Plaignant
M.
Marcel Piché
Mis en cause
Mme Brigitte Breton, éditorialiste, M.
Alain Dubuc, président et éditeur et le quotidien
Le Soleil
Résumé de la plainte
M. Marcel
Piché porte plainte à l’encontre du quotidien
Le Soleil au sujet d’un éditorial publié le 12 juillet 2003, sous
le titre «Les défis de Couillard»
. Le plaignant reproche à l’éditorialiste, Mme
Brigitte Breton, de faire de la «désinformation» concernant les
effectifs médicaux au Québec.
Griefs du plaignant
Plusieurs échanges de lettres ont eu lieu
entre M. Piché et le secrétaire général du Conseil de presse concernant la
liberté rédactionnelle dont jouissent les médias. À la suite de cet échange, le
plaignant porte plainte contre le quotidien Le
Soleil.
M. Piché s’interroge sur cette phrase qui
le laisse perplexe: «Les médias jouissent d’une liberté
rédactionnelle qui leur permet de disposer eux-mêmes et librement des sujets
d’actualité qu’ils traiteront. » Il s’explique mal pourquoi plusieurs journaux
adoptent à l’égard du sujet des effectifs médicaux la même politique du
silence. Selon lui, ça ne peut s’expliquer que par la concentration des organes
de presse comprenant les «ondes » dans quelques mains qui contrôlent ce
qu’elles perçoivent comme essentiel et indiscutable. Selon le plaignant, la
mission du Conseil de presse «devrait mentionner que la promotion de
l’information libre, exacte, complète et de qualité ainsi que la promotion du
droit du public à l’information sont soumises aux orientations des patrons de
presse. Bref, la liberté de presse n’existe pas à l’égard de certains sujets
sensibles».
Selon le plaignant, le but poursuivi par
les médias est de continuer à miner la crédibilité de la profession médicale. À
défaut de ne pouvoir atteindre le gouvernement qui ne répond pas et qui a
confié à la profession médicale le soin de disposer de cette question, les
assises de la profession médicale seront fragilisées à un point tel qu’elle
sera bâillonnée. Pour M. Piché, la profession médicale, à l’égard de la
planification des effectifs médicaux, fait de la désinformation en plus de
promouvoir une imposture et une supercherie.
M. Piché souligne que Mme Breton
«sait depuis longtemps que la vérité est différente de celle qu’elle
communique sur les effectifs médicaux ». Un éditorialiste engage le journal par
ses écrits et c’est pour cette raison que chaque journal identifie un
éditorialiste en chef. La présente plainte doit donc être aussi considérée
comme une plainte à l’égard du journal Le
Soleil qui approuve la désinformation que fait notamment Mme Breton. Le
plaignant propose au Conseil de faire enquête sur la désinformation à laquelle
se prêtent plusieurs journaux sur la même question. M. Piché a personnellement
fait sa propre enquête sur le sujet. Il précise qu’il ne s’agit pas de contrer
les décisions des patrons des médias mais plutôt d’exiger l’observance d’une
règle élémentaire d’éthique. M. Piché croit que le Conseil de presse exerce un
rôle essentiel.
Dans une lettre qu’il a fait parvenir à Mme
Breton, et qu’il a jointe à sa plainte, M. Piché signale une grave erreur de
faits et d’interprétation. Premièrement, il est faux de prétendre qu’il faudra
attendre de six à dix ans pour voir les effets de l’augmentation des admissions
en médecine. Selon le plaignant, depuis longtemps l’effectif médical du Québec
augmente au net (après avoir tenu compte des départs) de 134 nouveaux médecins
par année. Il précise qu’en 2002, il y a eu 804 nouveaux médecins au net qui
ont été rémunérés. En 2001, il y en a eu 670, de sorte qu’au cumulatif, il y a
eu 2 814 nouveaux médecins au net qu’il a fallu rémunérer entre 1997 et 2002.
C’est cette augmentation faramineuse qui a entraîné des coûts additionnels de
1.3 milliard en 2002 et augmentera au cours des prochaines années.
Deuxièmement, il ajoute que la profession
médicale a repris son discours sur la pénurie d’effectifs sachant très bien que
l’effectif était en augmentation.
Commentaires du mis en cause
De l’avis de M. Dubuc, la plainte de M.
Piché n’est pas recevable pour les points suivants:
–
premièrement, comme l’a expliqué le
Conseil de presse au plaignant, le désaccord d’un lecteur avec une position
éditoriale d’un quotidien ne peut constituer un motif valide de plainte;
–
deuxièmement, M. Piché reproche à Mme
Breton des inexactitudes factuelles qu’il qualifie de désinformation sur les
effectifs médicaux et leur croissance.
Selon le mis-en-cause, Mme Breton n’aborde
que très indirectement la question qui est au cœur des préoccupations du
plaignant. La seule allusion faite au
sujet des effectifs médicaux est la phrase suivante: «Des
dispositions ont été prises ces dernières années pour accroître le nombre
d’admissions dans les facultés de médecine et dans les collèges et universités
formant des infirmières. Dans le cas des médecins et des spécialistes, il
faudra attendre encore de cinq à dix ans pour compter sur ces nouveaux
effectifs. » M. Dubuc précise que Mme Breton dans ce constat factuellement
irréprochable, se limite à noter l’existence d’un délai entre le moment des admissions
et la formation d’un professionnel, et ne se prononce pas sur la question des
effectifs. M. Dubuc voit mal en quoi on peut reprocher à Mme
Breton de faire de la désinformation sur un
thème qu’elle n’aborde pas.
M. Dubuc note que de nombreux citoyens,
spécialistes et politiciens ne partagent pas le point de vue du plaignant, pour
qui il y a surabondance de médecins. C’est un enjeu, qui peut faire l’objet de
débats, d’interprétations et de désaccords, ajoute-t-il. De façon générale, et
même si cela ne s’applique pas à l’éditorial de Mme Breton, et donc à la
présente plainte, il semble évident à M. Dubuc qu’un quotidien pourrait estimer
que le nombre de médecins est insuffisant sans que l’on puisse l’accuser de
désinformation ou de manque d’éthique.
À la suite des échanges de M. Piché avec le
Conseil de presse, M. Dubuc souhaiterait que le Conseil dispose de mécanismes
de filtrage des plaintes plus puissants pour, entre autres, écarter des
dossiers comme celui de M. Piché dont le véritable grief à l’égard du journal
est qu’un éditorial du Soleil
n’épouse pas son point de vue et ne reprend pas ses croisades.
Réplique du plaignant
M. Piché mentionne qu’avant de déposer une
plainte auprès du Conseil, il a consulté la définition du ROBERT relativement à
la désinformation: «Utilisation des techniques de l’information,
notamment de l’information de masse, pour induire en erreur, cacher ou
travestir les faits. » Sur cette question des effectifs médicaux, ce n’est pas
la première fois, selon le plaignant, que Mme Breton «cachait et
travestissait les faits » qu’il lui avait communiqués. Selon lui, Mme Breton
n’ignore pas que l’augmentation en cours d’environ 134 nouveaux médecins au net
est supérieure à ce que produiront les récentes décisions sur les admissions en
médecine. Il ajoute que ces nouvelles décisions ne feront qu’ajouter à
l’augmentation en cours. Donc pourquoi, s’interroge-t-il, Mme Breton a-t-elle
caché cette information dans une phrase où elle ne traite que de la moitié de
la question.
Pour la gouverne de M. Dubuc, M. Piché
mentionne qu’il n’a jamais écrit qu’il y avait surabondance ou pénurie de
médecins. Il l’enjoint à lire attentivement l’analyse qu’il lui a fait
parvenir. Son propos, dit-il, s’est limité à faire des comparaisons notamment
avec l’Ontario et à allumer un voyant. Tous les chiffres cités sont vérifiables
y compris les impacts budgétaires. Par contre, selon lui, la profession
médicale affirme sans le démontrer qu’il y a pénurie. Et contrairement à M.
Dubuc, M. Piché prétend que les données factuelles et mathématiques qu’il
présente ne prêtent pas à interprétations et désaccords. Tout au plus, selon
lui, certains ajustements mineurs pourraient être apportés aux chiffres.
Analyse
L’éditorial et le commentaire constituent des tribunes d’opinions réservées à l’éditeur. Les sujets et les contenus des éditoriaux relèvent de la discrétion de l’éditeur qui est libre d’établir la politique du média en ces matières. Cependant, les éditorialistes et commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques.
M. Piché relève deux erreurs de faits et d’interprétation dans l’éditorial de Mme Breton. Le premier à l’effet qu’il y aurait pénurie d’effectifs médicaux, et le second, que le temps de formation de médecins et d’infirmières serait de six à dix ans.
En ce qui a trait à la pénurie d’effectifs médicaux, M. Piché soutient, d’après une analyse personnelle de l’Avis de la Table de concertation permanente sur la planification de l’effectif médical au Québec, qu’il n’y a pas pénurie et qu’au contraire l’effectif médical serait en augmentation. Selon lui, Mme Breton n’aurait traité que de la moitié de la question. Du côté du mis-en-cause, ce dernier mentionne que l’éditorialiste n’aborde que très indirectement la question de pénurie de médecins, qu’elle se limite à noter l’existence d’un délai entre le moment des admissions et la formation d’un professionnel et qu’elle ne se prononce pas sur la question des effectifs.
L’analyse personnelle de l’Avis par M. Piché, n’étant pas un document de source officielle, Mme Breton avait toute la latitude journalistique d’en tenir compte ou non. Mme Breton mentionne dans son article qu’il y a pénurie d’effectifs médicaux, mais comme ses propos représentent les conclusions émises par l’Avis de la Table de concertation, il n’y a pas lieu de retenir ce point.
De plus, le Conseil ne possède pas de pouvoir lui permettant d’enquêter sur l’exactitude des propos de M. Piché, de manière à départager les besoins ou les manques d’effectifs médicaux au Québec.
Le deuxième point relevé par le plaignant est à l’effet que la journaliste aurait donné une fausse information concernant la formation de médecins et d’infirmières. Après vérification, le Conseil considère que les données de l’éditorialiste, faisant état d’une période de formation évaluée entre cinq et dix ans, résistent à l’analyse.
Décision
Considérant les éléments ci-haut énoncés, le Conseil de presse rejette sur le fond la plainte formulée à l’encontre de 1a journaliste Brigitte Breton et du quotidien Le Soleil.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète