Plaignant
M. Yvan Cliche
Mis en cause
M. Mustapha Chelfi, directeur et l
e mensuel Alfa
Résumé de la plainte
M. Cliche porte plainte contre le journal
mensuel Alfa à propos de la
publication dans l’édition de septembre 2003, d’une lettre intitulée
«Racisme, vous avez dit racisme?». Il reproche au directeur de
publication, Mustapha Chelfi, d’avoir autorisé la parution de ce texte, qu’il
juge raciste à l’égard des Québécois de souche.
Griefs du plaignant
M. Cliche porte plainte contre le journal
Alfa pour avoir publié une lettre de M.
Cherif Ghalizane, un immigrant maghrébin qui, ayant tenté de s’établir à
Montréal, a finalement opté pour la Floride, considérant que les Québécois
étaient xénophobes.
Le plaignant estime que cette lettre est
clairement à connotation raciste. Il reproche donc au journal de l’avoir
publiée puisque, selon lui, celui-ci devrait contribuer plutôt à des débats
sains et harmonieux sur des problématiques d’intégration des communautés
immigrantes au Québec. Il soutient enfin que le journal n’aurait jamais dû
publier un texte au ton et au contenu aussi condamnables.
Commentaires du mis en cause
Commentaires
de Mustapha Chelfi, directeur de publication:
M. Chelfi commence par replacer la
publication de cette lettre dans son contexte. En effet, il affirme que le
journal Alfa a consacré un dossier
intitulé «Un chemin dans la société d’accueil», en septembre 2003,
comprenant trois articles et une lettre de lecteur. Selon le mis-en-cause, le
dossier se voulait globalement optimiste et positif: «Des
immigrants qui démarrent à partir de zéro peuvent refaire le chemin perdu et
améliorer la situation qu’ils avaient perdue dans leur pays d’origine.»
Deux articles étaient consacrés à des femmes qui, à force de volonté, d’ingéniosité
et de savoir-faire, avaient réussi dans des domaines qui, initialement,
n’étaient pas les leurs.
Et pour justifier la publication de la
lettre de M. Cherif Ghalizane, le mis-en-cause prétend qu’en tant
qu’«observateur attentif de sa communauté», il a pu
constater que de nombreux immigrants,
pourtant arrivés au Québec depuis des années, n’arrivaient pas à se trouver du
travail, notamment à cause du racisme. C’est seulement pour rendre compte de
cette réalité que M. Chelfi affirme avoir décidé de publier cette lettre.
Il estime que M. Cliche a isolé une partie
de l’ensemble,«passant tout un travail par perte et profit pour ne
se concentrer que sur la seule lettre, la citant hors contexte et mal à
propos». Selon lui, le plaignant
a fait une exploitation outrancière de la lettre de M. Ghalizane,
évitant ainsi le débat qu’une question de cette importance appelait. Il suppose
que le paragraphe qui aurait touché plus particulièrement le plaignant est
celui mettant en jeu anglophones et francophones.
En outre, le mis-en-cause soutient qu’après
avoir envoyé une réponse au journal, M. Cliche a changé d’avis le jour même, a
saisi le Conseil de presse, et que sans attendre son avis sur la question, il a
envoyé des courriels à tous les annonceurs du journal, leur demandant de
retirer leur publicité à défaut de quoi, il porterait l’affaire devant leurs
supérieurs. Selon le mis-en-cause, le plaignant aurait même tenté une
exploitation politique, saisissant politiciens, députés, avocats, pratiquant
battage et amalgame pour dévaloriser le journal.
Enfin, M. Chelfi précise que
Alfa, qui existe depuis six ans, n’a
traité de racisme qu’à deux reprises. La première fois, il s’agissait d’un
courrier de M. Roger Malouin. Il dit avoir publié cette «charge
raciste» sur deux numéros sans répondre personnellement. Le débat se
serait circonscrit à l’intérieur des pages du journal, étant donné que des
lecteurs avaient répondu à M.Malouin à travers les pages du journal. Le
mis-en-cause prétend que c’est la même philosophie de débat qui l’a conduit,
dans les mêmes formes et selon la même procédure, à publier la lettre de M.
Ghalizane.
Réplique du plaignant
M. Cliche déclare qu’il ne conteste pas que
certains écrits publiés par Alfa usent parfois d’un langage approprié au
travail d’information, ni même que des immigrants éprouvent de la difficulté à
se faire une place sur le marché du travail québécois. Il précise alors être
marié à une femme maghrébine et être membre de la Commission interculturelle de
la Ville de Montréal, ce qui lui permet d’être au fait de ces réalités.
Par contre, il dit contester vigoureusement
la forme et le ton utilisés pour faire passer ce message. Tout d’abord, il
reproche le racisme utilisé par M. Ghalizane pour justifier sa frustration.
Selon M.Cliche, ce racisme n’a pas sa place d’autant que l’Histoire a
prouvé amplement son caractère potentiellement négatif sur les rapports
communautaires. «Ce type de commentaires obstrue l’écoute et radicalise
le débat», estime-t-il.
Puis, il s’indigne du fait que le directeur
n’ait pas usé de son jugement rédactionnel et de son bon sens pour refuser la
publication de la lettre. Il considère, d’ailleurs, que ce texte très mal écrit
aurait mérité, au moment de la publication, d’être amputé des paragraphes insultants
à l’égard de la communauté québécoise francophone.
Il soutient ne pas comprendre pourquoi M.
Chelfi lui reproche d’avoir cité la lettre hors contexte puisque, selon lui,
tout le propos de l’auteur de la lettre est une charge démesurée et gonflée
d’orgueil. Il estime que même si les Québécois de souche forment la majorité au
Québec, ils constituent une communauté de culture qui a droit au même respect
que celui que les communautés immigrantes exigent des autres.
Enfin, il justifie ses démarches auprès des
publicitaires et représentants politiques en affirmant qu’elles sont le reflet
de son indignation face à «l’insulte» faite aux Québécois
francophones. Il se dit convaincu que le débat sur les immigrants n’est servi
d’aucune manière par la publication de tels propos dégradants, mais qu’au
contraire ils «défont les ponts que des âmes bien intentionnées tentent
de bâtir entre la communauté majoritaire et les immigrants».
Analyse
Les médias et les professionnels de l’information doivent encourager la libre circulation des idées et l’expression du plus grand nombre de points de vue, soit en publiant les lettres des lecteurs, des documents, des communiqués, des opinions, des études, des sondages ou des analyses, soit en réservant au public des périodes sur les ondes. De tels espaces ou temps d’antenne favorisent le débat démocratique et diversifient l’information.
M. Cliche reproche au journal Alfa d’avoir publié une lettre à connotation raciste à l’égard des Québécois francophones. Après analyse, le Conseil a constaté que la lettre mise en cause fait partie d’un dossier d’ensemble consacré à l’intégration des maghrébins dans la société québécoise, vue sous l’angle du travail. Ce dossier qui se voulait globalement positif se trouve contrebalancé par la publication de cette lettre, pour le moins, négative. En ce sens, le journal a favorisé l’expression de tous les points de vue et a ainsi œuvré pour un traitement complet du dossier.
En outre, le directeur d’Alfa, dans le numéro suivant, a donné sa position quant à la publication de cette lettre, expliquant qu’il souhaitait ainsi susciter des réactions et favoriser le débat démocratique au sein de ses pages. C’est dans cet esprit qu’il a publié les courriels de M.Cliche, outré par la publication de cette lettre. Il répond, dans la même page, qu’il considérait que les propos de M. Ghalizane se retournaient contre lui et qu’il ne voyait donc pas la nécessité de faire une contre-argumentation.
Décision
En raison de ces considérations, le Conseil rejette la plainte de M. Cliche à l’encontre de M. Mustapha Chelfi et du mensuel Alfa, sur la base de la libre circulation des idées et de la promotion du débat démocratique.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes