Plaignant
Robert
Lebel
Mis en cause
Pierre-Jean
Séguin, journaliste, et Télévision Quatre
Saisons (Yves Bombardier, directeur de l’information et Bernard Guérin,
directeur général, affaires juridiques)
Résumé de la plainte
Robert Lebel porte plainte pour la diffusion d’un
reportage lors de deux bulletins de nouvellesdu «Grand journal »,
le 7 février 2002 à 17 h 00 et à 22 h 00. Celui-ci traite du suicide d’un homme
portant le même patronyme que lui.
Le plaignant
reproche au journaliste d’avoir diffusé une information inexacte en faisant la
confusion des deux patronymes et, par là, d’avoir porté atteinte à sa vie
privée.
Griefs du plaignant
Robert Lebel, résidant à Saint-Hubert,
commence sa plainte en énumérant les quatre griefs qu’il a mis en évidence. Le
premier est celui de l’inexactitude de l’information, le deuxième celui du
non-respect de la vie privée, le troisième celui du non-respect de la
réputation et enfin, le dernier concernait la cueillette de l’information.
Le plaignant développe donc les griefs
relevés. Concernant l’inexactitude de l’information, il dit avoir appris qu’une
information diffusée au «Grand journal » de
Télévision Quatre Saisons annonçait que M. Lebel s’était suicidé à
l’hôpital Charles-Lemoyne.
Il regroupe ensuite les griefs deux et
trois. Robert Lebel affirme que sa vie privée a été bouleversée à cause de
l’inexactitude de l’information: sa famille a été inquiétée et a
entrepris des démarches auprès de la police pour avoir des renseignements, ses
locataires ont été interrogés et surpris et enfin il pense que cela va avoir
une incidence sur la location de sa maison à logements car les gens pourront
penser que le suicide a eu lieu au même endroit.
Enfin, le plaignant s’interroge sur la
cueillette de l’information. Selon lui, celle-ci a été «mal faite. Il n’a
pas été au bon endroit et aux bonnes sources». Le plaignant note que le
journaliste s’est permis de filmer son bloc d’appartements, son véhicule et
d’interroger ses locataires.
Robert Lebel fait remarquer qu’il a eu et a
encore (à la date de rédaction de sa plainte) des appels téléphoniques dont le
but est de s’assurer qu’il n’est pas mort.
Dans le paragraphe suivant, le plaignant
fait la distinction entre le contenu du bulletin de nouvelles de 17 h 00 et
celui de 22 h 00. Dans ce dernier est rajouté le prénom de la personne
décédée: Michel Lebel, non précisé dans celui de 17 h 00.
À la suite d’un
appel du plaignant à Télévision Quatre
Saisons, le 8 février, pour demander l’arrêt de la diffusion de
l’information, il indique que le journaliste a téléphoné chez lui, le lundi 10
février, afin de parler à son épouse. Robert Lebel note que le journaliste
n’avait aucune raison de filmer sa maison alors que l’événement avait eu lieu à
l’hôpital Charles-Lemoyne et qu’il n’avait pas le droit de nommer sa famille.
Commentaires du mis en cause
M. Guérin amorce
ses commentaires en affirmant que la plainte soulevée relève d’un malheureux
concours de circonstances qui a fait en sorte que le reportage du journaliste
en cause, Pierre-Jean Séguin, l’a amené à enquêter sur une autre personne
portant le même patronyme que celle qui s’est suicidée et qui fait l’objet du
reportage.
Le mis-en-cause
précise ensuite les circonstances dans lesquelles s’est fait le reportage. Il
dit que pour avoir les coordonnées du suicidé, le journaliste s’est rendu à
l’hôpital pour obtenir le nom de la personne. Essuyant un refus de l’hôpital,
le journaliste obtient du représentant du bureau du coroner le nom et l’adresse
de la personne. Ainsi, lui sont donnés le nom: Robert Lebel, et
adresse: 298, rue Foy, à Lemoyne.
M. Guérin
affirme que, à partir du moment où le bureau du coroner rendait public le nom
du suicidé, le journaliste était en droit de présumer que la famille avait été
avertie du décès et que son identité pouvait être révélée. Il dit ensuite qu’il
s’est avéré que le nom de Robert Lebel était correct mais que l’adresse ne
correspondait pas à celle de la personne. Le mis-en-cause souligne que
l’adresse fournie par le bureau du coroner correspondait à un emplacement situé
à proximité de l’hôpital Charles-Lemoyne où avait eu lieu le suicide.
Il énonce
ensuite que les informations recueillies par le journaliste auprès du locataire
interrogé «concordaient et [que] rien ne lui permettait de douter qu’il
ne s’agissait pas du bon M. Lebel qui demeurait à l’adresse qui lui avait été
donnée par le coroner».
Quant aux images
de la maison de M. Lebel, il précise que l’adresse n’a pas été révélée dans le
reportage. Le journaliste mentionne seulement que «l’homme habitait dans
l’arrondissement St-Hubert».
M. Guérin défend
le journaliste en avancant que celui-ci s’est fié à une source non seulement
«généralement bien informée» mais des plus crédibles à savoir le
bureau du coroner. Rien tant au niveau de la source que des circonstances
entourant l’enquête ne pouvait laisser croire à Pierre-Jean Séguin qu’il
faisait erreur.
En outre, le
mis-en-cause indique que le journaliste a téléphoné, à la suite de la diffusion
du reportage, à M. Lebel «pour s’excuser vu les circonstances toutes
particulières de cette erreur sur la personne ».
Pour finir, Bernard Guérin réitère son
affirmation selon laquelle cette erreur n’est pas «fautivede la
part du journaliste, qu’il a respecté tous les préceptes des codes de
déontologie applicables et qu’il a respecté ses obligations de moyens dans le
cadre d’une recherche journalistique bien faite.» Pour ces raisons, il
demande le rejet de la plainte de M. Lebel.
Réplique du plaignant
Par sa réplique, le plaignant souhaite
apporter des corrections aux commentaires du mis-en-cause.
Il fait remarquer que le journaliste a
enquêté sur une personne portant un prénom différent de celui du suicidé. Il
dit que l’un se nommait Robert Lebel, lui-même, et l’autre Michel Lebel.
Ensuite, il questionne le fait que le
bureau du coroner ait indiqué le nom de Robert Lebel et l’adresse 298, rue Roy
à Lemoyne car le journaliste s’est rendu au 3299, Grand-Boulevard à St-Hubert.
Le plaignant précise ensuite que le prénom
de la personne suicidée étant Michel, le nom et le prénom donnés par le bureau
du coroner ne sont donc pas corrects.
Il note ensuite que le journaliste s’est
présenté non sur la rue Roy à Lemoyne, à l’adresse indiquée par le bureau du
coroner, mais au 329 Grand-Boulevard à St-Hubert et qu’en interrogeant les
locataires, il n’a pas précisé «Michel Lebel» mais seulement
«M. Lebel».
Sur la diffusion des images et la
révélation de l’adresse, le plaignant, contrairement au mis-en-cause, affirme
que l’adresse a été mentionnée dans le premier reportage et non dans le
deuxième.
Enfin, le plaignant corrige le fait que le
journaliste n’a pas appelé pour s’excuser mais pour demander à parler à Mme
Lebel. Lors de cet appel, le journaliste a admis avoir fait une erreur sur la
personne et que l’enquête du coroner était en cours.
Analyse
Le plaignant a exposé en détail dans sa plainte quatre griefs regroupés sous quatre titres et constituant, selon lui, des manquements à l’éthique journalistique. Ils correspondent chacun à des grands principes énoncés dans le document Droits et responsabilités de la presse publié par le Conseil de presse du Québec.
Les médias doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. Une telle confusion est susceptible de causer un préjudice aux personnes impliquées, lesquelles ont droit à ce que leur image ne soit pas altérée ou utilisée de façon dégradante ou infamante.
L’essentiel des griefs formulés par le plaignant Robert Lebel portait sur l’exactitude de l’information diffusée par deux fois dans les bulletins d’information de la chaîne Télévision Quatre Saisons et sur le non- respect de sa vie privée. Il déplore le fait que Pierre-Jean Séguin ait erronément diffusé la nouvelle de sa mort et que l’enquête du journaliste ait été mal conduite.
Après étude du dossier présenté par le plaignant et lecture des commentaires du mis-en-cause, il appert qu’il aurait été souhaitable que Pierre-Jean Séguin effectue des vérifications complémentaires et mène à bien une enquête approfondie avant de diffuser l’information du décès d’une personne et d’interroger les locataires de la dite personne. Ce manque de vérification et cet emballement à vouloir diffuser une information sont regrettables de la part d’un journaliste professionnel.
En outre, au titre du chapitre sur le respect à la vie privée et à la réputation, le Conseil de presse retient le grief exprimé par le plaignant.
Le Conseil de presse déplore le manque d’exactitude et de rigueur dont a fait preuve le journaliste et lui adresse un blâme pour n’avoir pas respecté dans l’ensemble les règles déontologiques afférentes au journalisme d’enquête. Le Conseil retient donc la plainte à l’encontre du journaliste Pierre-Jean Séguin et son diffuseur, Télévision Quatre Saisons, tout en s’interrogeant sur la pertinence d’avoir réalisé un reportage sur ce cas particulier de suicide.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C16D Publication d’informations privées
- C17G Atteinte à l’image