Plaignant
Mmes Carole Lefebvre, Brigitte Bélanger, Julie Fontaine, M. FrédÉric Daigle et CHOI-FM (Dominic Maurais, directeur de l’information)
Mis en cause
M. Franco Nuovo, chroniqueur, M. Dany Doucet, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
À la suite de la manifestation qui a eu lieu à Québec pour la survie de CHOI-FM, le journaliste Franco Nuovo publie une chronique dans Le Journal de Montréal du 24 juillet 2004. Il commente la mobilisation dans des termes que les protagonistes et la radio CHOI-FM jugent discriminatoires et portant atteinte à leur réputation.
Griefs du plaignant
L’ensemble des plaignants se sentent insultés, atteints dans leur réputation et demandent des excuses publiques de la part de M. Nuovo. Ils refusent d’être comparés à des fascistes ou à des nazis défilant pour soutenir un dictateur. Au contraire ils revendiquent le droit de manifester pacifiquement, sans aucune contrainte et dans les règles de l’art, leur soutien à la liberté d’expression, à un animateur et à une radio.
Selon les plaignants M. Nuovo, par ses propos, incite à l’agressivité et à l’intolérance. Il profite de sa chronique dans Le journal de Montréal pour assouvir une vengeance personnelle, au moyen de propos diffamatoires. Il outrepasse les limites fixées par la déontologie de la profession et doit donc être sanctionné.
Les plaignants annexent à la plainte la chronique contestée.
L’article s’amorce avec un commentaire sur la manifestation qui a eu lieu à Québec pour la survie de CHOI-FM. Le chroniqueur reconnaît qu’il y a eu mobilisation et mentionne qu’il ne va pas en rajouter sur le débat sur la liberté d’expression.
Il poursuit en écrivant: « Cependant, j’ai vu et entendu Jeff Fillion à la télé se porter à sa défense et, en maître démagogue qu’il est, jouer les victimes devant une foule pompée d’avance. » Franco Nuovo soutient alors: «Qu’il y ait eu 35000 manifestants ou 50000 ou plus encore, ça ne prouve rien. La loi du nombre ne prouve pas tout et surtout pas qu’une foule, qui est beaucoup plus que la somme des individus qui la composent, a raison. Tous ces gens descendus dans la rue, ça ne veut pas dire que Fillion détient la vérité… »
Il ajoute, plus loin: « Des preuves que les rassemblements ne sont pas toujours synonymes de justice et de vérité, l’histoire en est pavée. Les exemples sont nombreux. Mussolini et Hitler, pour ne nommer que deux parmi les pires, n’ont-ils pas réussi à une certaine époque, à mobiliser des pays entiers et à leur faire croire au bon sens de leurs actes? Ils étaient des milliers, voire des millions dans les rues et sur les places pour venir les écouter et les supporter, avaient-ils raison pour autant? N’est-ce pas cela la démagogie et le populisme: exciter le bas instinct du peuple. »
Et, la chronique se poursuit sur un autre sujet.
Commentaires du mis en cause
M. Nuovo explique qu’il n’a pas comparé, dans sa chronique du 25 juillet 2004, les manifestants de Québec à des nazis ou à des fascistes. Il souhaitait faire passer le message que le nombre n’est pas une preuve de vérité, de justice et ne légitime aucune action. Le mis-en-cause prétend qu’il se sert de l’analogie avec les mobilisations nazies et fascistes pour démontrer que des manifestants, si nombreux soient-ils, n’ont pas forcément raison.
Réplique du plaignant
Les plaignants n’ont soumis aucune réplique.
Analyse
La chronique est un genre appartenant au journalisme d’opinion qui accorde une certaine latitude rédactionnelle dans le traitement de l’information. Les journalistes qui la pratiquent sont libres d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Cette latitude n’est cependant pas sans limite et le Conseil de presse confirme que les auteurs de chroniques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude qui régissent la profession journalistique.
Après avoir examiné les griefs soulevés par les plaignants, le Conseil constate que le journaliste mis en cause a voulu illustrer que la loi du nombre ne prouve pas tout, et que toute foule, aussi grande soit-elle, ne détient pas pour autant la vérité.Une démarche qui était alors tout à fait légitime. Pour ce faire, le chroniqueur a emprunté à l’histoire du XXème siècle deux cas dans lesquels les masses ont pu suivre aveuglément des leaders charismatiques sans pour autant que ces derniers aient raison.
Le Conseil a également estimé que Franco Nuovo dans sa chronique ne portait pas de jugement idéologique sur les manifestants ou sur M. Fillion. Le chroniqueur aurait sans doute pu choisir un exemple plus anodin pour expliquer son opinion, tel le «mouton de Panurge» de Rabelais qui illustre également l’esprit grégaire, mais sans connotation politique. Quoiqu’il en soit, la latitude journalistique reconnue aux chroniqueurs l’autorisait entièrement à utiliser les exemples choisis. Son rôle de chroniqueur lui permettait d’exprimer, à travers son style, sa propre lecture de l’actualité.
Ainsi, aux yeux du Conseil, en affirmant que le nombre ne légitime aucune cause, Franco Nuovo n’a pas porté atteinte à la réputation des plaignants et a utilisé la liberté rédactionnelle attachée à la chronique dans la limite de ses responsabilités.
Décision
Pour ces raisons, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte contre le chroniqueur Franco Nuovo et Le Journal de Montréal.
Analyse de la décision
- C17G Atteinte à l’image