Plaignant
M. Louis St-Laurent
Mis en cause
M. Alain Bouchard, journaliste, M. Yves Bellefleur, vice-président information et rédacteur en chef, Mme Emmanuelle Cartier, affaires juridiques, Gesca ltée et le quotidien, Le Soleil
Résumé de la plainte
Louis St-Laurent soutient que le journaliste Alain Bouchard et le quotidien Le Soleil ont manqué à l’éthique journalistique en publiant un article, le 5 mars 2004, dans lequel il est injustement associé à un site Internet qui a diffusé des photos de danseuses nues.
Griefs du plaignant
Le plaignant, Louis St-Laurent, dénonce les manquements à l’éthique journalistique du journaliste Alain Bouchard qui l’aurait erronément qualifié de «maître es site pornographique» dans un article publié dans le quotidien Le Soleil.
Le plaignant dénonce d’abord le manque de rigueur dans l’exactitude de l’information présentée. Il soutient avoir été accusé à tort d’avoir un lien avec le site Internet qui a présenté des photos controversées. Selon lui, il aurait été très facile, en téléphonant, d’identifier la personne qui a placé les photos sur le site Internet. Mathieu Leclerc, vice président site Web du Conseil exécutif du regroupement des étudiants en génie informatique et électrique, serait le seul responsable de cette affaire.
Le plaignant dénonce ensuite le sensationnalisme auquel aurait eu recours le journaliste en l’identifiant hâtivement comme présumé responsable et en publiant les initiales de la personne qui s’est plainte des photos.
Il souligne que le journal Le Soleil ainsi que le journaliste n’ont eu que très peu de respect envers sa réputation. Le fait de mentionner son nom et le fait d’écrire qu’il était étudiant à la maîtrise en génie électrique à l’Université Laval éliminait tout doute sur son identité. Être injustement associé au site Internet et aux photos en question pourrait être nuisible lors de prochaines demandes de bourses ou pour une recherche d’emploi.
Enfin, il juge comme étant insuffisante la précision que le quotidien a publiée et soutient qu’elle comporte une autre erreur. Il aurait été écrit que Louis St-Laurent n’était pas un étudiant en génie électrique, ce qui est faux: il est étudiant à la maîtrise, mais n’était tout simplement pas impliqué dans cette affaire.
Le plaignant ne demande pas de rétractation supplémentaire, mais «désire simplement qu’on éclaircisse comment et pourquoi [le journaliste et le webmaître du Soleil] en sont arrivés à [l]’identifier comme un « maître es site pornographique »». Il demande aussi à se faire rembourser ses frais d’avocat «encourus par la publication de leurs soupçons non fondés».
Commentaires du mis en cause
Mme Emmanuelle Cartier soutient que M. Alain Bouchard a fait preuve de diligence dans sa recherche de faits et n’a pas eu recours au sensationnalisme dans le traitement médiatique de l’événement rapporté.
Selon Mme Cartier, «[l]’article en question traitait de façon humoristique du site Web Porn Tour réalisé par des étudiants de la faculté de génie de l’Université Laval et dans lequel apparaissaient des photos d’étudiants prises lors de leur virée dans les bars de danseuses de la ville».
Le site en question serait «manifestement très blindé contre toute tentative de retracer ses auteurs». C’est pourquoi le journaliste aurait demandé l’aide du webmaître du Soleil «qui a réussi à remonter à une adresse courriel d’un dénommé Louis Saint-Laurent, étudiant à l’Université Laval». Emmanuelle Carrier souligne que le journaliste a pris la peine de signaler dans son article que ce nom a peut-être été «emprunté» par les véritables auteurs du site.
Elle soutient que «ce serait de la restriction mentale que d’affirmer qu’on a erronément qualifié M. St-Laurent de maître es site pornographique» puisque le journaliste a écrit: «Mais le webmaître du Soleil, Yves Terrien, garçon débrouillard s’il en est, réussit à remonter à un certain Louis Saint-Laurent, futur maître es génie électrique, qui est déjà maître es site pornographique, ou qui est complètement en dehors de ça, mais dont le vrai «coupable» aurait alors emprunté le nom. Il va finir par nous le dire. Nous lui avons laissé un message».
Par ailleurs, c’est parce que les véritables responsables du site Internet n’ont pu être découverts que le journaliste n’a pas pu les interviewer.
Elle précise que suite à la publication du premier article, le responsable du site s’est manifesté et que cela a donné lieu à la publication d’un second article qui aurait permis aux lecteurs de «constater que le responsable n’était pas un dénommé Louis St-Laurent». Selon elle, la publication de cet article et la publication d’une précision par le Soleil «permet d’écarter toute confusion entre M. St-Laurent et le responsable du site
Porn Tour».
Réplique du plaignant
Le plaignant souligne que le manquement à la déontologie le plus grave et le plus évident est celui du manque de rigueur dans la recherche des faits. Il se questionne aussi sur la méthode employée par le journaliste et le webmaître pour remonter à son adresse de courriel et se demande si cette méthode d’enquête est courante dans les médias. Selon lui, cette façon de faire n’a pas la fiabilité nécessaire pour relier un individu à un site Web.
M. St-Laurent se dit en droit de se demander pourquoi ses coordonnées se sont trouvées associées à ce site et veut savoir si elles y ont été placées avec des intentions malveillantes. Il espère que «l’enquête du Conseil de presse permettra d’éclaircir la situation et de confirmer si oui ou non mon adresse de courriel est ou a pu être liée aux fameuses photos de l’[association étudiante]».
Analyse
Louis St-Laurent porte plainte contre le journal Le Soleil et le journaliste Alain Bouchard pour avoir été injustement associé à un site Internet dans un article publié le 5 mars 2004. Selon le plaignant, le journaliste aurait manqué de rigueur et aurait utilisé une méthode d’enquête peu fiable.
Les mis-en-cause soutiennent que c’est parce que le site Internet était «blindé contre toute tentative de retracer ses auteurs» que le journaliste a demandé au webmaître de l’aider à remonter à une adresse de courriel et que celle de Louis St-Laurent a été mêlée à cette affaire.
Le genre choisi pour rapporter la nouvelle en question relève du journalisme d’information et les médias ne peuvent se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Si le journaliste doutait de l’identité de la personne responsable d’avoir diffusé les photos sur Internet, il aurait dû vérifier ses informations auprès d’autres sources, comme par exemple, auprès de l’association étudiante responsable du site Internet. Que le journaliste ait écrit que Louis St-Laurent est peut-être «complètement en dehors de ça», mais que «le vrai coupable a alors emprunté [son] nom» est hypothétique et ne change rien au fait que le journaliste doit faire preuve d’une rigueur intellectuelle et professionnelle suffisante, garantie d’une information de qualité.
L’éthique journalistique commande donc que les journalistes, dans l’exercice de leur profession, s’identifient clairement et recueillent l’information à visage découvert et que le recours à des procédés d’enquête se justifie par le fait qu’il n’existe aucun autre moyen d’obtenir les informations recherchées.
Louis St-Laurent reproche aussi au journaliste d’avoir eu recours au sensationnalisme en publiant les initiales de la personne qui s’est plaint du contenu du site Internet et en mentionnant hâtivement le nom d’un présumé responsable.
Le fait de mentionner les initiales de la personne n’est pas suffisant, dans le présent cas, pour conclure que le journaliste n’a pas respecté le caractère confidentiel de sa source. Cependant, il est clair, selon les règles de la déontologie, que les professionnels de l’information doivent éviter de tirer des conclusions hâtives. En effet, les médias sont responsables de tout ce qu’ils publient ou diffusent et ne doivent en aucun temps se soustraire aux standards professionnels de l’activité journalistique sous prétexte de difficultés administratives, de contraintes de temps ou d’autres raisons d’ordre similaire.
Enfin, le plaignant soutient que la précision qu’a publiée Le Soleil ne le blanchit pas de tout soupçon.
L’objet de la rectification et de la mise au point est de corriger des erreurs qui auraient été faites lors du traitement journalistique d’une nouvelle. La précision qui a été publiée dans le journal visait à remédier au fait d’avoir associé Louis St-Laurent au site Internet en question. Il est écrit: «M. Louis Saint-Laurent, étudiant à la maîtrise en génie électrique à l’Université Laval, affirme qu’il n’a strictement rien à voir avec le « Porn Tour » diffusé par des collègues de son département dans un défunt site Web de la famille ulaval.ca. […] Le nom d’un certain Louis Saint-Laurent a été mêlé à cette histoire, mais il ne s’agit pas d’un étudiant en génie électrique. […].»
Le fait de dire que le Louis St-Laurent en question n’est pas un étudiant en génie électrique ajoute à la confusion parce que ce n’est pas une erreur sur l’identité dont se plaint M. St-Laurent, mais bien d’avoir été injustement mêlé à cette affaire. Aux yeux du Conseil, cette précision n’est pas sans ambiguïté; aussi la rectification apparaît-elle insuffisante.
Décision
Conséquemment, le Conseil de presse retient la plainte portée à l’endroit du journaliste Alain Bouchard et du quotidien Le Soleil concernant le manque de rigueur et de vérification de l’information.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C15D Manque de vérification
- C17F Rapprochement tendancieux
- C19B Rectification insatisfaisante
Date de l’appel
18 February 2005
Décision en appel
Les membres de la Commission d’appel ont conclu à l’unanimité
de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
Mme Emmanuelle Cartier, avocate, Affaires juridiques de
Gesca