Plaignant
Société de l’assurance automobile du Québec et M. Jacques Brind’Amour, président
Mis en cause
Mme Caroline Belley, journaliste, M. Pierre Craig, animateur et journaliste, Mme Marie-Philippe Bouchard, rédactrice en chef et la Société Radio-Canada, Montréal
Résumé de la plainte
La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) porte plainte contre les journalistes Caroline Belley et Pierre Craig, ainsi que contre la Société Radio-Canada (SRC) et RDI, en regard d’un reportage intitulé « La SAAQ menace de reprendre les compensations versées à certaines victimes de la route. » Le reportage faisant l’objet de la plainte a été diffusé une première fois le 24 janvier 2004 à l’émission « La Facture » numéro 269. Le reportage contesté contiendrait notamment des informations partiales et incomplètes de même que des accusations fausses à l’endroit de la SAAQ.
Griefs du plaignant
La plainte de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) vise les journalistes Caroline Belley et Pierre Craig, de même que la Société Radio-Canada (SRC) et RDI. Elle concerne un reportage intitulé « La SAAQ menace de reprendre les compensations versées à certaines victimes de la route. » Ce reportage a été diffusé une première fois le 24 janvier 2004 à l’émission « La Facture », numéro 269.
Selon le président-directeur général, M. Jacques Brind’Amour, « les journalistes de la SRC font appel à la situation personnelle de deux accidentés de la route pour dénoncer la pratique de la Société de l’assurance automobile du Québec […] à l’effet d’aviser, par lettre, les accidentés impliqués dans un recours quasi judiciaire de la récupération possible des indemnités versées, selon l’issue d’un tel recours. »
Pour le plaignant, il s’agit d’accusations fausses qui s’inscrivent au sein de reportages tendancieux, trompeurs, inexacts et incomplets. Ce faisant, la SRC et RDI ont diffusé des
informations partiales et incomplètes et ce, de manière à induire le public en erreur. De tels reportages font montre, selon lui, d’un manque d’objectivité flagrant et ce, tant au plan du traitement du sujet que des interlocuteurs choisis et de l’atmosphère créée. Le plaignant détaille ensuite la question du traitement, celle des accusations et celle de l’atmosphère du reportage.
En ce qui a trait au traitement, les journalistes auraient couvert de manière partiale et complètement faussée une controverse portant sur l’application d’une disposition de la Loi sur l’assurance automobile. En affirmant l’illégalité de la pratique de la SAAQ en regard de cette disposition, les journalistes l’ont interprétée hors de son contexte législatif et ils ont omis sciemment de considérer la documentation fournie par la SAAQ dont les conclusions favorisaient plutôt la thèse contraire. Pourtant, les documents fournis par la SAAQ auraient dû suffire à inciter les journalistes à la prudence la plus élémentaire face à une question d’interprétation légale qui pouvait donner lieu à une controverse mais qui ne pouvait être tranchée qu’à l’issue d’un débat judiciaire. Or, dans ce reportage, les journalistes n’auraient laissé planer aucun doute quant à l’existence d’une thèse contraire à celle des opposants, thèse qui serait appuyée sur une base légale. Au contraire, tout au long du reportage, Mme Belley aurait cherché à servir la position des opposants à la SAAQ, notamment en omettant ou manipulant les arguments fournis par la Société en appui à ses agissements. Cette attitude se manifesterait notamment dans le choix des interlocuteurs et dans le temps imparti à chacun.
Quant à la position de la Société, la journaliste se contenterait d’indiquer que « la SAAQ prétend que l’article 83.51 ne s’applique tout simplement pas à la révision pour cause » sans mentionner les précisions et la documentation fournies à l’appui de cette position. Pour le plaignant, la journaliste affiche son parti pris en ajoutant que « curieusement, cette exception n’est écrite nulle part dans la Loi ». Par contre, Mme Belley n’hésite pas à faire entendre les propos d’un relationniste quant à l’inexistence de directives internes appuyant la pratique de la SAAQ.
Le plaignant dénonce enfin vigoureusement le fait d’avoir enregistré à son insu le relationniste en question, une pratique qui constitue un manquement évident à l’éthique professionnelle. M.Brind’Amour réagit ensuite aux accusations d’agissement illégal, de menaces et d’intimidation portées contre sa société, dont serait truffé le reportage.
Selon lui, les journalistes accusent la SAAQ de contrevenir à la Loi et ce, malgré qu’ils aient en main des textes démontrant que la dite illégalité des agissements de la SAAQ est loin d’être chose jugée. Il ajoute que tout au long du reportage, la SAAQ est accusée de menacer ou d’intimider les accidentés de la route et il en cite des exemples. Selon M. Brind’Amour, ces accusations ne sont pas fondées et ne reflètent en rien la teneur de la lettre reçue par les accidentés, lettre qui est à l’origine du débat. Cette lettre indiquait : « Il est possible que nous récupérions les sommes déjà versées pour l’indemnité de remplacement du revenu… »
En aucun temps cependant, selon le plaignant, il n’est fait la démonstration que la SAAQ a proféré des menaces à l’endroit des accidentés visés ou qu’elle a tenu des propos s’assimilant à de l’intimidation. Ces accusations trompent donc les téléspectateurs. Le cadre de procédure dans lequel interviennent ces gestes est un cadre judiciaire, lequel implique un certain formalisme. S’il est possible que ce genre de procédures soit perçu par l’accidenté comme une intimidation, la SAAQ n’est pas maître de ces procédures et il revient au décideur administratif ou au juge seul de décider du bien-fondé d’un recours autrement autorisé par la Loi.
M. Brind’Amour cite ensuite l’exemple des propos de l’avocat des accidentés, Me Michel Cyr qui a décrit la SAAQ comme « le pire des organismes au Québec en ce qui concerne le respect du citoyen ». Le plaignant reproche alors à la journaliste de ne pas avoir pris ses distances face à de tels propos mais plutôt de les avoir cautionnés, propos gratuits et portant gravement atteinte à l’image de la SAAQ. Compte tenu de la mission sociale de la société qu’il représente, de telles accusations lui causent d’importants préjudices.
En ce qui a trait à « l’atmosphère créée » par le reportage, le plaignant estime qu’avec l’aide du montage elle contribue à entretenir des croyances erronées auprès du public et à ternir l’image de la SAAQ. Pour le plaignant, l’exercice que fait la journaliste aurait dû porter sur un problème juridique alors qu’elle fait du voyeurisme en faisant l’étalage des souffrances et des problèmes de santé des accidentés concernés. Or, même si la condition
des accidentés est à l’origine des indemnités, elle ne concerne en rien la problématique dénoncée par les mis-en-cause qui porte sur le droit de la SAAQ à recouvrer les sommes versées à un accidenté lorsque le Tribunal administratif du Québec (TAQ) revoit sa décision en faveur de la SAAQ. Il s’agissait d’autant plus d’un débat de principe qu’ayant eu gain de cause devant le TAQ, l’une des accidentés (Mme Daigle) n’avait pas eu à remettre les sommes reçues.
Le plaignant déplore ensuite qu’alors qu’elle avait été prévenue par écrit qu’aucune entrevue ne serait accordée, et même si elle avait en main la position écrite de la SAAQ, l’équipe de « La Facture » s’est rendue sur les lieux du siège social sans prévenir, insistant pour obtenir une entrevue. Les mis-en-cause aurait même monté une mise en scène pour faire croire que la SAAQ n’avait aucune justification à faire valoir. Le plaignant rappelle qu’un représentant de sa société s’est entretenu à quelques reprises avec Mme Belley pour répondre à ses questions; mais que de ses explications, rien n’est ressorti à la fin, sinon quelques bribes prises hors contexte, pour donner plus de poids à la position défendue par ses opposants. Ainsi, le témoignage du représentant de la SAAQ a été coupé et manipulé de manière à servir la thèse défendue par le procureur des accidentés. Enfin, un manque d’équité évident ressort de l’ensemble du montage : quelques secondes seulement sont apportées aux explications fournies par la SAAQ tandis que la presque totalité du temps
alloué est consacrée aux arguments des opposants.
Commentaires du mis en cause
La rédactrice en chef, Mme Marie-Philippe Bouchard, estime d’entrée de jeu que, tant dans le cadre de l’enquête journalistique que dans la préparation et la présentation du reportage en cause, la journaliste Caroline Belley, l’animateur Pierre Craig et la Société Radio-Canada ont pleinement respecté les règles qui régissent une pratique journalistique rigoureuse et elle rejette carrément les accusations gratuites de malhonnêteté et de partialité lancées par le président Brind’Amour.
La représentante des mis-en-cause explique que le reportage en question oppose des accidentés de la route dont le dossier est porté en révision devant le Tribunal administratif du Québec et la SAAQ. Pour Mme Bouchard, la question centrale du reportage était : « La Loi sur l’assurance automobile permet-elle à la SAAQ de prétendre qu’elle pourrait recouvrer les indemnités déjà versées à ces accidentés, suite à une décision favorable du TAQ? » La rédactrice en chef précise que l’envoi de lettres laissant planer un tel recouvrement par la SAAQ a pour effet d’inciter les accidentés à ne pas dépenser ou à retourner les chèques d’indemnité qu’ils ont reçus, souvent après de longues années de batailles judiciaires. Il s’agit donc d’une question d’intérêt public.
Mme Bouchard situe et précise ensuite en quelques lignes le journalisme d’enquête pratiqué dans le cadre de l’émission « La Facture » et s’applique à répondre un à un aux reproches du plaignant.
Au reproche à la journaliste de s’être appuyée essentiellement sur le témoignage des accidentés et de leur procureur, Mme Bouchard répond que dans la démarche journalistique de l’émission, les témoignages des citoyens faisant appel à « La Facture » constituent généralement le point de départ des reportages. Les témoignages doivent soulever une problématique comportant un degré d’intérêt public élevé et les journalistes de l’émission s’efforcent de présenter les différentes visions de cette problématique. Il est donc normal que la journaliste se soit appuyée sur le témoignage de personnes accidentées. Les documents corroborant les dires des accidentés ont alors été soumis à des experts.
La SAAQ a été informée de tous les aspects que l’émission entendait soulever et toutes les occasions possibles lui ont été données pour faire valoir son point de vue. Normalement, l’émission « La Facture » n’interviewe pas les procureurs des plaignants, mais dans ce cas, Me Michel Cyr apparaissait la personne la mieux placée pour expliquer les détails juridiques des litiges en question. La problématique a également été soumise à deux experts qui enseignent le droit à l’université et qui ont abondé dans le même sens que Me Cyr.
Mme Bouchard trouve ironique de voir la SAAQ se plaindre de ne pas avoir vu son point de vue présenté adéquatement alors qu’elle a systématiquement refusé d’accorder une entrevue à la caméra, malgré des demandes répétées. Elle ne conteste pas le droit de la SAAQ de refuser d’accorder des entrevues à la télévision, encore qu’on puisse questionner ce choix de la part d’un organisme public qui est informé que ses pratiques seront remises en cause. Consciente de l’impression négative qui peut se dégager de l’absence de la SAAQ, l’équipe de « La Facture» a beaucoup insisté pour obtenir une entrevue à la caméra, mais elle a refusé. À la place, la SAAQ a choisi d’envoyer divers documents sous la signature du relationniste, François Rémillard, et de la directrice des communications, Céline Roy. La SAAQ ne peut donc reprocher aux mis-en-cause d’avoir présenté un reportage sans que ses représentants n’y apparaissent.
Mme Bouchard explique ensuite en détail le traitement journalistique choisi en l’absence d’entrevue et notamment le résumé fait par la journaliste. Elle répond à l’omission de deux décisions des tribunaux qui étaient pourtant mentionnées dans les documents fournis par les plaignants. Selon la rédactrice en chef, ces informations ont été soumises à deux experts juristes qui ont affirmé que ces décisions ne donnaient aucunement raison à la SAAQ d’agir comme elle l’a fait dans le dossier. Si bien que la journaliste n’a retenu que le commentaire général de l’avocate et enseignante au Barreau du Québec, Me Janick Perreault.
Comme il s’agit d’une émission d’information grand public qui doit demeurer accessible, l’émission «La Facture» a voulu éviter d’entrer dans des débats juridiques pointus qui ne servent aucunement à éclairer le propos. C’est sur la base des consultations d’experts qu’il a été décidé de ne pas élaborer davantage sur cet aspect moins pertinent. Cependant, Mme Bouchard croit que l’émission a néanmoins rendu compte fidèlement du point de vue de la SAAQ.
La représentante des mis-en-cause répond ensuite au reproche voulant que la journaliste ait couvert le sujet de « manière partiale et complètement faussée » en expliquant les démarches suivies. Après avoir parcouru la « Loi sur l’assurance automobile » pour s’assurer qu’aucune disposition ne pouvaient venir annuler la portée de l’article 83.51 au centre du litige, la journaliste a consulté plusieurs experts indépendants sur l’interprétation à donner à l’article 83.51. Elle a même obtenu le manuel de directives utilisé par les fonctionnaires de la SAAQ pour les guider dans leurs décisions. Mme Bouchard en conclut donc qu’on ne peut reprocher à la journaliste un quelconque manque de rigueur dans la recherche et la présentation des faits.
Au reproche que le reportage faisait étalage des souffrances des accidentés et constituait du voyeurisme, Mme Bouchard répond qu’il n’y a eu aucune exploitation indue de la souffrance ou de la situation économique précaire de Mme Daigle ou de M. Labonté et qu’il était impossible de faire abstraction des accidentés dans le traitement de cette problématique de nature juridique.
Reproches suivants : la visite impromptue de la journaliste au siège social de la SAAQ et le fait d’avoir inclus au reportage un extrait d’une conversation téléphonique enregistrée entre M. François Rémillard de la SAAQ et la journaliste. La représentante des mis-en-cause défend sa journaliste en indiquant qu’il s’agit d’une démarche ultime pour tenter d’obtenir les commentaires des fonctionnaires d’un organisme public sur un sujet d’intérêt public. Devant le refus des fonctionnaires de répondre, la journaliste a rebroussé chemin
quelques minutes à peine après être entrée à la SAAQ et être demeurée, en tout temps, dans les aires publiques de l’édifice.
Quant à la diffusion de la conversation téléphonique avec le porte-parole de la SAAQ, Mme Bouchard invoque que ce dernier est en contact quotidien avec les représentants des médias et qu’on doit présumer qu’il est bien au fait de la pratique d’enregistrer les conversations téléphoniques afin de s’assurer de citer adéquatement l’interlocuteur. Elle cite une décision du Conseil de presse à l’appui de cette pratique. Enfin, Mme Bouchard explique toutes les précautions qui ont été prises avant la diffusion d’un tel extrait dont celle d’avoir prévenu M.Rémillard deux semaines à l’avance, sans que celui-ci ou son organisme ne s’oppose à la diffusion éventuelle de ses propos.
La rédactrice en chef estime que l’émission « La Facture » était justifiée d’affirmer que la SAAQ « ne respecte pas » ou « ignore » sa propre loi, la Loi de l’assurance automobile, et particulièrement l’article 83.51 qui est pourtant clair, en prétendant pouvoir éventuellement recouvrer les indemnités déjà versées alors qu’aucun tribunal ne lui a permis de le faire jusqu’à maintenant.
Suite à la diffusion du reportage, le ministre des Transports du Québec responsable de l’application de la Loi sur l’assurance automobile a demandé un rapport complet au président de la SAAQ sur les faits révélés par l’enquête de « La Facture ».
Réplique du plaignant
Le plaignant rappelle d’abord l’objet du reportage, tel que précisé par Mme Bouchard. Il répond que la pratique visant à informer un accidenté du recouvrement possible des indemnités qui seraient considérées indues par le TAQ à l’issu d’un recours en révision a été instaurée par la SAAQ dans sa conviction profonde du droit au recouvrement de telles indemnités. Selon lui, cette pratique a pour but de protéger l’accidenté qui risque de se retrouver démuni face à une demande de recouvrement d’un trop-perçu dans l’éventualité où il aurait déjà disposé des sommes reçues. La SAAQ entendait ainsi faire preuve de transparence et éviter de prendre par surprise les accidentés advenant le cas où elle serait appelée à récupérer le trop-perçu.
Le plaignant rappelle aussi que la SAAQ a effectivement fait connaître son point de vue par écrit et qu’elle a joint à cet écrit des extraits de décisions rendues par le tribunal qui était appelé à solutionner le différend opposant les accidentés à la SAAQ.
Selon le plaignant, Mme Bouchard conclut que le choix des intervenants a été effectué en fonction des principes d’équité et de la plus grande rigueur journalistique. À cela, il répond que Me Cyr n’en est pas à sa première confrontation avec la SAAQ et son implication dans le dossier en cause ne lui permettait pas de faire preuve de toute l’impartialité attendue dans ce type de reportage. En ce qui a trait à Me Perreault, elle occupe en parallèle de sa fonction d’enseignante un poste en cabinet privé qui l’appelle à représenter des accidentés du travail face à la SAAQ. Enfin, le dernier expert n’a pas jugé bon de faire entendre sa position ni même de souligner son accord avec les témoignages diffusés.
En ce qui a trait au refus de la SAAQ d’accorder une entrevue, le plaignant dit que sa société est consciente de l’impression défavorable que peut laisser ce refus, mais qu’elle a choisi de le faire compte tenu que la problématique implique une question d’ordre juridique beaucoup plus complexe que ne le laisse supposer le reportage et les
affirmations de Me Cyr, et dont la légalité se détermine par une cour de justice et non devant les caméras de télévision où un tel débat n’a pas sa place. Il en donne pour preuve que le reportage en cause a fait fi de la problématique liée à l’interprétation de l’article 83.51 de la Loi. Dans le reportage, on ne fait aucunement état des arguments invoqués au soutien de cette position ou des décisions du TAQ. La journaliste donne plutôt l’impression qu’il s’agit d’une opinion tout à fait gratuite de la SAAQ pour laquelle celle-ci ne donne aucune justification. M Brind’Amour souligne la complexité de la question et la nécessité d’en débattre devant un forum adéquat. Pour lui, les mis-en-cause se sont contentés d’une opinion à l’effet que les décisions en cause « ne venaient aucunement donner raison à l’organisme d’agir comme il l’a fait… ». À cela il répond qu’elles n’interdisent ni ne condamnent davantage les agissements de la SAAQ.
Le plaignant commente ensuite la recherche effectuée par la journaliste. Pour lui, si elle a effectivement épluché la Loi sans y constater l’existence d’une disposition ayant pour effet d’annuler la portée de l’article 85.31, elle a cependant fait une lecture qui ne tenait pas compte de certaines dispositions en lien avec celle-ci, dont les articles 83.49 et 83.50. Selon lui, il ne convient pas ici de s’enliser dans l’étude des règles d’interprétation législatives associées à la lecture de l’article 83.51 dans son contexte législatif. Et on ne pouvait s’attendre à ce qu’une telle étude soit réalisée sur les ondes. Néanmoins, on était en droit de s’attendre à davantage de prudence dans les conclusions qui sont tirées en regard d’une problématique juridique qui demeure à débattre.
Quant à la mise en situation des accidentés, ce que la SAAQ reproche surtout à la journaliste, c’est d’avoir mis à ce point l’emphase sur celle-ci que l’on en vient à oublier la véritable problématique, laquelle portait sur le recouvrement possible par la SAAQ des indemnités versées sans droit. Et en regard de la visite impromptue de « La Facture » dans les bureaux de la SAAQ, le plaignant précise qu’il s’agit de la mise en scène qui est visée et non la venue de la journaliste comme telle.
En ce qui a trait à l’enregistrement à l’insu de M. Rémillard, le plaignant conçoit difficilement un tel geste. La problématique du reportage concernait le droit de la SAAQ de recouvrer des indemnités à la suite d’une décision d’un tribunal à l’effet que de telles indemnités n’auraient pas dû être versées. Comme le recouvrement de sommes versées sans droit n’a rien de réprouvable, il ne voit pas ce qui permettait aux mis-en-cause d’avoir recours aux enregistrements clandestins.
M. Brind’Amour proteste enfin face aux conclusions de Mme Bouchard lorsqu’elle écrit que l’article 83.51 de la Loi « est pourtant clair ». En concluant de la sorte, madame Bouchard se substitue à un juriste de la même façon que Mme Belley et M. Craig avant elle. Il ajoute que si, tel que l’exprime Mme Bouchard, aucun tribunal n’a permis à la SAAQ d’agir comme elle le fait, aucun tribunal n’a condamné sa façon d’agir. De plus, à l’issue du dossier de Mme Daigle, Mme Bouchard affirme que nous ne saurons jamais si la SAAQ aurait tenté de recouvrer les sommes qu’elle a été contrainte de verser ni comment une telle tentative aurait été reçue par les tribunaux. Comment alors, ajoute le plaignant, l’émission « La Facture » peut-elle conclure que la SAAQ ignore ou ne respecte pas sa propre loi?
Analyse
Il n’est pas dans l’usage, au Conseil de presse du Québec, de trancher dans des contenus et dans des matières qui relèvent des tribunaux. En conséquence, le Conseil ne se prononce ni sur l’interprétation à donner à l’article 83.51 de la Loi sur l’assurance automobile ou sur les articles connexes, ni sur les matières qui en découlent directement. Le Conseil fait plutôt porter ses observations et ses conclusions sur les matières relevant de l’éthique journalistique et des principes qui la gouvernent.
C’est ainsi que les griefs concernant une interprétation fausse de la Loi sur l’assurance automobile et les omissions relatives au traitement de ce sujet n’ont pas fait l’objet de décision de la part du Conseil.
De même en est-il des griefs relatifs à une couverture partielle concernant l’application de cette même Loi. Pour trancher ce grief, le Conseil a estimé qu’il aurait à statuer sur l’exactitude de l’affirmation selon laquelle la SAAQ ne respecte pas sa propre loi. Or, statuer sur la question équivaudrait à se prononcer sur le contenu juridique en cause, ce que s’est refusé à faire le Conseil.
En ce qui a trait aux reproches pour n’avoir pas fait la démonstration que la SAAQ a proféré des menaces à l’endroit des accidentés visés, le Conseil a jugé que les mis-en-cause avaient suffisamment illustré à travers des témoignages concrets l’impression d’intimidation ressentie par deux victimes d’accidents. Par exemple, après avoir reçu à cinq reprises un avis de réclamation éventuelle de ses indemnités, M.Labonté pouvait prétendre se sentir menacé et la journaliste pouvait légitimement en parler en ces termes.
Avant de statuer sur le grief de ne pas avoir pris suffisamment de distance face aux propos de l’avocat des accidentés, le Conseil a d’abord examiné le contexte de la plainte. Même si pour le président-directeur général de la SAAQ le cœur de l’émission concernait l’interprétation de l’article 83.51 de la Loi sur l’assurance automobile, l’objectif de l’émission, tel que présenté en ouverture par le journaliste Pierre Craig, portait plus largement sur la difficulté pour certains accidentés de la route d’avoir accès à leurs indemnités et à un service auquel ils ont droit.
Dans ce contexte, le Conseil a estimé que le témoignage de l’avocat des accidentés, Me Michel Cyr, faisait partie de la démonstration présentée par l’émission «La Facture» sur les services obtenus de la SAAQ; et les mis-en-cause n’avaient pas à prendre de distance en regard de ses propos.
En ce qui concerne l’atteinte à la réputation de la SAAQ, le Conseil a relevé que le plaignant reconnaissait que la mention de la possibilité de la récupération des indemnités pourrait être ressentie comme de l’intimidation. Ainsi, le Conseil a estimé que ce sont d’abord les choix que cette Société a faits en matière de communication, et non les témoignages au sein du reportage, qui pouvaient engendrer une éventuelle atteinte à son image aux yeux de sa clientèle.
Relativement à ce qu’il a appelé « l’atmosphère du reportage », le plaignant estimait qu’avec l’aide du montage, la journaliste avait contribué à entretenir des croyances erronées sur sa Société auprès du public et à en ternir l’image. Après visionnement de l’émission et considérant l’objectif de l’émission précisé plus haut, le Conseil en arrive à un jugement différent de celui du plaignant et ne peut lui donner raison sur cet aspect.
De même en est-il en ce qui regarde le manque d’équité reproché aux mis-en-cause. Le Conseil a estimé que puisque l’émission visée ne portait pas exclusivement sur l’interprétation d’une loi et sur la position des parties impliquées, son contenu n’avait pas à être réparti et présenté en deux tranches d’égale valeur. Le Conseil a également pris en compte le fait que même si elle savait que le sujet traité le serait dans un contexte télévisuel, la SAAQ n’avait pas jugé bon de fournir ses réponses autrement que par écrit.
Pour ce qui est de la mise en scène que la journaliste aurait montée pour faire croire que la SAAQ n’avait aucune justification à faire valoir, le Conseil a noté que l e plaignant reconnaissait lui-même que la journaliste pouvait faire la visite impromptue qu’il avait d’abord déjà dénoncée. En outre, la liberté rédactionnelle autorisait les mis-en-cause à choisir l’angle d’approche de leur sujet et le traitement journalistique qu’ils estimaient le plus à propos dans les circonstances.
Enfin, en ce qui a trait à l’enregistrement clandestin de l’entrevue avec le relationniste de la SAAQ, il s’agit d’un procédé que le Conseil qualifie de plus que discutable. Cependant, comme les mis-en-cause ont été informés longtemps avant la diffusion du reportage et qu’ils ne se sont pas opposés à sa diffusion, le Conseil n’a pas retenu de blâme sur cet aspect.
Décision
Au-delà, donc, de cette dernière réserve, le Conseil de presse rejette la plainte contre les journalistes Caroline Belley et Pierre Craig, de même que contre la Société Radio-Canada et RDI.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C15E Fausse nouvelle/information
- C17F Rapprochement tendancieux
- C23E Enregistrement clandestin
Date de l’appel
18 February 2005
Décision en appel
Les membres de la Commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. Jacques Brind’Amour