Plaignant
M. André Charbonneau
Mis en cause
M. Michel Morin, journaliste, M. Marc Gilbert, directeur des nouvelles télévisées, M. Guy Filion, adjoint au directeur des programmes, Information-télévision et la Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
M. André Charbonneau porte plainte contre le journaliste Michel Morin et la Société Radio-Canada pour la diffusion d’un reportage, le 11 juin 2003. Le journaliste aurait délibérément camouflé des informations au public et aurait volontairement donné une information incomplète ou trompeuse sur la personne du plaignant.
Griefs du plaignant
LETTRE DE PLAINTE DU 27 JUILLET 2003
M. André Charbonneau a fait parvenir une première lettre au Conseil de presse, le 27 juillet 2003, dans laquelle il entendait porter plainte contre le journaliste Michel Morin et la Société Radio-Canada, suite à un reportage diffusé le 11 juin 2003. Il demande au Conseil d’obtenir copie de ce reportage pour qu’il puisse compléter les motifs de sa plainte.
Dans cette même lettre, il porte plainte à l’encontre de Marc Gilbert qui à ce moment-là était directeur des nouvelles télévisées. Il accuse M. Gilbert de lui avoir donné une réponse «volontairement fausse », à propos du journaliste.
LETTRE DE PLAINTE DU 11 DÉCEMBRE 2003
M. Charbonneau précise que sa lettre sera courte et précise. Il accuse le journaliste d’avoir délibérément camouflé au public que MM. Réjean Cossette et Sylvain Larose qui apparaissent dans le reportage, étaient eux aussi poursuivis par la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ). De plus, le plaignant signale que le procès de M. Larose était continuellement remis et qu’il avait agi à titre de délateur et que M. Cossette est décédé 45 minutes après son contre-interrogatoire dans une collision frontale. Le journaliste a laissé un coaccusé et délateur le traiter de «super menteur » ajoute-il.
Le plaignant insiste sur le fait que «tout le monde et M. Morin » savent qu’il n’a jamais été président de l’Alternative cie d’assurance sur la vie.
Finalement, M. Gilbert lui a mentionné que M. Morin n’a jamais été reconnu coupable par le Conseil de presse. M. Charbonneau souligne qu’une simple recherche élémentaire prouve le contraire. « Comment voulez-vous qu’ils informent honnêtement le public lorsqu’ils ne peuvent même pas le faire sur eux-mêmes. »
Le plaignant mentionne qu’il a à la disponibilité du Conseil, cassettes juridiques, copie du dossier du délateur Larose ou Cossette au pénal ou de la culpabilité de M. Cossette avec le Bureau des services financiers ou les fausses déclarations assermentées de ces deux messieurs.
M. Charbonneau souhaite une décision sévère et exemplaire à l’égard de MM. Morin et Gilbert, de la part des membres du Conseil.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Marc Gilbert, directeur des nouvelles télévisées :
COMMENTAIRES À LA LETTRE DU 27 JUILLET 2003
M. Gilbert joint à cette lettre le reportage du 11 juin 2003.
M. Gilbert souligne que le plaignant avait communiqué avec lui en juin dernier. Il demandait à recevoir l’intégralité de toutes les entrevues faites dans le cadre de ce reportage. Le mis-en-cause a évidemment refusé cette requête. Il souligne que « les parties non diffusées des entrevues que réalisent leurs reporters sont considérées confidentielles au même titre par exemple que les carnets de notes d’un journaliste dans l’écrit ».
Il ajoute en dernier lieu qu’il ne comprend pas ce que M. Charbonneau reproche au reportage.
Commentaires de M. Guy Filion, adjoint au directeur général des programmes (SRC-RDI), Information-Télévision:
COMMENTAIRES À LA LETTRE DU 11 DÉCEMBRE 2003
M. Filion note que dans la plainte rédigée du 11 décembre, M. Charbonneau adresse trois reproches distincts à la Société Radio-Canada.
Avant de reprendre un à un ces griefs, M. Filion signale qu’il a visionné attentivement le reportage et qu’il a étudié longuement le dossier avec M. Morin. Il a annexé aux commentaires, une copie du reportage du 11 juin 2003, une copie du jugement du juge Carol Richer de la Cour du Québec qui a fait l’objet du reportage ainsi que des textes d’autres reportages à ce sujet diffusés antérieurement à leur antenne.
Un à un les griefs seront défendus :
Premièrement : « M. Morin aurait délibérément fait en sorte de camoufler au public le fait que MM. Cossette et Larose étaient aussi tous les deux poursuivis par la CVMQ ».
À ce premier point, M. Filion précise que le Service des nouvelles télévisées a été la première entreprise de presse à rendre public des informations au sujet de la compagnie d’assurance L’Alternative et du Groupe AVP (copie des textes des reportages en annexe). Le journaliste a été le premier à révéler les déboires financiers du Groupe AVP, distributeur exclusif des produits de la compagnie d’assurance L’Alternative, souligne-t-il. M. Filion tient à faire remarquer que plus de 440 petits investisseurs s’étaient aventurés dans cette affaire en y injectant plus de 10 millions de dollars.
Pour le mis-en-cause, contrairement à ce qu’affirme M. Charbonneau, la SRC n’a pas occulté le fait que la CVMQ avait déposé des poursuites contre MM. Cossette et Larose. Comme preuve, ajoute-il, le journaliste a réalisé un autre reportage dans ce dossier, le 19 juillet 2000, mettant en avant-plan MM. Cossette et Larose.
Par contre, précise-t-il, le reportage du 11 juin 2003 portait spécifiquement sur le jugement rendu ce jour-là par la Cour du Québec relatif à M. Charbonneau. MM. Cossette et Larose étaient des témoins dans ce procès, non pas des coaccusés. Le tribunal a reconnu la crédibilité du témoignage de Sylvain Larose. C’est la raison pour laquelle il a eu la parole dans le reportage. M. Cossette avait alors disparu suite à un accident d’automobile. M. Filion mentionne qu’ils n’ont pas boycotté l’accusé qui a accordé avec une certaine réticence une entrevue, dont une section a été insérée dans le reportage. M. Filion invite le Conseil à lire attentivement le jugement du juge Carol Richer qui blâme sévèrement M. Charbonneau et accorde une crédibilité certaine à MM. Cossette et Larose. Au paragraphe 44 du jugement, il est écrit : « Mais comme le Tribunal l’a déjà mentionné, le témoignage de Réjean Cossette, bien qu’il souffre de quelques lacunes, est soutenu à la fois par celui de Sylvain Larose, de ceux des investisseurs et par une preuve documentaire éloquente. » Et au paragraphe 45 : « Quant à Sylvain Larose, sa crédibilité n’est pas en jeu aux= yeux du Tribunal. Le Tribunal accepte sa version des faits sans réserve; d’ailleurs, il croyait tellement à ce qu’on lui disait qu’il a investi lui-même dans ces clubs de placements en plus de faire investir ses père, mère et frère(s). » Le mis-en-cause souligne qu’il croit que Sylvain Larose fait encore techniquement l’objet de poursuites de la part de la CVMQ, mais il ignore pour le moment ce qui adviendra de ces accusations. Pour M. Filion, le jugement du juge Richer accorde beaucoup de crédibilité à M. Larose et peu à M. Charbonneau.
Deuxièmement : « M. Morin et tout le monde sait qu’il n’a jamais été président de l’Alternative, cie d’assurance sur la vie ».
À ce deuxième point, M. Filion explique que dans les différents reportages diffusés avant le 11 juin 2003, ils ont identifié M. Charbonneau comme président de Groupe AVP et principal actionnaire de L’Alternative. De plus, M. Charbonneau fut à différentes époques président de Gestion L’Alternative Inc, un holding qui contrôlait la compagnie d’assurance L’Alternative. Gestion L’Alternative détenait 80 % des actions de la compagnie d’assurance. Au paragraphe 8 du jugement du juge Richer, il est mentionné que M. Charbonneau était propriétaire à 100 % des actions de Gestion L’Alternative Inc, ajoute M. Filion.
Il ne fait nul doute, pour le mis-en-cause, que dans ce dossier M. Charbonneau a toujours été considéré par tous les participants comme étant l’« homme orchestre » de la compagnie d’assurance L’Alternative en plus d’être président du Groupe AVP qui était le distributeur exclusif des produits d’assurances de la compagnie L’Alternative. Dans le jugement Richer au paragraphe 46 : « La preuve révèle que le défendeur était le promoteur de cette nouvelle compagnie d’assurances sur la vie, L’Alternative; ce dernier contrôlait Gestion L’Alternative Inc. de même que le Groupe AVP et AVP Assureurs-vie professionnels; c’est le défendeur qui a proposé aux courtiers Larose et Cossette le plan de financement qui a été détaillé; on créait un club de placements l’un après l’autre. »
Par contre souligne le mis-en-cause, la SRC admet une responsabilité journalistique pour deux « imprécisions » dans le reportage du 11 juin 2003. Pendant la présentation du reportage ainsi qu’en superposition à l’écran, M. Charbonneau a été identifié comme étant le président de la compagnie L’Alternative sur la vie. « Techniquement », cela était une erreur, admet-il. Le texte lu par M. Morin était par contre tout à fait exact et n’identifiait par M. Charbonneau comme président de la compagnie L’Alternative sur la vie. Il estime que M. Morin n’a pas commis d’erreur, mais que l’ensemble du Service des nouvelles télévisées prend la responsabilité de cette erreur « technique ». Les autres faits inclus dans ce reportage étaient rigoureusement exacts, affirme-t-il.
Troisièmement : « M. Morin n’a jamais été reconnu coupable par le Conseil de presse, une simple recherche élémentaire prouve le contraire ».
Sur ce point, à la connaissance du mis-en-cause, l’auteur de ces lignes, M. Marc Gilbert à l’époque directeur des nouvelles télévisées, n’avait pas encore été mis au courant de la décision du Conseil de presse relative au journaliste Michel Morin dans le dossier des Innus. Pour le mis-en-cause, il conclut que le Conseil a statué le 6 juin, mais qu’il a publié sa décision via CNW le 16 juin. Visiblement, mentionne-t-il, au moment d’écrire ses lignes, M. Gilbert n’avait pas reçu le jugement. Leurs services documentaires l’ont informé que le quotidien Le Devoir a publié un résumé de la décision du Conseil de presse le 29 juin.
En conclusion, le mis-en-cause estime que Radio-Canada a fait preuve de rigueur et de professionnalisme dans ce dossier qui s’est déroulé sur une période de quatre ans. Il considère que la parole a été donnée souvent à M. Charbonneau, et que tout au long des enquêtes, leurs informations étaient basées sur des faits. Il affirme qu’aucune personne n’a été boycottée et qu’ils n’ont pas cherché à inventer un bouc émissaire. Ils ont donné la parole aux investisseurs. Ils n’ont pas inventé les poursuites ni les condamnations dont a fait l’objet M. Charbonneau, ajoute-il.
Enfin, le mis-en-cause veut attirer l’attention des membres du Conseil sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une mince affaire sans conséquences pour plus de 440 personnes qui ont investi dans cette « aventure ». M. Filion fait remarquer que le plaignant a été condamné, le 11 juin 2003, sous 59 chefs d’accusation par le juge Carol Richer, tel qu’il a été démontré dans le reportage. Les conclusions du juge Richer sont sans équivoque, soutient-il.
Réplique du plaignant
M. Charbonneau accuse Radio-Canda d’avoir coupé au montage la seule déclaration qu’il a faite au journaliste, soit : « Je remercie mon avocat pour son excellent travail, ce n’est pas facile de défendre quelqu’un qui a tout le Québec contre lui, nous en appellerons de la décision. » Selon M. Charbonneau le sens de ses paroles a été changé, il considère que le journaliste a choisi l’angle spectaculaire, ce qui a donné un autre sens à ses propos. La phrase que le journaliste a retenue pour son reportage est «quelqu’un qui a tout le Québec contre lui ».
Le plaignant considère inacceptable que le journaliste ait laissé M. Larose le traiter de « super menteur ». Il constate que ce bout-là n’a pas été coupé au montage. Il estime que le journaliste était dans l’obligation de mentionner que M. Cossette était un accusé et décédé, que M. Larose était aussi un accusé et que la CVMQ remet sans cesse son procès.
M. Charbonneau déplore que M. Gilbert ne l’ait pas recontacté afin de reconnaître que M. Morin avait fait l’objet de plaintes devant le Conseil de presse.
M. Charbonneau désapprouve que le journaliste ait omis de souligner dans son reportage qu’il portait sa cause en appel. Selon lui, c’est le principe même du système judiciaire et de la libre expression. Il se plaint non pas d’avoir été reconnu coupable mais de voir l’information « non balancée et surtout dirigée avec mépris ». Et surtout de ne pas avoir dévoilé les antécédents judiciaires de MM. Cossette et Larose.
M. Charbonneau dénonce la direction qu’a donnée le journaliste au reportage. Il constate que rien n’a été corrigé de l’erreur commise lors de la présentation du reportage, qui l’identifiait comme « président de L’Alternative ». Et aucune rectification sur le fait qu’il y avait bel et bien des plaintes contre Michel Morin devant le Conseil de presse.
M. Charbonneau termine en soulignant qu’« ils (SRC) ne peuvent informer correctement le public puisqu’ils sont incapables d’informer le public correctement sur eux-mêmes alors comment peuvent-ils informer le public correctement sur autrui ».
Analyse
Les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entraves ni menaces ou représailles. L’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier, le choix de ce sujet et sa pertinence relèvent de leur jugement rédactionnel. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
Le reportage mis en cause relate une décision de la Cour du Québec opposant la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) à M. André Charbonneau. Ce dernier reproche au journaliste Michel Morin deux griefs.
Au premier point contesté, le plaignant reproche au journaliste d’avoir «délibérément » camouflé au public l’information selon laquelle MM. Cossette et Larose font l’objet de poursuites par la CMVQ. Le journaliste aurait par surcroît laissé M. Larose le traiter de «super menteur ».
Le jugement du juge Carol Richer qui fait l’objet du reportage ne traite que de la poursuite de la CVMQ contre M. Charbonneau et aucunement des présumés poursuites contre MM. Cossette et Larose. En étudiant attentivement le jugement, le Conseil constate que la Cour accueille sans réserves les témoignages de MM. Cossette et Larose. Dans ces circonstances, le Conseil ne s’interposant pas dans les décisions de Cour, considère que le journaliste n’était pas dans l’obligation de relater les antécédents judiciaires de ces deux hommes.
En ce qui concerne les attaques envers le plaignant lorsqu’il se fait traiter de «super menteur », elles ne peuvent être retenus contre le journaliste car ce n’est pas ce dernier qui les mentionnent mais M. Larose interrogé dans le cadre du reportage en cause.
Le mis-en-cause reconnaît que deux «imprécisions » se sont produites lors de la présentation du reportage, il y a eu juxtaposition d’une photo de M. Charbonneau et le présentateur l’a identifié comme président de L’Alternative. Par contre précise-t-il, dans le reportage de Michel Morin, il n’y a aucune mention du fait reproché.
Le Conseil prend en compte la reconnaissance des erreurs du Service des nouvelles et les retient comme étant des «imprécisions ». Le Conseil tient à faire remarquer que bien que M. Charbonneau n’ait jamais été identifié comme président de L’Alternative, par M. Morin, le jugement de la Cour atteste qu’il était le promoteur de cette compagnie d’assurances et qu’il en contrôlait directement la très grande majorité des actions.
Décision
Pour les motifs énumérés ci-haut, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du journaliste Michel Morin et de la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C17G Atteinte à l’image