Plaignant
M. Jean-Guy Bourgeois
Mis en cause
M. Jean Lapierre, animateur et journaliste, M. Michel Lorrain, vice-président de l’information et des opérations régionales du Réseau Radiomédia et la station radiophonique CKAC
Résumé de la plainte
M. Jean-Guy Bourgeois porte plainte contre la station radiophonique montréalaise CKAC et M.Jean Lapierre pour avoir utilisé sur les ondes radiophoniques, au cours de la semaine du 15 décembre 2003, un langage ordurier et mensonger contre la personne du maire de Montréal, M.Gérald Tremblay.
Griefs du plaignant
M. Jean-Guy Bourgeois porte plainte contre M. Jean Lapierre, « journaliste à CKAC ». Le plaignant reproche à M. Lapierre d’avoir utilisé un langage ordurier et mensonger contre la personne du maire de Montréal, M. Gérald Tremblay, au cours de la semaine du 15 décembre 2003 sur les ondes radiophoniques de CKAC [les 16 ou 17 décembre] en fin d’après-midi. M. Bourgeois indique que M.Lapierre venait de terminer ses emplettes de Noël et n’avait pas apprécié l’état d’enneigement des rues du centre-ville de Montréal.
Selon le plaignant, « à la radio, il s’est mis à sacrer, à vociférer contre le maire Tremblay les pires injures ». Selon M. Bourgeois, M. Lapierre est revenu de son esclandre et a tenté de se justifier en comparant sa sortie à celle de M. Jean Cournoyer, il y a quelques années.
M. Jean-Guy Bourgeois menace de soulever en public « l’inertie » du Conseil « si aucune mesure n’est prise pour faire cesser le pouvoir incroyable et injustifié que se donnent certains de vos journalistes populaires du style : Proulx, Arthur, Arcand, Cazin, Lapierre, etc. »
Commentaires du mis en cause
M. Michel Lorrain amorce sa réponse en précisant que contrairement à ce qu’estime le plaignant, M. Jean Lapierre n’est pas un journaliste de la salle des nouvelles de Radiomédia mais bien un animateur-commentateur.
De plus, dans le cadre de son émission, M. Lapierre n’a jamais sacré ou injurié le maire de Montréal, M. Gérald Tremblay, mais il a plutôt dénoncé l’état du déneigement du centre-ville de Montréal.
M. Lapierre a également discuté en ondes avec le directeur de l’arrondissement de Ville-Marie, M. Jean Mercier. M. Lapierre s’est alors fait le porte-parole de milliers de Montréalais qui circulent au centre-ville régulièrement et il a réfuté les explications de M. Mercier.
En fait, le mis-en-cause avait lui-même arpenté auparavant les principales artères du centre-ville et il a simplement témoigné de l’exaspération des commerçants et des usagers. Selon M. Lorrain, Jean Lapierre n’a enfreint aucune règle relativement à l’atteinte à la liberté de presse ou au droit du public à l’information.
Réplique du plaignant
Selon le plaignant, dans ses commentaires, M. Michel Lorrain prétend que M. Jean Lapierre n’a pas eu un langage inacceptable à l’égard de M. Gérald Tremblay, maire de Montréal. M.Lapierre aurait plutôt dénoncé l’état du déneigement au centre-ville.
À la lecture des propos de M. Lorrain, deux conclusions lui sont venues à l’esprit. La première : « Michel Lorrain ne parle pas des mêmes propos que moi… Il s’est trompé de cassette d’émission». La seconde : « Michel Lorrain parle des mêmes propos mais trouve acceptable le langage ordurier de M. Jean Lapierre. Alors, je comprends pourquoi le contenu de certaines émissions de CKAC m’apparaît si dénué de respect… de bon sens ». Il en déduit, à la suite de la réponse de M. Lorrain, qu’il conviendrait qu’il réécoute le contenu de la bonne cassette. Le plaignant affirme ne pas avoir rêvé.
Ce dernier conclut en formulant une liste de souhaits pour assurer la crédibilité du débat :
- il maintient sa plainte;
- il aimerait réécouter le plus
rapidement possible le contenu de l’émission avant de rencontrer les membres du
Comité des plaintes; - il voudrait rendre le débat public,
dans les journaux et à la radio; - il voudrait demander au public, par
sondage, sa réaction face aux propos de Jean Lapierre. Ce procédé est maintes
fois utilisé par les journalistes et les animateurs. Il faudrait servir à
certains journalistes et animateurs la même façon de faire.
Le plaignant a la nette impression que les propos de M. Lapierre ont été soigneusement retirés de la circulation médiatique et mis à l’écart du public. Il faudrait que certains journalistes aient à répondre de leurs propos incendiaires parfois dénués de vérité.
M. Bourgeois affirme enfin qu’au nom de la liberté d’expression, beaucoup de sottises sont exprimées par certains journalistes ou animateurs. Il faudrait, selon lui, les obliger à prouver, à donner les noms de leurs informateurs, à donner les références en bas de page.
Sinon, ils devraient se taire s’ils n’ont pas de preuves. Tout cela contribuerait à diminuer les préjudices causés aux citoyens mis en cause.
Analyse
Dans sa plainte, M. Jean-Guy Bourgeois sommait le Conseil de presse de « faire cesser le pouvoir incroyable et injustifié que se donnent certains de vos journalistes populaires […] ».
Une précision s’impose donc, préalablement au prononcé de la présente décision. Le Conseil de presse du Québec est un organisme d’autorégulation de la presse québécoise créé par la volonté des médias et des journalistes afin de défendre et protéger la liberté de presse, aussi bien que le droit du public à l’information. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une police des journalistes et en aucun temps le Conseil ne saurait intervenir pour museler, ou pire, pour forcer qui que ce soit, par la coercition, à une conduite particulière.
L’autodiscipline, qui est à la base des principes de fonctionnement du Conseil fait appel au plus haut degré de responsabilité attendu des entreprises de presse et de leur personnel. Les décisions du Conseil visent essentiellement à départager s’il y a eu faute professionnelle et, le cas échéant, jusqu’à quel point les mis-en-cause étaient effectivement en faute.
Une précision additionnelle s’impose. Dans ses commentaires, le vice-président de l’information et des opérations régionales du Réseau Radiomédia, Michel Lorrain, indique que M. Jean Lapierre n’est pas journaliste mais animateur-commentateur. À ce sujet, le Conseil rappelle que lorsqu’un employé effectue en ondes des fonctions assimilables à celles d’un journaliste (entrevue, information, commentaires), il est réputé agir dans une fonction journalistique et il est alors considéré à ce titre dans la portion d’émission consacrée à cette fonction.
Dans le présent cas, le Conseil a d’abord tenu à distinguer les deux interventions de l’animateur-journaliste Jean Lapierre : la première consiste en un commentaire au sens strict, alors que la seconde est une entrevue avec le directeur de l’arrondissement Ville-Marie, M. Jean Mercier; deux actes professionnels qui répondent à des exigences déontologiques quelque peu différentes. Après examen et audition des documents des parties, le Conseil en arrive aux conclusions suivantes.
Le plaignant, rappelons-le, accusait M. Lapierre « d’avoir utilisé un langage ordurier et mensonger contre la personne du maire de Montréal».
En ce qui concerne les « propos mensongers » le Conseil a conclu que l’animateur avait eu recours à l’ironie et au sarcasme en affirmant que M.Tremblay invitait les consommateurs à ne pas venir au centre-ville de Montréal; et donc que cette boutade de M.Lapierre ne devait pas être prise au premier niveau. Le Conseil n’a donc pas retenu la plainte sous cet aspect, compte tenu que le genre journalistique du commentaire, tel que défini dans le guide de principes déontologiques du Conseil de presse, accorde une telle latitude aux éditorialistes et aux commentateurs.
Le plaignant reprochait également à M.Lapierre son « langage ordurier». À ce sujet, le Conseil a d’abord noté que les paroles discutables prononcées par M. Lapierre n’étaient pas seulement des écarts de langage, mais des insultes envers l’administration de l’Hôtel de ville de Montréal. Le Conseil a souvent répété qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou non, et que les décisions à cet égard relèvent de leur autorité et de leur discrétion rédactionnelles; mais qu’ils doivent éviter, par le vocabulaire qu’ils emploient, d’entretenir des préjugés ou de porter atteinte à la dignité et à l’image des personnes.
Dans le présent cas, le Conseil a estimé que même s’il a fait suivre ses grossièretés des mots « je m’excuse », le vocabulaire utilisé par M. Lapierre est inacceptable sur les ondes d’une station de radio.
L’audition de l’entrevue avec M. Jean Mercier a par ailleurs révélé un autre manquement à la déontologie lorsqu’à la fin de la discussion, M.Lapierre baisse le volume du micro de son interlocuteur et prend la parole à sa place pour mettre dans sa bouche des paroles tout à fait à l’opposé de celles que tenait l’invité depuis près de six minutes. Pour le Conseil, il s’agit d’une conduite contraire à toutes les règles de l’entrevue et donc inacceptable en regard de l’éthique journalistique.
Décision
Pour ces raisons le Conseil de presse du Québec adresse un blâme à l’animateur Jean Lapierre et à la station radiophonique montréalaise CKAC.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C15J Abus de la fonction d’animateur
- C17C Injure