Plaignant
M. Pierre Auger
Mis en cause
M. Yvon Laprade, journaliste, M. Dany
Doucet, rédacteur en chef et directeur de l’information,
Mme Marie-Agnès Thellier, directrice
section Affaires et le quotidien Le
Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. Auger porte plainte contre
Le Journal de Montréal, à propos d’un
article d’Yvon Laprade, paru le 22 novembre 2003, intitulé «L’usine
Camco, dans l’est de Montréal, sous pression à cause de la force du
huard».Il accuse le journaliste d’avoir rendu de façon biaisée et
inexacte les faits concernant l’usine Camco et d’avoir laissé entendre qu’il
rapportait des propos tenus lors d’une conférence à laquelle il n’avait pas
assisté.
Griefs du plaignant
M. Auger estime que dans son article, M.
Laprade a rendu de façon biaisée et inexacte les faits concernant l’usine CAMCO
de Montréal et a laissé entendre qu’il rapportait des propos tenus lors d’une
conférence de presse à laquelle il n’aurait pas assisté.
Il considère que des manquements en regard
de l’exactitude, de la rigueur et de l’impartialité de l’information ont été
commis.
Il joint à sa plainte des mises au point
qui auraient été diffusées par l’employeur et le syndicat à la suite de la
publication de l’article mis en cause. Il affirme que la lecture de ces
documents devrait suffire pour la compréhension des faits reprochés à M.
Laprade.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Dany Doucet, rédacteur
en chef et directeur de l’information et de Mme Marie-Agnès Thellier,
directrice aux Affaires:
Les mis-en-cause distinguent deux parties
dans leur argumentation: l’une concernant le premier grief évoqué par le
plaignant, portant sur le traitement biaisé et inexact des faits à propos de
l’usine Camco à Montréal; et la seconde sur le deuxième volet de la plainte,
sur le fait que M. Laprade aurait laissé entendre qu’il rapportait les propos
tenus lors d’une conférence de presse à laquelle il n’aurait pas assisté.
Les mis-en-cause reconnaissent que leur
journaliste aurait dû écrire que les propos du PDG de Camco ont été recueillis
à l’occasion de sa venue à Montréal pour participer à la conférence de presse
convoquée par Emploi-Québec, mais ils considèrent que «cette erreur n’a
pas porté préjudice au droit du public à l’information».
En ce qui a trait à l’erreur faite par M.
Laprade, elle aurait, selon les mis-en-cause, été faite de bonne foi et ne
portait aucun préjudice au droit du public à l’information.
Les mis-en-cause expose les faits comme ils
se sont produits. Ils affirment qu’à l’occasion d’une entente avec
Emploi-Québec, le vendredi 21 novembre 2003, le président et chef de la
direction de Camco, James Fleck, s’est rendu disponible, dans les jours qui
précédaient la conférence de presse, pour des entrevues en profondeur sur l’avenir
de l’usine montréalaise, à la condition que l’information ne soit pas diffusée
avant la tenue de la conférence de presse, à laquelle le ministre Claude
Béchard devait participer.
La possibilité d’une entrevue en profondeur
leur a paru fort intéressante car, un mois auparavant, le 17 octobre 2003,
Camco avait annoncé d’une part, la fermeture d’une usine d’Hamilton (Ontario)
et d’autre part, un investissement de 14,9 millions de dollars à l’usine de
Montréal, ainsi que l’obtention d’une subvention de 5 millions de dollars
d’Investissement Québec, conditionnelle au maintien d’un minimum de 800 emplois
d’ici 2010.
Les mis-en-cause affirment que le
journaliste qui, ces dernières années, a le plus suivi le dossier de Camco pour
Le Journal de Montréal, est Yvon Laprade. Comme celui-ci ne pouvait assister à
la conférence de presse le vendredi, ne travaillant pas ce jour-là, il lui a
donc été demandé d’interviewer en avance le PDG de Camco et de fournir le jeudi
soir un texte destiné pour la parution du samedi.
Ainsi, pour les mis-en-cause, même si les
propos du PDG ont été erronément reliés à la tenue d’une conférence de presse,
la publication de l’entrevue n’a pas nui au droit du public à l’information,
«bien au contraire». Après vérification dans Euréka, aucun grand
média imprimé, excepté Le Journal de Montréal, n’aurait profité de la présence
à Montréal du PDG de Camco pour faire le point sur l’avenir de l’usine
montréalaise, de même qu’aucun quotidien montréalais n’aurait couvert cette
annonce faite par le ministre Béchard, alors que Le Journal de Montréal y a
envoyé un photographe de presse.
Ils prétendent, enfin, que l’investissement
d’Emploi-Québec dans la formation des travailleurs de Camco était connu et
qu’aucun média n’a, par ailleurs, l’obligation de couvrir une conférence de
presse, ni de titrer sur l’objet officiel de cette conférence.
En ce qui concerne la couverture faite par
le journaliste, les mis-en-cause estiment qu’elle n’est ni biaisée ni inexacte.
Ils répondent qu’Yvon Laprade remettait dans
son contexte industriel et économique le versement à Camco d’une subvention par
Emploi-Québec. Selon eux, les propos des dirigeants de Camco rappelaient le
contexte de mondialisation, où les entreprises nord-amÉricaines sont
confrontées à la nécessité d’accroître leur productivité et de composer avec
une forte et rapide remontée du dollar canadien, qui nuit aux exportations des
manufacturiers canadiens.
Sur le fond et la forme, les mis-en-cause
estiment que les propos du président de Camco, James Fleck, et du
vice-président aux opérations, René Lecours, ont été bien rapportés par leur
journaliste. D’après eux, seule une imprécision resterait à déplorer, d’autant
qu’elle a été reprise en surtitre de l’article: l’usine Camco n’est pas
la seule usine de fabrication de sécheuses en Amérique du Nord, mais plutôt la
seule usine de fabrication de sécheuses du groupe General Electric en Amérique
du Nord.
Par ailleurs, ils considèrent que l’on ne
peut pas reprocher au chef de pupitre d’avoir titré sur les pressions sur
l’entreprise, consécutives à la force du dollar canadien et à la faiblesse du
dollar amÉricain. La vraie nouvelle se situerait sur ce point et c’est cela qui
aurait suscité les réactions à l’intérieur de l’entreprise, tant de la part du
syndicat que de la direction.
Commentaires de M. Yvon Laprade,
journaliste:
Après avoir reçu la plainte et les deux
documents émanant du syndicat et de la direction de l’entreprise, le
journaliste dit avoir communiqué avec le président de la section locale 501,
Alain Leduc, et avec le vice-président aux opérations de l’usine, René Lecours.
Selon lui, tous deux se sont dits étonnés, voire estomaqués, d’apprendre qu’un
des membres du syndicat (et de l’usine) ait porté plainte au Conseil de presse.
Il affirme que M. Leduc, président du
syndicat, lui aurait confirmé que le plaignant avait déjà été président du
syndicat et que jamais le syndicat n’avait abordé la possibilité de porter
plainte au Conseil de presse «pour aussi peu».
M. Leduc lui aurait précisé que le syndicat
avait jugé important de faire une mise au point (dans son communiqué du 22
novembre) parce que ses membres avaient vite sauté aux conclusions en lisant
l’article paru dans Le Journal de Montréal. Ceux-ci montrant de l’inquiétude en
lisant que l’usine était sous pression à cause de la remontée du dollar
canadien, il souhaitait ainsi ramener le moral des troupes.
M. Leduc n’aurait jamais communiqué avec Le
Journal de Montréal pour se plaindre du type de traitement de la nouvelle et
aurait même ajouté: « Il y a des éléments qui nous ont dérangé, mais sans
plus. »
Il aurait assuré au mis-en-cause qu’il
était faux que, dans le passé, il ait eu à rétablir les faits à la suite de la
parution d’articlesdu journaliste sur Camco. Il n’aurait souligné qu’une
erreur sans conséquence, apparue dans un article, à propos de la quantité de
sécheuses produites par jour.
Quant au vice-président de l’usine, René
Lecours, il aurait admis que le syndicat avait réclamé une rencontre urgente
avec la compagnie à la suite de la publication de l’article dans Le Journal de
Montréal. Il aurait déclaré au journaliste mis en cause: «Le
syndicat était fâché; il aurait aimé que le titre coiffant l’article insiste
sur la formation, qui était l’objectif de la conférence de presse organisée
avec le ministre québécois de l’Emploi. »
M. Lecours aurait concédé que les
commentaires portant sur la pression liée à la faiblesse du dollar amÉricain
aient pu «jeter de l’huile sur le feu», mais il aurait affirmé que
les employés étaient au courant de la situation depuis un certain temps et que
l’article a peut-être été perçu comme une pression supplémentaire.
Selon M. Laprade, M. Lecours estime que
l’article était correct, quoiqu’il comportait des inexactitudes, ce dont le
mis-en-cause convient également, «mais qu’il n’y avait pas matière à
aller plus loin et surtout pas à porter le dossier devant le Conseil de
presse».
Le mis-en-cause précise alors que, durant
ses 30 années de carrière en tant que journaliste, dont 25 ans au Journal de
Montréal, il a eu à couvrir de nombreux et complexes dossiers touchant les
relations de travail, ou encore des investissements dans des entreprises et
qu’à sa connaissance, il n’a jamais été l’objet d’une plainte au Conseil de
presse.
Aussi conclut-il: «Personne
n’est à l’abri d’erreurs de compréhension et/ou d’interprétation. Mais dans le
cas de Camco, je dois admettre que cette plainte est surprenante. À vous de
juger.»
Réplique du plaignant
Le plaignant réplique que le titre et le
surtitre de l’article, de même que la tenue générale du texte laissent entendre
que la faiblesse du dollar amÉricain par rapport au dollar canadien exerce une
forte pression sur la rentabilité de l’usine Camco de Montréal et constitue
la principale cause de
difficulté de l’entreprise. Il compte démontrer que c’est non seulement faux,
mais qu’il s’agit de la retransmission du message de l’employeur en période de
négociation. Il joint en annexe l’article de M. Laurent Épingard du journal
L’Édition qui reflète bien, selon lui,
les faits survenus pendant la conférence de presse en cause, et un résumé du
contexte économique dans lequel se trouve Camco. Selon le plaignant, le
contexte industriel et économique dont parlent MM.Laprade et Doucet et
Mme Thellier est très différent et beaucoup plus complexe que celui mentionné
dans l’article. Il estime que si M. Laprade avait fait la visite de l’usine
avec le ministre, il aurait peut-être vu des sécheuses destinées au marché
mexicain. Et de préciser qu’il n’existe pas non plus de sécheuses chinoises,
coréennes ou japonaises sur le plancher des grands magasins.
Il constate, par ailleurs, qu’à la lecture
des commentaires, il ne retrouve aucune donnée, référence ou source pour étayer
l’article.
Il écrit alors un premier paragraphe
concernant le dollar canadien. Alors que celui-ci a commencé à s’apprécier
début 2003, M. Auger assure qu’en avril de la même année, General Electric et
Camco ont reconduit le contrat d’achat de sécheuses Camco pour le marché
amÉricain. Il prétend que le volume minimal d’achat a été doublé, que
l’entreprise a procédé à des embauches importantes à deux reprises, soit en
septembre et en décembre 2003, et que les taux de production ont atteint des
niveaux records. Il estime donc que «cette augmentation importante de la production
semble peu compatible avec le diagnostic sombre évoqué dans l’article»,
mais que ce discours ressemble plutôt à celui que l’employeur tient depuis le
printemps dernier. Selon le plaignant, un an avant les négociations avec les
syndicats, l’employeur commence à faire un discours sombre où il martèle
toujours des thèmes comme concurrence, mondialisation, etc. M.Laprade
n’aurait, dans son article,«apporté aucun fait ou éléments
financiers supportant la prétention de l’employeur qu’il fait sienne dans
l’article et dans ses commentaires».
Il s’interroge: «Comment
peut-on démontrer, chiffres à l’appui, l’impact du taux de change? Voilà plus
de dix ans que la compagnie peine sur ses profits et le dollar canadien qui se
rehausse ces derniers mois explique tout!»
Selon le plaignant, ni M. Laprade, ni la
direction du journal ne fournissent de preuves démontrant «le contexte
industriel et économique» invoqué dans les commentaires, si bien
qu’«il aurait été intéressant de voir ce que M. Laprade aurait
écrit dans la même situation deux mois plus tôt, lorsque le président de Camco
écrivait, dans le bulletin hebdomadaire de l’entreprise, que la principale
raison du manque de rentabilité de l’entreprise était le fait des énormes
prestations de retraite et non la hausse du dollar ».
M. Auger considère qu’en citant les propos
du PDG de Camco sans les vérifier, le journaliste a oublié qu’il est de la
responsabilité des médias de se montrer prudents et attentifs face aux
tentatives de manipulation de l’information (citation du paragraphe concerné
dans Droits et responsabilités de la
presse). D’après lui, il ne faut pas oublier que l’usine est en négociation
et que, comme le disait le président du syndicat, «les membres sont
devenus inquiets en lisant l’article, à l’idée que l’usine soit sous pression à
cause de la remontée du dollar canadien ». Or, toujours selon M.Auger,
cette réaction est exactement celle que souhaite l’employeur dans un contexte
de négociation où il est notoire qu’il entende demander d’importantes
concessions dans les avantages sociaux.
En outre, le plaignant note un autre fait
inexact. Et de citer l’article: «Nous sommes la dernière usine de
production d’électroménagers au Canada». Or, ce qui aurait été dit, en
fait, est que Camco est le dernier fabricants d’appareils électroménagers d’importance
au Canada. M.Auger se dit consterné de voir les efforts entrepris pour
tordre la vérité, notamment lorsque le rédacteur en chef tente de justifier les
écrits de son journaliste: «l’usine Camco de Montréal n’est pas la
seule usine de fabrication de sécheuses en Amérique du Nord, mais plutôt la
seule usine de fabrication de sécheuses du groupe General Electric en Amérique
du Nord ».
Par ailleurs, le plaignant se demande
pourquoi le journaliste n’a pas précisé dans son article qu’il avait rapporté
les propos du PDG «lors d’une conférence téléphonique tenue plut
tôt», au lieu de mentir et de faire croire au qu’il relatait des faits
survenus en conférence de presse. «Comment le fait que le journaliste
soit en congé le vendredi justifie-t-il le recours au mensonge?»,
poursuit-il. Il considère enfin que l’argument selon lequel le journal n’est
pas obligé de couvrir une conférence de presse n’excuse en rien le mensonge.
Il remet en cause l’impartialité des propos
rapportés. Si, comme le prétend M. Doucet, ceux-ci ont été transcrits de façon
exacte, sont-ils véridiques? «A-t-on vérifié les déclarations des
dirigeants avec des sources indépendantes et dignes de foi? Peut-on corroborer
ces affirmations?», se demande-t-il.
En ce qui concerne plus particulièrement M.
Laprade, le plaignant constate que celui-ci ne nie pas les faits, ni ne les met
en contexte, ni ne précise sa pensée, ni n’apporte de source ou de référence.
Selon lui, l’argumentation du journaliste repose essentiellement sur un appel à
la personnalité et «un sophisme de personnalisation». Le plaignant
résume cette même argumentation ainsi: «Le président du syndicat et
le directeur de l’usine ne se sont pas plaint, donc il n’y a pas de problème.
De quel droit ce M. Auger ose-t-il se plaindre? » Il rappelle alors, que le
Conseil de presse invite le public à demeurer critique, vigilant et exigeant à
l’égard de la presse et que ce n’est pas parce que son syndicat et son
employeur ont des intérêts à ne pas se plaindre qu’il doit se taire. En effet,
pour le plaignant, M. Lecours a à cœur l’intérêt de son usine et ce n’est pas
lui qui allait prendre le risque de déplaire à M. Laprade. Ce dernier
prétendait aussi que le président du syndicat avait démenti avoir eu à
«rétablir les faits» concernant ses reportages antérieurs. Or, le
plaignant prétend que le communiqué dans lequel on démentait des propos
rapportés par Yvon Laprade dans Le
Journal de Montréal était bien signé par M. Leduc.
Enfin, le plaignant dénonce le fait que M.
Laprade évoque ses trente années de journalisme comme s’il s’agissait d’une
garantie d’exemplarité et que cela le mettait à l’abri de tout blâme. Il
souligne alors, en comparaison, la sobriété de l’article du journal
L’Édition qui contient, selon lui, des
faits, et non des opinions ou des affirmations non vérifiées.
Analyse
Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. Il leur appartient aussi de déterminer les genres journalistiques qu’ils utilisent pour le traitement des informations recueillies.
Le plaignant reprochait à M. Laprade d’avoir rendu de façon biaisée et inexacte les faits concernant l’usine Camco de Montréal. Selon lui, la tenue générale de l’article laissait entendre que la faiblesse du dollar amÉricain par rapport au dollar canadien exerçait une forte pression sur la rentabilité de l’usine Camco, ce que M. Auger considère comme faux. Après analyse, le Conseil estime qu’Yvon Laprade n’a fait que rapporter les affirmations des dirigeants de l’entreprise, et ce, entre guillemets, et ne s’est exprimé que pour rappeler dans les deux derniers paragraphes le contexte économique dans lequel se trouvait la firme, à savoir une fermeture d’usine en Ontario.
En outre, M. Auger considère que le journaliste a manqué de distance critique en citant les propos du PDG sans les vérifier et qu’ainsi il a dérogé à sa responsabilité de journaliste de se montrer prudent face aux tentatives de manipulation de l’information. Ici, le Conseil estime que, dans la mesure où le sujet de l’article ne traitait pas de relations de travail, la direction n’était non pas entendue comme partie prenante dans un conflit, mais plutôt comme un porte-parole de l’usine en son ensemble.
Décision
Conséquemment, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du journaliste Yvon Laprade et du quotidien Le Journal de Montréal.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11F Titre/présentation de l’information
- C13C Manque de distance critique
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15H Insinuations