Plaignant
M.
Jean-Guy Mercier
Mis en cause
Mme Christiane St-Pierre, rédactrice en
chef, M. Raymond Tardif, président et éditeur et le quotidien
Le Nouvelliste
Résumé de la plainte
Jean-Guy Mercier porte plainte à l’endroit
du journal Le Nouvelliste pour ne pas
avoir suivi une affaire de délit de fuite qui le met directement en cause. Il
soupçonne les journalistes du quotidien de céder aux pressions des autorités
politiques et d’étouffer cette affaire qu’il considère d’intérêt public.
Griefs du plaignant
M. Mercier, reconnu coupable d’un délit de
fuite par la Cour municipale de Trois-Rivières en novembre 2001, avait
interjeté appel de cette décision en Cour supérieure, étant certain de son
innocence. Puis en février 2002, il a tenté de convaincre M. Francis Gobeil,
chef de police, d’accepter que l’enquête soit reprise par un enquêteur de la
Sûreté du Québec, mais en vain. Un mois plus tard, il a écrit au maire de
Trois-Rivières, Yves Lévesque, pour lui demander son opinion sur la
«façon d’aborder ce cas flagrant d’erreur judiciaire». Le chef de
cabinet du maire lui répondit que la loi les empêchait d’intervenir lorsqu’une
cause était devant les tribunaux, ce que le plaignant considère comme faux. M.
Mercier raconte que le 6 août 2002, à la Cour Supérieure, le juge Benoît Moulin
a ordonné un nouveau procès en Cour municipale devant un autre juge que celui
qui a rendu jugement en première instance. La Ville aurait alors fait
opposition à ce qu’il y ait un nouveau procès et en octobre 2002, le plaignant
aurait reçu un avis de jugement stipulant qu’il était acquitté. Il dit se
sentir lésé de n’avoir pas eu l’occasion d’établir son innocence dans un procès
en bonne et due forme. Il estime que sa réputation a été souillée, d’autant qu’il
est un personnage politique.
Le contexte ainsi établi, le plaignant
porte plainte contre le quotidien Le
Nouvelliste pour n’avoir pas suivi de près cette affaire qu’il estime
d’intérêt public. Il affirme avoir adressé à Mme Christiane St-Pierre deux lettres,
l’une, le 15 avril 2002 et l’autre, le 6 novembre 2002, afin de lui rapporter
l’affaire et de l’inciter à la publier. À la suite de cela, un article a été
publié dans l’édition du 12 novembre 2002, ce qui suscite chez le plaignant
l’interrogation suivante:«Est-ce le fruit des pressions
contenues dans la lettre du 6 novembre? Je l’ignore, mais je constate que le
dossier se complexifie, l’entêtement des autorités politiques, policières et
juridiques est de plus en plus suspect.»
De plus, il reproche au journaliste du
Nouvelliste qu’il avait invité à
assister au Tribunal des petites créances le 2 juillet 2003, de n’être pas
venu. Alors qu’il a essayé d’avoir des explications du directeur de
l’information, M. Michel St-Amant, celui-ci n’a pas, selon le plaignant,
retourné ses appels. M. Mercier précise que les stations
TVA et TQS ont, quant à
elles, envoyé une équipe. D’ailleurs, il a joint à sa plainte une copie de
l’enregistrement du reportage réalisé par
TQS. Et d’ajouter que
«la Sûreté du Québec a trouvé l’affaire suffisamment importante pour
ouvrir une enquête qui est présentement en cours ».
Le plaignant soupçonne les journalistes du
Nouvelliste de «céder aux
pressions des autorités politiques et d’étouffer cette affaire qui est
d’intérêt public et qui s’appuie sur des documents sérieux et compromettants
pour les différents pouvoirs impliqués».
Il estime qu’en menant cette bataille
judiciaire pour lui-même, il aide des citoyens qui n’ont pas le courage et les
ressources pour le faire, qu’il a besoin de l’opinion publique comme alliée et
que c’est la presse qui peut lui permettre d’établir le lien avec celle-ci.
Le plaignant considère qu’être le seul
quotidien constitue un privilège qui appelle des responsabilités et que
«si le Nouvelliste n’existait
pas, on pourrait espérer avoir un quotidien moins insignifiant».
Commentaires du mis en cause
Au reproche selon lequel M. Mercier a
invité en vain le journaliste du Nouvelliste
à être présent au Tribunal des petites créances, la mise-en-cause répond qu’il
relève de la direction d’assigner un journaliste et que celle-ci ne peut pas
accepter toutes les invitations qui lui sont faites. Elle soutient que beaucoup
de personnes croient nécessaires la présence et la couverture du sujet qui les
préoccupe, mais que devant une quantité importante de nouvelles, la sélection
est produite en fonction de l’orientation éditoriale du quotidien, des
priorités d’information et du personnel disponible.
Mme St-Pierre explique que si le directeur
de l’information n’a pas retourné les appels de M.Mercier, c’est que M.
Saint-Amant en connaissait la raison. Elle assure qu’il s’efforce de retourner
un certain nombre d’appels, mais en raison du peu de temps dont il dispose et
de la nécessité de superviser 35 personnes quotidiennement, il ne peut tous les
retourner. En outre, si TVA et
TQS ont envoyé une équipe et puisque
le Nouvelliste a rendu compte de
l’enquête dans l’article joint du 12 novembre 2002, la mise-en-cause se demande
où est le problème.
Enfin, aux soupçons de M. Mercier selon
lesquels les journalistes cèderaient aux pressions des autorités politiques et
étoufferaient cette affaire, Mme St-Pierre considère qu’il s’agit là d’une
interprétation non fondée.
Réplique du plaignant
Le plaignant se dit surpris du délai de
réponse, surtout que selon lui, celle-ci sert essentiellement à banaliser sa
plainte comme s’il s’agissait d’une affaire comme tant d’autres. Il aurait
préféré une réponse qui fasse référence à des éléments précis du dossier qu’il
avait soumis à plusieurs reprises à son analyse, mais que le journal a toujours
refusé de considérer. Il regrette qu’aucun des 35 employés n’ait suffisamment
de temps pour analyser le cas et se faire une opinion professionnelle et lui
faire, à lui, en tant que «citoyen angoissé», une réponse digne de
ce nom.
Puis, le plaignant fait l’énumération de ce
que l’on aurait pu déduire, selon lui, à partir des documents officiels qu’il
proposait de soumettre au journal: entre autres, «l’aveu d’une
relation de camaraderie entre le procureur de la municipalité et le juge de la
Cour municipale », « des blâmes sévères du juge Benoît Moulin de la Cour
supérieure à l’égard du juge Crête de la Cour municipale sur le non-respect des
règles de la preuve», «l’accusation de fabrication de preuves
qu’[il] a formulée contre l’inspecteur Sylvie Langlois et le technicien en
scène de crime, Michel Guillemette». Pour le plaignant, le fait que le
journal, tout comme le chef de police Francis Gobeil, ne veulent pas consulter
ce dossier prouve qu’il y a matière à réflexion. «Comment une affaire
aussi banale peut-elle se heurter à un tel mur de bêtise humaine?»
À travers un long plaidoyer et à l’appui
d’un certain nombre d’articles, le plaignant tente de démontrer l’existence de
complaisances entre les pouvoirs politique, policier et médiatique. Selon lui,
«au nomdu bien commun, il faut s’entendre à tout prix et garder le
silence». Il prétend pouvoir fournir «moult exemples d’une
complaisance du journal à l’égard de l’establishment politique».
Enfin, une semaine après avoir envoyé sa
réplique, le plaignant a fait parvenir au Conseil un courrier accompagné d’une
nouvelle série d’articles du Nouvelliste,
pour illustrer sa critique globale du journal. Il considère, par exemple, que
si c’est bien le chef de police qui négocie en première ligne avec le syndicat,
«c’est malsain pour les relations de travail au service de la sécurité
publique». Ainsi, il soupçonne, dans ces écrits, «une complaisance
envers le chef de police et l’administration de la Ville de Trois-Rivières»,
estimant que le journal ne se pose pas les bonnes questions au détriment du
droit du public à l’information.
Analyse
L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public.
L’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier, le choix de ce sujet et sa pertinence relèvent de leur jugement rédactionnel.
Dans le cas présent, Le Nouvelliste a traité de l’affaire du plaignant à travers l’article du 12 novembre 2002. Si le quotidien a choisi de ne pas couvrir le suivi juridique de cette histoire, il en avait pleinement le droit. Cette décision relève de la discrétion exclusive de la direction du journal. En outre, le Conseil considère que l’article publié rapportait déjà tout ce qui était susceptible de relever de l’intérêt public dans ce dossier.
Par ailleurs, le plaignant soupçonne les journalistes du Nouvelliste de céder aux pressions des autorités politiques et policières et d’étouffer l’affaire. Sur ce point, M. Mercier se contente de faire des allégations sans véritablement les démontrer. Il a soumis à l’étude du Conseil des articles qui ne présentent, après analyse, aucune entrave à l’éthique journalistique.
Décision
De ce fait, le Conseil de Presse rejette la plainte à l’endroit du journal Le Nouvelliste et de sa rédactrice en chef Christiane St-Pierre.
Analyse de la décision
- C02C Accorder un suivi à une affaire
- C03A Angle de traitement
- C13C Manque de distance critique