Plaignant
M. Martin Girard
Mis en cause
M. Serge Lemelin, journaliste, M. Michel Simard,
éditeur adjoint et rédacteur en chef, Me Emmanuelle Cartier, Affaires
juridiques, Gesca et
Le Quotidien
Résumé de la plainte
Le contexte est celui du procès de M. Martin Girard auquel assiste
M. Serge Lemelin en tant que journaliste. M. Girard porte plainte contre M.
Lemelin pour un article paru dans Le
Quotidien du 10 août 2004 et intitulé: «Girard a déjà admis des
actes de perversion.» Le plaignant reproche au journaliste d’avoir écrit
son article de manière inexacte, partiale et sensationnaliste en le
discréditant aux yeux des lecteurs.
Griefs du plaignant
Selon M. Girard, le journaliste Serge Lemelin a fait preuve
de partialité. Il n’a rapporté que les informations qui accablaient le
plaignant, sans attacher d’importance aux éléments de sa défense qui auraient
pu offrir aux lecteurs une vision autre du procès. Il a publié les détails,
«le croquant» de l’audience, au détriment de l’information globale.
Cet article a eu pour conséquence, selon M. Girard, de le
discréditer délibérément en le faisant passer aux yeux des lecteurs pour une
personne désaxée.
Enfin,
le plaignant reproche au journaliste d’avoir écrit deux informations
inexactes: «Girard a déjà commis des actes de perversion» (le
titre de l’article) et «sa mère qu’il [
Girard]
qualifie
d’actrice», deux éléments qui n’ont pas été rapportés à l’audience.
À l’appui de sa plainte, M Girard annexe l’article du 10
août 2004 de Serge Lemelin.
Commentaires du mis en cause
L’avocate du journal, Me Emmanuelle Cartier, répond que M. Lemelin n’a
pas fait preuve de partialité. Le
journaliste relatait, dans la première partie de son article, le
contre-interrogatoire par la défense du témoin-expert
de la Couronne. Sachant que l’espace rédactionnel attribué à un article est
toujours limité, le journaliste n’était pas en mesure de relater l’intégralité
du jugement. Il était donc contraint de choisir les éléments essentiels. M.
Lemelin a voulu faire ressortir l’impression générale
se dégageant de l’audience: le Dr
Wolwertz a été crédible et le contre-interrogatoire n’a pas
été bien reçu par la Cour.
À la fin de l’article, le journaliste mentionnait que l’avocat de la
défense exposerait sa version des faits le 2 novembre 2004. La défense n’ayant
pas exposé sa version des faits lors de l’audience du 9 août 2004, le
journaliste ne pouvait pas en faire état dans son article du lendemain. Il
invitait cependant les lecteurs à s’informer de la version des faits du
plaignant. Le Quotidien a d’ailleurs publié le 3 novembre 2004 un
article de Normand Boivin sur cette audience.
L’avocate explique aussi que les informations données par M. Lemelin
sont exactes. M. Girard avait adressé
au juge, le 5 mai 2004, une lettre o
ù il plaidait
coupable à trois des cinq chefs d’accusation et avait été condamné par la Cour
supérieure le 12 mai 2004. Cette
sentence a été relatée le 13 mai 2004 par M. Lemelin dans un précédent article
du Quotidien. M. Girard s’est ensuite
rétracté mais la Cour supérieure a rejeté sa requête pour être relevé de son
plaidoyer de culpabilité. Ces faits sont attestés par les jugements de la Cour
supérieure, jugements considérés par l’article 10 d de la Loi sur la presse
comme des publications privilégiées. Ils attestent donc de la rigueur du journaliste
dans la recherche d’informations auprès de sources sûres.
D’autre part, le journaliste rapportait dans la deuxième partie de son
article le témoignage de l’expert, le Dr John Wolwertz,
psychiatre de l’institut Pinel, qui affirmait que M. Girard qualifiait sa mère
d’actrice. M. Lemelin ne faisait que rapporter les propos du psychiatre.
Pour toutes ces raisons, et parce que le plaignant n’a apporté aucune
preuve que le journaliste ait eu l’intention délibérée de lui nuire, de le
discréditer ou de détruire sa réputation, l’avocate conclut que ses reproches
ne peuvent être retenus contre M. Lemelin. Selon elle, le plaignant est lui
seul responsable de cette atteinte à sa réputation, de par les actes dont il
est accusé.
Réplique du plaignant
M. Girard répète que l’article de M. Lemelin est partial et
calomnieux, qu’il n’a pas informé correctement les lecteurs.
Il ajoute que le journaliste a fait preuve de
sensationnalisme, et lui reproche une attitude méprisante lors de l’audience.
Le plaignant revient également sur l’objet de sa plainte.
Selon lui, le titre de l’article a été inventé par déduction, et non vérifié
auprès de sources sûres comme l’exige la profession. Il précise également que
le rapport du psychiatre mentionne que M. Girard «qualifie sa mère de
dominatrice», et non d’actrice. Cette erreur a, d’après le plaignant,
porté préjudice à sa famille, et surtout à sa mère.
Analyse
Dans un reportage, le journaliste doit s’en tenir àrapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Il s’agit detransmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation en traitant de façon équilibrée les deux parties opposées.
De l’avis du Conseil, M. Lemelin a relaté aussi bien la présentation de la preuve de la Couronne que le contre-interrogatoire par la défense du témoin-expert dans son article du 10 août 2004. Il a également resitué le procès dans son contexte en rappelant les faits pour lesquels M. Girard était incriminé. Ce que le plaignant considère comme un étalage de détails «croquants» n’est que la conséquence d’un suivi rigoureux de l’information, tel qu’il est prôné par la déontologie du Conseil concernant l’information judiciaire. L’article fait preuve d’impartialité et on ne peut pas déduire de recherche délibérée de sensationnalisme.
La déontologie précise également que les journalistes doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer des personnes ou des groupes. La lecture des jugements de la Cour permet de constater que l’article du journaliste est conforme au compte rendu du témoin-expert. L’article ne porte pas atteinte à la réputation du plaignant puisque les faits rapportés sont exacts.
Le dernier grief concernait deux phrases jugées inexactes par le plaignant. Or, l’historique des faits du jugement de la Cour atteste bien que M. Girard a envoyé au substitut du procureur une lettre o ù il plaidait coupable pour trois des cinq chefs d’accusation retenus contre lui. Bien que l’accusé se soit ensuite rétracté, le juge a rejeté sa requête pour être relevé d’un plaidoyer de culpabilité. L’affirmation du journaliste est donc totalement fondée, même si l’aveu ne date pas de l’audience du 9 août 2004 que relate M. Lemelin dans son article du lendemain.
Le second terme qui poserait problème est celui d’«actrice», employé par le journaliste au lieu de «dominatrice». Si le jugement de la Cour décrit les relations de M. Lemelin avec ses conjointes, il ne fait aucune allusion au rapport de l’accusé avec sa mère et il est donc impossible de vérifier le terme exact employé par l’expert. En présence de versions contradictoires, le Conseil de presse ne peut trancher sur ce grief. Néanmoins, l’enjeu de la distinction reste minime et ne suffirait pas à retenir une plainte contre le mis-en-cause.
Décision
En conséquence, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Girard contre le journaliste Serge Lemelin et Le Quotidien.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17D Discréditer/ridiculiser
Date de l’appel
4 October 2005
Décision en appel
Après examen, les membres de la Commission ont conclu à l’unanimité
de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. Martin Girard