Plaignant
M. Daniel Paquin, avocat (Collectif Échec à la Guerre)
Mis en cause
M. Mark Bantey, avocat, M. Martin Himel, journaliste, Mme Karen MacDonald, rédactrice en chef et le réseau de télévision Global Inc.
Résumé de la plainte
Le Collectif Échec à la Guerre porte plainte à l’encontre du réseau de télévision Global Inc. et de son journaliste Martin Himel pour avoir présenté le Collectif comme une organisation antisémite dans un documentaire intitulé «Confrontation
at Concordia », diffusé les 9 mai et 2 juillet 2003. Selon le plaignant, Global TV et son journaliste tiennent à l’égard du Collectif et de ses membres des propos non seulement mensongers et erronés mais aussi offensants et diffamatoires pour les organismes et leurs membres et portent ainsi atteinte à leur réputation.
Griefs du plaignant
Le Collectif Échec à la Guerre sera représenté par M. Daniel Paquin, avocat, dans ce dossier. Dans le documentaire mis en cause, Global TV et son journaliste tiennent à l’égard du Collectif Échec à la Guerre et de ses organismes membres des propos non seulement mensongers et erronés mais aussi offensants et diffamatoires. De tels propos ont porté atteinte à la réputation du Collectif et de ses organismes membres ainsi qu’à l’honneur et à la dignité des membres individuels de chacun des dits organismes.
Ainsi, les membres du Collectif ont été outrés et profondément choqués par les propos et allégations que colporte le documentaire, lequel laisse clairement entendre que le Collectif Échec à la Guerre et ses membres sont antisémites et que les manifestations organisées à Montréal par le Collectif contre la guerre en Irak auraient été des manifestations antisémites, ce qui est totalement faux et contraire aux objectifs du Collectif comme aux objectifs de ces manifestations.
Le plaignant mentionne que dans le documentaire, le recteur Lowy exprime l’opinion que les valeurs fondamentales de la société canadienne seraient menacées par le fanatisme et l’intolérance des organisations étudiantes propalestiniennes. À ce moment, le reportage présente en gros plan la bannière du Collectif dont le message est: «Non à la guerre. Place à la Paix! » et le journaliste, par le jeu du montage, accole à ces images la remarque du recteur: «Mais c’est loin de cesser, ça devient bien pire. » Ensuite, le documentaire laisse entendre clairement que les allégations imputées au Collectif s’appuient sur une pancarte montrée à l’écran, visiblement fabriquée personnellement par un individu et qui n’émane pas du Collectif.
Le Mouvement Anti-Guerre est alors assimilé à la propagande nazie des années 30. Le plaignant note qu’aucune démarche n’a été faite par le journaliste, ni aucune tentative en vue de vérifier de telles allégations auprès du Collectif et de ses membres. Le documentaire ne montre non plus aucune recherche sur le Collectif et aucun de ses membres ou de ses représentants n’a été interviewé.
En utilisant un tel processus journalistique, Global TV et M. Himel déforment les faits et la réalité et imputent de façon mensongère au Collectif et à ses membres des positions à l’égard des Juifs qu’ils n’ont jamais soutenus, mentionne le plaignant.
Le plaignant expose les principaux objectifs du Collectif Échec à la Guerre : affirmer l’opposition totale des membres à l’agression des États-Unis contre le peuple irakien; exiger du gouvernement canadien son abstention et son refus de toute participation à cette agression; exhorter les nations du monde à résister au chantage des États-Unis visant à obtenir l’aval des Nations Unies à leur projet belliqueux contre l’Irak.
Selon M. Paquin, Global TV et le journaliste en tant que professionnels de l’information, ont violé les règles de déontologie journalistique, notamment en déformant malicieusement les opinions et les objectifs du Collectif et de ses membres et en leur imputant des accusations gratuites d’antisémitisme, ce qui porte atteinte à la réputation et à la crédibilité des différents organismes constituant le Collectif.
Les motivations et objectifs du Collectif ont trouvé de profonds échos dans la vaste majorité de la population québécoise. Ces motivations s’inscrivent également dans un mouvement mondial contre la guerre sans précédent. C’est pourquoi, le Collectif et ses membres ne peuvent tolérer qu’ils soient insultés de la sorte et qu’on les accuse sans fondement d’être partie prenante d’un vaste complot antisémite. Un tel processus journalistique ne peut être toléré, souligne le plaignant.
Le plaignant termine en précisant que les motifs expliqués ci-haut justifient la demande au Conseil de presse de la tenue d’une enquête et de conclusions de blâme envers Global TV, son directeur et son journaliste Martin Himel.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mark Bantey, avocat représentant les mis-en-cause:
D’emblée, le mis-en-cause mentionne que le réseau Global TV accorde une grande importance aux réactions de l’auditoire concernant sa programmation et qu’elle apprécie tous les commentaires du public.
M. Bantey souligne qu’en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, L.R.C., c. B-9.01,les diffuseurs, y compris le réseau Global, doivent fournir un large éventail d’émissions
d’information et de divertissement à « l’intention des hommes, femmes et enfants de tous âges, intérêts et goûts ». Et que l’un des objectifs du système de radiotélévision canadien est de «favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes (…) et en fournissant de l’information et de l’analyse concernant le Canada et l’étranger considérés d’un point de vue canadien ».
Alors que la programmation doit être diversifiée et plaire à tous les segments du public, ce qu’un téléspectateur peut considérer comme une représentation satisfaisante de certains événements peut être considéré par un autre téléspectateur comme une représentation fausse de ces événements.
Le réseau Global reconnaît et respecte la plainte déposée par le Collectif Échec à la Guerre. Cependant mentionne-t-il, le documentaire ne concerne pas le Collectif et ne le nomme même pas.
Le mis-en-cause explique que le documentaire porte sur les événements du 9 septembre 2002, alors que l’ancien premier ministre israélien Benjamin Netanyahu devait prendre la parole à Concordia. Les activistes du syndicat étudiant ont organisé une manifestation qui a finalement nécessité un appel aux policiers et l’annulation du discours de M. Netanyahu. «Confrontation at Concordia » examine les questions et les circonstances qui ont alimenté le virulent conflit qui a fait les manchettes nationales.
La question n’est pas de savoir si la perception des deux événements représentés dans le film est juste ou mauvaise, car il est évident, selon le mis-en-cause, que les deux côtés ont des griefs et que chaque partie prétend chercher à obtenir justice. La question fondamentale de ce documentaire d’opinion concerne la manière dont les étudiants ont exprimé ces arguments et l’intolérance, la violence et le manque de respect déplorables des principes de liberté d’expression et de débat respectueux, ajoute-t-il. Le mis-en-cause est en profond désaccord avec le plaignant lorsque ce dernier suggère que le documentaire décrit le Collectif et ses membres comme des antisémites.
Premièrement, explique M. Bantey, le Collectif n’est pas le sujet du documentaire e deuxièmement, il ne le nomme même pas. Le documentaire souligne simplement, dans une brève séquence vers la fin, que certains activistes de Concordia, présentés dans le documentaire, ont participé à une manifestation contre la guerre qui a eu lieu au centre-ville de Montréal et que l’«affiche principale », se trouvant derrière la bannière du Collectif, (Échec à la guerre – Place à la Paix) exprime un antisémitisme flagrant, ce qui est un commentaire «loyal», même si le Collectif n’est pas de cet avis. Une opinion honnête n’est pas nécessairement une opinion avec laquelle tout le monde est d’accord, ajoute le
mis-en-cause. M. Bantey invoque les tribunaux qui ont maintenu avec constance que la liberté d’expression est conçue pour protéger les opinions avec lesquelles on est en désaccord. Il appuie son point sur deux arrêts de cour.
Selon le mis-en-cause, la partie du documentaire dont se plaint le Collectif est brève. Le narrateur exprime une opinion honnête selon laquelle l’affiche principale qui se trouvait derrière l’écriteau sur lequel on pouvait lire « Échec à la Guerre – Place à la Paix » dans la manifestation anti-guerre, est antisémite. Même si les organisateurs non nommés de cette manifestation peuvent avoir approuvé ou non l’affiche (le documentaire ne précise pas ce point), ils ont certainement toléré sa présence à la tête de la manifestation. Le journaliste n’avait pas l’obligation d’obtenir le point de vue du Collectif ou de qui que ce soit d’autre avant de critiquer l’affiche et son utilisation lors de la manifestation anti-guerre.
Le réseau Global apprécie et respecte le fait que le Collectif se soit intéressé à la programmation de son réseau et qu’il se soit efforcé de faire connaître son point de vue. Celui-ci a le droit d’exprimer son point de vue, tout comme le journaliste relatant les faits du documentaire, argue le mis-en-cause. Toutefois, ajoute-t-il, précisément parce que nous évoluons dans l’univers des commentaires «loyaux », le réseau Global suggère respectueusement que le Conseil de presse rejette la plainte.
Réplique du plaignant
Le plaignant rappelle que l’essentiel de la plainte est à l’effet que le documentaire «Confrontation at Concordia » laisse clairement entendre que le Collectif Échec à la Guerre et ses membres sont antisémites, et que les manifestations organisées à Montréal par le Collectif contre la guerre en Irak auraient été des manifestations antisémites. Les
commentaires apportés par M. Bantey apparaissent au plaignant comme une vaine tentative de minimiser la portée des allégations offensantes et diffamatoires contenues dans le reportage à l’endroit du Collectif et de ses membres.
Le plaignant répliquera aux principaux arguments du mis-en-cause.
Premier argument : que le Collectif n’est pas le sujet central du documentaire et qu’il n’est pas explicitement nommé. Le plaignant répond que la plainte du Collectif ne disait rien de tel et que les références brèves mais néanmoins claires au Collectif n’en sont pas moins mensongères et diffamatoires pour les motifs déjà exposés.
Deuxième argument : que le Collectif en a simplement contre une «brève séquence » vers la fin du documentaire en rapportant que «certains des activistes de Concordia (…) ont participé à une manifestation contre la guerre qui a eu lieu au centre-ville de Montréal et dont « l’affiche principale » aurait exprimé un antisémitisme flagrant ».
Pour le plaignant, en évacuant ce passage de son contexte et de sa substance, les mis-en-cause cherchent à en minimiser la portée. La thèse du documentaire, au-delà des événements de la visite avortée de M. Netanyahu, est fondée sur le fait que ces incidents sont symptomatiques d’une atmosphère de haine et de préjugés contre les Juifs beaucoup plus largement répandue, en particulier sur les campus universitaires du Canada, des États-Unis et d’Europe. «Cette affirmation ouvre le documentaire et y est répétée à plusieurs reprises par M. Himel et certaines des personnalités qu’il interviewe », souligne le plaignant. Pour lui, en juxtaposant indifféremment, au fil du documentaire, les termes antisémite, anti-Israël, anti-Bush et contre la guerre en Irak, sur l’image de la bannière qui a toujours ouvert les manifestations organisées par le Collectif, et en décrivant les activités contre la guerre des militants étudiants de l’Université Concordia comme étant le simple prolongement de leur antisémitisme allégué, M. Himel prépare le terrain «miné » pour la «brève séquence » contre laquelle le Collectif s’est élevé.
Le plaignant expose alors en détail une séquence en quatre temps pour démontrer que la référence au Collectif est claire, qu’il y a insistance sur une seule pancarte assimilée par le narrateur aux caricatures nazies des années 30 en Allemagne, que ce documentaire contient des juxtapositions et associations et des effets de montage inculpants et malhonnêtes pour le Collectif et ses membres.
Troisième argument : qu’un individu isolé se serait fabriqué une pancarte personnelle jugée antisémite. Pour le plaignant, le procédé utilisé dans le documentaire ne permet pas de conclure que l’accusation se limitait à un individu isolé qui aurait fabriqué sa propre pancarte antisémite. Il apparaît manifeste que le journaliste impute au Collectif et à l’ensemble des manifestants, un antisémitisme que lui-même compare à celui des années 30. Le plaignant ajoute en preuve que dans un article publié le 15 juillet 2003 dans le National Post, M. Himel écrivait que «L’antisémitisme était si confortablement installé à Concordia qu’il a atteint un niveau étonnant au cours d’une manifestation au centre-ville de Montréal. »
Quatrième argument : qui est fondé sur le large éventail d’opinions, d’idées et d’attitudes dont laLoi sur la radiodiffusion invite les diffuseurs à se faire écho. Le plaignant rétorque que les mis-en-cause se sont plutôt employés à diffuser à outrance un point de vue unilatéral, mensonger et diffamatoire à l’endroit du Collectif. Au surplus, le documentaire a été rediffusé le 2 juillet, et ce malgré une mise en demeure, après que cette rediffusion fut annoncée sur une demi-page dans le National Post et The
Gazette. De plus, le documentaire fut inscrit au New York International Film
and Video Festival, et il est dorénavant vendu au grand public sous forme de cassette au coût de 19,95 $.
Analyse
Le Collectif Échec à la Guerre accuse les mis-en-cause d’avoir présenté le Collectif comme une organisation antisémite dans un documentaire intitulé « Confrontation at Concordia ».
Pour juger du fondement de cette accusation, le Conseil a d’abord scruté le reportage incriminé pour déterminer si le Collectif était effectivement visé par les accusations formulées dans cette émission.
L’examen du Conseil de presse révèle qu’en aucun temps, le nom du Collectif Échec à la Guerre n’a été mentionné dans la narration ou les extraits sonores du reportage. De plus, en ce qui a trait aux images, jamais non plus les mots « Collectif Échec à la Guerre » ne sont apparus à l’écran pour identifier le groupe en question.
S’il est exact que la bannière du Collectif est apparue à l’écran, ce n’est que pour une durée totale de 17 secondes réparties en trois séquences dont la plus longue durait 7 secondes. De plus, s’il est exact que durant cette apparition en ondes le journaliste narrateur indique qu’il s’agit de manifestations antisémites, jamais ce narrateur n’a-t-il directement pointé le groupe organisateur, le Collectif.
Le Conseil a également observé qu’au cours du reportage en question, le réalisateur du document a utilisé des images fixes de pancartes et de manifestations diverses, ainsi que des séquences tournées lors d’autres manifestations, au Québec et ailleurs. Ainsi, de l’avis du Conseil, les images retenues dans ce documentaire ne visaient qu’à illustrer la thèse soutenue par le reporter, peu importe par qui la manifestation avait été organisée. Donc, aux yeux du Conseil, le documentaire ne visait aucunement à discréditer le Collectif Échec à la guerre en tant que groupe.
Et revanche, le Conseil a constaté que le documentaire associe gratuitement le mouvement antiguerre et ses sympathisants aux Nazis. Un grief est conséquemment retenu sur cet aspect.
Ceci dit, le Conseil tient à préciser que la présente décision ne constitue en rien un appui ou une reconnaissance de la thèse de M. Himel selon laquelle «L’antisémitisme était si confortablement installé à Concordia qu’il a atteint un niveau étonnant au cours d’une manifestation au centre-ville de Montréal. »
Il ne s’agit pas non plus de la part du Conseil de presse du Québec d’une attestation de l’objectivité, de l’équilibre ou de l’impartialité du reportage. Au contraire, le Conseil a constaté un parti pris proisraélien présent tout au long du reportage.
Le Conseil a estimé que l’émission soumise à son attention appartenait au genre journalistique du « documentaire d’opinion », un genre journalistique relevant du journalisme d’opinion qui accorde aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire.
Toutefois, le Conseil aimerait rappeler que la liberté d’opinion est également assortie d’exigences éthiques et que la latitude dont jouissent les journalistes et les médias doit s’exercer dans le respect des valeurs démocratiques et de la dignité humaine. Dans cet esprit, ceux-ci doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques.
De plus, il est primordial pour les médias de bien identifier les produits de cette nature afin d’éviter tout malentendu. L’absence d’indications sur la nature particulière de ce genre journalistique peut conduire le public à assimiler une opinion éditoriale, partiale par définition, à un produit d’information.
Or, sur cet aspect, le Conseil de presse a observé que le documentaire «Confrontation at Concordia » ne se présentait pas, ni par son titre, ni par sa facture sous des dehors permettant d’identifier qu’il s’agissait de journalisme d’opinion, ce que le Conseil ne peut que déplorer.
Décision
Ces réserves ayant été exprimées, la présente plainte est retenue partiellement contre le journaliste documentariste Martin Himel et le réseau de télévision Global pour avoir associé gratuitement le mouvement antiguerre aux Nazis.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C15D Manque de vérification
- C17A Diffamation
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image
Date de l’appel
4 June 2004
Décision en appel
Après examen et délibérations, les membres de la Commission
ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance,
s’appuyant en cela sur la déontologie du Conseil élaborée dans le document
Droits et responsabilités de la presse.
Griefs pour l’appel
M. Mark Bantey et
Global Television
Network Québec inc.