Plaignant
MM. Daniel Senez et Guy Robitaille
Mis en cause
Mme Ginette Claude Perron, rédactrice en chef; Mme Lucie Masse, directrice et l’hebdomadaire Le Courrier du Sud
Résumé de la plainte
Suite au scandale des commandites, le journal Le Courrier du Sud publie un article à la une de son édition du 26 juin 2004 intitulé : « Finies ou pas les COMMANDITES? Pour ne plus que se répète cette grossière aberration ». Cet article paraît deux jours avant les élections fédérales du 28 juin. La haute direction du journal demandait, aux seize candidats des quatre formations politiques des quatre comtés desservis par son journal, de s’engager à condamner la pratique des commandites et à démissionner, s’ils étaient élus, si un tel scandale éclatait de nouveau. Pour ce faire, la haute direction propose aux candidats d’endosser une déclaration datée du 23 juin 2004.
MM. Senez et Robitaille portent plainte auprès du Conseil de presse, principalement pour manquement, par la presse, aux obligations d’impartialité et de rigueur.
Griefs du plaignant
Tout d’abord, MM. Senez et Robitaille dénoncent la non-identification de l’article. L’article daté du 26 juin 2004 est signé de la « haute direction » du journal, laquelle n’est pas identifiée. M. Robitaille précise que la haute direction de la plupart des grands quotidiens est toujours clairement identifiée, ce qui n’est pas le cas dans Le Courrier du Sud. Les plaignants estiment que cet oubli constitue un manquement au « droit fondamental des lecteurs de savoir à qui ils ont affaire quand des personnes se prononcent sur des sujets de moralité publique et s’avisent de faire la leçon ».
Les plaignants contestent également le manque d’identification du genre journalistique. M. Robitaille cite l’article 2.1.4 des « Droits et responsabilités de la presse », afin d’expliquer qu’une non-identification du genre journalistique peut prêter à confusion et conduire le public à assimiler une opinion éditoriale, partiale par définition, à un article d’information. Ce grief s’applique à l’article publié à la une de l’édition du 26 juin 2004 ainsi qu’à l’article donné en réponse le 3 juillet 2004.
M. Senez avance que le journal Le Courrier du Sud a incité, par son article du 26 juin 2004, les candidats à transgresser la Loi électorale du Canada et son article 550 interdisant au candidat de signer un document fixant sa ligne de conduite après son élection.
Les plaignants reprochent enfin au journal son manque de rigueur et d’impartialité dans le traitement de l’information. En effet, pour M. Senez le journal « s’est posé en acteur ». La forme et le contenu, déformés et gonflés volontairement, visaient particulièrement les candidats libéraux.
L’information semble donc, pour les plaignants, partielle, inexacte et orientée politiquement.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Ginette Claude Perron, rédactrice en chef :
La mise-en-cause commence en soulignant que le scandale des commandites a été médiatisé par l’ensemble des grands quotidiens et par les chaînes de télévision du pays. Le Courrier du Sud n’est donc pas le seul journal à avoir fait mention, dans ses éditoriaux, de l’affaire des commandites. Madame Perron appuie son argumentation par différentes coupures de presse annexées à son commentaire.
De plus, la rédactrice en chef du journal assure que la déclaration, que Le Courrier du Sud propose aux candidats d’endosser, est une « déclaration symbolique », dont le contenu ne visait pas les candidats libéraux en particulier et n’a pas joué de rôle dans leur défaite.
En se basant sur de nombreux rapports, la mise-en-cause réfute les griefs de partialité et d’exagération de l’information. Selon madame Perron, les chiffres ne sont pas « gonflés » et de nombreuses enquêtes attestent de leur véracité.
Encore une fois, elle souligne que le journal n’a pas voulu se poser en acteur de l’élection, que la déclaration n’était que symbolique et n’avait pas pour but de priver les élus de leur liberté d’action et d’expression.
Pour finir, sur le grief de non-identification de l’article, la mise-en-cause explique qu’un encadré, en page 6 de l’édition du 26 juin 2004, identifiait la direction générale soit la haute direction du journal. Quant au « Courrier Express », il s’agit d’un espace réservé pour l’éditorial depuis vingt-cinq ans.
Réplique du plaignant
M. Senez conteste l’emploi du mot « scandale » et lui préfère celui de « programme » plus approprié, d’autant que « le gouvernement provincial, la Ville de Longueuil et même le Courrier du Sud commanditent plusieurs événements ». Le plaignant maintient que les chiffres ont été gonflés par sensationnalisme.
De plus, la déclaration n’était pas symbolique et le geste avait pour but de nuire aux candidats libéraux. Si la déclaration n’a pas influencé le résultat des élections, elle a fait perdre des milliers de dollars aux associations libérales de la Montérégie en raison du nouveau mode de financement des partis politiques. Un candidat libéral fut pris à partie suite à l’article paru dans l’édition du 26 juin 2004, dans Le Courrier du Sud.
M. Robitaille n’est pas satisfait du commentaire des mis-en-cause qui ne correspond pas à sa plainte.
Tout d’abord, la confusion subsiste quant à l’identification de l’auteur de l’article. « Haute direction », « direction générale » ou M. Auclair, l’identité de l’auteur reste floue.
Enfin, M. Robitaille rappelle que le genre journalistique n’est pas clairement défini. Il n’est pas satisfait de la justification des mis-en-cause selon qui, la page « Courrier Express » identifie la page éditoriale. M. Robitaille rappelle l’article 2.1.4 des « Droits et responsabilités de la presse » reconnaissant comme fondamental l’identification du genre journalistique. Un éditorial ne peut être assimilé à un commentaire, une réponse ou une opinion.
Commentaires à la réplique
Commentaires de Mme Ginette Claude Perron à la réplique de M. Guy Robitaille :
Tout d’abord, madame Perron estime que son commentaire initial à la plainte est suffisamment explicite quant à l’identification de l’auteur et du genre journalistique.
Premièrement, Jean-Paul Auclair a été clairement identifié comme étant à l’origine du message publié le 26 juin 2004. Le doute ne subsiste donc pas, comme l’estime M. Robitaille. Ensuite, l’espace « Courrier Express » est un espace réservé, laissant aux auteurs une grande liberté de parole, qu’il s’agisse d’un point de vue, d’un commentaire, d’opinions ou de prises de position. L’édition du 3 juillet du « Courrier Express » ne laisse encore une fois aucun doute sur la nature journalistique de l’article.
Commentaires de Mme Ginette Claude Perron à la réplique de M. Daniel Senez :
Mme Perron cite un passage de l’éditorial dans l’édition du journal Le Devoir du 15 septembre 2004 afin de montrer que le terme « scandale » est régulièrement utilisé dans l’affaire des commandites. De plus différentes enquêtes attestent de la véracité des chiffres utilisés dans la une du journal Le Courrier du Sud du 26 juin 2004.
Enfin, la mise-en-cause laisse au Conseil de presse le soin d’évaluer l’impact de la une du 26 juin 2004 sur le financement des associations libérales de la Montérégie.
Analyse
Le Conseil de presse est saisi de deux plaintes contre le journal Le Courrier du Sud dans le contexte délicat des élections fédérales et de « l’affaire des commandites ».
Sur le fond, les plaignants reprochent au journal un manque d’objectivité dans le traitement de l’information.
Sur la forme, les plaignants reprochent au journal une mauvaise identification de l’auteur de l’article et du genre journalistique.
Quant à la plainte concernant l’incitation à transgresser la Loi électorale du Canada, elle ne peut être reçue et traitée par le Conseil qui ne statue que sur des problèmes éthiques. De plus, ce grief fait déjà l’objet d’une requête devant le Directeur général des élections.
Le premier grief relevé par les plaignants est la non-identification de l’auteur de l’article. En vertu des principes maintes fois répétés par le Conseil de presse, les journalistes sont libres de signer ou non les textes ou les reportages qu’ils produisent. Ils peuvent recourir à l’utilisation d’un pseudonyme, nom d’emprunt ou nom de plume pour la signature de textes. L’usage de telles dénominations constitue une pratique journalistique reconnue. De l’avis du Conseil, le terme de « haute direction » désigne clairement la direction du journal donc la ligne éditoriale. Le Conseil de presse rejette donc ce grief.
En ce qui concerne la non-identification du genre journalistique, les plaignants reprochent au journal de ne pas avoir clairement défini à quel type de journalisme l’article appartient. Cet oubli peut donc créer, selon les plaignants, une confusion chez le lecteur. En effet, les médias et les journalistes doivent respecter les distinctions qui s’imposent entre les différents genres journalistiques. Ceux-ci doivent être facilement identifiables afin que le public ne soit pas induit en erreur sur la nature de l’information qu’il croit recevoir. Pour l’article en cause, il est vrai que le mot éditorial, correspondant au genre journalistique choisi, n’est pas utilisé. Le Courrier du Sud doit donc veiller à annoncer plus clairement ses rubriques afin qu’un tel malentendu ne se reproduise pas.
Cependant, l’article émanant de la haute direction est forcément un éditorial ou du moins un article partial, car révélant l’opinion du journal. Pour cette raison le grief est rejeté.
Enfin, sur le grief de manquement à l’obligation d’impartialité, les sujets et les contenus des éditoriaux relèvent de la discrétion de l’éditeur. Il est libre d’exclure les points de vue qui s’écartent de la politique du média, sans qu’une telle exclusion puisse être considérée comme privant le public de l’information à laquelle il a droit. Pour cette raison, ce dernier grief est rejeté.
Décision
Après étude des plaintes et pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette les plaintes contre le journal Le Courrier du Sud et sa directrice en chef Ginette Claude Perron. En effet, aux yeux du Conseil, ces plaintes relèvent plus du conflit idéologique que de problèmes éthiques.