Plaignant
Mme Lise Thérriault-Carrier et M.
Bertrand Carrier
Mis en cause
M. Alex Levasseur, journaliste, M. Guy Amyot, chef de
l’information télévisée et la Société
Radio-Canada,
Québec
Résumé de la plainte
Les plaignants reprochent au journaliste Alex Levasseur et à
la Société Radio-Canada
d’avoir diffusé un reportage sur le décès de leur petite-fille, le 13 février
2004, et de l’avoir présenté en première position du bulletin de nouvelles. Ils
soutiennent que le reportage était sensationnaliste, tendancieux et qu’il était
basé sur des hypothèses plutôt que sur des faits.
Griefs du plaignant
Les plaignants se demandent pourquoi un reportage sur le
décès de leur petite-fille, Mylène, a été diffusé sur
les ondes de Radio-Canada le 13 février 2004.
Ils se questionnent sur l’intérêt qu’avait la
Société Radio-Canada de présenter une
telle nouvelle et de la placer au début du bulletin, avant le reportage sur les
funérailles de Claude Ryan célébrées ce jour-là. Selon eux, le reportage est
tendancieux, sensationnaliste et basé sur des hypothèses et des allusions
plutôt que sur des faits.
Les deux plaignants déplorent que le journaliste ait affirmé
que la cause du décès pourrait être criminelle, hypothèse qui, selon eux, est
écartée hors de tout doute par les enquêteurs de la Sûreté du Québec. À cet
égard, le reportage serait tendancieux et sèmerait un doute quant aux causes de
décès de leur petite-fille.
Le journaliste aurait faussement affirmé que l’enfant était
lourdement handicapée. Elle souffrait plutôt d’un trouble envahissant du
développement, ce qui ne peut être qualifié de lourd handicap. Les plaignants
reprochent au journaliste d’avoir amplifié le handicap de Mylène.
De plus, le journaliste aurait mentionné que les parents de
Mylène étaient suivis par des intervenants sociaux, ce qui,
combiné avec l’hypothèse d’une mort suspecte, insinuerait que les parents de la
jeune fille n’étaient pas capables de s’occuper de leur enfant.
Les plaignants regrettent que le journaliste ait mentionné
que la fillette avait cinq ans parce que cela la rendait facilement
identifiable, surtout dans une petite ville comme Sept-Îles.
Enfin, M. Carrier et Mme Thérriault-Carrier
se demandent pourquoi le journaliste a divulgué des informations confidentielles
lors de son reportage et reprochent au coroner d’avoir donné une entrevue au
journaliste Alex Levasseur alors que son rapport n’était pas complété.
Le reportage porterait préjudice aux parents et ternirait
l’image de leur petite-fille.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du chef des émissions d’information, Québec,
Guy Amyot:
M. Amyot a demandé à son journaliste, Alex Levasseur, de
fournir des explications au sujet de sa couverture journalistique sur les
causes du décès de la jeune Mylène.
Commentaires du journaliste, Alex Levasseur :
Le journaliste précise d’abord qu’il ne connaît pas
personnellement les plaignants ni les parents de la jeune fille décédée, mais
qu’il connaît Michèle Carrier, la fille des plaignants, et son conjoint,
Patrick Delobel, qui travaillent tous deux pour la
Société Radio-Canada
à Sept-Îles.
Il explique qu’après avoir eu connaissance du décès de
l’enfant, il a parlé avec le journaliste Patrick Delobel
et ensuite avec le coroner en charge de l’enquête, Bernard Lefrançois.
Le coroner lui aurait mentionné que la cause du décès de l’enfant était
toujours inconnue et que le pathologiste devait faire des examens plus
approfondis.
Selon le journaliste, bien que les parents soient convaincus
que leur fille est décédée de l’apnée du sommeil et que les grands-parents
soutiennent que l’hypothèse de l’acte criminel est éliminée hors de tout doute,
ce ne serait pas compatible avec «ce que le coroner et le pathologiste
ont adopté comme attitude».
M. Levasseur aurait convenu avec son affectateur,
Denis Côté, de la pertinence de traiter de cette affaire le 11 février et
aurait fait une entrevue avec le coroner le vendredi 13 février. Selon le
journaliste, le coroner dit clairement que l’hypothèse criminelle est presque
éliminée, mais qu’il lui manque encore des informations pour écarter cette
possibilité. Le coroner l’aurait aussi informé que les diagnostics de mort
subite du nourrisson ou d’apnée du sommeil ne peuvent être confirmés par des
tests, mais plutôt par l’élimination de toutes les autres possibilités. M.
Lefrançois aurait aussi informé le journaliste que l’enfant
était handicapée et que les parents étaient considérés aussi comme légèrement
handicapés et qu’ils étaient suivis par plusieurs intervenants sociaux.
Le journaliste a ensuite parlé avec M. Raymond Faubert, le
responsable local du centre de réadaptationl’Émergent qui
s’occupait de l’enfant. Ce dernier l’aurait informé qu’elle
était suivie par plusieurs intervenants. M. Levasseur précise que c’est un
lapsus qui lui a fait dire qu’elle était suivie par un orthodontiste plutôt que
par un orthophoniste.
Alex Levasseur insiste pour dire qu’il a été convenu de ne
pas mentionner le nom de l’enfant ni celui des parents parce qu’il n’y avait
pas d’accusations criminelles déposées dans cette affaire. Selon lui, le fait
de dire qu’une jeune fille de six ans est décédée à Sept-Îles, une ville de 27
000 habitants, ne permet pas d’identifier la victime et sa famille.
Pour le journaliste, il était pertinent de traiter de cette
nouvelle en raison de son caractère exceptionnel et intrigant: un enfant
de cet âge ne meurt pas comme ça, sans explication. Le reportage ne serait pas
sensationnaliste, mais plutôt le fruit d’un légitime
questionnement. Alex Levasseur prétend que les informations qui ont émané des
services sociaux étaient trop générales pour que l’on puisse conclure à un bris
de l’intimité de l’enfant.
Il joint à sa lettre un extrait des Normes et pratiques
journalistiques de la Société
Radio-Canada qui prouveraient qu’il a démontré
davantage de respect qu’il n’était requis de le faire en ne nommant personne
dans cette affaire.
Réplique du plaignant
Les plaignants ne comprennent pas pourquoi le journaliste,
dans sa lettre d’explications, fait référence à leur fille Michèle Carrier et à
son conjoint, Patrick Delobel. Selon eux, Alex
Levasseur aurait effectivement parlé à M. Delobel et
ce dernier l’aurait informé que l’enfant était décédée de causes naturelles,
que la police excluait tout acte criminel et qu’il n’y avait donc pas matière à
reportage.
Le journaliste aurait aussi fait une appréciation
personnelle du handicap de la jeune fille en le qualifiant de
«lourd», contrairement à ce que le coroner Bernard
Lefrançois aurait affirmé (il aurait dit: l’enfant
est handicapée).
M. Carrier et Mme Thérriault-Carrier
joignent à leur réplique une lettre que leur a fait parvenir le coroner. Il
affirmerait, dans sa lettre, que la seule raison pour laquelle il a décidé de
donner une entrevue au journaliste était de faire dissiper les soupçons qui
pesaient sur les parents de l’enfant et que les résultats préliminaires de
l’autopsie excluaient toute cause de nature criminelle.
Les plaignants croient que le journaliste fait transparaître
dans son reportage les opinions et les doutes personnels qu’il entretient. Le
reportage serait sensationnaliste et truffé de sous-entendus. M. Carrier et Mme
Thérriault-Carrier soutiennent que le reportage, basé
sur des hypothèses et des allégations, n’aurait pas dû être diffusé.
Analyse
Mme Lise Thériault-Carrier et M. Bertrand Carrier se plaignent au Conseil de presse du manque de professionnalisme de la Société Radio-Canada et du journaliste Alex Levasseur dans le traitement d’une nouvelle portant sur les circonstances du décès de leur petite-fille, diffusée le 13 février 2004. Le reportage comporterait des faits inexacts, serait sensationnaliste et ternirait l’image de leur petite-fille et de ses parents.
Les plaignants affirment que la nouvelle n’était pas d’intérêt public et qu’elle n’aurait pas dû être diffusée. Ils se demandent aussi pourquoi cette nouvelle a été présentée en première position du bulletin de nouvelles, avant le reportage sur les funérailles de M. Claude Ryan.
De l’avis du Conseil, le reportage traitait d’une nouvelle d’intérêt public, soit du décès d’une enfant de cinq ans, dont les causes ne sont pas identifiées de façon certaine et où un coroner procède à une enquête. Il relevait de la discrétion des professionnels de l’information de traiter du dossier et de choisir le moment de la diffusion de cette nouvelle. En revanche, le Conseil est d’avis que la SRC a accordé à l’événement une importance démesurée en le positionnant en ouverture de son bulletin de nouvelles.
Mme Thériault-Carrier et M. Carrier sont aussi d’avis que le reportage est basé sur des hypothèses plutôt que sur des faits, qu’il comporte des inexactitudes et qu’il a une forte tendance sensationnaliste. À titre d’exemple, le journaliste aurait affirmé en ondes que l’enfant était handicapée lourdement, ce qui ne serait pas exact; elle souffrait plutôt d’un trouble envahissant du développement, un handicap qui ne peut être qualifié de lourd.
Si le reportage semble basé sur des hypothèses plutôt que sur des faits, c’est parce que les circonstances du décès de l’enfant ne sont pas encore connues. Le Conseil constate cependant que le journaliste accorde une insistance indue au traitement des différentes hypothèses.
D’autre part, même s’il apparaît inopportun ou maladroit d’avoir qualifié le handicap de l’enfant, le journaliste en a immédiatement précisé la nature, soit un trouble envahissant du développement. Le Conseil ne retient donc pas de grief sur ce point, mais tient à préciser que dans le traitement journalistique d’un drame humain, une très grande circonspection s’impose afin d’éviter un traitement sensationnaliste, surtout lorsque le reportage est basé sur des hypothèses et sur des informations préliminaires.
Les plaignants soutiennent aussi que la Sûreté du Québec leur a affirmé que l’hypothèse d’un acte criminel était complètement éliminée. Selon eux, le fait de mentionner cette hypothèse et le fait de dire que l’enfant était handicapée insinueraient que les parents n’auraient pas été capables de s’occuper de leur enfant.
Toutefois, dans l’entrevue qu’il donne au journaliste, le coroner Bernard Lefrançois mentionne que l’hypothèse de l’acte criminel n’est pas encore complètement éliminée parce qu’il n’a pas encore les résultats des différentes expertises demandées. On ne peut alors reprocher au journaliste d’avoir affirmé que l’hypothèse d’un acte criminel n’était pas encore totalement écartée.
Enfin, les plaignants soutiennent que le journaliste aurait diffusé des informations qui auraient permis d’identifier la victime et ses proches. En ne mentionnant que l’âge de la jeune victime et en ne nommant personne dans le reportage, Alex Levasseur a respecté la vie privée des proches ainsi que les exigences imposées par la déontologie journalistique.
Décision
Pour ces raisons, le Conseil de presse du Québec ne retient la plainte contre le journaliste Alex Levasseur et la Société Radio-Canada qu’en vertu des griefs ayant trait au manque d’équilibre dans le traitement et la présentation de l’information.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C02B Moment de publication/diffusion
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15H Insinuations
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16D Publication d’informations privées
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image