Plaignant
Centre
de recherche et d’aide pour narcomanes / CRAN, Mme Sylvie Des Roches,
directrice générale et Service d’appui pour la méthadone / SAM, M. Éric Fabrès, responsable
Mis en cause
M. Éric Trottier, directeur de l’information, M. Philippe Cantin, vice-président
et éditeur adjoint et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Le Centre de recherche et d’aide pour narcomanes et le Service d’appui pour la méthadone porte plainte à l’encontre de La Presse pour un article publié le 16 mars 2003, sous le titre «La méthadone, une drogue qui peut tuer». Cet article est tiré du New York Times et aborde les traitements par la méthadone aux États-Unis. Les plaignants reprochent au journal de ne pas avoir livré une information suffisante, de ne pas avoir fait référence à la situation québécoise en ce domaine et de ne pas avoir publié une lettre adressée au courrier des lecteurs.
Griefs du plaignant
Les plaignants dénoncent un article tiré du
New York Times et publié dans
La Presse du 16 mars 2003, sous le titre
«La méthadone, une drogue qui peut tuer». Cet article présentait
une réflexion sur les décès par surdose de méthadone. Ils reprochent à
La Presse de ne pas avoir offert au public
une information complète concernant cette problématique et de ne pas avoir
présenté la situation québécoise et/ou montréalaise en complément de l’article;
ce qui, selon eux, «est de nature à inquiéter
grandement les patients traités à la méthadone au Québec ainsi que leur
famille». De plus, livrer de tels événements sans complément
d’information renforce les préjugés qui prévalent dans la population en
général, à l’encontre de la toxicomanie.
Pour pallier à cette information insuffisante, les plaignants
ont formé un comité de rédaction afin de
constituer un dossier contenant des informations complémentaires nécessaires à
une bonne compréhension de la problématique et ainsi permettre au public d’être
adéquatement informé. Le comité en a fait parvenir une copie à
La Presse, mais cette dernière n’a
jamais publié la lettre malgré leurs rappels.
Pour les plaignants, il est regrettable que la population du
Québec ne puisse jouir d’un bon niveau d’information sur les mesures de santé
publique prises pour tenter de faire face à la problématique sociale qu’est la
dépendance aux opiacés. Et c’est pourquoi les deux organismes, le CRAN et le
SAM, ont décidé de porter plainte devant le Conseil de presse pour que le droit
de réponse de ce collectif de professionnels impliqués dans la prise en charge
de patients en traitement de substitution avec la méthadone soit rétabli.
Les plaignants demandent à ce qu’un article explicitant
clairement la nature, le bien-fondé et les modes de fonctionnement des
programmes de substitution avec la méthadone au Québec soit publié par
La Presse.
Commentaires du mis en cause
M. Éric Trottier, directeur de l’information, estime que la
plainte n’est pas pertinente pour les raisons suivantes:
«Les
articles auxquels se réfèrent les plaignants contiennent des affirmations
fondées sur des rapports médicaux, d’experts et de police. » Le
mis-en-cause mentionne que les plaignants ne nient pas les faits exposés
dans l’article et qu’ils reconnaissent même que «la méthadone est,
effectivement, un médicament dangereux lorsque celui-ci est inadéquatement
utilisé ». C’est ce que disent les articles publiés dans
La Presse, ajoute-t-il.
Concernant
le fait que La Presse n’aurait
pas publié leur lettre, M. Trottier mentionne qu’il n’a jamais reçu une
telle lettre, ni même eu connaissance que cette lettre lui ait été
envoyée. Il ajoute que l’avoir reçue, il ne l’aurait probablement pas
publiée, car les articles du New
York Times ne traitent pas de la méthadone au Québec mais, d’une
manière plus générale, de la situation aux États-Unis. Aucun groupe ou
individu du Québec n’est mis en cause dans ces articles qui contiennent
tous les «compléments d’information» nécessaires et ils ne
sont pas sensationnalistes et reflètent une situation bien réelle.
M. Trottier termine en mentionnantque
La Presse n’est en rien forcé de publier
les lettres ou articles envoyés par ses lecteurs. Une infime partie de ces
lettres est publiée, et «seulement lorsque les textes sont pertinents ou
quand ils répondent à un article dans lequel une personne s’est raisonnablement
sentie attaquée ». Ce qui n’est pas le cas ici, souligne-t-il.
Réplique du plaignant
Les plaignants
réagissent aux commentaires du mis-en-cause en répondant à l’argumentation de
ce dernier en trois points. Ils considèrent que les informations diffusées ne
sont ni équilibrées, ni exhaustives et que l’argumentation de M. Trottier ne
justifie en rien la non-publication du droit de réponse qu’ils ont soumis au
journal et qui avait pour objectif de compléter l’information diffusée.
Les
plaignants mentionnent que le but de leur lettre n’était pas de faire une
analyse détaillée des articles, mais de tenter d’assurer l’équilibre de
l’information en publiant un droit de réponse. Bien que les plaignants
reconnaissent que l’utilisation de la méthadone puisse comporter une
«certaine dangerosité », il leur semble «excessif et
préjudiciable de publier tout écrit qui ne présente que cet aspect du
traitement ». Et dans les articles de La
Presse, «les conséquences positives sur le plan individuel et
collectif » n’est évoqué que très rapidement. Pour les plaignants les
distinctions faites entre l’utilisation de la méthadone dans le traitement
de la dépendance et de la douleur sont confuses et ne contribuent pas à
une bonne information du public. Les plaignants soulignent qu’il est
inexact d’affirmer, dans un journal «québécois » que:
«Beaucoup de cliniques au pays, qui suivent les directives
gouvernementales […] Ils peuvent l’emporter à la maison[…]
une semaine ou plus.» Le journal a diffusé «de fausses
informations qui n’ont vraisemblablement pas été validées par un expert,
quel qu’il soit ».
Les
plaignants ont fait parvenir une lettre à
La Presse sous forme d’article. Si M. Trottier ne l’a pas
reçu, «c’est sans nul doute que les services de communication
interne de La Presse sont
défaillants ». Les plaignants ne peuvent accepter que cet argument
justifie la non-publication de leur article. À l’énoncé de M. Trottier qui
mentionne qu’il n’aurait probablement pas publié
cette lettre, les plaignants rétorquent
qu’une de leurs missions est «de lutter contre les préjugés
véhiculés par les usagers de drogues et par les traitements de
substitution qui leur viennent en aide ». Après de nombreuses lectures des
articles en cause, les plaignants considèrent toujours que ces derniers ne
présentent pas une information complète pour les lecteurs.
Lorsque
M. Trottier mentionne que La Presse
n’est pas dans l’obligation de publier des lettres dans le courrier des
lecteurs à moins que ces lettres soient pertinentes ou répondent à une
attaque, les plaignants précisent qu’ils sont impliqués dans le traitement
de substitution avec la méthadone à différents niveaux, ils ont le
sentiment que cet article «ne propose pas une information équilibrée
et nuit de façon importante aux efforts de santé publique dont ils sont
les acteurs et réactive, dans la population générale, les peurs et les
préjugés qu’ils combattent au quotidien ».
Pour ce qui est de la pertinence de l’article envoyé à
La Presse, ce dernier a été rédigé par
un collectif regroupant des experts oeuvrant dans les trois centres spécialisés
dans le traitement du substitution de la méthadone de Montréal.
En conclusion, les plaignants demandent à
La Presse de publier leur droit de
réponse afin d’assurer l’équilibre de l’information du public sur les
traitements de substitution de la méthadone.
Analyse
Tout d’abord, le Conseil tient à rappeler le principe déontologique suivant: l’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier relèvent de leur jugement rédactionnel. Le choix du sujet, sa pertinence, ainsi que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre.
Dans le cas présent, les plaignants reprochent à La Presse d’avoir publié un article qui ne présentait pas une information équilibrée et complète et de ne pas faire la moindre référence à la situation québécoise et/ou montréalaise du traitement de substitution avec la méthadone. Pour sa part, le mis-en-cause allègue que les affirmations sont fondées sur des rapports médicaux, d’experts et de police. Il souligne également que les plaignants ne nient pas les faits exposés dans l’article et qu’ils admettent que la méthadone est un médicament dangereux lorsque celui-ci est inadéquatement utilisé. Il ajoute qu’en ce qui a trait à la situation québécoise, les articles publiés dans La Presse sont tirés du New York Times et ne traitent pas de l’utilisation de la méthadone au Québec mais, d’une manière plus générale, de la situation aux États-Unis.
Bien que les plaignants auraient souhaité de l’information complémentaire sur la situation québécoise, le journal pouvait légitimement, en vertu de sa liberté rédactionnelle, publier des articles provenant d’une autre source sans y évoquer la situation québécoise. De plus, les plaignants n’ont pas démontré que l’information publiée dans ces articles était erronée. En contrepartie, le Conseil considère que l’identification de la source et du contexte amÉricains, dans le titre et l’amorce de l’article en cause, aurait trouvé avantage à être plus claire. Le grief est néanmoins rejeté, même si le Conseil considère qu’un éclairage sur la situation québécoise à ce sujet aurait profité aux lecteurs de La Presse.
Les plaignants regrettent que La Presse n’ait pas publié leur lettre en réaction à l’article du journal. Cette lettre avait pour but d’expliquer clairement la nature, le bien-fondé et les modes de fonctionnement des programmes de substitution avec la méthadone au Québec. Pour sa part, le mis-en-cause affirme n’avoir jamais reçu une telle lettre et l’avoir reçue, il ne l’aurait probablement pas publiée, car les articles ne mettaient en cause aucun individu ou groupe du Québec.
Même s’il est du devoir des médias de favoriser l’accès des citoyens à leurs pages, cela n’implique pas que ceux-ci peuvent l’exiger comme un droit absolu. Le Conseil ne saurait intervenir plus avant dans cet aspect du litige et ne peut que regretter que les parties n’aient pu s’entendre de façon satisfaisante sur ce point.
Pour les raisons énumérées ci-haut, le Conseil de presse rejette sur le fond la plainte à l’encontre du quotidien La Presse et de son directeur de l’information, M. Éric Trottier.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C08F Tribune réservée aux lecteurs
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte