Plaignant
Dr Magella Dionne
Mis en cause
M. Jean D. Talbot, directeur et rédacteur en chef et le magazine socio-politico-chrétien L’Apostrophe
Résumé de la plainte
M. Magella Dionne porte plainte à l’encontre du magazine L’Apostrophe et de son directeur et rédacteur en chef, M. Jean D. Talbot, concernant un manque d’équilibre de l’information et du respect des groupes sociaux, dans les éditions de Janvier-Février-Mars 2004 et d’ Avril-Mai-Juin 2004.
Griefs du plaignant
M. Dionne dénonce le magazine L’Apostrophe qu’il considère truffé de propos incendiaires, de passages provocateurs et rétrogrades.
À titre de président de l’Association Gai-Côte-Sud, dont un des mandats est de protéger et de défendre les droits des gais, lesbiennes et bisexuels, il ne peut que se révolter contre les propos tenus dans ce journal. Il y donne en exemple que l’on y décrit «la famille normale comme étant celle d’un papa et d’une maman unis pour la vie», et on peut y lire aussi une réflexion sur le projet de loi sur le mariage gai décrit comme « une loi inique et odieuse ». De plus il dénonce qu’on y présente « la bestialité comme de l’homosexualité » et que le magazine fait un lien direct « entre un projet sur les grands singes et les droits des gais, lesbiennes et bisexuels ».
Le plaignant souligne aussi de nombreux passages offensants qui écorchent les partis politiques, les syndicats, les parents et le Canada.
Ce qui inquiète surtout le plaignant, c’est que le magazine annonce la publication d’un tiré à part de 200000 exemplaires de la prochaine édition. Il demande au Conseil si ce dernier peut lire ce document avant sa publication et s’il serait en son pouvoir d’émettre une injonction jusqu’à ce qu’il rende une décision?
M. Dionne pense que les torts causés par de tels écrits sont irréparables. Il déplore cinq suicides de personnes gaies sur son territoire, la dernière année. Il conclut en mentionnant que le magazine tend à détruire le travail qui est fait pour contrer l’homophobie, le suicide et l’exode des jeunes.
Commentaires du mis en cause
M. Talbot se dit surpris de recevoir cette plainte par l’entremise du Conseil de presse. Il affirme que son magazine ne veut pas faire de discrimination, ni de persécution ou harcèlement envers des individus ou organismes. L’Apostrophe défend des valeurs chrétiennes, sociales et même patriotiques. Lorsque ces valeurs traditionnelles sont mises en cause, ils les soutiennent fermement. C’est leur droit, ajoute-t-il.
Le mis-en-cause ne comprend pas que le plaignant soit outré de la phrase suivante : « la famille normale c’est un papa, une maman, des enfants »; il mentionne que c’est l’évidence et que c’est comme cela depuis l’âge primaire jusqu’à nos jours. Il complète en mentionnant que «c’est biblique! Dieu créa l’homme et la femme, Adam et Ève et ils eurent des enfants, Caïen et Abel…».
M. Talbot indique qu’il y a un milliard de chrétiens dans le monde et que leur livre est la bible. Qu’il y a près d’un milliard de musulmans et islamiques qui, eux, se rattachent au Coran. Et c’est ainsi dans toutes les autres grandes religions. Faudra-t-il que ces milliards
d’individus renoncent aux valeurs auxquelles ils sont rattachés pour plaire à
une minorité, se demande-t-il?
À une phrase reprochée, concernant l’homosexualité, le mis-en-cause souligne que l’auteur de l’article ne fait pas de discrimination mais rapporte tout simplement le code criminel de 1955, et donne son opinion, il n’y trouve rien de reprochable. Sur la question du mariage entre homosexuels, M. Talbot fait corroborer son opinion en joignant un texte d’un psychiatre qui se prononce sur «l’impossible mariage homosexuel».
Le mis-en-cause trouve ridicule et dérisoire l’argument du plaignant à l’effet que le magazine tiendrait des déclarations offensantes à l’égard des syndicats, des parents et des partis politiques et que de tels propos seraient irréparables. Il suggère au plaignant de lire les grands quotidiens du Québec et il pourra constater que L’Apostrophe est souvent surpassée par des opinions directes et franches. De plus, ajoute-t-il, d’autres périodiques comme le sien défendent la même cause. À un autre article décrié par le plaignant, « République de Bananes », le mis-en-cause souligne que cet article avait été publié dans Le Devoir du 8 mars 2004.
Au fait que le plaignant serait effrayé par la publication d’un tiré à part de 200000 exemplaires, le mis-en-cause précise que ces exemplaires seront publiés en plusieurs langues et que cela ne regarde nullement les homosexuels. C’est un appel écologique aux jeunes de s’unir pour sauver la planète terre qu’ils habitent, ajoute-t-il. De plus, M. Talbot considère comme une atteinte très grave à la liberté d’expression de la part du plaignant de demander au Conseil de presse de censurer ce supplément avant sa parution ou d’émettre une injonction pour les bâillonner.
En ce qui concerne le suicide chez les personnes gaies, le mis-en-cause se demande quel est le rapport avec le magazine? Il considère ces insinuations farfelues et d’un ridicule inconcevable. Il souligne qu’il y avait des suicides dans la région avant l’existence de L’Apostrophe.
Selon M. Talbot, le but du magazine n’est pas de faire une guerre ou d’entreprendre une polémique haineuse. Il respecte les individus mais refuse de devenir esclave de leurs idées. Il souligne qu’il a parmi ses connaissances des personnes homosexuelles, et même s’il y a des divergences d’opinions et des discussions serrées, cela ne brise pas le lien d’amitié ou de compréhension.
Il conclut en mentionnant qu’il n’y a pas de puissance, d’armée terrestre qui les fera taire. Les apôtres du Christ ne se taisaient pas malgré les persécutions et toutes les souffrances qu’ils devaient endurer. Il invite M. Dionne à mieux les connaître avec leurs défauts, leurs faiblesses, leurs erreurs mais aussi leurs qualités, capacités dans différents domaines.
Réplique du plaignant
M. Dionne considère L’Apostrophe discriminatoire, blessant et harcelant envers de nombreux groupes et organismes. De plus, ce magazine véhicule des préjugés révolus à l’effet que l’homosexualité est un péché, une maladie, un crime ou un choix. M. Dionne a joint un document à sa réplique: « Pour une nouvelle vision de l’homosexualité » publié par le ministère de la Santé et des services sociaux du Québec qui démolit tous ces préjugés avec des études et références à l’appui.
Le plaignant réitère son effroi face à une publication d’un tiré à part de 200000 copies. Il se dit sidéré par ce qu’il a lu dans L’Apostrophe et considère ces écrits dangereux. Il croit que L’Apostrophe ne devrait pas être publié, gratuit ou non.
M. Dionne termine sa réplique en refusant la requête du mis-en-cause de mieux les connaître; il préfère être athée que pratiquant d’une religion aussi intolérante et dépassée.
Analyse
Le mandat du Conseil de presse consiste à promouvoir le respect des plus hautes normes en matière d’éthique journalistique et ne vise pas à statuer sur des questions relevant de la théologie ou des coutumes et croyances religieuses.
Dans son guide «Droits et responsabilités de la presse», en matière de choix rédactionnels et de traitement journalistique, le Conseil reconnaît deux formes de journalisme, soit le journalisme d’information et le journalisme d’opinion qui comprennent, de part et d’autres, différents genres journalistiques.
Les médias et les journalistes doivent respecter les distinctions qui s’imposent entre les différents genres journalistiques.Ceux-ci doivent être facilement identifiables afin que le public ne soit pas induit en erreur sur la nature de l’information qu’il croit recevoir.
Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition.
De ces faits, peut-on classer le magazine L’Apostrophe dans un de ces genres journalistiques?
Examinons tout d’abord le journalisme d’information. Si on considère que les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec impartialité; on constate que L’Apostrophe ne répond en rien à cette définition. Il consisterait plutôt à défendre des opinions dans un contexte de valeurs chrétiennes.
En second lieu, le journalisme d’opinion. En considérant que les éditorialistes et commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques, il apparaît encore ici que L’Apostrophe n’énonce pas clairement la teneur éditoriale de ses textes, et deuxièmement, que ceux-ci sont des opinions données dans un contexte de valeurs chrétiennes.
Considérant les éléments ci-haut mentionnés, le Conseil en arrive à la conclusion que ce magazine ne répond à aucun des genres journalistiques reconnus, relevant de la juridiction du Conseil. Le magazine L’Apostrophe n’est pas à caractère journalistique, car on n’y traite pas de la nouvelle, il sert plutôt d’outil pour prôner des valeurs chrétiennes. Le Conseil a dénombré quelques autres publications du même genre, tel que Vers Demain et L’Action Chrétienne Démocrate, de même que d’autres publications à caractère religieux, tel que La Tour de garde, publication des Témoins de Jéhovah.
Décision
Pour ces raisons, le Conseil de presse juge non recevable la plainte à l’encontre du magazine L’Apostrophe et de son directeur et rédacteur en chef, M. Jean D. Talbot.
Analyse de la décision
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18E Discrimination (citation)