Plaignant
M. Jean-Yves Duthel, vice-pésident, Communicationset relations publiques, Société générale de financement du Québec
Mis en cause
M. Michel Morin, journaliste et Mme Michaëlle Jean, journaliste et présentatrice et Société Radio-Canada (M. Marc Gilbert, directeur des nouvelles télévisées)
Résumé de la plainte
M. Jean-Yves Duthel porte plainte contre le journaliste Michel Morin pour un reportage diffusé le 11 avril 2003 au «Téléjournal» de la Société Radio-Canada (SRC) et à RDI. Le reportage mettait en cause la Société générale de financement du Québec (SGF) ainsi que M.Duthel. La plainte inclut également la présentation faite par la journaliste Michaëlle Jean. Les griefs portent sur la qualité de l’information et sur le respect de la réputation du plaignant et de sa société.
Griefs du plaignant
Le plaignant reproche à M. Morin et à la SRC, de même qu’à sa présentatrice, plusieurs fautes professionnelles en regard de l’exactitude, la pondération et l’impartialité de l’information de même que du respect de la réputation.
M.Duthel amorce sa démonstration par un exposé des faits. Le plaignant rapporte notamment que le 14 février 2003, une journaliste de la SRC a fait parvenir à la SGF une demande d’accès à l’information. La SGF a répondu à la SRC et le plaignant a alors précisé que si la SRC avait l’intention de faire un reportage à la suite de sa demande d’information, il désirait pouvoir donner sa réplique dans le même reportage. Le 2 avril, l’entrevue avait lieu avec M. Michel Morin.
Le lendemain de l’entrevue, M.Duthel a communiqué au journaliste un document que la Loi d’accès à l’information ne le forçait pas à rendre public. M. Morin l’a alors rappelé pour lui dire : «finalement il y a peu de chances que je fasse quelque chose avec cette histoire puisque tu as été correct avec moi ». Le jour suivant, le journaliste confirme que la SRC ne fera rien avec l’histoire. Cependant, quatre jours plus tard M. Morin le rappelle pour l’informer qu’il y aurait peut-être diffusion et finalement, le 11 avril, le plaignant reçoit confirmation de la décision de diffuser.
Le jour même, il communique avec M. Marc Gilbert de la Direction de l’information, pour connaître les éléments nouveaux intervenus, puisqu’une semaine auparavant, on avait jugé qu’il n’y avait pas matière à reportage.
Selon le plaignant, on lui a alors répondu : « Les circonstances ont changé. » Ayant alors demandé si son amitié avec le Premier ministre Bernard Landry avait quelque chose à voir avec cela, M. Gilbert lui aurait répondu qu’il en serait fait état. Le reportage était diffusé le soir même.
Au sujet de l’entrevue du 2 avril, le plaignant rappelle certains faits importants : le journaliste a commencé par une question accusant la SGF de ne pas être transparente face aux demandes d’information. Le plaignant a nié, en expliquant que son organisme n’a jamais été condamné par les autorités en cette matière et que la Loi d’accès à l’information ne s’applique pas dès qu’un dossier implique une entreprise privée.
Le journaliste lui ayant ensuite demandé pourquoi la réponse à la requête de Radio-Canada ne spécifiait pas les frais de représentation nominalement mais couvrait l’ensemble des frais des 15 cadres supérieurs, il lui a répondu que la demande de Radio-Canada n’était pas spécifique à ce sujet. M. Morin lui a ensuite demandé s’il était prêt à donner les comptes nominaux du président Blanchet et le sien. M. Duthel a répondu que pour le président, cela irait au lendemain puisqu’il devrait lui demander et que l’heure était déjà tardive. En ce qui le concernait, il lui a répondu «pour moi il s’agit d’un montant de 100 à 110 000 dollars pour 2002, à ma souvenance mais que j’allais lui
fournir le chiffre exact le lendemain matin ».
Au sujet du reportage du 11 avril le plaignant affirme :
Il y a dans ce reportage des inexactitudes :
– Il est faux de dire « qu’il s’est ravisé » quant à ses frais de déplacement. Au contraire, il les a fourni le lendemain alors qu’aucune loi ne lui demandait de le faire. Et sa note précisait qu’il y avait bien deux budgets: l’un concernant ses fonctions « strictement SGF », l’autre impliquant le nouveau processus enclenché à la demande du gouvernement, « entre la SGF et les régions ». C’est ce qui expliquait l’augmentation soulignée par le journaliste mais non présentée ainsi.
– Son titre a été volontairement galvaudé, faisant disparaître la partie « vice-président aux relations internationales » qui expliquait, de soi, ses fonctions liées à l’étranger.
Il y a dans ce reportage une absence totale de pondération de l’information :
– Aucune fois il n’est fait état que les déplacements à l’étranger « rapportent » à l’économie du Québec, choses qu’il a dites devant la caméra mais que pour les besoins de la cause le journaliste a exclues.
Il y a dans ce reportage et dans ses présentations un non-respect de sa réputation :
– Par les commentaires préliminaires de la présentatrice, par l’allure même du reportage, sa réputation et son intégrité sont atteintes.
Il y a dans ce reportage une grande partialité :
La référence à ses liens personnels avec M. Bernard Landry, dans le sprint final de la campagne électorale, était à l’évidence destinée à lui nuire.
Commentaires du mis en cause
Monsieur Gilbert amorce sa réponse en soulignant que dans les semaines précédant la diffusion de son reportage sur la SGF, Michel Morin avait mené le même genre d’enquête à l’endroit des dirigeants d’Hydro-Québec et de ceux de la Caisse de dépôt et de placement du Québec. Dans chacun des cas, les demandes faites en vertu de la Loi d’accès à l’information suivaient le même modèle. Dans la demande de la SRC à la SGF, chaque dirigeant était identifié par son nom et son titre. Cependant, contrairement aux deux autres organismes, la SGF a refusé de donner des renseignements nominaux, s’en tenant aux chiffres globaux pour la quinzaine de dirigeants de l’entreprise.
Lors de l’entrevue du 2 avril, M. Morin n’a aucunement reçu l’assurance que la SGF changerait d’avis. M. Duthel signifia simplement son intention d’en discuter avec sa direction. Il est donc tout à fait exact que la SGF, en l’occurrence son porte-parole M. Duthel s’est ravisé à la suite de cette entrevue et a accepté de donner l’information demandée par Radio-Canada.
En ce qui a trait au titre de M. Duthel qui aurait été volontairement galvaudé, faisant disparaître la partie vice-président aux affaires internationales, il est facile de constater que ce titre n’apparaît pas sur le papier à lettres de M. Duthel, ni sur ses cartes d’affaires, non plus que sur le site Internet de la SGF.
Alors que M. Duthel leur reprochait de ne pas avoir rapporté certains de ses propos exprimés en entrevue, il a oublié de préciser que les mis-en-cause ont tout de même gardé dans le reportage l’extrait où il explique que la SGF recherche des partenaires à l’étranger et que cette recherche ne peut se faire en restant au bureau pour attendre que le téléphone sonne.
Répondant à l’affirmation du plaignant selon laquelle les commentaires de la présentatrice et l’allure du reportage atteignent sa réputation et son intégrité, M. Gilbert affirme à son tour que ni directement, ni indirectement la présentation ou le reportage ne soulèvent de doute quant à l’intégrité de M. Duthel. Par contre, les faits rapportés
établissent certainement que M. Duthel peut présenter des comptes de dépenses
impressionnants.
Alors que pour le plaignant le reportage visait à nuire à Bernard Landry, pour M. Gilbert, la mention de ces liens d’amitié tenaient au fait qu’il est rare que des cadres de sociétés publiques soient prêtés au cabinet du Premier ministre pour du travail politique. Le directeur des nouvelles télévisées rappelle que ce prêt était tout de même de six mois et qu’il ne remontait qu’à 2001, des éléments importants, donc, dans le contexte de ce dossier.
Réplique du plaignant
Le plaignant répond en reprenant les commentaires de M. Gilbert. M. Duthel insiste d’abord sur le fait qu’il ne s’est pas ravisé puisqu’il a donné son propre compte de dépenses au journaliste et qu’il a effectivement dit qu’il allait consulter les autres membres de la direction, dont le président. Il ajoute qu’à la SGF, les demandes d’accès à
l’information relèvent du contentieux et non de la vice-présidence aux communications qu’il dirige.
À propos de son titre, M. Duthel affirme que non seulement il en avait fait état à M. Morin mais le rapport annuel de la SGF en fait état, tout comme sa carte de visite. Il explique que dans son entreprise, on dispose de papier à entête divers, à être utilisé selon les intérêts des interlocuteurs. Il joint copie d’une page du rapport annuel ainsi que sa carte de visite.
En ce qui a trait aux propos faisant référence au pourcentage que les frais de représentation de la direction, y compris les siens, représentaient face à l’ensemble du budget annuel des dépenses de la SGF, il précise que ce sont ceux dont la SRC a fait abstraction lors de son entrevue. Il étaient pourtant cruciaux dans la présentation de l’affaire. Lorsqu’une entreprise de l’envergure de la SGF ne dépense que 1,5 % de l’ensemble de son chiffre d’affaires pour toutes les dépenses de fonctionnement, y compris les frais de déplacement, alors que les moyennes comparables dans le privé comme dans le public sont de 2 à 3 % ou plus, il s’agit d’un élément capital pour juger d’une administration.
Au sujet de la réponse de M. Gilbert concernant l’atteinte à son intégrité, le plaignant relève la réponse du directeur des nouvelles télévisées qui affirme : « Par contre, les faits
rapportés établissent certainement que M. Duthel peut présenter des comptes de dépenses impressionnants.» Le plaignant s’inquiète que le directeur des nouvelles se permette de juger ainsi son compte de dépenses en prenant une position éditoriale qui ne lui revient pas. Ce qui le conforte dans l’idée que le reportage poursuivait un objectif malveillant.
Enfin, en ce qui concerne ses liens avec M. Landry, le plaignant estime l’erreur grossière et étonnante pour une personne qui doit informer le public : il n’a pas été prêté au cabinet du Premier ministre pour un travail politique; il a plutôt pris un congé sans solde de la SGF pour devenir Secrétaire adjoint au Conseil exécutif du Gouvernement du Québec, nomination entérinée par un décret du Conseil des ministres.
Par conséquent, il maintient que la SRC, par la voix et l’image a induit le public en erreur, a manqué de rigueur, a atteint à sa réputation et a volontairement caché des faits essentiels.
COMMENTAIRES À LA RÉPLIQUE :
Tout en disant comprendre que le Conseil considère que le dossier est clos, le directeur des nouvelles télévisées indique qu’il doit intervenir à nouveau. M. Gilbert inclut à son envoi au Conseil copie de la carte d’affaires remise par M. Duthel au journaliste Michel
Morin; il fait alors observer que sur cette carte, M. Duthel porte seulement le titre de «Vice-président, Communications et relations publiques ».
En réponse au jugement sur les comptes de dépenses du plaignant, M. Gilbert continue de prétendre qu’ils sont impressionnants, peu importe l’entreprise dont on parle, publique ou privée, n’importe où en Amérique du Nord.
Enfin, en riposte à l’affirmation de M. Duthel selon laquelle lors de son dernier séjour au cabinet du Premier ministre il n’a pas effectué de travail politique, le directeur des nouvelles télévisées annexe quelques articles du quotidien Le Soleil de Québec qui confirment son affirmation.
Analyse
Les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entrave ni menace ou représailles. L’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
En vertu de ces principes, maintes fois répétés pas le Conseil de presse, la SRC et le journaliste Michel Morin avaient le droit de choisir l’angle de traitement et ainsi de faire enquête et reportage sur les dépenses des sociétés d’État au Québec, dont la SGF.
Ce faisant, médias et journalistes se devaient cependant de présenter les faits avec rigueur. Or, la présente plainte mettait en cause un traitement journalistique où le reporter Michel Morin aurait manqué à plusieurs reprises à ses obligations déontologiques.
Le premier élément contesté par le plaignant portait sur une affirmation du journaliste à l’effet qu’après avoir refusé de fournir des renseignements M. Duthel s’était ravisé. Après examen, le Conseil estime que le plaignant avait fourni les informations comme il l’avait laissé entendre et donc qu’il ne s’était pas ravisé. Le grief a donc été retenu sur cet aspect.
Le reproche suivant était à l’effet que le journaliste aurait omis de faire une distinction entre ses fonctions « strictement SGF » et un autre mandat où la SGF devait, à la demande du gouvernement, s’impliquer dans les régions. Dans ce cas, ce sont les principes de liberté rédactionnelle qui ont prévalu et le Conseil a reconnu aux mis-en-cause la liberté de faire les choix éditoriaux qui leur revenaient.
Une autre omission concernant le fait que les déplacements à l’étranger rapportent à l’économie du Québec a d’ailleurs été considéré aussi de la même manière et rejeté.
Le plaignant avait également déploré que son titre dans l’entreprise avait été galvaudé, faisant disparaître la mention « vice-président aux relations internationales ». Ici encore, les principes de liberté rédactionnelle induisaient à ne pas retenir le grief. Cependant, une considération additionnelle a été prise en compte.
Le Conseil a estimé que, vu les informations détenues pas les mis-en-cause à la suite de leur recherche, il leur était pratiquement impossible d’ignorer que certaines personnes avaient des activités à l’extérieur du Québec, occasionnant ainsi des frais supplémentaires. Ne pas tenir compte de cet élément dans la mise en contexte de la présentation des données engendrait une distorsion de l’information. Le grief à cet effet a donc été retenu.
Le plaignant reprochait ensuite aux mis-en-cause que par les commentaires préliminaires de la présentatrice et par l’allure même du reportage, sa réputation et son intégrité avaient été atteintes. Après examen, le Conseil a estimé que par l’absence de mise en contexte des dépenses, par la structuration du contenu, par le ton alarmiste utilisé par le journaliste Michel Morin, l’ensemble du reportage suggérait une malhonnêteté générale invisible, mais non démontrée, portant atteinte à la réputation de M. Duthel et à celle de la SGF.
Enfin, en ce qui a trait aux mentions de liens personnels entre M. Duthel et M Bernard Landry, le Conseil a estimé que si cette allusion pouvait soulever des questions, le plaignant n’avait pas démontré en quoi le journaliste était en faute et n’a pas retenu le grief.
Décision
En conséquence, pour les motifs et sur les aspects mentionnés plus haut, le Conseil de presse retient partiellement la plainte contre le journaliste Michel Morin, la Société Radio-Canada et le réseau RDI.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C12B Information incomplète
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image