Plaignant
Agence Carolle Souline et Mme Carolle Souline, propriétaire
Mis en cause
Mme Caroline Belley, journaliste, M. Louis St-Pierre, réalisateur, M. Jean-Paul Dubreuil, directeur des Actualités et des Affaires publiques, Information-Télévision française et la Société Radio-Canada « La Facture »
Résumé de la plainte
La plainte concerne un reportage de Mme Caroline Belley diffusé à l’émission « La Facture » du 5 octobre 2004 sur Radio-Canada et repris les 9 et 10 octobre sur RDI. Ce reportage visait à informer les téléspectateurs de la possibilité pour un mineur de 14 ans de signer un contrat à son nom et des conséquences que cela peut entraîner. Mme Carolle Souline, propriétaire d’une agence de mannequins, était interrogée par la journaliste au sujet d’une rupture de contrat. Elle reproche à Mme Belley un traitement inéquitable de l’information qui a nui à sa réputation ainsi que l’utilisation de matériel audiovisuel sans autorisation.
Griefs du plaignant
La plaignante reproche à la journaliste d’avoir utilisé du matériel sans autorisation. Il s’agit de vidéos d’un défilé de mode dont le réalisateur et monteur est Alexandre Souline, le mari de la plaignante; des photos dont les droits d’auteur appartiennent à un photographe avec qui elle a travaillé et d’un segment de l’émission «La vie en Mauricie», propriété de CHEM-TVA et avec la voix off de Mme Souline.
D’autre part, Mme Souline explique qu’en préentrevue, la journaliste l’a forcée, par ses propos persuasifs, à lui accorder une entrevue. Elle ne lui a jamais mentionné qu’elle était enregistrée. D’autre part, l’entrevue s’est déroulée de manière désagréable pour la plaignante et son avocat a dû intervenir pour mentionner à la journaliste qu’on était loin du style didactique promis par Mme Belley au téléphone.
En outre, la plaignante reproche à Mme Belley d’avoir traité l’information de son reportage de manière inéquitable et sensationnaliste, les différents intervenants ne disposant pas du même support visuel. Elle l’aurait considérée comme «accusée» alors que Mlle Hébert-Houle, la jeune mannequin était présentée comme la «victime», et que Mme Poracchia, de l’agence Folio, aurait bénéficié d’un traitement plus favorable.
En effet, la jeune fille s’est vu offrir une séance de photo par Radio-Canada et Mme Belley aurait mis en scène la jeune mannequin en train de jouer au ballon afin de suggérer l’innocence de l’enfance. Quant à Mme Poracchia, elle a été présentée en ces termes: « Madame Corinne Poracchia, mannequin et propriétaire de la réputée agence Folio. » Selon la plaignante, le reportage exprime une certaine condescendance d’une agence de mannequins de Montréal face à une agence de province. Ainsi, la photo professionnelle de Mme Poracchia a été montrée à l’écran, la propriétaire de l’agence Folio répondait à l’entrevue debout, en position de pouvoir. Au contraire, on n’a pas montré la photo de Mme Souline, qui elle aussi a été mannequin, elle a été filmée en plongée et sous un éclairage mal calibré, la faisant apparaître jaunâtre et les traits tirés. Selon la plaignante, Mme Poracchia a été choisie pour évaluer une agence de région et juger son contrat alors qu’elle n’a qu’un «contrat maison» fait sans aucune assistance légale. De plus, Mme Souline affirme que la journaliste a essayé de lui reprocher son contrat d’exclusivité. Or, même si la question n’a pas été posée à Mme Poracchia, cette règle s’applique également à l’agence Folio.
D’après Mme Souline, les répliques de l’entrevue qui ont été diffusées lui sont défavorables et la journaliste l’a exaspérée par ses questions pour livrer aux téléspectateurs l’image d’une « méchante ». Pourtant, Mlle Émilie Hébert-Houle fait part de ses aveux dès le début du reportage. Celui-ci perd donc toute sa substance et n’a aucun intérêt public. La jeune fille a participé à l’émission « Salut Bonjour week-end » malgré le refus de Mme Souline, qu’elle avait prévenue seulement 36 heures à l’avance. Cette dernière a donc envoyé à la jeune file une mise en demeure lui réclamant la somme de 500 $, comme indiqué sur le contrat dûment signé par Mlle Hébert-Houle. Mme Souline explique que « La Facture » a orchestré cette mascarade pour discréditer aux yeux des téléspectateurs son nom, son agence, son contrat, son avocat et les réalisateurs qui l’engagent. La plaignante explique qu’en la montrant à l’écran comme une femme rigide et sans humanité, la journaliste a entaché son image et ébranlé le lien de confiance qu’elle entretient avec ses élèves. Il s’agit, pour la plaignante, de manipulation de la vérité, ce qui porte atteinte à sa réputation.
La plaignante précise que son avocat, qui a conçu le contrat, est aussi qualifié que Me Lemieux, qui n’a pas fait de pratique privée. En outre, d’autres mannequins ont reçu leur contrat en même temps que celui de Mlle Hébert-Houle et ont été témoins des explications fournies quant aux clauses et les avertissements face au non-respect de ce contrat. La jeune fille a eu le contrat en sa possession le 10 juillet 2002 et pendant deux mois chez elle pour fin de consultation. Elle a eu le loisir de l’étudier en profondeur et l’a présenté à ses parents avant de le retourner à l’agence.
Selon Mme Souline, la journaliste s’est mal documentée. Elle voulait faire dire à la plaignante que la boutique pour laquelle a défilé Mlle Émilie Hébert-Houle appartenait à la tante de la jeune fille. Or, elle appartient à l’amie de sa tante, et de toute façon, le contrat s’applique aussi bien pour un ami de la famille que pour un parfait étranger.
Mme Souline fait également mention d’une visite de Mme Hébert, la mère d’Émilie, lui demandant de voir le contrat de sa fille que la plaignante avait en sa possession, car sa copie n’était pas signée par sa fille. Or, le contrat de Mlle Hébert-Houle montré à l’écran montre bel et bien la signature de cette dernière. D’autre part, il ne comporte pas de date alors que celui de la plaignante porte la mention du 10 juillet 2003 avec les signatures de Mlle Hébert-Houle et de Mme Carolle Souline. Ceci prouve, selon la plaignante, que la journaliste n’a pas été assez attentive.
Mme Souline note d’autres erreurs. Le reportage mentionne que Mlle Hébert-Houle fait
partie de l’Agence Carolle Souline depuis quatre ans alors qu’elle l’est depuis l’été 2002. Elle n’a pas fait non plus ses débuts là-bas, mais dans une autre agence de région. Les cachets n’étaient pas de 130 $ mais de 140 $ à l’Agence Carolle Souline. La jeune fille n’a pas claqué la porte de l’agence après la réaction de Mme Souline, elle est toujours liée à l’agence. La plaignante est offusquée du snobisme avec lequel la journaliste déclare: « Il fallait qu’elle commence quelque part, alors elle a contacté l’Agence Carolle Souline. »
Mme Souline a joint à sa plainte l’enregistrement vidéo du reportage de «La Facture» ainsi qu’une cassette audio qu’elle avait enregistrée pendant l’entrevue. Elle a également fait parvenir au Conseil de presse les lettres de trois mannequins de son agence ainsi qu’une lettre de son mari qui appuient sa plainte. Jasmine Gaudet-Boulay, Gabrielle Hivon et Lysandre Murphy-Gauthier témoignent de leur confiance envers Mme Souline et expliquent que son côté humain a été masqué par la journaliste qui l’a fait passer pour une grippe-sou aux yeux du public. Il s’agit, selon elles, d’une vengeance de la famille Hébert-Houle et non pas d’une information d’intérêt public. Les trois jeunes filles précisent avoir été présentes au moment de la remise du contrat à Mlle Hébert-Houle et que celle-ci a été correctement informée des différentes clauses. Quant à M. Alexandre Souline, il reproche à Radio-Canada d’avoir utilisé sans son autorisation trois extraits d’une vidéo qu’il avait réalisée. Enfin Mme Carolle Souline a joint la demande d’autorisation de diffusion formulée par Mme Belley à M. Poirier, directeur de l’information de TVA-CHEM en précisant que, même si la demande a été effectuée, elle n’était pas franche puisqu’elle n’indiquait pas le vrai but du reportage.
Commentaires du mis en cause
M. Dubreuil commence par énoncer le principe de l’émission « La Facture ». Il s’agit d’une émission d’information consacrée aux problèmes que vivent les citoyens en tant que contribuables ou consommateurs. Il est question de problèmes liés soit à des pratiques commerciales frauduleuses ou abusives, soit à des divergences d’interprétation de contrat ou d’entente, soit à un manque d’information. Dans tous les cas, les reportages de « La Facture » visent à mieux faire connaître les droits de chacun dans l’intérêt du public.
M. Dubreuil précise ensuite que le reportage n’avait pas pour objectif de confondre Mme Souline ou un membre de son entreprise ayant commis des gestes illégaux ou frauduleux dans sa relation contractuelle avec Mlle Émilie Hébert-Houle. Le sujet du dossier était la réalité juridique entourant la signature d’un contrat, que plusieurs citoyens, parents et adolescents, ignorent.
M. Dubreuil explique ensuite que son dossier était bien d’intérêt public, contrairement à ce que sous-entend la plaignante. L’objectif du reportage était de sensibiliser les jeunes adolescents des impacts de la signature d’un contrat et du fait que, considérant la présence de clauses parfois complexes, il était préférable de faire lire le contrat par les parents avant de le signer. Il s’agissait aussi d’informer les parents du fait que la loi permet à des mineurs de plus de 14 ans de signer des contrats reliés à leur travail et que les adolescents sont liés par ces contrats et doivent les respecter.
M. Dubreuil revient sur les aspects évoqués par la plaignante qui expliquait avoir fait l’objet d’un traitement inéquitable.
La plaignante indique que la journaliste a insisté par téléphone pour qu’elle participe au reportage. M. Dubreuil précise que ces appels ne visaient qu’à conforter Mme Souline dans sa décision, étant donné qu’elle avait déjà accepté l’entrevue dans une première conversation téléphonique trois jours plus tôt. D’autre part, la journaliste a demandé à la
plaignante de faire un mea-culpa car, lors d’une précédente conversation, l’avocat de Mme Souline avait déclaré à la journaliste que le contrat n’était pas parfait et devait être retravaillé, et qu’il en avait informé sa cliente. De plus, Mme Souline était consciente qu’elle n’était pas obligée d’accorder une entrevue. M. Jean-Paul Dubreuil estime que Mme Belley était en présence d’une personne tout à fait en mesure de prendre ses décisions sans se laisser influencer et, qui plus est, était conseillée par son avocat pendant l’entrevue.
Contrairement à ce que prétend la plaignante, la journaliste ne s’est jamais engagée à ce que l’entrevue soit didactique, mais plutôt que le reportage serait informatif. D’autre part, Mme Souline et son avocat ont été informés maintes fois par téléphone des sujets sur lesquels porterait l’entrevue, à savoir: le contrat et la complexité des clauses, les explications données à la jeune fille, l’absence de signature des parents, la mise en demeure, les pratiques dans le milieu et sa position dans le futur.
M. Dubreuil revient sur le support visuel de l’entrevue. L’endroit a été choisi par Mme Souline. Il s’agissait du bureau de son avocat et la journaliste a convenu que le style sobre et confortable était tout à fait approprié. L’éclairage et l’angle des prises de vue, exécutés par un cameraman de plus de 20 ans d’expérience, sont conformes aux règles de l’art. Aucune stratégie n’a été utilisée pour faire paraître Mme Souline sous un mauvais jour, au contraire. Le cameraman s’est assis pour éviter la prise de vue en plongée qui aurait nui à l’image de l’invitée, comme l’atteste la vidéo du reportage.
L’entrevue en elle-même a été bien menée également. Bien que certaines questions aient pu paraître directes et embarrassantes à la plaignante, celles-ci devaient être posées. Par exemple, Mme Souline a toujours dit que le contrat était facilement compréhensible, c’est pourquoi les questions sur sa connaissance du contrat s’imposaient. La difficulté de la plaignante à répondre, alors qu’elle savait que ce sujet allait être abordé, confirment bien que le contrat n’est pas simple à comprendre et que les explications de Mme Souline à
Mlle Hébert-Houle ne pouvaient pas être très claires. Par ailleurs, ces extraits ne furent pas utilisés pour l’entrevue. M. Dubreuil précise que l’avocat de Mme Souline assistait à l’entrevue à la demande de cette dernière et a eu l’opportunité d’intervenir quand il le voulait. La journaliste a toléré ces interventions inopinées de l’avocat, alors qu’elle ne pouvait pas les utiliser, en raison du refus de l’avocat. Selon M. Dubreuil, cette latitude donnée à Mme Souline pendant l’entrevue atteste de la bonne foi de Radio-Canada et démontre qu’il n’était pas dans son intention de la traiter «comme une accusée».
M. Dubreuil précise que l’équipe de «La Facture» n’a pas « cuisiné
[Mme Souline] pendant une heure ». L’intégralité de l’entrevue dure environ 30 minutes, incluant les interventions de l’avocat. Le reste de la cassette fournie par la plaignante consiste en discussions informelles pendant que l’équipe rangeait le matériel. M. Dubreuil signale que Mme Souline adopte dès la première question une position très ferme qu’elle n’abandonnera pas jusqu’à la fin de l’entrevue. Cette image de femme d’affaire déterminée (et non pas de mégère) qui apparaît dans l’entrevue a été présentée fidèlement dans le reportage, sans que l’équipe ne l’ai provoquée.
M. Dubreuil explique que la séance photo avec Mlle Hébert-Houle avait pour objectif d’illustrer le reportage sur les contrats chez les adolescents, vus sous l’angle du travail de mannequin. Les images de la jeune fille jouant au ballon n’ont pas non plus été orchestrées, l’équipe de tournage est arrivée chez Mlle Hébert-Houle alors qu’elle était en train de jouer au basket. Par ailleurs, l’utilisation de telles images n’est pas appropriée dans le contexte du reportage.
M. Dubreuil précise aussi que la journaliste ne cherchait pas à traiter Mme Souline de manière condescendante en s’adressant à l’agence Folio. Au cours de l’enquête, l’équipe a contacté deux agences afin de vérifier quelles étaient les pratiques dans le milieu et ils ont ainsi rencontré Mme Poracchia qui a accepté de dire en ondes ce que l’autre agence avait également mentionné à Mme Belley. C’est dans un but d’information que la journaliste a consulté des gens du milieu et elle a choisi l’agence Folio compte tenu de ses dix années d’expérience et de sa gestion de carrières nationales et internationales. C’est pourquoi la journaliste a précisé que Mme Poracchia est une spécialiste dans le domaine des agences de mannequins. D’ailleurs, la journaliste a obtenu copie d’un contrat d’une agence amÉricaine qui corrobore les propos de Mme Poracchia.
D’autre part, la propriétaire de l’agence Folio n’a pas évalué l’agence Souline et son contrat, comme l’affirme la plaignante. Mme Poracchia a décrit les pratiques dans le milieu. Concernant les commentaires, l’équipe a eu recours à une experte dans le domaine juridique, Me Lemieux. D’ailleurs, Mme Souline semble remettre en cause l’expertise de Me Lemieux, sous prétexte qu’elle « ne fait pas de pratique privée ». D’une part, Me Lemieux est professeur en droit, ce qui lui permet de commenter un contrat; d’autre part, elle a pour clients des cabinets de pratique privée depuis 14 ans.
La plaignante expliquait aussi que Mme Belley avait essayé de lui reprocher son contrat
d’exclusivité. Or, Mme Poracchia a déclaré qu’il n’y a pas « à avoir de clause de non- concurrence ». Le contrat de Mme Souline, lui, prévoit non seulement une clause d’exclusivité, mais stipule que pendant une période de deux ans suivant la résiliation du contrat, le mannequin doit, s’il travaille ailleurs, lui verser 20 % de son cachet, ce qui est jugé comme exorbitant par Me Lemieux.
Au sujet de l’utilisation de matériel, la journaliste a respecté la Loi sur les droits d’auteur, de l’avis de M. Dubreuil. Concernant le défilé de mode à l’école, une copie de la vidéo a été remise à chacun des mannequins sans restriction quant à l’usage qu’elle pouvait en faire. D’ailleurs, même si c’était le cas, l’extrait utilisé dans le reportage constitue une partie non importante de l’œuvre et aucune autorisation n’est donc nécessaire. Quant aux photos, elles faisaient partie du porte-folio remis à la jeune fille à la suite du cours qu’elle a suivi et payé auprès de l’agence Carolle Souline. Ces photos appartiennent à la jeune fille en vertu du contrat et elle pouvait les utiliser sans consentement préalable du photographe. Enfin, la journaliste de « La Facture » a obtenu le consentement de TVA-Trois-Rivières pour la
diffusion du segment de l’émission «La vie en Mauricie».
M. Dubreuil signale également que, contrairement à ce que la plaignante affirme, il n’est pas dit dans le reportage que la jeune fille est membre de son agence depuis quatre ans. Concernant le cachet, le reportage fait état d’« environ 130 $ », ce qui est exact puisque le montant du cachet est de 140 $. Quant au fait que la jeune fille n’aurait pas commencé à
l’Agence Souline, l’équipe a choisi de ne pas souligner l’agence précédente ni l’entente antérieure entre la jeune fille et l’Agence Souline. Dans les deux cas, ce sont les parents de la jeune fille qui avaient signé le contrat pour elle alors que le reportage traitait de la signature de contrats par des adolescents. M. Dubreuil ne considère pas que les omissions de ces ententes antérieures viennent fausser le reportage.
Concernant les lettres jointes à la plainte de Mme Souline, le rédacteur en chef de « La Facture » répète que l’équipe n’a jamais remis en doute le fait que Mme Souline était une femme très appréciée et impliquée dans le milieu. Il précise en outre que le reportage ne mentionne pas que Mme Souline n’a pas expliqué les grandes lignes du contrat. Le reportage souligne plutôt que celui-ci est difficile à comprendre pour une jeune fille de 14 ans. M. Dubreuil insiste sur le fait que ce sujet était bien d’intérêt public. Enfin, il mentionne que le document envoyé par courriel à M. Poirier par Mme Belley est en tout point conforme aux pratiques d’acquisition d’extrait de matériel, ce que lui a d’ailleurs confirmé M. Poirier.
M. Dubreuil conclut en rappelant que le reportage était d’intérêt public et que son but n’était pas de porter ombrage à Mme Souline et à son agence. Il souligne une fois encore la rigueur avec laquelle ont été menés l’enquête et le reportage.
M. Dubreuil a joint à son commentaire le contrat de Mlle Émilie Hébert-Houle avec l’Agence Carolle Souline, un contrat vierge ainsi qu’une entente de prêt de l’agence Folio de Montréal, un contrat vierge de l’agence amÉricaine T Management LLC et la lettre de mise en demeure de Me Auger, l’avocat de Mme Souline, à Mlle Hébert-Houle.
Réplique du plaignant
La plaignante contredit M. Dubreuil en affirmant que le reportage a servi de vengeance à la famille Hébert-Houle et que Radio-Canada a pris parti dans cette histoire. Elle répète avoir fait l’objet d’un traitement inéquitable, d’autant plus que l’information n’était pas d’intérêt public. Mme Souline mentionne que Mlle Hébert-Houle était consciente de la clause pénale de 500 $ si elle contrevenait au contrat puisque la jeune fille a appelé Mme Souline quelques jours avant l’émission « Salut Bonjour week-end » et que cette dernière lui a exprimé son désaccord. Pourtant, Mlle Hébert-Houle a pris la décision de
participer à l’émission et d’ailleurs, elle avoue son tort en début de reportage.
Mme Souline revient sur l’insistance de Mme Belley auprès d’elle et mentionne que la journaliste a agi de façon malhonnête en lui suggérant des réponses et des attitudes. La plaignante craignait qu’en cas de refus de sa part, Mme Belley utiliserait la préentrevue téléphonique qui a été enregistrée à son insu.
Selon Mme Souline, il était légitime de faire appel à son avocat étant donné que personne de l’Agence Carolle Souline n’a été contacté pour faire le contrepoids face à Émilie et sa mère, Me Lemieux et Mme Poracchia. La plaignante précise que son avocat et Me Lemieux sont tous les deux aussi qualifiés pour discuter des lois et contrats.
La plaignante mentionne que sa cassette audio dure environ 50 minutes. Durant ce temps, la caméra a été interrompue et réactivée et le réalisateur ne l’en a pas informée. Mme Souline explique que sur son enregistrement audio de l’entrevue, la journaliste la remercie d’avoir répondu à ses questions au bout d’une trentaine de minutes et pourtant continue ensuite de l’interroger. Ces derniers propos étaient toujours filmés. Concernant la forme didactique de l’entrevue, celle-ci avait été promise au téléphone par la journaliste qui avait assuré à l’avocat de Mme Souline qu’elle changeait d’angle. D’autre part, certains points qui devaient être abordés en entrevue ne sont jamais parvenus à Mme Souline, ni par téléphone, ni par télécopieur.
Mme Souline reproche à Mme Belley d’avoir douté des réalisateurs avec lesquels elle travaille à Trois-Rivières, en s’éloignant de l’objet du débat. Elle a abordé l’UDA et ainsi
portait un jugement sur des ententes qui ne la concernaient pas et étaient sans rapport avec le reportage.
Mme Souline renouvelle ses griefs concernant l’angle, les prises de vues et l’éclairage durant l’entrevue. La plaignante explique d’autre part qu’elle n’a pas répondu à certaines questions non pas par méconnaissance de son contrat mais pour se référer à son avocat qui avait le document devant lui. En effet, la journaliste avait demandé à Mme Souline de ne pas emporter de papiers avec elle.
La plaignante souligne que la présence de son avocat n’a pas servi sa cause puisque les journalistes n’ont gardé aucun extrait des interventions de Me Auger. Il avait certes refusé
d’apparaître à l’écran, mais Mme Souline se demande depuis quand les journalistes suivent les consignes.
La plaignante continue à douter de la parole des journalistes qui affirment que la scène de
basket n’était pas orchestrée. Selon elle, Mlle Hébert-Houle n’allait pas s’habiller en tenue de sport et faire des paniers dans son jardin pour être en sueur et décoiffée alors qu’elle attendait la visite de Radio-Canada.
Selon la plaignante, Mme Belley n’aurait pas dû contacter une de ses concurrentes pour juger ou commenter l’Agence Carolle Souline. Concernant le contrat amÉricain joint au commentaire du mis-en-cause, la plaignante mentionne que les lois amÉricaines ne peuvent dicter la façon de faire au Canada. D’autre part, la plaignante note que ce contrat a été transmis à Radio-Canada par l’agence Folio, puisqu’il y est écrit le même numéro de fax que sur celui de l’agence de Mme Poracchia. Pourtant, lors de l’entrevue la journaliste
avait expliqué à Mme Souline qu’elle avait contacté une agence new-yorkaise pour obtenir ce contrat. Selon la plaignante, ceci est la preuve que l’agence Folio et Mme Belley ont œuvré de pair pour la discréditer. Mme Souline note également que le contrat de l’agence Folio compte trois pages, en caractères plus petits que son contrat et celui de l’agence américaine, trois pages écrites encore plus petit. Ce dernier est plus difficile à lire et la mise en page n’est pas bien faite. De plus, il est écrit «exclusive manager», alors que Mme Belley a reproché à la plaignante d’avoir un contrat exclusif et que Me Lemieux a également soulevé ce point dans le reportage.
Mme Souline explique que Mme Belley aurait dû employer l’expression « défilé de mode professionnel sous le thème « Bas les masques » » plutôt que « défilé de mode à l’école ». D’autre part, quelques copies de cette vidéo ont été faites, mais elles n’ont pas été remises à chacun des mannequins. Les extraits de cette vidéo diffusés pendant le reportage sont plus longs que les extraits de l’émission de TVA-CHEM. Or, une autorisation a été demandée à cette dernière, pourquoi pas au réalisateur du défilé de mode? Selon la plaignante, peu importe le nombre de secondes d’un document vidéo qu’on utilise, la loi exige une autorisation.
Mme Souline ajoute qu’aucune clause du contrat de Mlle Hébert-Houle ne stipulait qu’elle pouvait utiliser les photos sans l’autorisation du photographe. La jeune fille n’avait pas les négatifs, le photographe les a en sa possession et en reste l’auteur. Selon la plaignante, Mme Belley s’inspire du contrat amÉricain, pas du contrat de l’Agence Carolle Souline.
La plaignante est indignée de la phrase de Mme Belley: « Il fallait bien qu’elle commence quelque part, donc elle a contacté l’Agence Carolle Souline » alors que la jeune fille a commencé dans une autre agence il y a quelques années (agence dont le contrat n’exige pas la signature des parents). Mme Souline explique que le manque de précision dans le reportage lui est défavorable et que d’ailleurs, M. Dubreuil a concédé, dans une lettre adressée à Mme Souline et jointe à la réplique, que la formule « n’était pas des plus
heureuses ».
La plaignante revient une nouvelle fois sur les erreurs commises par Mme Belley. Selon Mme Souline, la journaliste persiste à dire que son contrat comporte 15 pages alors qu’il
n’en compte que neuf plus une page d’introduction. D’autre part, il est erroné de dire «
[…] elle claque la porte de l’agence» étant donné que Mme Souline n’a jamais reçu de lettre de renonciation tel qu’indiqué dans le contrat et par conséquent, la jeune fait encore partie de son équipe de mannequins. Mme Souline regrette également ne pas avoir été avisée par Mme Belley de la date de diffusion de l’émission.
La plaignante répète que toutes les explications ont été fournies lors de la remise du contrat d’Émile Hébert-Houle le 10 juillet 2003. Étant donné que la mère d’Émilie a voulu vérifier si la copie du contrat de Mme Souline comportait la date et la signature de sa
fille, la plaignante affirme que le contrat de Mlle Hébert-Houle a été signé tardivement pour les besoins du reportage, ce qui, pour Mme Souline, atteste qu’on a voulu déformer la vérité. De plus, la plaignante explique qu’exposer son contrat à l’écran défie la
confidentialité et suggère quel’Agence Carolle Souline ait pu poser des gestes illégaux envers les gens qui en font partie ou qui en feront partie dans l’avenir.
La plaignante joint à sa réplique une lettre que lui a adressée M. Dubreuil, le contrat de Mlle Hébert-Houle, les contrats des agences Folio et T Management LLC que la plaignante a annotés ainsi qu’une lettre de Mme Lucie Hébert, la mère d’Emilie, qui lui demandait une copie du contrat d’Émilie.
COMMENTAIRES À LA RÉPLIQUE
M. Dubreuil corrige Mme Souline qui affirme que Mlle Émilie Hébert-Houle «savait ce qu’elle faisait en toute connaissance de cause en mentionnant qu’elle était au courant de la clause pénale de 500 $ si elle contrevenait au contrat mais qu’elle le faisait quand même ». Dans le reportage, la jeune fille raconte sa réaction après avoir reçu la mise en demeure: « Je me suis mise à pleurer parce je sais qu’on n’a pas les moyens de donner des 500 $ de même. » D’autre part, M. Dubreuil mentionne que lire et comprendre un contrat est beaucoup plus complexe que la simple lecture des lettres de l’alphabet, comme semble le soutenir Mme Souline.
En outre, quand la plaignante prétend que si elle avait refusé d’accorder l’entrevue, la
journaliste aurait utilisé des extraits de la préentrevue, ceci n’est que pure spéculation visant à jeter un regard négatif sur la journaliste, de l’avis de M. Dubreuil. En effet, Mme Souline ne cesse, tout au long de sa lettre, d’adopter une attitude méprisante à l’égard de Mme Belley et de son travail.
M. Dubreuil revient ensuite sur la vision de l’équité de Mme Souline. Pour elle, le reportage aurait été équitable s’il avait montré, à l’aide de témoignages, qu’elle était une personne bien. Pour le mis-en-cause, cette lecture de l’équité dans un reportage est incorrecte. L’équité s’apprécie en fonction du sujet d’un reportage, c ’est-à-dire, dans le cas présent, la réalité juridique entourant la signature d’un contrat par des adolescents. Dans ce contexte, Mme Souline a eu l’opportunité d’exprimer son point de vue, lequel a été équitablement reflété en ondes.
M. Dubreuil estime en outre que le reportage visait à être didactique et a atteint cet objectif. Quant à l’endroit où l’on entend «Vous tournez?» sur la cassette audio, alors que l’entrevue était terminée, il s’agissait d’un tournage de 23 secondes d’élément visuel. Sur ces images, on peut voir l’enregistreuse de Me Auger et un signe du barreau.
Le mis-en-cause réitère que les sujets qui ont été abordés lors de l’entrevue avaient clairement été exposés à Mme Souline lors de deux conversations téléphoniques de 35 et 45 minutes dans les jours précédant l’entrevue. Il y a également eu trois conversations de 28, 16 et six minutes avec son avocat avant l’entrevue.
M. Dubreuil précise que les questions de Mme Belley quant à l’UDA ne mettaient pas en doute les gens qui engagent l’Agence. Ces questions visaient à vérifier si Mme Souline s’assurait que les mannequins qu’elle représente recevaient le cachet UDA lors de leur prestation à la télévision, ce qui était légitime en cours d’enquête.
M. Dubreuil répète aussi que les images de Mlle Hébert-Houle jouant au ballon n’étaient pas mises en scène. D’ailleurs, si l’équipe avait fait une mise en scène, ce n’aurait pas été en habillant la jeune fille en vêtements de basket.
M. Dubreuil explique que l’agence de Mme Poracchia a été retenue par l’équipe comme expert dans le domaine des agences de mannequins. C’est dans ce contexte que l’agence Folio a, entre autres, fourni une copie d’un contrat d’une agence amÉricaine. Il ne s’agit pas d’un complot entre l’agence Folio et l’équipe contre Mme Souline; l’objectif était de
connaître les pratiques dans le milieu.
Le mis-en cause cite ensuite la Loi sur les droits d’auteur: «Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou de reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; […]». M. Dubreuilestime que les extraits de TVA-CHEM et ceux du défilé à l’école constituent des parties non importantes de l’œuvre et que leur diffusion ne constitue pas une violation des droits d’auteur. La journaliste a écrit à TVA-CHEM car elle ignorait la durée du segment qu’elle utiliserait et qu’elle désirait une copie Beta de l’émission. Quant aux photos, il est prévu à la clause 6.1 du contrat que « l’Agence s’engage à établir et mettre deux fois par année un « Book » à jour des mannequins affiliés à l’Agence. » Il n’y a pas de restrictions quant à l’utilisation que peuvent faire les mannequins de cet outil promotionnel.
Concernant la phrase « Il fallait bien qu’elle commence quelque part… », M. Dubreuil maintient qu’elle n’était pas des plus heureuses.
Le mis-en-cause admet que Mme Souline n’a pas été mise au courant de la diffusion. Toutefois, Mme Belley a contacté son avocat le jeudi précédent la diffusion, soit le 28 septembre, afin d’obtenir quelques informations complémentaires et elle l’a avisé de la date de diffusion du reportage. La journaliste croyait que Me Auger informerait sa cliente de la date de diffusion, surtout qu’il lui avait mentionné qu’il envisageait de prendre une injonction.
Analyse
L’attention que décide de porter la presse à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix du sujet de même que la façon de le traiter appartiennent en propre aux médias et aux journalistes qui doivent respecter l’exactitude des faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelle. En outre, nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter cette information.
Dans ce sens, l’émission «La Facture» a choisi de traiter le sujet des contrats pouvant être signés par des mineurs en l’illustrant par l’exemple d’une jeune fille ayant contracté avec une agence de mannequins. De l’avis du Conseil de presse, ce sujet était bien d’intérêt public puisqu’il visait à informer les parents que leurs enfants de plus de 14 ans peuvent signer des contrats et à sensibiliser les adolescents sur les risques encourus par la signature de ces contrats.
La problématique de l’émission «jusqu’à quel point peut-on traiter nos enfants en adultes?», n’est pas sensationnaliste. L’exemple illustre bien la question et le reportage laisse la parole à chacune des parties.
En outre, la plaignante reproche à la journaliste de Radio-Canada d’avoir manqué de rigueur en commettant des erreurs ou des inexactitudes. Or, il apparaît que de nombreux points évoqués par Mme Souline n’apparaissent pas dans le reportage et que les présumées erreurs n’ont pas la portée que leur prête la plaignante.
En ce qui concerne le grief portant sur l’autorisation de diffuser, le Conseil tient à préciser qu’il n’analyse les plaintes qu’en fonction des normes déontologiques, et qu’il n’entre pas dans sa juridiction d’interpréter les textes juridiques telles que la Loi sur les droits d’auteur et ne peut donc en tenir compte.
La plaignante affirme que l’information a été traitée de manière inéquitable. De l’avis du Conseil, Mme Souline et l’autre directrice d’agence ont bénéficié du même support visuel et la journaliste n’a pas mis artificiellement en scène Mlle Hébert-Houle. De même que Mme Poracchia n’a pas été contactée par «La Facture» pour juger l’Agence Carolle Souline mais pour parler du monde des agences de mannequins. Le reportage apparaît équilibré et équitable.
Enfin, selon la plaignante, l’ensemble du reportage porte atteinte à son nom, son agence et son contrat; elle invoque également les mauvaises conditions de réalisations de l’entrevue. Le Conseil, à la lumière de l’entrevue dans son intégralité, constate que l’entrevue a été menée selon les règles déontologiques en vigueur.
Décision
Pour ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Carolle Souline à l’encontre de la journaliste Caroline Belley et de la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C16D Publication d’informations privées
- C17G Atteinte à l’image
- C23D Tromper sur ses intentions
Date de l’appel
4 October 2005
Décision en appel
Après examen, les membres de la Commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
Mme Carolle Souline