Plaignant
M. Martin Fréchette
Mis en cause
Mme Denise Bombardier, journaliste « Le
Point », M. Jacques Auger, directeur, Nouvelles télévisées – Information et la
Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
M. Martin Fréchette porte plainte contre la
Société Radio-Canada (
SRC) et contre sa journaliste Denise
Bombardier pour manquement à l’éthique lors de l’émission «Le Point » du
16 septembre 2003. Au cours de cette émission portant sur le mariage de
conjoints et conjointes de même sexe, la confrontation de Mme Bombardier avec
son invité, M. Louis Godbout, n’a pas répondu aux normes généralement acceptées
par les journalistes, normes qu’on retrouve dans le guide déontologique du
Conseil sous le titre «Les droits et responsabilités de la presse ». Une
plainte identique, provenant de Mme Irène Demczuk, a également été déposée au
Conseil de presse.
Griefs du plaignant
M. Martin Fréchette estime qu’au cours de
l’émission «Le Point » du 16 septembre 2003, la journaliste Denise
Bombardier s’est rendue coupable de manquement à l’éthique journalistique.
Durant l’émission qui portait sur le mariage de conjoints et conjointes de même
sexe, l’échange entre Mme Bombardier et son invité, M. Louis Godbout, est allé
au-delà des normes reconnues. Le plaignant distingue alors deux motifs de
plainte.
Premier motif : manque d’impartialité et
d’objectivité. Selon M. Fréchette, l’entrevue ne répondait pas aux règles
d’impartialité et de pondération de l’information. Le plaignant estime qu’il y
a eu confusion des genres journalistiques. Il lui apparaît contraire aux règles
habituelles du journalisme que, lors d’une entrevue, l’interviewer soit à la
fois la personne qui mène la confrontation et exprime des opinions
personnelles, et en même temps celle qui mène le débat. Un principe veut que
l’on ne soit pas à la fois juge et partie, principe ignoré lors de
l’entrevue.
Le plaignant explique alors que deux
scénarios sont généralement admis : soit que l’interviewer pose des questions
sans indiquer ses préférences et qu’il amène son invité à répondre à ses
questions; soit que l’interviewer mène un débat contradictoire avec des invités
et leur permette à tour de rôle d’exprimer leur opinion.
Selon lui, ce n’est pas ce qui s’est passé.
Durant l’émission en question, Mme Bombardier «lance une attaque à fond
de train, prend ouvertement position contre le mariage homosexuel et exprime
ses opinions personnelles. Elle n’a pas permis qu’un rapport équilibré soit
établi entre les deux thèses, donnant préséance à la sienne».
Deuxième motif : une entrevue basée sur des
faits non vérifiables. Selon le plaignant, à plusieurs reprises, l’animatrice
fonde son entrevue et confronte son invité avec des faits non vérifiables. Par
exemple, Mme Bombardier soumet que beaucoup de personnes homosexuelles sont
contre le mariage entre conjoints de même sexe, mais qu’elles ne peuvent
s’exprimer car elles subiraient les foudres de la communauté. Or, il est
impossible de vérifier ces affirmations.
Le plaignant explique que de tels propos
ont souvent été rapportés dans des journaux sans que leurs auteurs n’aient eu à
subir de torts ou de représailles. Et si quelques personnes de l’entourage de
Mme Bombardier n’étaient pas d’accord avec le mariage homosexuel, il fallait
que l’animatrice les invite à exprimer leur point de vue. Et pour faire valoir
le point de vue de ses proches, Mme Bombardier aurait dû procéder autrement et
avec plus de pondération.
En agissant ainsi, Mme Bombardier se
faisait, sans en avoir reçu le mandat, la porte-parole des communautés gaie et
lesbienne et ce, tout en s’en prenant simultanément à ces communautés. En
procédant ainsi, Mme Bombardier induisait des données non vérifiées et non
vérifiables dans un débat, et cherchait à lui donner la direction qui favorisait
son point de vue. Elle prenait à témoin des personnes fictives sans que l’on
connaisse véritablement leurs opinions ou leurs motifs.
La SRC
et l’émission «Le Point » ont pour leur part manqué à leurs devoirs de
diffuseurs en permettant que l’émission se déroule selon ce format.
Au soutien de ses prétentions, le plaignant
joint deux articles de journaux : l’un de la journaliste Rima Elkouri, paru
dans La Presse du 18 septembre 2003
et l’autre du chroniqueur Franco Nuovo, paru le même jour dans
Le Journal de Montréal.
Le plaignant ajoute que le Syndicat des
communications de Radio-Canada a
dénoncé par voie de communiqué cette entrevue de Mme Bombardier, reprochant «
les parti pris homophobes affichés dans ce débat ».
Une plainte identique, copie conforme de la
première et reçue 5 jours plus tard au Conseil, est également déposée et signée
par Mme Irène Demczuk.
Commentaires du mis en cause
M. Jacques Auger répond qu’après réflexion,
la direction des Nouvelles télévisées de la SRC a décidé que la formule des
entrevues polémistes comme celle du 16 septembre diffusée dans le cadre de
l’émission Le «Téléjournal/Le Point » ne reviendra pas à l’antenne. Il
ajoute que cette décision de programmation s’inscrit dans le contexte plus
général des ajustements apportés à l’émission et est fondée sur une évaluation
des contenus. Le représentant des mis-en-cause affirme que l’émission Le
«Téléjournal/Le Point » a toujours l’intention, comme par le passé, de
présenter à son antenne des débats essentiels sur des enjeux de société
importants, mais que ceux-ci seront dorénavant menés par le personnel
d’animateurs réguliers du «Téléjournal/Le Point ».
Le directeur des Nouvelles télévisées
précise que cette décision ne remet nullement en cause la compétence de Mme
Denise Bombardier qui collabore avec la Société Radio-Canada depuis de
nombreuses années à titre de productrice et de journaliste reconnue.
M. Auger termine en rappelant que « la
rencontre Bombardier – Godbout du 16 septembre a été commentée largement par de
nombreux médias ». Il explique que la décision de programmation qu’il vient de
communiquer a également été publiée dans certains journaux. La direction des
Nouvelles télévisées considère donc que cette « affaire est maintenant derrière
elle » et M. Auger invite le Conseil de presse à prendre note de cette
décision.
Réplique du plaignant
M. Fréchette indique qu’il ne fera pas de
commentaires sur la réponse de M. Jacques Auger. Il ajoute qu’il maintient sa
plainte contre les deux mis-en-cause car le traitement journalistique de cette
entrevue n’a pas respecté les règles admises.
Analyse
En formulant la présente décision, le Conseil de presse a pris en compte qu’il s’agissait d’un nouveau format d’émission mis en ondes par la Société Radio-Canada (SRC).
L’examen du segment de l’émission « Le Téléjournal/Le Point » visé par la plainte révèle en effet un problème découlant de la formule de l’émission qui obligeait la journaliste Denise Bombardier à jouer en même temps la double fonction d’animatrice et de participante.
Ce faisant, la journaliste était placée en situation de pratiquer alternativement, quand ce n’est pas simultanément, du journalisme d’information et tout simplement de l’opinion.
Or, la déontologie du Conseil de presse régissant les pratiques journalistiques au Québec indique que les médias et les journalistes doivent respecter les distinctions qui s’imposent entre les différents genres journalistiques. De plus, ces genres journalistiques doivent être facilement identifiables afin que le public ne soit pas induit en erreur sur la nature de l’information qu’il croit recevoir.
La portion de l’émission « Le Téléjournal/Le Point » dénoncée par le plaignant présentait des écarts importants sur le plan du genre journalistique avec la section affaires publiques du «Point» dans laquelle elle était insérée.
Le plaignant dénonçait le caractère de partialité et le manque de pondération présents lors de ce débat. Tout en considérant que l’émission présentait des failles sur ces aspects, le Conseil a estimé qu’elles découlaient davantage de la formule boiteuse de l’émission que du comportement de l’animatrice.
Il en va de même des griefs contre des affirmations reposant sur des faits non vérifiables. Le Conseil a estimé que l’utilisation de tels arguments dans un contexte d’information aurait été inacceptable alors que cette utilisation devenait tout au plus discutable dans un contexte de débat d’opinion.
Au-delà, donc, de l’incompatibilité de la double fonction assumée par la journaliste, le Conseil de presse déplore que la Société Radio-Canada ait mis en ondes une portion d’émission qui ne répondait pas aux normes déontologiques.
Décision
Le Conseil retient conséquemment la présente plainte contre Radio-Canada, tout en appréciant le fait qu’à la suite de la diffusion de l’émission, la direction de la SRC a pris les moyens pour remédier à la situation en retirant définitivement la formule des ondes.
Analyse de la décision
- C13A Partialité
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C20A Identification/confusion des genres