Plaignant
Autos Caravanes Saguenay Inc. (M. Pascal Gaudet, président)
Mis en cause
M. Normand Boivin, journaliste et Progrès-dimanche M. Bertrand Genest, rédacteur en chef et éditeur adjoint et M. Guy Granger, président et éditeur)
Résumé de la plainte
La plainte porte sur un article paru dans le Progrès-dimanche le 28 avril 2002 sous la plume de Normand Boivin. L’article traite d’un conflit judiciaire entre un couple de retraités et un commerce de caravanes, Autos Caravanes Saguenay Inc. Le plaignant, Pascal Gaudet, est le président de cette entreprise.
Griefs du plaignant
Selon le plaignant, Pascal Gaudet, l’article en cause est «tendancieux et biaisé à l’égard de [son] entreprise et lui cause, de ce fait, un grave tort commercial». M. Gaudet situe le contexte de la rédaction de l’article. à la date de parution, la Cour supérieure du district de Chicoutimi venait de rendre une décision ne constituant qu’une étape dans le processus opposant son entreprise à des consommateurs. L’article en cause est tendancieux selon le plaignant en ce qu’il ne donne que la version des consommateurs. Pascal Gaudet mentionne qu’il a essayé de faire valoir son point de vue auprès de la rédaction du journal mais que celle-ci a jugé «non nécessaire de publier à nouveau sur ce sujet et a déclaré le débat clos». Le plaignant soutient que l’article n’avait pour seul but de «mousser la publicité de l’avocate des plaignants». Il avance que celle-ci est la conjointe de l’un des journalistes couvrant l’activité judiciaire dans cet hebdomadaire. Le manque de professionnalisme et d’indépendance est, selon lui, flagrant. Les seuls propos rapportés sont ceux de l’avocate Estelle Tremblay. Par la suite,le plaignant met en évidence que, après la parution de l’article, le personnel de l’entreprise a dû Œuvrer à faire connaître la réalité. Pour ce faire, devant le refus d’un droit de réponse de la part du journal, le plaignant a acheté deux pages de publicité chez un concurrent. Pascal Gaudet affirme que la rédaction du Progrès-dimanche n’a pas trouvé nécessaire de relater les éléments du dossier lui étant favorables. Le seul but visé est, selon lui, «le sensationnalisme, la destruction systématique de la réputationde [son] entreprise et la publicité d’une avocate». Pour finir, le plaignant s’interroge sur la pertinence de publier en une cet article eu égard à l’ensemble des manchettes de cette semaine. En outre, M. Gaudet écrit que le titre «Quatre ans de bataille judiciaire» est erroné puisque le litige existait depuis deux ans et sept mois au moment de la publication. Le plaignant joint à sa plainte la photocopie des deux pages du journal Le Réveil dans lequel il soulève les points inexacts relevés ainsi que le jugement de la Cour supérieure du district de Chicoutimi daté du 18 avril 2003, lequel estime le recours en dommages et intérêts des consommateurs-plaignants fondé et le recours en garantie de l’entreprise Pascal Chevrolet Oldsmobile ltée recevable.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Normand Boivin, journaliste: Le mis-en-cause amorce ses commentaires en mentionnant que l’objectif du reportage était de présenter aux lecteurs une décision de la Cour supérieure faisant jurisprudence pour tout le Québec portant sur les garanties que les concessionnaires de véhicules récréatifs doivent offrir à leurs clients. Selon lui, le procès ayant déjà été tenu, le journal n’avait pas à cueillir les versions de chacune des deux parties, le juge s’en étant chargé. M. Gaudet n’aurait pas compris cela lors de leur rencontre en présence de l’éditeur adjoint Bertrand Genest. Il affirme qu’il a été offert au plaignant de rectifier les faits si il y avait des erreurs. Cependant, selon le mis-en-cause, M. Gaudet s’est obstiné à dire que le juge n’avait pas eu raison et que ses clients n’étaient que des «plaignards». Normand Boivin précise que l’idée du reportage n’était pas de déterminer qui des consommateurs-plaignants ou de M. Gaudet avait eu tort ou raison mais plutôt de mettre en garde les personnes retraitées et de rapporter les déboires d’un couple de retraités. Il termine ses commentaires en énonçant que le quotidien La Presse a publié presque intégralement le reportage du Progrès-dimanche, signe, selon lui, que le sujet était d’un grand intérêt. Commentaires de Bertrand Genest, rédacteur en chef et éditeur adjoint: Bertrand Genest fait sienne les explications et commentaires de M. Boivin. Il ajoute cependant que M. Gaudet a demandé et obtenu un deuxième rendez-vous avec le président et éditeur du journal. Lors de cette rencontre, il est dit que le plaignant a maintenu, comme lors de la première rencontre, une attitude agressive et de non-acceptation de la décision du journal d’avoir fait écho à ce jugement. Selon le mis-en-cause, le plaignant n’a jamais voulu admettre la faute reprochée et apparemment ne voulait pas faire appel du jugement. Le plaignant souhaitait que le journal reprenne les éléments de sa défense rejetés par la Cour, ce que Progrès-dimanche s’est refusé de faire.
Réplique du plaignant
Dans sa réplique, le plaignant reprend successivement les commentaires des mis-en-cause. Tout d’abord, concernant la lettre de M. Boivin, M. Gaudet s’interroge sur le fait que sa version de l’état de la situation n’a pas été exposée, que personne ne lui a demandé de le faire alors que la procédure judiciaire n’était pas terminée. Il regrette que seules les exagérations des plaignants aient été présentées dans l’article. Il aurait souhaité que la rédaction du journal situe le jugement du juge à l’intérieur du processus judiciaire. Le plaignant insiste sur le fait que ce jugement était «intérimaire[…] [et que] le débat sur le fond du problème a été reporté à une date ultérieure ». Le débat ne serait donc pas clos. M. Gaudet spécifie ensuite que, lors de la rencontre tenue en présence de l’éditeur adjoint, il ne lui a jamais été offert la possibilité de rectifier les faits contrairement à ce qu’avance M. Boivin. Ainsi, si tel avait été le cas, il n’aurait pas eu besoin d’acheter deux pages chez un compétiteur pour exposer sa défense. Selon le plaignant, la reprise par le quotidien La Presse de l’article est signe de connivence. Il avance que les deux journaux appartiennent aux mêmes propriétaires. Dans un second temps, M. Gaudet commente la réponse de Bertrand Genest. Il affirme n’avoir pu s’exprimer lors de la rencontre entre la direction du Progrès-dimanche et lui-même accompagné de son directeur des ventes. Selon lui, le comportement de ses interlocuteurs était «très direct et empreint de suffisance et d’arrogance ». L’entretien aurait duré deux minutes, «une répétition de la rencontre précédente». Le directeur des ventes l’accompagnant serait prêt à en témoigner. Le plaignant annonce que, si légalement il l’avait pu, il aurait fait appel du jugement de la Cour. Ensuite, il expose que les éléments produits pour sa défense n’ont pas été rejetés par la Cour étant donné que ceux-ci n’ont pas encore été auditionnés. Le sensationnalisme l’emporterait sur la recherche de l’information exacte dans le comportement journalistique de M. Boivin. Le tort causé à l’image et à la réputation de son entreprise sont «incommensurables » selon le plaignant.
Analyse
Le reportage est destiné à informer le public, c’est-à-dire à lui rappeler et à lui expliquer les faits en les situant dans leur contexte pour lui permettre de se faire, en toute connaissance de cause, une opinion sur les événements. Dans le présent cas, la Cour supérieure avait pour l’essentiel, au moment de la publication du reportage incriminé, rendu une décision favorable au couple Tremblay/Lamadeleine, en condamnant l’entreprise du plaignant à lui verser quelque 9 600 $ en dommages et intérêts. C’est sur la base de ce jugement de cour que s’appuie l’article du Progrès-dimanche, paru le 28 avril 2002. Le jugement émis par le juge Jean Lemelin ne se prononce pas sur le recours en garantie de Pascal Chevrolet Oldsmobile contre Pierre St-Cyr Auto Caravanes, une décision remise à une date ultérieure. L’absence de cette dernière mention dans le reportage de Normand Boivin n’invalide cependant pas, de l’avis du Conseil, l’article du Progrès-dimanche, lequel apparaît globalement conforme au jugement du juge Lemelin. Les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entrave ni menace ou représailles. L’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Ainsi, le grief concernant le choix de couverture du litige commercial n’est pas retenu. Les médias doivent encourager la libre circulation des idées et l’expression du plus grand nombre de points de vue en publiant les lettres des lecteurs. De tels espaces favorisent le débat démocratique et diversifient l’information. Il aurait été souhaitable, dans cet esprit, que la direction du journal en cause ait pu trouver un terrain d’entente avec le plaignant pour lui accorder un droit de réplique dans ses pages. Comme les versions des parties divergent passablement sur cet aspect, le Conseil ne saurait trancher ici sur la véracité des faits. L’accusation générale selon laquelle le sensationnalisme, la destruction systématique de la réputation de l’entreprise et la publicité d’une avocate sont présents tout au long du reportage est également l’un des griefs relevé par le plaignant. Le Conseil a estimé que cette accusation n’était pas démontrée. Or, tel que mentionné dans la jurisprudence du Conseil, il appartient au plaignant de faire la preuve de ce qu’il avance.
Décision
En regard de l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du journaliste Normand Boivin et de l’hebdomadaire Progrès-dimanche.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C12C Absence d’une version des faits
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17G Atteinte à l’image
- C22F Liens personnels
Date de l’appel
5 March 2004
Décision en appel
La Commission d’appel maintient, sauf sur un aspect, la décision du tribunal de première instance. Ainsi, les membres de la Commission ne considèrent pas que le journaliste Normand Boivin ni le Progrès-Dimanche n’ont commis de faute en regard du choix de couverture et de contenu éditorial, de même qu’en choisissant de placer à la une de l’hebdomadaire la nouvelle incriminée. La Commission a également confirmé la décision du Comité des plaintes et de l’éthique de l’information en ce qui a trait aux accusations relatives au sensationnalisme, à la destruction systématique de la réputation de l’entreprise du plaignant ainsi qu’à celle d’avoir fait de la publicité pour une avocate. Le maintien de la décision porte également sur le droit de réplique après le fait, qui a été offert au plaignant, mais qui n’a pu s’exercer parce que les parties ne sont pas parvenues à une entente sur la manière de le faire. La Commission a cependant relevé un aspect n’ayant pas reçu, à ses yeux, considération suffisante dans la décision de première instance. En effet, l’objet de la plainte était constitué de deux articles, l’un portant sur le jugement de cour et l’autre sur les déboires du couple Tremblay-Lamadeleine. Alors que le traitement journalistique sur le jugement n’exigeait pas de recueillir l’opinion des parties, le reportage sur la mésaventure du couple aurait exigé, selon la Commission, que si le journaliste donnait la parole aux personnes lésées, il fasse de même avec les responsables de l’entreprise avant de publier.
Griefs pour l’appel
M. Pascal Gaudet