Plaignant
Aluminerie Alouette
inc. (Marc Brouillette, avocat)
Mis en cause
M. Stéphane Tremblay, journaliste, M. Yves
Bellefleur, vice-président information et rédacteur en chef
et le quotidien, Le Soleil
Résumé de la plainte
Par la voie de ses procureurs, Aluminerie Alouette
inc. dépose une plainte quant à plusieurs manquements à
l’éthique journalistique à la suite de la parution d’un article du journaliste
Stéphane Tremblay, publié en page frontispice du journal
Le Soleil, dans son édition du 9décembre 2003.
Griefs du plaignant
La plainte vise un article du journaliste Stéphane Tremblay
paru à la une du journal Le Soleil,
le 9décembre 2003. Le plaignant considère que cet article ne transmet pas
une information reflétant l’ensemble de la situation visée et qu’il n’a pas été
fait avec honnêteté, exactitude et impartialité selon les normes déontologiques
usuellement applicables en semblable matière. Tant par son titre que par son
contenu, l’article fait preuve d’un recours au sensationnalisme plutôt qu’à la
transmission d’informations de qualité.
Explorant plus en détails cet aspect du sensationnalisme, le
plaignant estime que le titre de l’article prône clairement « qu’une enquête
confirme le régime de terreur », bien qu’à la simple lecture des différents
rapports d’enquête, on peut constater qu’aucune conclusion ou affirmation
semblable n’a été émise par les enquêteurs et encore moins en ce qui concerne
le « chantier Alouette ». Le plaignant en conclut que le journal et son journaliste
ont laissé ce titre véhiculer une perception fausse et trompeuse de la réalité
prévalant sur le chantier de l’aluminerie Alouette inc.
Pour le plaignant, il s’agit de sensationnalisme à outrance,
voire même à répétition, puisque le journal et le journaliste avaient déjà
traité de cette question dans une série d’articles dans les semaines
précédentes. À son avis, cette façon d’agir transgresse les règles les plus
fondamentales en matière d’intégrité dans la présentation de l’information et
ce, contrairement aux énoncés déontologiques journalistiques du Conseil de
presse du Québec.
Outre son titre sensationnaliste, le contenu de l’article
déforme l’information présentée en faisant référence aux rapports d’enquête
visant deux chantiers soit Alouette et Gaspésia. La
confusion et la désinformation sont d’autant plus évidentes que le titre de cet
article ne fait référence qu’au chantier Alouette.
Ce recours au sensationnalisme donne enfin lieu à une
exagération et à une interprétation abusive des faits et des événements qui ont
pour effet d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée
réelle des informations véhiculées dans les rapports d’enquête, ce qui entraîne
le lecteur à associer Aluminerie Alouette inc., «
chantier Alouette » et « régime de terreur ». À ce sujet, le plaignant réfère
le Conseil à l’article 2.1 de son énoncé déontologique « Droits et
responsabilités de la presse ».
En ce qui a trait à la rigueur dans le traitement de
l’information, le plaignant estime que les
mis-en-cause n’ont pas respecté une règle fondamentale soit
le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme
aux faits et aux événements. Ainsi, un lecteur moyen prenant connaissance de
l’article, associerait Aluminerie Alouette inc. à un
« régime de terreur », ce qui est tout à fait inexact et hautement
préjudiciable à la réputation de cette entreprise.
De plus, selon le plaignant, les références au chantier
Gaspésia et le titre inadéquat utilisé créent une confusion
chez le lecteur et un jeu d’associations qui mettent Aluminerie Alouette
inc. sur la sellette et l’associent à une problématique de
conflits syndicaux. Ce faisant, les mis-en-cause
laissent croire que l’entreprise en serait complice ou responsable, alors que
ce n’est pas le cas, mais ils omettent de faire les nuances appropriées à cet
égard.
De plus, selon le plaignant, aucune opportunité n’a été
donnée aux représentants d’aluminerie Alouette inc.
d’exprimer leurs commentaires ou positions. Le journaliste Stéphane Tremblay
n’a pas traité de façon équilibrée les parties en cause avant de publier son
article du 9 décembre 2003 et ce, à l’encontre de l’article 2.1.4 des énoncés
déontologiques journalistiques du Conseil de presse. En outre,
Le Soleil et son journaliste ont manqué
de prudence et d’attention dans leur traitement de l’information, associant
facilement et sans aucune distinction deux rapports distincts portant sur deux
chantiers distincts et cela, contrairement à ce qu’ils laissent sous-entendre.
Le plaignant conclut que l’article en cause donne lieu à
plusieurs manquements contraires aux normes les plus élémentaires en matière
d’éthique journalistique.
Commentaires du mis en cause
M.Yves Bellefleur répond que
du printemps 2003 au printemps 2004, Le Soleil a publié au moins vingt articles
(le mis-en-cause annexe les articles) au sujet du
chantier de construction de l’aluminerie Alouette à Sept-Îles. La grande
majorité des textes signés par le collaborateur du Soleil, Stéphane Tremblay,
portait sur le climat malsain qui y régnait, sur le maraudage, les tensions
intersyndicales, le sabotage, l’intimidation faite par des fiers-à-bras et sur
les menaces dont étaient victimes tant les travailleurs que les entrepreneurs.
Témoignages à l’appui, Le Soleil a décrit le réel « régime de terreur » qui
prévalait sur ce chantier. La Sûreté du Québec et le ministère du Travail ont
d’ailleurs jugé la situation suffisamment explosive pour déclencher des
enquêtes.
Le 9 décembre 2003, Le Soleil dévoilait en exclusivité le
rapport des enquêteurs du ministère du Travail mandatés pour faire la lumière
sur la situation au chantier de l’Aluminerie Alouette, à Sept-Îles, mais aussi
sur celui de la Gaspésia, à Chandler. Selon M.
Bellefleur, le texte de son quotidien était très clair à ce
sujet: l’enquête du ministère portait sur les deux chantiers. Il était
donc normal que les mis-en-cause
parlent aussi de celui de la Gaspésia et il n’y avait
là aucune manœuvre de leur part pour créer de la confusion chez les lecteurs.
En ce qui concerne le chantier de Sept-Îles, l’enquêteur Richard Miller
concluait à des menaces, de l’intimidation, du sabotage, un ralentissement
intentionnel du travail et au non-respect des lois sur le chantier.
En ce qui a trait au qualificatif de sensationnaliste accolé
à l’expression « régime de terreur », le vice-président et rédacteur en chef
estime pour sa part que l’expression était parfaitement conforme aux faits.
D’ailleurs, elle a été utilisée plusieurs fois dans les mois précédents et
l’Aluminerie Alouette n’y a jamais trouvé rien à redire.
Quant au reproche adressé au quotidien Le Soleil à l’effet
qu’« aucune opportunité réelle n’a été donnée aux représentants de l’aluminerie
Alouette d’exprimer leurs commentaires, M. Bellefleur
la contredit fermement: le 8 décembre 2003, le journaliste Stéphane
Tremblay a parlé à la porte-parole de l’entreprise, Mme Line
Bérubé, mais celle-ci a refusé de commenter le rapport des
enquêteurs. Selon M. Bellefleur, depuis le printemps
2003, l’aluminerie Alouette a toujours refusé de commenter la situation sur son
chantier, sauf pour dire qu’elle était «exemplaire ».
Le représentant des
mis-en-cause indique en conclusion que Le Soleil rejette
les accusations de l’aluminerie Alouette formulées à son endroit. Il affirme
que son journal n’a commis aucun accroc à l’éthique journalistique et qu’il n’a
été ni sensationnaliste, ni partial. Au contraire, dans un premier temps, il a
rendu compte, témoignages à l’appui, de ce qui se passait sur le chantier;
ensuite, il a simplement fait état des conclusions du rapport des enquêteurs.
Réplique du plaignant
Réplique du procureur de l’aluminerie Alouette, Marc
Brouillette
Le représentant du plaignant divise sa réplique en deux
parties et commence par la notion de sensationnalisme. Il explique que le titre
de l’article du 9 décembre 2003 indique clairement «Chantier Alouette.
Une enquête confirme le régime de terreur », alors que manifestement, aucune
conclusion semblable n’a été émise par l’enquêteur Richard Miller. À cet égard,
les explications de M. Bellefleur relèvent, selon le
plaignant, davantage de l’art de noyer le poisson que de répondre directement
et tout simplement à cet aspect de la plainte.
Pour lui, l’utilisation de l’expression « régime de terreur
» associée au chantier Alouette et à l’Aluminerie Alouette est du pur
sensationnalisme à outrance, surtout lorsque de l’aveu même de M.
Bellefleur, le journal Le Soleil « a publié au moins vingt
(20) articles sur le chantier de construction de l’aluminerie Alouette ».
En regard de la rigueur dans le traitement de l’information,
la première riposte du plaignant est pour expliquer que le 8 décembre 2003, Mme
Line Bérubé ne pouvait commenter le rapport de M.
Miller puisqu’elle n’en avait pas encore obtenu copie. En outre, le journaliste
n’a pas daigné lui offrir une copie ou partager l’information pour obtenir ses
commentaires, malgré le fait que «le journal Le Soleil pouvait le
dévoiler en exclusivité dès le 9 décembre 2003 » comme se targue à le souligner
M. Bellefleur dans ses commentaires. Le plaignant
considère cette façon de procéder comme contraire à l’éthique journalistique.
Le plaignant ajoute que même si ces propos ne faisaient pas
le bonheur du journaliste, les représentants d’Aluminerie Alouette ont toujours
commenté la situation sur le chantier comme en étant une où tout allait bien et
où tous les travailleurs étaient heureux d’y travailler, comme en fait foi le
reportage fait par M. Stéphane Tremblay, à titre de journaliste pour la station
de télévision CFER, qui fut fait en août 2003 et diffusé dans les jours
suivants de sa réalisation.
Contrairement à ce qu’exprime M. Bellefleur,
il ne s’agissait pas de ce qui pouvait plaire ou non à l’Aluminerie Alouette,
mais tout simplement de rapporter adéquatement les faits. Plus particulièrement,
il s’agissait de rapporter fidèlement la conclusion du rapport Miller sans en
faire un jeu d’associations et de sensationnalisme.
Analyse
Les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entraves ni menaces ou représailles. L’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
En vertu de ces principes, maintes fois répétés par le Conseil de presse, le quotidien Le Soleil et le journaliste Stéphane Tremblay avaient le droit de choisir l’angle de traitement et de présentation de l’information à la suite des enquêtes du ministère du Travail sur certains chantiers du Québec et notamment celui de l’aluminerie Alouette à Sept-Îles. Ce faisant, médias et journalistes se devaient cependant de présenter les faits avec rigueur.
Or, la présente plainte mettait en cause un traitement journalistique où les mis-en-cause auraient manqué à plusieurs reprises à leurs obligations déontologiques, portant ainsi atteinte à la réputation de l’entreprise plaignante.
Le premier élément contesté par le plaignant concernait l’expression « une enquête confirme le régime de terreur ». L’examen des documents fournis par les parties indique que si la conclusion du rapport de l’enquêteur Richard Miller ne contenait pas textuellement l’expression utilisée dans l’article incriminé, le rapport d’enquête contenait suffisamment de témoignages de travailleurs du chantier Alouette se plaignant du climat malsain et faisant part de leurs craintes pour que le Conseil ne considère pas l’expression utilisée comme exagérée.
En ce qui a trait à la confusion possible pour un lecteur moyen, invoquée par le plaignant, le Conseil a estimé au contraire que la structure du texte de la nouvelle apparaissait claire et qu’en vertu des principes énoncés en préambule de cette décision, les mis-en-cause avaient le droit de traiter les contenus des deux rapports d’enquête dans un même ensemble, comme ils l’ont fait, tout en donnant plus d’importance au chantier le plus vaste du Québec.
En regard de la confusion entre « Aluminerie Alouette inc. » et «chantier Alouette » que les mis-en-cause auraient engendrée dans l’article incriminé, un examen rigoureux de ce grief par le Conseil n’a pas permis d’arriver à une telle conclusion. Il est donc apparu aux yeux du Conseil que seule une lecture peu attentive pourrait engendrer pareille confusion.
Dans sa plainte, le plaignant déplorait également qu’aucune opportunité n’avait été donnée aux représentants d’Aluminerie Alouette inc. d’exprimer leurs commentaires ou leurs positions. Le journaliste soutenait que la porte-parole de l’entreprise, Mme Line Bérubé, avait été contactée mais qu’elle avait refusé de commenter la situation sur le chantier sinon pour dire qu’elle était exemplaire. Dans sa réplique, le plaignant reconnaissait que Mme Bérubé avait eu une rencontre avec le journaliste, mais que ce dernier n’avait pas daigné lui offrir une copie du rapport d’enquête pour qu’elle puisse le commenter. Devant ces deux versions contradictoires, le Conseil n’a pas retenu le grief sur cet aspect. Le Conseil tient à faire remarquer ici que rien n’empêchait l’entreprise de commenter ultérieurement le rapport d’enquête et l’article en cause en sollicitant un droit de réplique dans la page des lecteurs du journal.
Le plaignant invoquait enfin qu’en raison d’un manquement aux règles déontologiques fondamentales, on en viendrait à associer l’entreprise « Aluminerie Alouette » et « régime de terreur », ce qui serait tout à fait inexact et hautement préjudiciable à la réputation de cette entreprise.
Puisque l’atteinte à la réputation découlerait du fait de fautes professionnelles de la part des mis-en-cause, et puisque aucun des griefs précédents n’a été retenu contre le journaliste ou la direction du quotidien, il n’est donc pas possible de conclure à une atteinte à la réputation de l’entreprise Aluminerie Alouette.
Décision
Après étude de la plainte et pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte contre le journaliste Stéphane Tremblay et le quotidien Le Soleil.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12C Absence d’une version des faits
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17G Atteinte à l’image