Plaignant
Association
des infirmières et infirmiers d’urgence du Québec (AIIUQ) et M. Réal Gagné,
directeur général
Mis en cause
Mme Marie
Caouette, journaliste, M. Yves Bellefleur,
vice-président de l’information et rédacteur en chefetlequotidienLeSoleil
Résumé de la plainte
Résumé_Plainte
L’Association des infirmières et infirmiers d’urgence du
Québec (AIIUQ) porte plainte contre la journaliste Marie Caouette
et le quotidien Le Soleil, à la suite de la parution, le vendredi
2juillet 2004, d’un article intitulé: «Auxiliaires dans les
urgences, les infirmières en ont ras le bol « La sécurité du public (est)
en péril cet été », préviennent-elles.» Pour le plaignant, le
traitement journalistique était bâclé et il démontrait un manque de rigueur,
une recherche de sensationnalisme, une mauvaise compréhension du dossier et une
déformation de propos.
Griefs du plaignant
La plainte de l’Association des
infirmières et infirmiers d’urgence du Québec (AIIUQ) déposée par le directeur
général de l’organisme M. Réal Gagné vise, dans le présent cas, la journaliste
Marie Caouette ainsi que le quotidien
Le Soleil de Québec. La plainte fait
suite à la parution, le vendredi 2juillet 2004, d’un article
intitulé: «Auxiliaires dans les urgences, les infirmières en ont
ras le bol « La sécurité du public (est) en péril cet été »,
préviennent-elles.» L’article traitait des infirmières auxiliaires
oeuvrant dans les salles d’urgence du Québec.
Pour Réal Gagné, les objectifs de
la démarche de l’AIIUQ, auprès des médias, étaient de
« mettre en garde la population au sujet des pratiques « non
régulières » de certains gestionnaires de centres hospitaliers au Québec,
ce qui mettait en péril leur sécurité ».
Les reproches de M. Gagné
aux mis-en-cause dans les deux cas
portent sur les aspects suivants :
– traitement journalistique ayant
« porté préjudice sous bien des égards, à des personnes et mêmes des entités
n’ayant jamais été interpellées » dans l’affaire. Plusieurs fautes
journalistiques auraient été commises en adaptant l’information pour satisfaire
un besoin de sensationnalisme;
– traitement bâclé: les
journalistes n’ont jamais demandé à lire ni utilisé l’information contenue dans
le « Libellé » ou dans les autres publications de l’AIIUQ,
ou encore demandé de l’information ou des références écrites d’appoint;
– détournement d’objet et de
sujet : les journalistes auraient emprunté «une tangente parallèle de
type principalement interprétatif […] présentant de pseudo-chicanes
intestines» alors que«toute la documentation fournie [par l’
AIIUQ] portait sur la gestion des décideurs des centres
hospitaliers et non pas sur le dénigrement des infirmières auxiliaires»;
– recherche de
sensationnalisme: conséquence du manque de rigueur journalistique et de
recherche, les articles visés seraient «superficiels, perceptuels et non
pas factuels». La réaction défensive des parties nommées dans ces
articles en serait d’ailleurs la preuve;
– mauvaise compréhension du
dossierde la part des journalistes : à preuve, des gens tout à fait hors
contexte ont été consultés, des gens qui n’avaient pas eu connaissance des
positions de l’AIIUQ ou n’avaient pas pris
connaissance des documents que l’Association avait diffusés;
– informations inexactes : les
journalistes auraient «rapporté de fausses informations, notamment au
niveau de citations présumées, causant une escalade belliqueuse», entre
les plaignants et les autres groupes interrogés sur le sujet.
Les plaignants formulent ensuite
des reproches spécifiques à la journaliste du quotidien
Le Soleil:
– manque d’objectivité
journalistique : interprétation personnelle, jugement de valeur et opinion
personnelle inappropriés de la teneur basique du message de l’Association en
affirmant que l’AIIUQ voulait faire peur, ce qui
n’est pas le cas;
– recherche de sensationnalisme
provoquant la controverse en utilisant un titre en caractère gras et hors
contexte;
– citation « présumée hors
contexte grave par des déformations des propos » : la journaliste prétend citer
M. Yvan Gagnon par la phrase « M. Gagnon qualifie les auxiliaires de préposées
de luxe. »
Les plaignants joignent à leur plainte une copie des
déclarations solennelles de MM. Gagné et Gagnon qui attestent sous serment
n’avoir jamais utilisé de langage méprisant à l’égard des infirmiers et
infirmières auxiliaires lors des entrevues accordées aux divers médias et ne
pas avoir utilisé les formulations présentées dans les journaux au sujet de «
la soi-disant « incompétence » des infirmières auxiliaires » ou de les
avoir comparé à des « préposées aux bénéficiaires ». À la plainte est également
annexée une copie de diverses lettres au sujet de l’affaire des infirmières
auxiliaires, dont un certain nombre de mises en demeure et le communiqué de
presse initial, fourni aux médias par l’AIIUQ.
Commentaires du mis en cause
La journaliste Marie Caouette répond avoir
appliqué les mêmes méthodes journalistiquesau traitement de l’article mis
en cause qu’à tous ses autres articles depuis 30 ans. Elle soutient ainsi avoir
«fait des entrevues avec chacun des plaignants (MM. Gagnon et Gagné) pour
arriver à bien situer l’organisme qu’ils représentent dans le monde de la
santé». La journaliste ajoute que, selon ses connaissances, «[c’
]était la première fois que cette organisation
professionnelle […] se manifestait sur la place publique» lors de la
situation au cœur du conflit.
La
mise-en-cause soutient que les entrevues ont porté sur le
rôle de l’AIIUQ, ses objectifs à long terme et sur
«les faits qui amenaient l’Association à adopter un ton aussi alarmiste
dans le communiqué lancé au mois de juin 2004». Mme Caouette
soutient que ce ton alarmiste était couramment exploité dans le communiqué, où
l’AIIUQ «indiquait que la sécurité du public
était en péril dans certaines urgences québécoises en raison de la tendance à
embaucher du personnel moins qualifié».
Elle ajoute, qu’en
plus de ce titre «plusieurs expressions maintenaient ce ton», des
expressions telles que: «sonne l’alarme», «met en péril
la sécurité du public», «l’Association […] exhorte le ministre […]
d’interdire aux préposés […]», «assurer le maintien de la qualité
des soins».
Marie
Caouette affirme, à ce propos, que la déclaration de l’
AIIUQ a surgi en «début de saison estivale, après
plusieurs étés successifs de situations critiques dans les urgences
québécoises, causées par le manque de personnel infirmier», bien que
«depuis toutes ces années, c’était […] la première fois qu’un communiqué
inquiétant émanait d’une association regroupant des infirmières», ceux
des autres groupements ou syndicats étant à son avis «habituellement très
prudents, très mesurés pour éviter de susciter des craintes dans la
population».
La journaliste
soutient également que les plaignants auraient «longuement décrit le rôle
limité des infirmières auxiliaires dans une urgence et le surcroît de travail
que leur supervision imposait aux infirmières» et que, pour ce faire, un
des plaignants aurait utilisé «la formule-choc de « préposées de
luxe » pour bien marquer les limites du travail des infirmières auxiliaires
». La mise-en-cause appuie ses dires par
l’observation d’une autre «déclaration-choc» formulée par l’
AIIUQ et relevée dans un article du journal
The Gazette sur le sujet, faisant
«allusion à l’embauche de concierges (janitors)».
Mme
Caouette explique avoir cherché à savoir s’il y avait eu
certains problèmes concrets dans les urgences hospitalières découlant de la
situation évoquée par l’AIIUQ et qui
«appuyaient [sa] prise de position». Elle soutient que les
plaignants n’ont alors pas été en mesure de présenter de cas.
La journaliste
termine ses commentaires en certifiant que son «article reflète
fidèlement les propos échangés» avec les deux porte-parole de l’
AIIUQ, en situant leurs prises de position dans le contexte
d’ensemble.
Réplique du plaignant
Le plaignant mentionne tout d’abord que, malgré son expérience, la
journaliste Marie Caouette n’est pas à l’abri de
toute erreur et qu’il n’est pas nécessaire defouiller beaucoup pour
trouver plusieurs référencessur l’AIIUQ dans la
revue de presse, comme à de nombreux endroits sur Internet.
Selon M. Gagné, la journaliste aurait prêté de fausses intentions à l’
AIIUQ lors de son entrevue et de sa rédaction, en affirmant
que les interventions de l’organisme se voulaient un moyen de dénoncer une
situation qui allait à l’encontre de sa mission à faire reconnaître la
spécialité des infirmières qui oeuvrent dans les urgences. Les plaignants
allèguent qu’en cherchant à demeurer objective et en évitant de servir la cause
de l’AIIUQ, la journaliste aurait servi celle des
divers syndicats touchant les infirmiers, en leur allouant une visibilité et un
droit de réplique privilégié, alors que ces derniers ne seraient, selon Réal
Gagné, pas concernés par le sujet et auraient profité de cette visibilité en
période de maraudagesyndical.
Au sujet de la déclaration-choc de «préposées de luxe», M.
Gagné rappelle que la plainte initiale se situe dans un contexte tout autre que
celui cité par la journaliste et poursuit en ajoutant que la déclaration au
sujet de «l’embauche de concierges», dans le quotidien
The Gazette, n’a rien à voir avec la
déclaration-choc rapportée par Le Soleil de Québec.
Quant à l’allusion selon laquelle Marie
Caouette ne serait « pas la seule à rapporter des
formulations disgracieuses» émises par les membres de l’
AIIUQ, il s’agirait en fait des déclarations-choc exposées
par le Journal de Montréal qui aurait commis à deux reprises les mêmes
erreurs.
Contrairement à ce que la journaliste
soutient, cette dernière n’aurait pas cherché à s’informer sur des problèmes
subséquents à l’application des mesures dénoncées, mais aurait plutôt demandé
au plaignant s’il connaissait «des endroits où travaillaient des
infirmières auxiliaires dans les urgences». Le plaignant explique qu’en
raison des politiques de l’Association, il ne pouvait dénoncer les centres
hospitaliers concernés et aurait plutôt nommé des régions, mentionnées
d’ailleurs dans l’article contesté. Ainsi, si Marie Caouette
affirme que «les plaignants n’ont pu apporter de cas», ce serait
tout simplement parce qu’elle n’en aurait pas fait la demande.
Enfin, les plaignants rappellent que les
déclarations de MM. Gagnon et Gagné sont assermentées, ce qui infirmerait les
propos de Mme Caouette, lorsqu’elle déclare que son
article «reflète fidèlement les propos échangés avec les deux
porte-parole».
En conclusion, les
plaignants mentionnent que l’AIIUQ a accordé des
entrevues à d’autres médias et que «les résultats ontété très
concluants et factuels», et donc, que son organisme n’aurait pas eu
«maille à partir avec tous les médias mais bien deux, dont trois
journalistes».
COMMENTAIRES À LA RÉPLIQUE
La journaliste du Soleil rappelle que
le «cri d’alarme» de l’AIIUQ au sujet de
«la sécurité des patients dans les urgences en raison de la présence
d’infirmières auxiliaires à leur chevet» était «fort
inusitéchez des infirmières», en général très prudentes dans leurs
déclarations pour «ne pas créer un climat d’insécurité». La
mise-en-cause réitère qu’en entrevue avec les principaux
concernés «aucun événement ne venait corroborer cette position
drastique». Et face à cela, il s’imposait
d’explorer un peu plus largement et de tenter de trouver d’autres causes, ou un
contexte, expliquant cette sortie.
Pour elle, il était donc pertinent de mentionner
dans l’article les gestes posés par cette association professionnelle en vue de
faire reconnaître le nursing d’urgence comme une spécialitéparce qu’il y
avait une ligne de conduite clairement établie.
Elle ajoute que tout journaliste a parfaitement
le droit de sortir du cadre où certaines associations ou certains
relationnistes voudraient le confiner.
Finalement, Marie Caouette termine en
expliquant que « comme les propos du demandeur étaient très colorés et
surgissaient sans peine, il n’était pas inapproprié d’utiliser certaines de ses
expressions pour illustrer son propos».
Analyse
La plainte de l’Association des infirmières et infirmiers d’urgence du Québec contre la journaliste Marie Caouette et le quotidien LeSoleil a été déposée en même temps et dans le même document qu’une autre plainte contre le Journal de Montréal et deux de ses journalistes.
Dans la présentation de ses doléances, le représentant des plaignants faisait état de griefs communs aux deux groupes mis en cause et de griefs spécifiques à chacune des journalistes.
Les reproches communs ont été examinés au moment de l’étude de la plainte D2004-07-007 et aucun de ces griefs n’a été retenu. Ils ont tout de même fait l’objet d’un réexamen spécifique dans le présent dossier et les conclusions antérieures ont été confirmées.
En ce qui a trait aux reproches spécifiques à Mme MarieCaouette et à son employeur, le quotidien Le Soleil, le premier de ces griefs reprochait à Mme Caouette d’avoir manqué d’objectivité journalistique et d’avoir présenté son interprétation personnelle de la situation, en écrivant que l’AIIUQ et ses membres n’hésitaient pas à faire peur, et en lançant que la sécurité du public était en péril.
Après examen, le Conseil en arrive à la conclusion que la journaliste n’affirme pas, dans son article, que l’AIIUQ veut faire peur; elle écrit plutôt que le communiqué de l’AIIUQ constitue en quelque sorte un cri d’alarme et qu’ainsi il fait peur. Plusieurs expressions utilisées par l’AIIUQ peuvent d’ailleurs contribuer à créer cette impression, comme par exemple le titre du communiqué où il est mentionné que la sécurité du public est en péril. Pour le Conseil, quand la journaliste parle d’un cri d’alarme, ses propos reflètent certains des propos tenus dans le communiqué où l’on dit «sonner l’alarme ». Considéré ainsi, l’article ne présenterait pas une interprétation personnelle comme le prétendent les plaignants mais serait plutôt conforme au contexte dont il est inspiré. Le grief n’a donc pas été retenu.
Le second grief avait trait au titre qui, selon les plaignants, était sensationnaliste et chercherait à provoquer la controverse. Parce que présenté en caractères majuscules et gras, il aurait eu prédominance sur la portée de l’article, aurait été hors contexte et aurait présenté une situation différente de celle décrite par les représentants de l’ AIIUQ.
Après examen, il est apparu au Conseil que seule la seconde partie du titre, «Les infirmières en ont ras le bol », pouvait prêter à discussion. S’il apparaît exact d’affirmer que l’AIIUQ n’a pas utilisé ces termes, le communiqué de l’Association indique bien que «L’AIIUQ représente l’ensemble des professionnels infirmiers oeuvrant dans les salles d’urgence au Québec, soit près de 4 300 personnes ». Il n’était donc pas malvenu de prétendre que l’organisme parlait au nom des infirmières.
De plus, le communiqué dénonçait une situation qui durait dans certains centres hospitaliers depuis le début de l’année. Les plaignants spécifiaient dans leur plainte que la problématique de gestion de certains centres hospitaliers n’était pas nouvelle et que l’AIIUQ avait mené une vaste consultation sur l’optimisation des soins et de la gestion des urgences au Québec depuis 2003. À la lumière de ces informations, il n’est pas apparu excessif d’indiquer dans le titre de l’article que « Les infirmières en ont ras le bol ».
En ce qui concerne le fait que le titre ait été présenté en caractères majuscules et gras dans une recherche de sensationnalisme, cette affirmation n’a pas été démontrée pas les plaignants et le grief a également été rejeté.
Autre reproche à la journaliste, celui d’avoir nourri sa recherche de sensationnalisme, en utilisant de fausses citations ou en déformant certains propos tenus par les membres de l’AIIUQ lors de l’entrevue. Le Conseil a estimé que même si la journaliste n’avait pas rapporté exactement les propos de M. Gagné quand il a parlé de «préposées de luxe », il n’en demeure pas moins que le grief n’avait pas la portée dénoncée par les plaignants. Car, même en utilisant ce qualificatif dans le contexte où M. Gagné prétend l’avoir utilisé, cette position serait demeurée très controversée puisque la Loi 90 permettait aux infirmières et infirmiers auxiliaires certains actes professionnels dans le cadre d’une activité en service hospitalier d’urgence. En outre, comme c’est l’usage lorsque les parties présentent des versions contradictoires, le Conseil refuse de prendre position, considérant que le grief n’est pas démontré.
Au sujet de la principale inexactitude reprochée par les plaignants à la journaliste, soit d’avoir dit que leurs intentions étaient de faire reconnaître leurs membres comme des «infirmières spécialisées», après examen des déclarations publiques des porte-parole de l’AIIUQ, et notamment celle du président de l’Association, M.YvanGagnon, à l’occasion du congrès de l’ AIIUQ en novembre 2004 sous le thème « Vers la reconnaissance de notre spécialité », le Conseil a estimé que l’information rapportée par la journaliste s’avérait juste et n’a pas retenu le grief.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte contre la journaliste Marie Caouette et contre le quotidien Le Soleil.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11F Titre/présentation de l’information
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C15D Manque de vérification
- C15E Fausse nouvelle/information
- C15H Insinuations
- C17B Diffamation (citation)
- C17G Atteinte à l’image