Plaignant
Mme Geneviève Neault
Mis en cause
L’actualité
(Mme Carole Beaulieu, rédactrice en chef et M. Marc Blondeau, président et
éditeur)
Résumé de la plainte
La plaignante porte plainte contre Carole Beaulieu,
rédactrice en chef de L’actualité, à
propos d’un texte publié dans le numéro de juillet 2002. Cet article accompagne
un reportage intitulé «Les animaux ont-ils des droits?» signé par
Louise Gendron.
Les commentaires
de Carole Beaulieu dans son article «La mangeuse de chien» sont
jugés indécents et déplacés par la plaignante.
Griefs du plaignant
Geneviève Neault
a organisé sa plainte en cinq points dans lesquels elle expose ses griefs. Elle
amorce son argumentation en disant que les commentaires de la rédactrice en
chef sont «grossiers et obscènes, très cruels, méchants et amoraux»
et qu’ils présentent un «manque de décence flagrant».
Le premier point
mis en évidence par Geneviève Neault est le fait qu’elle regrette que la
rédactrice en chef écrive, avec détails, qu’elle mange du chien. Pour elle, ses
propos sont «impensables dans un contexte nord-amÉricain» où les
chiens sont considérés comme d’excellents compagnons et qu’ils rendent des
services aux hommes dans divers domaines. Elle souligne le rôle de la
zoothérapie aujourd’hui.
Par la suite,
elle s’indigne devant la mention indiquant que Carole Beaulieu comprend les
Coréens quand ils proposent du jus de viande de chien aux spectateurs du
Mondial de soccer. Le traitement réservé aux chiens indigne Mme Neault. La
rédactrice en chef «n’a aucun respect des gens et a attaqué la
sensibilité et la dignité de ses lecteurs». La plaignante dit ne pas
vouloir entendre «les gestes scabreux de ses voyages ni ceux des
autochtones».
En troisième
lieu, la plaignante affirme que la rédactrice en chef essaie de réfuter la
validité et le bien-fondé des témoignages émis dans le reportage de Louise
Gendron.
Ensuite, Mme
Neault énonce que la rédactrice en chef n’a pas à décider de l’importance des
reportages et que l’opinion des journalistes et du public doit être prise en
compte.
Son dernier
point est une indignation devant le fait que face au mauvais traitement des
animaux de compagnie, Mme Beaulieu ne remarque que le restaurant et le
lancement de crème glacée pour chiens.
Mme Neault fait
ensuite référence aux Droits et
responsabilités de la presse et écrit que les professionnels de
l’information sont appelés à évaluer ce qui est d’intérêt public et qu’ils
doivent tenir compte de ces variables en faisant abstraction de leurs intérêts
et de leurs préjugés. Le parti pris et le sensationnalisme doivent être évités.
Selon elle, la
rédactrice en chef a dérogé au code d’éthique «en étalant ses
frustrations et mesquineries».
La plaignante se dit choquée et peinée des
propos tenus par Mme Beaulieu et surprise que
L’actualité ait laissé publier cet article. Elle demande des
excuses et pense que la rédactrice en chef «devrait être remplacée et
prendre une année sabbatique».
Commentaires du mis en cause
La rédactrice en
chef commence ses commentaires en situant la fonction de la rubrique «
Entre les lignes », rubrique dans
laquelle a été publié son texte. Elle vise à dévoiler les discussions qu’un
sujet a suscitées auprès de la rédaction.
Elle souligne
que la question des droits des animaux soulève et a soulevé des passions au
niveau de l’opinion et des divergences au sein de la rédaction.
Mme Beaulieu
s’étonne que la plaignante demande sa mise en congé car sans elle le reportage
sur les animaux n’aurait pu être publié dans «le plus important magazine
d’affaires publiques du Québec».
Elle met ensuite
en avant que l’enrichissement du débat passe par une prise en compte de la part
des journalistes des préjugés des lecteurs «pour les rejoindre».
Elle fait ensuite part du procédé qu’elle a utilisé pour intéresser les
lecteurs aux droits des animaux: elle a reconnu d’entrée de jeu leur
point de vue. Ce procédé a fait son œuvre, son article a suscité des réactions
de lecteurs comme en témoignent les courriers des lecteurs.
La mise-en-cause
plaide en faveur des différences culturelles et de mœurs. «Les gestes
scabreux» tels que qualifiés par la plaignante ne le sont pas pour les
populations qui les pratiquent. Elle souligne qu’en publiant le reportage de
Louise Gendron et ensuite son commentaire, L’actualité
a voulu montrer que les sensibilités varient selon les cultures.
Même si la
réalité a heurté la plaignante, la mise-en-cause maintient qu’il est d’intérêt
pour le public québécois de savoir «qu’ailleurs dans le monde d’autres
sociétés ne pensent pas comme les tenants canadiens des droits des
animaux».
Mme Beaulieu affirme que le texte en cause
ne contrevient à aucune règle déontologique et invite la plaignante à écrire
une lettre exprimant son point de vue que L’actualité
diffusera. Pour finir, elle rappelle le but du journal: alimenter et
éclairer un débat important pour la société canadienne.
Réplique du plaignant
La plaignante amorce sa réplique en disant
d’emblée qu’à la lecture des commentaires de la rédactrice en chef, celle-ci ne
veut rien comprendre à l’objet de sa plainte et alimente elle-même son
argumentation.
Selon elle, la rédactrice en chef, en
voulant être sceptique sur le sujet, a manipulé les personnes qui n’ont pas de
sympathie envers les droits des animaux. Elle aurait amené les lecteurs à lire
en premier lieu son article pour ensuite les inciter à prendre connaissance du
reportage. Pour la plaignante, c’est une façon malhonnête de faire du
journalisme et cette rubrique est «une provocation pure et dure qui ne
sert aucune bonne cause». Elle note que le reportage concerne l’Amérique
du Nord et s’interroge donc sur les raisons de parler de l’Asie du Sud-Est dans
son article. Cela serait hors contexte.
Mme Neault revient sur le propos de la
mise-en-cause énonçant qu’elle comprenait le geste des Coréens d’offrir du jus
de viande de chien aux spectateurs du Mondial de soccer. C’est cette partie qui
l’a le plus choquée. Elle fait ensuite une comparaison et se demande si la rédactrice
en chef comprend également «ces peuples asiatiques qui abandonnent les
filles nouvelles nées […]?». Pour elle, ces actes de sauvagerie doivent
être dénoncés et sanctionnés. Mme Beaulieu aurait franchi «la zone
du »no man’s land »»
. La plaignante estime que c’est ajouté à l’insulte que de l’inviter à
participer au forum de lettres ouvertes de son magazine.
Elle termine sa réplique
en écrivant que Carole Beaulieu devrait être démise de ses fonctions et être
fortement réprimandée.
Analyse
L’article mis en cause est un commentaire de la rédactrice en chef, Carole Beaulieu, du magazine L’actualité accompagnant un reportage sur les droits des animaux.
Le commentaire se distingue de l’information brute en ce qu’il constitue une tribune réservée […] au commentateur pour qu’il exprime ses convictions, ses tendances et ses points de vue. Ces genres sont essentiellement du journalisme d’opinion et sont une manifestation de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. C’est sa prérogative, à l’intérieur des limites de l’éthique journalistique, de se réserver, à tout moment, l’espace qu’il juge à propos, pour prendre position, exprimer ses critiques ou faire valoir ses points de vue.
Il faut cependant noter que la liberté d’opinion du commentateur n’est pas absolue et la latitude dont il jouit doit s’exercer dans le respect le plus strict des droits et libertés d’autrui. Comme tous les professionnels de l’information, il doit être fidèle aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des situations qu’il commente.
L’article de Carole Beaulieu a vocation d’aborder un phénomène social important, celui de la protection et de la considération que portent les Occidentaux aux animaux de compagnie. Les passions que soulève la question des droits des animaux méritent que la rédaction d’un journal s’y arrête et expose la réalité. La rédactrice en chef a rapporté une expérience, fait valoir son point de vue tout en faisant preuve de fidélité factuelle.
Les différences culturelles et culinaires entre les pays doivent être prises en compte et exposées au public et ne doivent pas être occultées. Il faut admettre que l’appréciation des droits des animaux est relative à un pays et que ses défenseurs n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes priorités.
Décision
Ainsi, pour les raisons énoncées ci-dessus, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du magazine L’actualité et de sa rédactrice en chef Carole Beaulieu, tout en regrettant que la plaignante n’ait pas saisi l’occasion de faire paraître une lettre d’opinion dans le courrier aux lecteurs du magazine.
Analyse de la décision
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17C Injure
Date de l’appel
5 March 2004
Décision en appel
Les membres de la Commission ont conclu à l’unanimité
de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
Mme Geneviève Neault