Plaignant
Mme Nicole Ouellet et Mme Christine Chamberland
Mis en cause
M. Jacques Lavoie, animateur; Mme Susan Léger, animatrice; M. Bertrand Gosselin, chroniqueur judiciaire; M. Jocelyn Proulx, directeur de l’information; les émissions « Bonjour l’Estrie » et « Lavoie en direct » et la radio CHLT 630 AM
Résumé de la plainte
Les plaignantes reprochent aux journalistes de s’être moqué d’elles et de la médecine spirituelle dans deux émissions du 27 octobre 2004 : « Lavoie en direct » à 11 h 35 et « Bonjour l’Estrie » à 8 h 10. Selon Mmes Ouellet et Chamberland, les journalistes n’ont pas transmis des informations exactes au sujet du procès de Mme Ouellet pour pratique illégale de la médecine. Leurs commentaires ont au contraire discrédité l’accusée et les témoins.
Griefs du plaignant
Griefs de Mme Nicole Ouellet :
La plainte de Mme Nicole Ouellet concerne l’émission de MM. Lavoie et Gosselin : « Lavoie en direct », du 27 octobre 2004 à 11 h 35. Elle se situe dans le contexte du procès de Mme Ouellet pour pratique illégale de la médecine. Le 26 octobre 2004, le juge reçoit les dépositions des sept témoins de la défense. La plaignante dresse la liste des guérisons de ces derniers grâce à la médecine spirituelle.
Mme Ouellet reprend ensuite, réplique par réplique, l’extrait de l’émission. Elle reproche aux journalistes d’avoir mentionné au sujet de la troisième journée de procès, des faits qui n’y avaient pas été évoqués, d’avoir tourné en ridicule la radiesthésie, fait des allusions et des rapprochements entre des personnes qui n’avaient rien à voir avec le procès, émis des jugements moqueurs, donné de fausses informations et porté préjudice à ses clients.
Selon la plaignante, MM. Gosselin et Lavoie n’ont pas rendu compte de l’administration de la justice, ni renseigné sur des questions d’intérêt public. L’information qu’ils ont transmise était incomplète et le contexte n’a pas été indiqué. Mme Ouellet reproche aux journalistes d’avoir induit le public en erreur en lui donnant une image déformée des faits. Selon elle, MM. Gosselin et Lavoie se sont conformés à un courant d’idées donné (la médecine officielle et non pas la médecine spirituelle), sans doute pour éviter de compromettre les intérêts du Collège des médecins.
La plaignante conclut en mentionnant les dommages causés par les sarcasmes des journalistes. Elle rapporte que TQS et Radio-Canada ont tous deux traité du même sujet, mais de manière plus juste et en demandant une entrevue, ce que n’a pas fait la radio CHLT 630.
La plainte est appuyée par Solange Bolduc, Louise Vaillancourt, Serge Guimond, Roger Ouellet, Martine Vincent, Manon Laurin, Hervé Simon, Francine Thériault, Christine Chamberland et Elisabeth Guimond. Mme Ouellet a joint à sa plainte le détail des extraits de Radio-Canada et TQS concernant la couverture du troisième jour de son procès. Elle a aussi fait parvenir au Conseil de presse la bande enregistrée de l’émission mise en cause ainsi que sa transcription écrite.
Griefs de Mme Christine Chamberland :
Quant à Mme Christine Chamberland, elle porte plainte contre la même émission ainsi qu’une autre de CHLT 630, du même jour à 8 h 10 : « Bonjour l’Estrie », présentée par Susan Léger. Dans cette dernière émission, la plaignante reproche à M. Gosselin d’avoir divulgué son nom et celui de son employeur, qui plus est avec des erreurs. Elle regrette également qu’il ait sorti de son contexte et tourné en dérision sa rencontre avec l’archange Michaël. En exprimant son opinion personnelle au lieu de se bourrer à de l’information factuelle, le journaliste aurait mis en doute l’intégrité de la plaignante.
Mme Chamberland explique avoir raconté au procès comment ses enfants et elle avaient été guéris grâce à la médecine spirituelle. Elle a répété son témoignage à la journaliste de TQS qui a rapporté correctement les informations. Au contraire, le commentaire de M. Gosselin a fait de Mme Chamberland la risée des collègues de travail, alors que personne dans son entourage n’était au courant de ce procès et encore moins de sa participation.
La plaignante reproche aux deux journalistes de « Lavoie en direct » de l’avoir assimilée à une personne « très très vulnérable ». Cette information mensongère se répercute sur le travail de Mme Chamberland en jetant le doute sur les personnes utilisant la radiesthésie. Les journalistes ont fait preuve de partialité en riant d’une pratique qui mérite plutôt d’être mise en valeur de par ses résultats. La plaignante avance qu’une information biaisée contribue à manipuler l’opinion.
Mme Chambeland a joint à sa plainte l’enregistrement des deux émissions ainsi que leur transcription écrite.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Jocelyn Proulx, directeur de l’information :
M. Proulx définit « Lavoie en direct » et « Bonjour l’Estrie » comme des émissions d’actualité et d’affaires publiques au cours desquelles les dossiers chauds de l’actualité locale, régionale et nationale sont discutés. C’est dans ce contexte que le 27 octobre 2004, les animateurs Susan Léger et Jacques Lavoie ont traité, par l’entremise du chroniqueur judiciaire Bertrand Gosselin, du procès de Mme Ouellet.
Le directeur de l’information précise que les animateurs d’émissions d’affaires publiques jouissent d’une liberté dans la conduite de leur émission et dans l’expression de leurs opinions, dans la mesure où ils relatent les faits fidèlement.
M. Proulx mentionne ensuite que M. Gosselin en sa qualité de chroniqueur bénéficie d’une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Il rappelle que la déontologie du Conseil autorise le ton polémistes, les prises de partis et les critiques à la chronique, qui peut adopter le ton de l’humour ou de la satire. Cette lecture personnelle de l’actualité laisse une grande place à la personnalité de son auteur. M. Proulx ajoute que la chronique permet au journaliste de dénoncer les idées ou actions qu’il condamne et de porter des jugements en toute liberté dans la mesure où il n’altère pas les faits pour soutenir sa position. Selon le directeur de l’information, M. Gosselin a rapporté les faits correctement relativement à l’affaire Nicole Ouellet et a émis son opinion sur l’affaire à plusieurs reprises, tel que le genre journalistique de la chronique le suggère.
Concernant la plainte de Mme Chamberland, M. Proulx réplique que les journalistes peuvent rapporter le contenu des témoignages tenus lors d’un procès, les audiences des tribunaux étant publiques. Les noms d’un témoin et de son employeur sont certes des informations personnelles, mais certainement pas des informations confidentielles.
Quant aux reproches de la plaignante selon lesquels les journalistes ont ridiculisé le témoin, mis en doute son équilibre psychologique, ridiculisé la radiesthésie et fait preuve de partialité, ils sont, selon lui, infondés au regard de la liberté d’expression dont jouissent les chroniqueurs et les animateurs. M. Proulx est d’avis que M. Gosselin n’a pas tenu de propos diffamatoires et que les animateurs Susan Léger et Jacques Lavoie se sont acquittés de leur devoir d’information dans le respect de l’éthique journalistique.
Réplique du plaignant
Réplique de Mme Nicole Ouellet :
Mme Ouellet considère que M. Gosselin non pas comme un chroniqueur, mais comme un journaliste reporter judiciaire qui ne peut donc pas prendre parti. Elle considère que M. Proulx est de mauvaise foi lorsqu’il parle de liberté d’expression dans la mesure où le journaliste relate fidèlement les faits. En effet, la simple lecture de la bande sonore permet, selon elle, de constater qu’aucun fait n’est rapporté fidèlement.
D’après la plaignante, les réflexions de M. Gosselin ont brimé son droit à un procès juste et équitable, car le journaliste a préjugé de l’issue de sa cause et atteint sa présomption d’innocence.
Réplique de Mme Christine Chamberland :
Mme Chamberland répond à son tour aux commentaires du directeur de l’information de CHLT 630. Elle précise que son nom et celui de son employeur (révélés avec des erreurs) ne devaient pas être dévoilés, au nom du respect de la vie privée. La plaignante soutient que les journalistes doivent distinguer ce qui est d’intérêt public et ce qui relève de la curiosité publique, sans faire preuve de sensationnalisme.
Mme Chamberland mentionne que les sous-entendus, les commentaires dédaigneux et les onomatopées significatives ont contribué à mettre en doute l’expérience et l’équilibre psychologique des témoins, et à ridiculiser la science de la radiesthésie. La plaignante renvoie aux responsabilités des chroniqueurs qui ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer des personnes ou des groupes.
Selon Mme Chamberland, aucune des informations diffusées n’a fait l’objet d’une collecte d’informations auprès des personnes concernées, ce qui a contribué à dénigrer une médecine nouvelle pourtant très efficace. La plaignante considère qu’aucun fait d’intérêt public n’a été relaté et que les journalistes ont entravé le droit de l’accusé à un procès juste et équitable.
Analyse
La chronique, le billet et la critique sont des genres journalistiques qui laissent à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Ils permettent aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Après examen, le Conseil confirme que les deux extraits radiophoniques mis en cause s’apparentent à la chronique. Le format de la chronique permettait à M. Gosselin d’exprimer son point de vue sur l’événement en question. Le chroniqueur judiciaire a rappelé le contexte du procès dans ses deux chroniques, mais il n’était pas tenu de rapporter, dans leur intégralité, tous les faits relatifs au dossier. De l’avis du Conseil, M. Gosselin, en tant que chroniqueur, était en droit d’émettre son avis sur le procès de Mme Ouellet ainsi que sur le témoignage de Mme Chamberland. Le grief concernant un manquement à l’équilibre de l’information ne peut donc pas être retenu contre le chroniqueur.
Dans les deux émissions, M. Gosselin a pris soin de rappeler le contexte afin de laisser les auditeurs juger par eux-mêmes de sa chronique. Il a rapporté les propos tenus aux procès et les a commentés de façon respectueuse. Si le chroniqueur a donné son avis sur les pratiques de Mme Ouellet et les propos de Mme Chamberland, il ne les a pas pour autant accablées ou condamnées d’avance. Le Conseil de presse considère que M. Gosselin n’a pas brimé le droit de Mme Ouellet à un procès juste et équitable, ni porté atteinte à sa présomption d’innocence et rejette ce grief.
De même, le Conseil estime que le récit des événements effectué sur les ondes de CHLT 630, quoique commenté, reflétait des faits non contestés par les plaignantes et observés par le chroniqueur judiciaire. La lecture personnelle du procès par le chroniqueur n’a pas, aux yeux du Conseil, la même portée que lui accordent les plaignantes.
En outre, l’administration de la justice est publique et il importe qu’elle soit rendue comme telle, malgré le caractère privé et parfois délicat de certains dossiers. Le nom du témoin n’était pas confidentiel et M. Gosselin avait le droit de le citer. Certes, le chroniqueur a commis des erreurs de noms, mais ces inexactitudes sont mineures et n’ont pas la portée que leur prête la plaignante, au regard de l’ensemble de la chronique.
Décision
Sous réserve des inexactitudes déplorées par Mme Chamberland, le Conseil rejette sur le fond les plaintes de Mmes Ouellet et Chamberland contre Mme Susan Léger, animatrice, M. Jacques Lavoie, animateur, M. Bertrand Gosselin, chroniqueur judiciaire et la radio CHLT 630.