Plaignant
Jean
Talbot et Céline Roussel
Mis en cause
Julie
Amendola,
journaliste, et Groupe TVA inc. («
J.E. »– Pierre Tremblay, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Jean Talbot et Céline Roussel,
franchiseurs de la compagnie Drache International inc., portent plainte contre
la journaliste Julie Amendola et également contre l’émission « J.E. » du
Groupe TVA. Le reportage visé portait
sur certains franchisés des boutiques « La Clé Du Plaisir » et il a été diffusé
le 17 janvier 2003.
Griefs du plaignant
Au nom des plaignants, Jean Talbot porte plainte contre la journaliste
Julie Amendola et contre l’émission
«J.E.».
Le reportage, diffusé le 17 janvier 2003,
portait sur l’entreprise de M. Talbot et de Mme Roussel ainsi que sur leurs
rapports avec certains franchisés des boutiques « La Clé Du Plaisir ».
Le plaignant rappelle d’abord le fil des événements :
– Le 4 décembre 2002, Mme Amendola le joint pour l’interroger sur le réseau
de franchises « La Clé Du
Plaisir». « Je lui ai demandé à quel sujet, raconte-t-il, elle m’a
répondu ne pas pouvoir me le dire parce qu’elle devait protéger ses
clients (sic)! ». Elle aurait même
insisté fortement sur le fait qu’il était préférable pour lui de la rencontrer
rapidement.
– Le 6 décembre 2002, le plaignant laisse un message à la journaliste,
indiquant qu’il refuse de la rencontrer pour deux raisons. D’abord parce qu’un
des clients de M. Talbot avait déjà mentionné que sa femme était une amie d’une
journaliste de «
J.E. ». Si c’était lui son
client, il y avait dans ce cas conflit
d’intérêts. Sa crainte était bien justifiée, puisqu’il s’agissait de M. Martin
Cayer qu’on peut voir dans le reportage. Deuxièmement, la journaliste refusait
de lui dire le motif de la rencontre.
– Un peu plus tard il reçoit un appel d’un homme se disant le réalisateur
de l’émission «
J.E. » qui le rassure sur l’intégrité de la journaliste et sur son
impartialité. Il ajoute qu’il serait préférable pour M. Talbot de rencontrer la
journaliste pour donner sa version des faits. De quels faits il s’agit, il ne
le sait pas encore. Ayant accepté, l’entrevue a lieu le même jour et dure 90
minutes. Il a l’impression de subir un interrogatoire de police et à chaque
fois qu’il tente de répondre et d’expliquer quelque chose, la journaliste lui
coupe la parole pour lui poser une autre question. Elle n’avait pas l’air de
vouloir connaître sa version des faits. Quand elle fut partie, il se sentait
tout de même rassuré car il avait répondu, pour sa part, à ses questions de
façon honnête et sincère.
– Quelques jours plus
tard, plusieurs de ses clients lui rapportent avoir été appelés par une
certaine « Julie » qui se faisait passer pour une cliente éventuelle, mais qui
posait les mêmes questions que la journaliste lui avait posées. Ses clients
ayant répondu qu’ils étaient satisfaits de ses services, il est rassuré par les
engagements à être impartial du réalisateur de l’émission
«J.E.».
Si le reportage était diffusé, il serait tempéré par les témoignages de la
majorité des franchisés. Le 17 janvier 2003, la diffusion du reportage provoque
la stupéfaction et le désarroi des plaignants.
M. Talbot relève alors
les éléments du reportage qu’il conteste :
–
le témoignage de Mme
Savard, ex-cliente depuis trois ans, qui ne sait pas comment le système
fonctionne maintenant et qui exagère un problème depuis longtemps solutionné;
–
la journaliste
laisse faussement entendre qu’aucune somme n’a été versée aux deux clients qui se
plaignaient, même si cela lui avait été clairement mentionné lors de l’entrevue
: une entente était intervenue avec M. Cayer – un des « clients insatisfaits »
– avant l’enquête de «
J.E. ».
–
la journaliste
prétend faussement que les plaignants ne retournaient pas les appels et ne
donnaient pas signe de vie à leurs clients alors que M. Massé, l’autre « client
» insatisfait, a été rencontré à plusieurs reprises entre le jour de
l’enregistrement et celui de la diffusion du reportage. M. Talbot trouve bizarre
que les journalistes de
« J.E. »
réussissaient à le contacter facilement avant l’enregistrement des
entrevues alors qu’ils n’arrivent plus à le faire, par la suite, pour clarifier
des points qui auraient pu être en sa faveur;
–
des propos ont été
enregistrés avec une caméra cachée et cités totalement hors contexte;
–
les 90 minutes de
tournage, réduites à quelques secondes de phrases incomplètes, le couvrent de
ridicule; comment le reportage peut-il être objectif si, sur 10 minutes,
l’émission ne lui accorde que 70 secondes?
–
rien n’a été diffusé
sur les clients satisfaits, alors que certains sont avec M. Talbot et son
associée depuis sept ans. Leurs témoignages auraient pu tempérer les choses et
laisser au téléspectateur la possibilité de se faire une opinion objective.
Le plaignant expose
ensuite certains principes de droit qui, appliqués à l’information, confirment
le principe de l’équilibre. Il demande si les journalistes sont au-dessus de
ceux qui administrent la justice et s’interroge sur la compétence et
l’expertise qui leur permet de condamner les gens en dix minutes de reportage,
ainsi que sur leur droit de négliger l’équilibre dans leurs reportages?
Pour lui, les torts
causés par les mis-en-cause à sa compagnie et à ses clients sont incalculables.
La crédibilité et l’intégrité du réseau de franchises ont été hypothéquées, de
même que l’avenir de cette société. Ils ont même dû fermer une entreprise
qu’ils avaient mis 12 ans à bâtir.
Il conclut en affirmant
que l’information était « à sens unique, non balancée, sans équité et sans
aucun respect des règles d’éthique ». Il se demande comment les mis-en-cause
peuvent outrepasser les règles les plus élémentaires du droit et du respect de
la personne auxquelles tout individu est en droit de s’attendre, surtout quand
il collabore et agit de bonne foi. Sont annexées à sa plainte trois lettres de
franchisés dont le témoignage n’apparaît pas à l’écran.
Commentaires du mis en cause
M. Pierre
Tremblay, rédacteur en chef de l’émission « J.E. », indique d’abord que le contenu
de sa réponse a été préalablement discuté avec Mme Amendola de même qu’avec M.
Philippe Lapointe, vice-président Information et Affaires publiques du réseau
TVA.
M.Tremblay rappelle que l’émission
« J.E. », présentée depuis 1993, s’inscrit dans la tradition du journalisme
d’enquête. De telles émissions représentent, pour plusieurs, leur dernière
ressource pour obtenir une réponse à un problème donné. Selon lui, « J.E. » a
développé une large expertise en journalisme d’enquête en mettant tout en œuvre
pour se conformer aux principes journalistiques d’exactitude, d’honnêteté,
d’intégrité et en se basant sur une recherche la plus solide possible.
Il ajoute qu’aucun jugement défavorable
émanant des tribunaux civils n’a été rendu jusqu’à ce jour contre cette
émission, mais qu’en contrepartie, elle a reçu récemment un prix prestigieux
de l’Association canadienne des
radiodiffuseurs.
Le rédacteur en chef précise que le
reportage en cause traitait du phénomène de franchisage tel qu’expliqué par un
avocat, expert dans le domaine, et était illustré par le témoignage de trois
éventuels franchisés ou ex-franchisés des boutiques « La Clé Du Plaisir ». Plus
précisément, les notions de financement des franchises et de leur acquisition
étaient abordées.En ce qui concerne, Drache International inc., ce qui
était illustré c’est le fait que franchiseur en cause sollicitait des gens pour
ouvrir de nouvelles franchises en leur promettant du financement et en leur
demandant un dépôt en argent important, au moment où il apparaissait éprouver
des difficultés financières
M. Tremblay précise que c’est cet aspect
qu’on avait choisi de traiter et non pas l’ensemble des expériences des
franchisés du début des années 1990, alors que le franchiseur ne connaissait
pas de telles difficultés financières, pas plus qu’il n’a été question d’autres
problématiques relatives aux fournisseurs impayés.
Pour le rédacteur en chef, ce reportage
a fait l’objet d’une recherche fouillée. Il énumère alors une liste de 18
éléments sur lesquels s’appuyait la recherche.
Poursuivant sa réponse, M. Tremblay fait
remarquer qu’à la suite de la diffusion du reportage, les plaignants ne les ont
jamais contactés pour faire connaître leur désapprobation préalablement à
l’envoi de la présente plainte.
S’arrêtant plus
spécifiquement aux éléments de la plainte, le rédacteur en chef les reprend en
les regroupant.
Le plaignant
mettait en doute l’impartialité de la journaliste au motif qu’elle connaissait
l’épouse d’un des éventuels franchisés. M. Tremblay répond que la journaliste
ne connaissait ni M. Cayer, ni son épouse avant l’entrevue, outre le fait que
les deux femmes étaient originaires de la même ville.
En ce qui a trait à l’entrevue du 6
décembre avec le plaignant, le rédacteur en chef reprend les griefs de M.
Talbot et relève son admission à l’effet que « quand elle fut partie et que
j’ai réfléchi à son interrogatoire, j’étais tout à fait rassuré car j’avais
répondu à ses questions de façon honnête et sincère ». Il ajoute qu’il est en
mesure de démontrer que l’entrevue a duré moins de 90 minutes et que sa
longueur démontre que la journaliste souhaitait obtenir la version de M.
Talbot. En tout temps la journaliste est demeurée courtoise, selon lui, et il
note que « le plaignant conclut qu’il a le sentiment d’avoir pu donner ses
explications ».
Pour ce qui est
des éléments retenus et diffusés, et de leur durée, M. Tremblay est d’avis que
les extraits choisis reflétaient tout à fait la position du plaignant en ce qui
a trait aux questions soulevées par le reportage, soit: 1) le financement
actuel des franchises; 2) le remboursement des mises de fonds dans le cas de
non-financement; 3) le temps pour la mise en place des franchises; 4) une
admission de M. Talbot quant aux difficultés financières du franchiseur au
moment de l’entrevue.
Au sujet des
trois franchisés, clients depuis plusieurs années de Drache International inc.
et qui se disaient satisfaits de leurs
relations avec l’entreprise, le rédacteur en chef répond que leurs propos
n’étaient pas pertinents parce que la problématique dévoilée au public était
l’ouverture de magasins franchisés dans les années récentes – au moment où le
franchiseur éprouvait des difficultés financières – et les risques encourus par
les éventuels franchisés, vu certaines méthodes de financement.
Pour justifier
l’angle de traitement choisi, le porte-parole des mis-en-cause invoque la
jurisprudence du Conseil de presse du Québec au sujet de la liberté éditoriale
et rédactionnelle reconnue aux médias. Il affirme que les principes
déontologiques ont été respectés en l’espèce.
Après la
diffusion, d’autres franchisés ont appelé pour faire part de leur
insatisfaction au sujet du franchiseur, ayant connu une expérience similaire,
et affirmant que les promesses révélées par la caméra cachée reflétaient celles
qui leur avaient été faites.
M. Tremblay justifie ensuite
l’utilisation de la caméra cachée : le plaignant avait indiqué à la
journaliste, lors d’une entrevue le 6 décembre que vu les difficultés
financières du franchiseur, une mise de fonds de 10 000 $ était insuffisante
pour acquérir une franchise alors que deux jours avant, lors du tournage en
caméra cachée, il promettait à un « éventuel franchisé » de l’équipe de
« J.E. »
de financer une franchise moyennant une mise de fonds de ce même
montant.
M. Pierre Tremblay conclut en disant être
convaincu que tout a été mis en œuvre pour se conformer aux principes
journalistiques établis.
Réplique du plaignant
Le plaignant amorce sa réplique en
faisant observer que M. Tremblay vante les vertus de l’émission
« J.E. » en tant que
dernière ressource pour obtenir une réponse à un problème donné. Et il
demande: « Mais nous, quelle est notre dernière ressource? Ils veulent
quoi? Nous prouver que nous n’avons pas le droit à la justice parce qu’ils ont
décidé de nous condamner sans procès? Parce que nous sommes des gens
d’affaires, ce que l’on fait est obligatoirement mauvais?»
M. Talbot réplique à l’argument que
Drache International inc. éprouvait des difficultés financières mais continuait
tout de même à vendre des franchises : « McDonald’s a dû fermer plus de 100
succursales parce qu’il éprouvait des difficultés financières cette année.
Ont-ils arrêté de vendre des franchises pour autant? C’est parce qu’il est plus
gros que nous que « J.E. »
ne s’intéresse pas à lui? Ses franchisés qui
ont dû fermer leurs portes n’auraient sûrement pas parlé avec affection du
franchiseur si « J.E. »
était allé les
interroger. » La liste des franchiseurs ayant connu des problèmes financiers
est longue, et ils n’ont pas cessé de vendre des franchises pour autant. Comme
si un commerçant éprouvant des
difficultés financières devait refuser des clients qui entrent chez lui.
Pour ce qui est du dépôt en argent lors
de l’offre d’achat, il s’agit d’une procédure normale, lorsqu’on vend une
franchise, selon M. Talbot. « Est-ce que les journalistes de
« J.E. »
ont une idée du fonctionnement d’une franchise? » demande-t-il.
Le prix pour une franchise comme celles qu’il
vendait (55 000 $) était un des plus abordables sur le marché.
Le plaignant se demande ensuite si
« J.E. »
qui fait du journalisme d’enquête a bien fait enquête également sur
les personnes qui lui donnent des informations, ses sources ou « clients »,
comme il les appelle. Ce qu’on aurait dû savoirsur eux :
–
M. Stéphane Massé est toujours demeuré
en contact avec les plaignants et avait reçu de l’argent avant la diffusion du
reportage.
–
M.
Martin Cayer avait vécu, pour sa part, des difficultés financières
importantes (notamment une faillite personnelle en 2001); il avait également
remis un chèque sans provisions au plaignant lors de la signature de son offre
d’achat en décembre 2001, et c’est de
gré à gré qu’il avait convenu avec M. Talbot d’attendre que ce dernier soit,
lui aussi, en meilleure situation financière pour financer le démarrage de son
entreprise. Selon M. Talbot, « J.E. »
ne montre pas tous les aspects qui étaient à son
avantage et à celui de son entreprise, laissant même M.Cayer le traiter à
l’écran « d’escroc », ce qui est calomnieux et diffamatoire. Pour lui il y a
négligence ou intention de sensationnalisme de la part du mis-en-cause.
–
Mme Nathalie Savard qui était une franchisée
en 1998 et qui parle en entrevue d’un manque d’approvisionnement a elle-même
fermé son magasin en 2000 sans respecter son contrat de franchise avec Drache
International inc. Le manque d’approvisionnement était un problème de
croissance normal, exagéré à outrance par Mme Savard.
–
En ce qui concerne les cinq
ex-franchisés faisant état de mauvaises relations financières, le plaignant
demande quelles représailles ils peuvent craindre puisqu’ils ne sont plus
franchisés. De plus, comme ils sont maintenant concurrents, il est évident
qu’ils n’ont pas avantage à parler en bien de l’entreprise du plaignant. Enfin,
contrairement à ce que font nombre de franchiseurs dans cette situation, Drache
International inc. a laissé ses franchisés exploiter leurs commerces sous un
autre nom. « Voilà la méchante entreprise qu’ils craignent », conclut-il.
–
Pour ce qui est de l’entrevue
téléphonique auprès de 7 franchisés, le plaignant explique qu’un seul n’a plus
de rapport avec le franchiseur, à cause de l’impact négatif de l’émission
« J.E. »; que sur les sept
franchisés actuels que « J.E » a pu rejoindre, cinq ont été financés par Drache
International inc.; et qu’au cours des dernières années, le franchiseur a
financé 95 % de ses franchisés à un taux annuel de 6 %.
–
Au sujet du fournisseur impayé par le
franchiseur, le plaignant demande que « J.E. » en donne le nom. Il s’agit,
selon lui, d’une accusation sans preuve.
Le plaignant
continue à répondre à chacun des éléments de la plainte que le mis-en-cause
avait regroupés.
Sur le
financement actuel des franchises, le plaignant indique que lors de l’entrevue,
il a expliqué clairement à la journaliste en quoi les cas de MM. Massé et Cayer
avaient posé problème pour son entreprise, que des arrangements avaient été
pris avec eux et que des montants avaient déjà été remboursés. Non seulement
ces informations n’ont pas paru lors de la diffusion, mais une journaliste a
même prétendu le contraire à la fin du reportage : « Jean Talbot a promis qu’il
rembourserait nos deux jeunes entrepreneurs, ce qu’il n’a pas encore fait.
» Non seulement n’y a-t-il pas
équilibre de l’information, mais il y a mensonge.
Le plaignant
relève également l’utilisation à répétition, lors du montage, des mots « ha ben
là » qui le ridiculisent, ainsi que d’une grimace dont l’image figée est
désavantageuse pour lui.
Au sujet du témoignage de trois
franchisés se disant satisfaits, si leurs propos n’étaient pas pertinents parce
qu’ils sont clients de Drache International inc. depuis trop longtemps, en quoi,
demande M. Talbot, le témoignage de Mme Nathalie Savard, qui n’est plus cliente
depuis plus de trois ans était-il plus pertinent ? Et en quoi celui de MM.
Massé et Cayer l’étaient-ils plus? Si ces trois franchisés satisfaits sont
encore clients du franchiseur et sont toujours contents de ses services, ce
sont des propos très pertinents. C’est cela l’équilibre de l’information.
Quant aux
franchisés dont M. Tremblay joint la lettre, ces clients devaient honorer leur
offre d’achat en signant la convention de franchise et payer un montant de 35
000 $ avant le 1er mai 2002, ce qui n’a jamais été fait. Leur offre
d’achat a même été reportée à deux reprises lorsqu’ils ont eu des difficultés à
payer la franchise, alors que rien n’obligeait sa compagnie à le faire.
En ce qui a
trait à la rapidité avec laquelle son entreprise peut ouvrir un magasin le
plaignant réaffirme : « Une fois pour toutes; oui, nous pouvons ouvrir un
magasin en deux semaines ! Nous l’avons déjà fait par le passé. Mais ce, à
partir du moment où la convention de franchise est
signée et les montants inhérents à cette convention sont
payés. Ce qui n’était pas le cas chez
aucune des personnes qui se sont plaintes à
« J.E. ».
Cette plainte
vise donc à relever une foule d’informations pertinentes à la compréhension de
la situation qui ont été cachées par l’équipe de « J.E. »
Et si l’utilisation de la caméra cachée est une mesure de dernier
recours, comment se fait-il que le tournage de ce reportage ait eu lieu avant
même qu’il ait entendu parler de « J.E. », demande le plaignant. N’était-ce pas
plutôt une façon préméditée et réfléchie de piéger les gens? Pourtant, quand on
écoute le reportage dans son intégralité, on peut constater qu’il ne contredit
en rien les propos tenus lors de l’entrevue avec Mme Amendola.
M. Talbot termine en se demandant, puisque
la mission des journalistes est de livrer une information de qualité, s’ils ont
le droit de négliger l’équilibre de l’information.
Analyse
Le reportage de consommation, qui s’apparente au journalisme d’enquête, est un genre journalistique exigeant à l’égard de celles et de ceux qui le pratiquent. Ceux-ci ne doivent pas à leur insu devenir les instruments d’injustice alors que leur recherche vise justement à éviter à des victimes innocentes les abus du système.
Dans le cas soumis à l’attention du Conseil, les artisans de l’émission « J.E. » ont voulu illustrer les dangers que pouvaient courir ceux qui choisissent les franchises comme moyen de démarrage d’une nouvelle entreprise.
La liberté rédactionnelle reconnaît aux journalistes et aux médias la latitude de présenter l’information comme ils l’entendent. Ce faisant, ils choisissent l’approche qui leur apparaît la plus indiquée pour traiter l’information dans la circonstance. Et l’examen de la plainte par le Conseil révèle que « J.E. » a choisi de ne faire porter son illustration de ces dangers sur un seul exemple, celui de la compagnie des plaignants, Drache International inc.
En faisant ce choix éditorial, les artisans de l’émission ont contribué à mettre en exergue les faiblesses d’une approche de démarrage d’entreprise et de son financement. Mais ce faisant, ils ont également donné dans certains manquements à l’équité et à l’équilibre en faisant de ce reportage un portrait partiel et partial de l’entreprise Drache International inc. et de son gestionnaire Jean Talbot.
Le Conseil a également relevé ce qu’il considère comme un manquement des mis-en-cause en regard de la collecte des données. L’utilisation d’une insistance s’apparentant à de la menace à peine voilée pour obtenir une entrevue est inacceptable aux yeux du Conseil. Il en va de même au sujet des entrevues téléphoniques sans révéler son identité. Des pratiques qui n’ont pas été niées par les mis-en-cause.
Le Conseil rappelle à ce sujet un des principes reconnus au Québec : les journalistes exercent leur métier à visage découvert, en s’identifiant comme tels.
Nonobstant ce principe, le Conseil a tout de même reconnu que dans le présent dossier, malgré l’apparente collaboration démontrée par le plaignant, rien n’indique que toute l’information essentielle au reportage aurait pu être obtenue par la journaliste sans le recours au procédé clandestin que constitue l’entrevue à la caméra cachée.
Le Conseil rappelle au passage que l’utilisation de ce procédé est une mesure de dernier recours et ne doit donc être utilisée que de façon exceptionnelle. Dans le présent cas, s on utilisation a permis de révéler que le plaignant offrait à de nouveaux clients, non informés de sa situation financière, une franchise avec financement à tout le moins partiel de sa part.
En ce qui a trait aux autres reproches formulés par le plaignant, leur analyse par le Conseil indique qu’il s’agissait d’affirmations qui étaient contredites par le représentant des mis-en-cause et qui n’étaient pas démontrées. Devant les versions contradictoires, le Conseil ne pouvait retenir ces griefs.
Au terme de cet examen donc, le Conseil de presse du Québec retient partiellement la plainte contre les artisans de l’émission « J.E. » et le Groupe TVA sur la base des deux griefs suivants: manquement à l’équité et à l’équilibre, et recours à une approche discutable dans le processus de collecte de données.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C13B Manipulation de l’information
- C15C Information non établie
- C15D Manque de vérification
- C17E Attaques personnelles
- C17G Atteinte à l’image
- C17H Procès par les médias
- C23D Tromper sur ses intentions
- C23E Enregistrement clandestin
- C23J Intimidation/harcèlement