Plaignant
M. Gaston Turcotte
Mis en cause
M. Jean-François Néron, journaliste, M. Pierre-Paul Noreau, chef des nouvelles, M. Yves Bellefleur, vice-président Information et rédacteur en chef et le quotidien Le Soleil
Résumé de la plainte
M. Gaston Turcotte porte plainte à l’encontre du journaliste Jean-François Néron, du quotidien Le Soleil concernant un manque flagrant d’éthique professionnelle, une cueillette de l’information douteuse, un manque de rigueur dans la démarche journalistique et une dramatisation de l’information, dans un article du 20 octobre 2003, et d’un rectificatif de la nouvelle ridicule et irrespectueux dans un autre article du 21 octobre 2003.
Griefs du plaignant
M. Turcotte amorce sa lettre de plainte en précisant qu’il a tenu compte des paramètres suggérés sur le site Internet du Conseil de presse pour rédiger sa plainte et, tient-il à préciser, une partie de cette lettre raconte l’émotion qu’il a vécue, comme parent, en lisant
l’article du journal.
Le plaignant repose sa plainte sur les griefs suivants: manque flagrant d’éthique professionnelle, cueillette douteuse de l’information, manque de rigueur dans la recherche journalistique, inexactitude «dramatique » de l’information et rectification ridicule et irrespectueuse. Il reprend un à un ces griefs.
Tout d’abord, il relate les faits de la journée du 20 octobre 2003. Le matin vers 7 heures, à la lecture du journal, M. Turcotte et son épouse, à leur grande surprise, voient à la une que «six rafteurs de l’équipe nationale sont portés disparus ». En émoi, ils lisent l’article et apprennent que leur fils et ses coéquipiers, tous membres de l’équipe nationale, sont portés disparus. Le plaignant et son épouse ne peuvent le croire et pense que la Sûreté du Québec les aurait avisés s’il était arrivé quelque chose. M. Turcotte téléphone chez son fils pour apprendre avec soulagement que ni lui ni ses coéquipiers n’étaient sur la rivière et que la mésaventure était attribuée à une autre équipe.
De ce fait, le plaignant énumère donc les manquements du journaliste Jean-François Néron, dans la rédaction de son article.
1.Errement dans la recherche et cueillette d’informations :
– la mésaventure est arrivée à une autre équipe de rafteurs de haut calibre et non pas à l’équipe nationale qui représente le Canada lors des compétitions internationales, et de plus, impossible de confondre puisque c’est cette même équipe qui est championne canadienne depuis les cinq dernières années. M. Turcotte se demande où le journaliste a pris ses informations puisque la SQ ne les a pas dévoilées selon Le Journal de Québec, publié le même matin.
2. Manque de rigueur dans la recherche et la rédaction :
– le journalisteitre son article par «Six rafteurs… » et écrit leurs noms, dont trois,
identifiés par le journaliste, n’étaient pas dans la région de Québec au cours de ce week-end.
3. Manque d’éthique professionnelle :
– pour le plaignant, il est reconnu que les noms des victimes ou des personnes disparues ne doivent pas être dévoilés avant que les familles en soient avisées; ce que Le Journal de Québec a respecté à l’égard des membres de l’autre équipe.
4. Une rectification ridicule et irrespectueuse :
– le lendemain de l’article, soit le 21 octobre, le journaliste écrit: «À noter que les noms des membres de l’équipe de rafting mentionnés dans l’article paru dans l’édition d’hier du Soleil n’ont rien à voir avec les personnes impliquées dans la présente aventure». Pour le plaignant, c’est du «je m’en foutisse pur et simple ». Le journaliste ne fait aucune allusion à ses erreurs, au contraire, la structure de la phrase laisse croire à l’erreur d’un tiers. Aucune allusion au traumatisme émotionnel que ses écrits ont provoqué.
M. Turcotte décide de contacter le journal, trop fâché pour parler au journaliste, il parle au chef des nouvelles, Pierre-Paul Noreau. Les qualificatifs employés pour dénoncer l’attitude du journaliste ne plaisent pas à M. Noreau. Le plaignant souligne que quoique choqué, il a maintenu un langage correct dans les circonstances. M. Noreau le menace de couper court à la conversation, le plaignant en déduit donc qu’il se fout des lecteurs. M. Turcotte tient à rappeler qu’ils ne sont pas que des lecteurs mais aussi des clients et que s’ils n’achètent plus le journal, il n’y a donc plus de clients, plus de publicités, donc plus de journal.
En terminant, M. Turcotte rappelle que ce lundi 20 octobre fut pénible pour lui et son épouse. Et c’est avec soulagement qu’ils ont appris que la nouvelle était fausse et surtout que les rafteurs qui étaient sur la rivière sont revenus indemnes.
Le plaignant précise qu’il connaît les dangers de ce sport et le professionnalisme, la rigueur que mettent ces athlètes à la préparation de leur activité; mais malgré cela, la mèche émotive est courte lorsqu’il s’agit des nôtres peu importe l’âge, conclut-il.
Commentaires du mis en cause
Après avoir fait l’énumération des griefs exprimés par le plaignant, M. Bellefleur en conclut que ce que M. Turcotte reproche principalement au journaliste du Soleil c’est d’avoir mis de mauvais noms sur les rafteurs portés manquants ou en difficulté sur la rivière Jacques-Cartier – ce qui, reconnaît-il, a évidemment causé de vives émotions au
père – et de ne pas s’être excusé correctement.
Puis, M. Bellefleur relate le fil des événements :
Dimanche 19 octobre 2003, vers 23 heures, une nouvelle voulant que six rafteurs soient portés disparus à la suite d’une expédition sur la rivière Jacques-Cartier, amène le journaliste à contacter la seule source d’information disponible à cette heure-là, la police.
-C’est M. Gérard Carrier, responsable des relations publiques à la SQ qui a affirmé au journaliste Jean-François Néron que «l’équipe nationale de rafting du Canada » était en difficulté. En tenant pour acquis que le policier disait vrai, le journaliste s’est débrouillé, malgré l’heure tardive, pour trouver les noms des membres de cette équipe.
-Or, ce que la police n’a pas dit ou ignorait, souligne le mis-en-cause, c’est qu’il y a au pays, en plus de l’équipe nationale du Canada, plusieurs équipes de rafting de haut niveau, dont l’une d’elles était justement sur la rivière Jacques-Cartier. Selon M. Bellefleur, la déclaration du porte-parole de la SQ a donc mis le journaliste sur une mauvaise piste, ce qui a entraîné la publication de noms de rafteurs qui n’étaient pas impliqués dans l’incident en
question.
M. Bellefleur précise qu’il n’est pas de leur intention de minimiser leur responsabilité dans cette affaire. Il reconnaît qu’une erreur regrettable a été commise et qu’il l’attribue principalement à la SQ, mais aussi au peu de temps à la disposition du journaliste en raison de l’heure de tombée, pour faire les vérifications et des recherches plus poussées.
Mais contrairement à ce qu’affirme M. Turcotte, le mis-en-cause soutient que la cueillette d’information s’est faite selon les règles; qu’ils n’ont pas manqué volontairement de rigueur, ni d’éthique professionnelle, pas plus qu’ils n’ont versé dans le sensationnalisme: quand la SQ affirme que c’est «l’équipe nationale » qui est en cause, nous n’avons pas raison de douter de ses informations.
Selon le mis-en-cause, si le journaliste avait simplement parlé de «l’équipe nationale canadienne » sans nommer qui que ce soit, auraient-ils été moins fautifs? Sûrement pas, ajoute-il. M. Bellefleur précise que jamais ils n’ont parlé des rafteurs portés manquants comme des «victimes ».
Par contre, le mis-en-cause convient que le rectificatif paru au lendemain de l’article était nettement insuffisant. Il reconnaît que Le Soleil aurait dû s’excuser de sa bévue en bonne et due forme auprès des rafteurs, de leurs familles et des lecteurs et expliquer les raisons qui les avaient poussé à publier ces fausses informations. Il précise que des directives claires ont d’ailleurs été émises depuis lors en ce qui concerne les rectificatifs et mises au point. Il se dit navré que des parents aient été affectés par ces informations erronées.
En ce qui a trait au chef des nouvelles, Pierre-Paul Noreau, il n’a pas été arrogant envers M. Turcotte. Furieux, le plaignant aurait haussé le ton et utilisé un langage peu flatteur envers Le Soleil. M. Noreau l’a invité à changer de ton, à défaut de quoi il se verrait dans l’obligation de mettre un terme à la conversation. M. Noreau s’est excusé de l’erreur à au moins trois reprises auprès de M. Turcotte.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a pas fait parvenir de réplique.
Analyse
Les drames humains et les faits divers qui relèvent de la vie privée sont des sujets particulièrement délicats à traiter à cause de leur caractère pénible tant pour les victimes que pour leurs proches et, souvent, pour le public. Dans ce contexte, il est primordial de ne révéler l’identité des personnes que lorsque cette identification est d’un intérêt public certain, voire incontournable.
M. Gaston Turcotte reproche au journaliste d’avoir erré dans sa recherche d’information, d’avoir dévoilé les noms des rafteurs «portés disparus», d’avoir fait une rectification ridicule et irrespectueuse envers les victimes et la famille, tout en déplorant l’arrogance du chef des nouvelles.
Le plaignant reproche au journaliste d’avoir erré dans sa collecte d’informations lorsqu’il a dévoilé les noms des rafteurs portés manquants lors d’une excursion sur la rivière Jacques-Cartier, alors que la Sûreté du Québec n’avait pas avisé la famille. Le mis-en-cause rétorque que la seule source disponible à ce moment était la police, qui a mis le journaliste sur une mauvaise piste et le peu de temps disponible à ce dernier, pour faire des vérifications plus approfondies, avant l’heure de tombée.
Le Conseil ne répétera pas assez que la question de l’identification des personnes reste délicate, voire épineuse pour les professionnels de l’information. Et la règle qui s’impose est de ne révéler l’identité des personnes que lorsque cette identification est d’un intérêt public certain, voire incontournable. Dans ce cas-ci, le mis-en-cause semble imputer la faute à la SQ et au manque de temps avant l’heure de tombée. Les médias sont responsables de tout ce qu’ils publient, rappelle le Conseil et ne doivent en aucun temps se soustraire aux standards professionnels de l’activité journalistique sous prétexte de difficultés administratives, de contraintes de temps ou d’autres raisons similaires. Le Soleil est donc fautif sur cet aspect. Le Conseil invite les médias à la prudence dans semblable cas par le recours systématique à une seconde source pour valider ses informations.
Au sujet de la rectification qui a suivi, au lendemain de l’article, il est de rigueur de souligner que les rétractations et les rectifications doivent être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Les médias doivent consacrer aux rectifications une forme, un espace et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses. Le Conseil prend toutefois bonne note du fait, que la direction du Soleil a émis des directives claires depuis cet incident en ce qui concerne les rectificatifs.
Finalement, au point dénoncé par le plaignant à l’effet que le chef des nouvelles M. Pierre-Paul Noreau aurait eu une attitude arrogante envers lui, le mis-en-cause souligne tout à fait le contraire. Le Conseil ne saurait trancher ici sans faire un procès d’intention au mis-en-cause. Néanmoins, concernant les règles de bienséance, le Conseil tient à rappeler qu’il est de la responsabilité des médias d’être courtois et ouverts envers leurs lecteurs.
Décision
Considérant les éléments ci-haut énoncés, le Conseil de presse retient la plainte à l’encontre du journaliste Jean-François Néron et de la direction du Soleil.
Analyse de la décision
- C02B Moment de publication/diffusion
- C15A Manque de rigueur
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C19B Rectification insatisfaisante