Plaignant
Plaignant anonyme
(dûment identifié au Conseil de presse)
Mis en cause
M. François Dowd, rédacteur en chef, M.
Richard Desmarais, président et éditeur et l’hebdomadaire
Photo Police
Résumé de la plainte
Le plaignant porte plainte contre le
journal Photo Police et ses
dirigeants, pour avoir utilisé deux mêmes photographies dans deux reportages
différents, parus les 10 janvier 2003 et 16 mai 2003.
Il reproche également à l’hebdomadaire de
ne pas avoir respecté la présomption d’innocence pour le mineur impliqué dans
l’affaire de viol dont traite le deuxième article intitulé: «À 12
ans, il entretient des relations sexuelles complètes avec ses deux sœurs de
moins de dix ans.»
Griefs du plaignant
Le plaignant reproche au
journal d’avoir utilisé deux mêmes photographies pour illustrer deux reportages
différents, l’un du journaliste Éric Audet sur un réseau international de
pédophiles et paru le 10 janvier 2003 et l’autre, du journaliste Bertrand
Gosselin, paru le 16 mai 2003, et intitulé: «À 12 ans, il
entretient des relations sexuelles complètes avec ses deux sœurs de moins de 10
ans.» Il se demande si une telle pratique est légale et si celle-ci ne
doit pas être conditionnée par l’autorisation de la famille.
À ce sujet, le plaignant reproche au journaliste
Bertrand Gosselin qui a écrit le deuxième article, de ne pas avoir mesuré les
répercussions que ces photographies pouvaient avoir sur l’entourage immédiat de
cette famille dont le fils aurait violé ses deux jeunes sœurs.
Pour le plaignant,
Photo Police ne respecte pas le guide de
déontologie des journalistes du Québec, en particulier, la clause de conscience
(article 10). Il estime que ce journal a recours à de la fausse propagande pour
manipuler l’opinion publique et favoriser sa vente.
Le plaignant affirme, par
ailleurs, que le journaliste a bafoué le principe de la présomption d’innocence
(il cite la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise
des droits et libertés de la personne humaine) en condamnant le jeune garçon
avant même que celui-ci ne soit jugé.
Le plaignant s’insurge
également contre un manque d’égard du journaliste envers les lois qui protègent
les enfants, notamment à propos de la présomption d’innocence et du respect de
la vie privée.
Enfin, le plaignant
conclut en rappelant l’objet de sa plainte. Il reproche à
Photo Police son manque de professionnalisme, son manque
d’honnêteté et «d’avoir manipulé les lecteurs sur des faussetés car ils
ne se sont aucunement soucié des conséquences dramatiques que vont vivre dans
l’avenir ces deux petites filles et leur famille».
Commentaires du mis en cause
MM. François Dowd et Richard Desmarais
répondent qu’ils tiennent à exprimer leur «étonnement de devoir porter
une quelconque attention à un plaignant anonyme» et qu’ils ne se sentent
pas véritablement concernés par une plainte non identifiée.
Par ailleurs, ils estiment que de publier à
deux ou plusieurs reprises une photographie non nominative de personnes et de
lieux, se veut un choix éditorial qui leur appartient et qui ne cause aucun
préjudice à qui que ce soit. Ils précisent également que sous la photo dite
litigieuse par le plaignant, il est mentionné, dans la légende, qu’il s’agit
d’une «photo-reproduction».
Les mis-en-cause nient le fait de n’avoir
pas respecté le guide de déontologie journalistique et d’avoir manipulé
l’opinion publique.
Réplique du plaignant
Le plaignant réplique que certes il est
bien mentionné dans l’édition du 16 mai 2003, sous la photographie de gauche,
qu’il s’agit d’une photo-reproduction. Toutefois, pour la deuxième photo en bas
à droite de la page, rien n’est précisé. Le plaignant met alors en question les
sous-titres qui leur correspondent.
En outre, le plaignant s’interroge sur la
provenance de ces photographies qui avaient d’abord été utilisées par Éric
Audet dans son reportage du 10 janvier 2003: d’un autre médium, de la
police ou d’Internet? Il estime que Photo
Police aurait dû, à la fois, mentionner qu’il s’agissait d’une
photo-reproduction et identifier ses sources pour les deux photographies.
Selon le plaignant on ne peut parler de la
bonne foi de Photo Police,
«quand leurs journalistes recueillent des informations de la police sans
en vérifier les faits, et sans suivre les dossiers à terme et condamnant ainsi
des personnes accusées mais non déclarées coupables, qui bénéficient de la
présomption d’innocence».
Il affirme que «le seul droit que
Photo Police et ses dirigeants ont,
c’est de rapporter des faits véridiques accompagnés de photos de personnes impliquées
dans leurs reportages et de vérifier avant publication leurs sources». Il
s’indigne devant l’utilisation de mêmes photos «pour créer du
sensationnalisme, vendre leur journal et ainsi manipuler leurs lecteurs sur de
fausses allégations». Il invite le Conseil à se mettre dans la peau des
parents et à envisager la manière de gérer la situation personnellement et avec
les proches.
Le plaignant renouvelle son inquiétude
quant à l’impact et au danger d’utiliser des photographies qui n’ont rien à
voir avec les présumées victimes, «car leur frère est toujours innocent
jusqu’à preuve du contraire». Le fait que le reportage de Bertrand
Gosselin traite de personnes de moins de 13 ans est un sujet délicat qui mérite
que l’on vérifie l’information, chose qui, selon le plaignant, n’a pas dû être
faite.
Enfin, le plaignant se justifie sur son
anonymat en estimant que si Photo Police,
ses dirigeants et ses journalistes sont des personnes publiques, lui est
«une personne vivant dans un pays démocratique» et qu’il a
«droit à toute son intimité».
Analyse
Les médias et les journalistes doivent respecter l’intégrité et l’authenticité de l’information dans la présentation et l’illustration (sons, voix, images et photos) qu’ils en font. Ils doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise.
Le plaignant reproche à Photo Police d’avoir leurré le public en publiant deux photos, déjà utilisées dans un reportage daté du 10 janvier 2003 et consacré à l’augmentation de la pédophilie, pour illustrer un reportage du 16 mai 2003, traitant d’un viol de deux jeunes sœurs par leur frère mineur. Insinuant dans la légende que les deux jeunes filles représentées étaient les deux jeunes victimes, alors que les photographies avaient été publiées bien avant que les faits relatés ne paraissent dans la presse, le Conseil ne peut que constater un manquement en regard de l’exactitude et de la rigueur de l’information.
En fait, ce n’est pas parce que Photo Police a écrit, sous l’une des photos mises en cause dans ce dossier, qu’il s’agissait d’une «photo-reproduction», qu’il est exempt de toute faute déontologique. Qu’entend-t-il, au juste, par ce terme? Ceci semble d’autant plus troublant que le mis-en-cause n’a pas même jugé nécessaire de révéler la provenance de ses photographies, contrairement à ce que recommande le Conseil sur la diffusion de ses sources, afin d’assurer une information crédible.
Le plaignant soutient également que les principes de la présomption d’innocence et de la protection des droits des mineurs auraient été bafoués par les mis-en-cause. Étant donné que le journaliste a préservé l’anonymat des personnes impliquées, non seulement le grief lié au principe de présomption d’innocence n’a plus lieu d’être, mais celui lié à la protection des personnes mineures ne peut être que rejeté. En revanche, le Conseil tient à signaler que l’emploi du conditionnel dans l’article en cause plutôt que du temps présent aurait davantage contribué au respect des règles déontologiques.
Enfin, à propos des manquements en regard du respect de la vie privée et du respect de la réputation invoqués par le plaignant, le Conseil ne juge pas le grief fondé. Il estime que, du fait de l’anonymat des personnes intervenant dans l’affaire, les préjudices que le plaignant craignait, d’une part pour les deux fillettes, et d’autre part, pour les proches, ne sont plus à considérer.
Alors que le plaignant affirme «qu’il n’est pas nécessaire dans une municipalité de mettre dans un journal le nom des soi-disant victimes ou de l’agresseur car les rumeurs vont bon train», le Conseil tient à faire une précision. Même si, dans cette affaire, aucun nom n’a été mentionné pour des raisons évidentes (âge des victimes et de l’agresseur; réinsertion sociale), il faut bien comprendre tout l’enjeu de la liberté de la presse: si les médias devaient cesser d’informer la population sur ces drames, c’est le droit à l’information et la liberté de la presse qui seraient compromis.
Ainsi, le Conseil a décidé de retenir partiellement la plainte à l’endroit de Photo Police et de ses dirigeants, au titre de manquements à l’exactitude et à la rigueur de l’information, autant que pour ne pas avoir révélé ses sources d’information.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C13B Manipulation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15H Insinuations
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C17D Discréditer/ridiculiser