cet
organisme.
Le mis-en-cause
joint à ses commentaires le canevas d’une réponse envoyée aux plaignants sur ce
dossier. Il y est expliqué que le but du dossier était d’aborder la question de
la pornographie et donc de choisir des photographies qui illustreraient le
phénomène social. La rédaction pense avoir fait cela «dans les limites
acceptables de la décence». La photographie publiée ne serait pas
«plus choquante que ce à quoi nos enfants sont confrontés tous les jours
dans les vitrines de dépanneurs ou même à la télé […]».
La lettre se poursuit en énonçant que, dans
le choix du sujet et son traitement, la rédaction a cherché à
«déranger,non pas pour obtenir du tirage, mais pour briser le moule
de monotonie qui nous menace toujours». Le mis-en-cause admet que, dans
ses efforts de faire les choses différemment, il se peut que l’équipe aille
trop loin ou qu’elle fasse de mauvais choix.
Il est dit que ce sont par des réactions comme celles des plaignants que
la rédaction du journal parviendra «à mieux définir le cadre dans lequel
[elle] doit évoluer».
Réplique du plaignant
Aucune réplique de la plaignante.
Analyse
La liberté de la presse et le droit à l’information seraient compromis si, dans leur façon d’illustrer les événements, les médias et les journalistes devaient donner à ces derniers un sens qu’ils n’ont pas ou encore cacher images, commentaires et sons qui font partie intégrante de l’information, même si, ce faisant, les médias heurtent la sensibilité des personnes en cause et du public.
En outre, nul ne peut interdire la publication de photographies sous couvert d’une appréciation et d’un jugement de valeurs différents. Dans le présent dossier, il apparaît que les valeurs de la plaignante ne concordent manifestement pas avec celles défendues et exposées par le journal. Ce débat n’est pas ici l’objet de notre propos.
Si les articles incriminés apparaissent conformes aux principes déontologiques, l’angle de traitement visuel choisi par le journal souffre sensiblement de sensationnalisme.
Néanmoins, il appert que Le Soleil a traité l’affaire dans une optique inspirée par la volonté de créer un choc. I l convient de souligner que les photographies publiées ne sont pas de nature obscène et vulgaire. Aux yeux du Conseil, la publication de telles photographies n’outrepasse pas les limites acceptables de la décence, ni le seuil de tolérance de la société québécoise à cet égard.
Au regard de ces considérations, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du journaliste Martin-Pierre Tremblay et du quotidien Le Soleil.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C12A Manque d’équilibre