Plaignant
M. Mourad
Ghanouchi
Mis en cause
M. Rodolphe Morissette, journaliste, M. Serge
Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. Ghanouchi reproche à M.
Morissette d’avoir diffusé de faux renseignements dans ses articles du 7 mars
2002 et du 1er juillet 2004 du Journal
de Montréal portant sur une fraude envers la CSST. Selon le plaignant, ces
articles sensationnalistes portent atteinte à sa réputation et violent sa vie
privée. Le journaliste aurait dû écrire un rectificatif. D’autre part,
M.Morissette n’a pas couvert sa comparution du 1er octobre
2004 devant le juge Sansfaçon.
Griefs du plaignant
Le plaignant reproche au journaliste d’avoir intitulé son
article: «Un gardien de prison a fraudé la CSST de 45 305$ »,
une affirmation totalement erronée. En effet, l’acte d’accusation stipule que
M. Mourad Ghanouchi «a frustré la Commission de
la santé et de la sécurité du travail (gouvernement du Québec), d’une somme
d’argent, d’une valeur dépassant 5000 $, commettant ainsi l’acte criminel
prévu à l’article 380(1)a) du Code criminel».
Selon, M. Ghanouchi, le
journaliste aurait dû vérifier ses informations car aucun document déposé à la
Cour ne fait état du montant indiqué dans l’article. Cette information inexacte
et sensationnaliste porte atteinte à sa réputation. Le plaignant affirme que le
journaliste a été avisé de cette erreur et qu’il n’a pas procédé à une
rectification.
M. Ghanouchi a joint à sa plainte
une lettre datée du 19 novembre 2002 émanant du substitut du Procureur général,
Me Francis Bossé, qui contredit totalement les informations véhiculées par
M.Morissette. Une deuxième lettre du 16 mars 2004 du substitut du
Procureur général précise que, suite à une conférence préparatoire devant le
juge Gilles Hébert, l’acte d’accusation serait modifié: la poursuite ne
serait plus entreprise par voie d’acte criminel. Le 22 juin 2004, un plaidoyer
de culpabilité a été enregistré sur le nouvel acte d’accusation, soit trois
infractions poursuivies par déclaration de culpabilité par procédures sommaires,
une fraude qui totalisait 7841.52 $.
Suite à la récidive du journaliste en 2004, qui a une
deuxième fois prétendu que le plaignant avait fraudé la CSST d’environ
45000 $, M. Morissette et Le
Journal de Montréal ont été mis en demeure de se rétracter par Mes
Asselin et Chamberland, les avocats de M.
Ghanouchi. Le journaliste disposait de tous les
renseignements pour vérifier ses informations.
Enfin, le 1er octobre 2004, M.
Ghanouchi a comparu devant le juge Robert
Sansfaçon et une absolution inconditionnelle lui a
été accordée. Toutefois, le journaliste n’a pas couvert cet événement.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Serge Labrosse, directeur
général de la rédaction:
M. Labrosse précise que les informations
contenues dans l’article du 1er juillet 2004 proviennent d’un
document judiciaire public. Il était légal de les publier, bien que le
plaignant prétende que ces informations – provenant, entre autres, d’un mandat
de perquisition – sont inexactes. Par ailleurs, M. Labrosse
reconnaît que le plaignant n’a pas plaidé coupable d’avoir fraudé la CSST de
45305 $ mais de 7 841 $. Le directeur de la rédaction explique que la
correction n’a pu être faite car M. Morissette était en vacances lors de la
lettre du 7 juillet 2004 mais que le journaliste reste disposé à la publier si
le plaignant le désire.
Commentaires de M. Rodolphe Morissette, journaliste :
M. Morissette
rappelle qu’il avait utilisé deux documents pour écrire son premier
article: la sommation du 28 février 2002 et le dossier judiciaire de
perquisition. Dans ce dernier, on trouve l’énoncé des motifs invoqués par le
policier enquêteur à l’appui de la demande de mandat et il y est question,
entre autres, d’une fraude de 45305 $. Le mis-en-cause
rappelle que les mandats et demandes de mandat de perquisition sont des
documents publics qui n’exigent pas de vérification de la part du journaliste.
Si la demande de mandat contient des erreurs du policier, le reportage du
journaliste reprendra, s’il est fidèle, les mêmes erreurs qu’on ne pourra imputer
au journaliste. L’article du 7 mars 2002 reflète exactement le contenu, et de
la sommation qui ouvre le dossier judiciaire n° 500-01-002646-021, et
du contenu du dossier de perquisition
n° 500-26-021069-012.
M. Morissette
revient ensuite sur son article du 1er juillet 2004. Il explique que
le 22 juin 2004, M. Ghanouchi a présenté à la cour un
plaidoyer de culpabilité. Le représentant de la Couronne, Me Bossé, dépose un
nouvel acte d’accusation, qui remplace le précédent. Il n’y est plus question
d’une fraude de plus de 5000 $ mais de trois fraudes, inférieures chacune
à 5000 $ qui totalisent 7841 $. Le juge reporte l’affaire au 1er
octobre pour les arguments des avocats sur la sentence.
Le journaliste
n’était pas présent à cette audience du 22 juin 2004. M. Morissette explique
que l’audition avait lieu dans la salle 4:06, une «salle à volume»,
c’est-à-dire que le juge y traite plus de 100 à 120 dossiers par jour. Il est
impossible de savoir à quelle heure (entre 9 h 30 et 16 h 30) sera appelée une
cause donnée (cela dépend de la disponibilité des avocats). Aussi les
représentants de la presse qui veulent être présents dans une salle à volume,
au moment où sera traitée la cause qu’ils surveillent, doivent risquer d’y
passer toute la journée, avec la possibilité que l’affaire soit reportée à une
date ultérieure.
Pour connaître,
après coup, ce qui s’était passé dans l’affaire Ghanouchi,
M. Morissette a consulté le rôle annoté par la greffière de la salle 4:06 pour
le 22 juin 2004. Il a lu que M.Ghanouchi avait
plaidé coupable aux chefs 1 à 3 de l’accusation et que les avocats plaideront
sur la sentence le 1er octobre 2004. Le journaliste ne se souvient
pas avoir essayé de joindre les avocats au dossier pour vérifier à quoi,
exactement, M. Ghanouchi avait plaidé coupable, ou
s’il l’a fait, il n’a pas réussi à les joindre. M. Morissette n’a pas non plus
consulté la bobine de l’enregistrement officiel et admet qu’il aurait dû le
faire. Il aurait appris que l’accusé avait plaidé coupable à trois fraudes mais
pour un montant total de plus de 5000 $ (soit 7841 $ et non
45305$).
Le journaliste
explique que le plaignant ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir tenu compte
des deux lettres de Me Bossé (Couronne) à Me Lapointe
(procureur de M. Ghanouchi) datées des 19 novembre
2002 et 16 mars 2004 car ces documents ne font pas partie du dossier judiciaire
public et la presse n’y a pas accès.
Quant à la mise en demeure adressée par le cabinet d’avocats
Asselin, Chamberland à M. Pierre Francoeur,
de Sun Media, et à M. Morissette, du Journal de Montréal, le journaliste
précise qu’il ne l’a jamais reçue, sans doute parce qu’il était alors en
vacances. Personne ne l’a informé de cette lettre et M. Morissette en a pris
connaissance au moment de recevoir la plainte de M.Ghanouchi.
Le journaliste procède à un résumé des faits :
Ce que l’on
reproche à M. Ghanouchi, et ce à quoi il a
plaidé coupable, c’est d’avoir, pendant un certain temps, empoché, à la
fois son salaire d’agent des services correctionnels et les indemnités de
la CSST ou de sa division de l’indemnisation des victimes d’actes
criminels (IVAC);
le total de la
fraude est toujours supérieur à 5000 $, soit 7841 $, au lieu
de 45305 $;
suite aux
négociations des parties sur le plaidoyer, on a modifié l’accusation d’une
fraude de plus de 5000 $ pour la transformer en trois fraudes de
moins de 5000 $ chacune.
Le journaliste revient sur le silence du Journal de Montréal
concernant la sentence imposée à M.Ghanouchi le
1er octobre 2004. L’audience avait lieu un vendredi dans une salle à
volume. M.Morissette explique qu’il n’a pas couvert cette audition car il
est toujours en congé le vendredi. L’affaire était à l’agenda, mais le
journaliste qui l’a remplacé n’a pas jugé bon de la couvrir. Et M. Morissette
n’a pas pu en traiter dans les jours suivants, car il était affecté à couvrir
en même temps deux procès devant un jury, ceux de Hugo Bernier et d’Éric
Grenier.
Enfin, le journaliste mentionne que s’il avait été informé en juillet
2004 de son erreur quant au montant total de la fraude auquel M.
Ghanouchi avait plaidé coupable, il aurait pu apporter une
correction dès le lendemain. Pour autant, il reste disposé à publier une telle
correction en tout temps et à rendre compte de la brève audition du 1er
octobre 2004.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a pas opposé de réplique aux commentaires
des mis-en-cause.
Analyse
La déontologie du Conseil de presse mentionne que: «Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité.»
De l’avis du Conseil, M. Morissette a manqué de rigueur en publiant une information inexacte le 1er juillet 2004. En effet, la simple consultation de l’enregistrement de l’audience aurait pu lui permettre d’apprendre le montant exact de la fraude. Le journaliste n’a donc pas effectué les vérifications d’usage et le Conseil de presse s’étonne qu’il n’ait toujours pas rectifié son erreur dans les pages du Journal de Montréal, comme il aurait dû le faire après s’en être rendu compte. C’est pourquoi les griefs du plaignant concernant la rigueur de l’information et la rectification sont retenus.
La déontologie du Conseil précise également que: «la presse doit assurer un suivi rigoureux et diligent de l’information et accorder autant d’importance à l’acquittement d’un prévenu qu’à son inculpation ou sa mise en accusation». Même si le journaliste était absent lors de l’audience du 1er octobre, lui ou sa direction pouvait déléguer la couverture de l’affaire à un de ses collègues. Cette personne aurait non seulement pris conscience de l’erreur mais aurait aussi constaté que le juge avait accordé une absolution inconditionnelle à M. Ghanouchi.
Il en va de même en ce qui concerne la mise en demeure adressée aux mis-en-cause mais jamais reçue par le journaliste, parce qu’il était en vacances. Il est apparu au Conseil qu’il était de la responsabilité de son employeur de prendre les mesures pour assurer le suivi qui s’imposait.
L’article du 1er juillet 2004, qui n’a été corrigé d’aucune façon, et la négligence quant au suivi de l’affaire ont porté atteinte à la réputation de M. Ghanouchi. Le journaliste a propagé une idée fausse et n’a pas rétabli la vérité alors qu’il en avait les moyens. Le Conseil retient donc les griefs concernant le suivi de l’affaire et l’atteinte à la réputation.
Décision
En conséquence, le Conseil de presse retient la plainte à l’encontre de M. Rodolphe Morissette, journaliste, M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien LeJournal de Montréal et leur recommande de publier un rectificatif concernant l’affaire Ghanouchi.
Analyse de la décision
- C02C Accorder un suivi à une affaire
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C17G Atteinte à l’image
- C19A Absence/refus de rectification