Plaignant
Société
de l’assurance automobile du Québec, M. Jacques Brind’Amour,
président
Mis en cause
M. Dominique Froment, journaliste, M. René
Vézina, rédacteur en chef, M. Jean-Paul Gagné, éditeur et
l’hebdomadaire
Les Affaires
Résumé de la plainte
M. Jacques Brind’Amour, président
de la Société d’assurance automobile du Québec, porte plainte à l’endroit de
l’hebdomadaire Les Affaires.
L’article mis en cause, écrit par Dominique Froment, a été publié le 24 mai
2003 sous le titre «Fin du no-fault: le
président de la SAAQ n’est pas chaud».
M. Brind’Amour reproche au
journaliste d’avoir interprété en véritables déclarations de principe, les
questionnements qu’il avait soumis à la Commission parlementaire des transports
et de l’environnement, afin d’alimenter les débats parlementaires sur les
enjeux associés à une révision du régime d’indemnisation.
Griefs du plaignant
Le plaignant situe d’abord le contexte. Le 26 septembre
2002, il s’est exprimé en tant que président de la SAAQ, dans le cadre de la
Commission parlementaire des transports et de l’environnement, en vue
d’éclairer la Commission sur les enjeux associés à une révision du régime
d’indemnisation.
Pour M. Brind’Amour, le
journaliste a cherché à démontrer que le plaignant n’était « pas chaud»
devant l’ «éventuelle position gouvernementale sur le no-fault
». Il aurait cité les questionnements que le plaignant avait soumis à la
Commission dans le contexte évoqué précédemment en leur accordant la portée de
véritables déclarations de fait.
Le plaignant invite le Conseil à considérer que de telles
interrogations sont propres aux débats parlementaires et «s’inscrivent au
sein d’une démarche salutaire ayant pour unique objet d’alimenter la réflexion
sur une question complexe soumise à la Commission». Il estime d’ailleurs
que l’emploi du mode interrogatif indique clairement qu’il n’était pas de ses
intentions de faire des déclarations de principe.
Pour M. Brind’Amour, en lui
attribuant ainsi des intentions, comme en témoigne particulièrement le titre de
l’article, le journaliste déforme ses propos et leur objet. Le plaignant
considère que la chose lui est d’autant plus dommageable qu’« à titre de
président-directeur général de la SAAQ, il exerce une fonction symbolique et
que rapporter de cette manière ses propos équivaut à les publier comme une
position officielle de la Société ». Or, il prétend avoir pris la peine de
spécifier au préalable aux membres de la Commission qu’« en aucun cas, des
représentants de la Société ou son président n’exprimeraient alors d’opinions
personnelles». Le plaignant précise également que, dans le même esprit,
il a refusé d’accorder plus récemment une entrevue au journaliste mis en cause.
Dans un dernier paragraphe, M. Brind’Amour
rappelle l’objet de sa plainte: M. Froment aurait manqué aux exigences d’exactitude
et de rigueur qui s’imposent à sa tâche et aurait exagéré la portée des propos
tenus dans un contexte bien précis. Selon le plaignant, le journaliste
contreviendrait aux principes énoncés dans le guide de déontologie de la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec, en regard de la mise en
contexte, du titre et du sens porté à ses propos.
Commentaires du mis en cause
M. Jean-Paul Gagné, éditeur, ne voit rien qui justifie une
telle plainte. Il estime que le titre, qui indique« le président de la
SAAQ n’est pas chaud » à l’idée de mettre fin au no-fault,
traduit bien le questionnement qu’il a exprimé à ce sujet à la Commission et
n’est donc pas exagéré.
Alors que le plaignant déplore que le journaliste ait publié
des propos tenus en commission parlementaire, le mis-en-cause
répond que d’une part, M. Brind’Amour a refusé de
parler au journaliste et que d’autre part, il était certainement pertinent pour
les lecteurs de connaître l’analyse que le président de la SAAQ avait faite,
lors de la dite commission parlementaire qui, comme le mis-en cause le
rappelle, est une instance publique.
Face aux accusations de manquement aux exigences
d’exactitude et de rigueur, le mis-en-cause s’en
défend. Selon lui, le journaliste s’en est tenu aux propos du plaignant, il les
a rapportés presque textuellement sans dire ou laisser entendre que ceux-ci
constituaient « une position officielle de la Société », comme le prétend M.
Brind’Amour.
M. Gagné ajoute qu’il est plutôt étonnant de lire dans la
plainte de M. Brind’Amour que le président de la SAAQ
«exerce une fonction symbolique» et qu’il ne peut exprimer ni
«d’opinions personnelles », ni «une position officielle de la
Société ». Le mis-en-cause s’interroge:
«Est-ce à dire que les citoyens et les journalistes ne devraient pas
considérer les propos du président de la SAAQ comme ayant suffisamment de poids
pour être répétés ou publiés? »
Bien que le plaignant ait affirmé avoir spécifié au
préalable aux membres de la Commission qu’aucun des représentants de la société
ni son président n’exprimerait d’opinions personnelles, le mis-en-cause
dit ne pas avoir trouvé un tel avertissement dans le journal des débats de la
Commission, annexé à la plainte.
Réplique du plaignant
En premier lieu, le plaignant répond que le titre ne traduit
en rien l’idée d’un questionnement et qu’il lance plutôt une affirmation quant
à la position qu’il adopte prétendument à titre de président de la SAAQ.
M. Brind’Amour précise ensuite que
ses reproches ne portent pas tant sur la publication des propos tenus en
commission parlementaire, mais qu’ils tiennent au fait que ces propos ont été
rapportés en tant que véritables déclarations de principe et non à titre de
questions préliminaires visant à alimenter le débat en chambre. Selon lui, les
questions qu’il a soulevées en tant que représentant de la Société et en
réponse à la proposition du ministre de la Justice ont été rapportées de façon
à sous-entendre l’existence d’un conflit entre l’opinion du soussigné et celle
de M. Bellemare et ce, de façon, à susciter la polémique.
Il ajoute que M. Gagné se méprend quant à la teneur de ses
propos lorsqu’il écrit: «Il est plutôt étonnant de lire dans sa
plainte que le président de la SAAQ exerce une « fonction
symbolique » et qu’il ne peut exprimer ni « d’opinions
personnelles », ni « une position officielle de la Société » ». Le
plaignant signifiait ici qu’en lui attribuant des intentions, on faisait de ses
propos une position officielle de la Société et ce, puisque le président-directeur
général agit comme symbole de l’organisme. Il exerce donc une fonction «
symbolique », représentative au sein de la société.
Il reconnaît par ailleurs que l’extrait du journal des
débats ne porte pas mention de la réserve qu’il avait exprimée en chambre quant
à la portée de ses propos. Il annexe donc à
sa réplique l’extrait pertinent. Il cite les deux réserves:
«Si je peux faire un commentaire définitif, je ne voudrais pas vous
laisser croire que la SAAQ a dit, ce matin, que le système ne devrait pas être
changé.»
Et plus loin dans son intervention: « C’est rare, M.
le Président, que nous avons l’occasion en tant que gestionnaires d’État
d’évoquer notre droit de réserve, mais, sur ce point précis, je vais en
profiter pour exercer mon droit de réserve. Et, effectivement, nous avons eu
des discussions avec M. Ménard à cet égard, et je vais laisser le soin à M.
Ménard, là, d’apprécier ce que le gouvernement doit faire à cet égard.»
Analyse
La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes constitue la garantie d’une information de qualité. Elle est donc synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, et de respect des personnes, des événements et du public. Les médias et les professionnels de l’information ne doivent pas déformer la réalité en recourant au sensationnalisme.
En ce qui a trait à la nouvelle, au reportage et à l’analyse, les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Ils doivent respecter l’authenticité et la provenance de l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations, ou encore sur l’exacte signification des événements.
Dans cet article du 24 mai 2003, le journaliste Dominique Froment rapporte les propos que le plaignant, M. Brind’Amour, président de la SAAQ, avait tenus le 26 septembre 2002 devant la Commission parlementaire des transports et de l’environnement. Alors que le plaignant avait comparu devant cette Commission pour exposer un mémoire afin d’enrichir le débat et répondre aux éventuelles questions, le journaliste prête aux propos de M. Brind’Amour une portée qui ne correspond pas à la réalité, en l’absence d’une mise en contexte éclairante. Un tel manquement incite le lecteur à penser que le plaignant se place en opposition directe avec le ministre, M. Bellemare, sur la question de la révision du régime d’indemnisation de la SAAQ.
Le journaliste tire également des conclusions quelque peu hâtives des propos de M. Brind’Amour. Alors que celui-ci exposait différents questionnements à prendre en compte dans une réflexion sur le thème de la révision du régime d’indemnisation, le journaliste a rendu compte de ces paroles comme si elles constituaient des déclarations de fait.
Devant le manque de mise en contexte et de rigueur dont le journaliste a fait preuve, le Conseil retient la plainte à l’encontre du journaliste Dominique Froment et du journal Les Affaires.
Analyse de la décision
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12D Manque de contexte
- C15A Manque de rigueur
- C15H Insinuations
Date de l’appel
4 June 2004
Décision en appel
Après examen et délibérations, les membres de la Commission
ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance,
s’appuyant en cela sur la déontologie du Conseil élaborée dans le document
Droits et responsabilités de la presse.
Griefs pour l’appel
M. Jean-Paul Gagné et Les
Affaires