Plaignant
M. Pierre-Paul
Sénéchal
Mis en cause
M. Yves Bellefleur, vice-président
et rédacteur en chef, M. André Provencher, président
et éditeur et le quotidien Le Soleil
Résumé de la plainte
Le plaignant reproche au quotidien
Le Soleil de s’être entendu avec le promoteur du projet de port
méthanier à Beaumont, pour lui fournir deux pages dans ses éditions des 27 et
28 novembre 2004, afin de rallier l’opinion publique à ce projet.
Griefs du plaignant
M. Pierre-Paul Sénéchal est d’avis que le quotidien
Le Soleil a conclu une entente avec
l’entreprise Gaz Métro, dans le but de créer une opinion publique plus
favorable à l’implantation d’un port méthanier à Beaumont, sur la rive sud de
Québec.
Le plaignant précise qu’il ne conteste pas l’orientation
éditoriale du Soleil, qu’il juge
ouvertement en faveur du projet de Gaz Métro, ni la couverture du conflit
d’opinions dans la région. Il s’interroge plutôt sur le bien-fondé de la
décision du journal de s’entendre avec le promoteur du projet afin de lui
fournir, à titre exclusif, deux pages entières du journal. Selon M. Sénéchal,
cette tribune offerte à l’entreprise à quelques jours du référendum pour
l’acceptation ou le refus du projet jette le doute sur la crédibilité du
Soleil.
Cette façon de procéder a pu créer dans l’opinion publique
l’impression que Gaz Métro et le quotidien de Québec étaient parties liées en
terme d’intérêts et qu’ils avaient conclu un partenariat, ce qui va à
l’encontre de l’information du public.
M. Sénéchal a joint à sa plainte les pages
questions-réponses parues dans Le Soleil
du 27 et 28 novembre 2004, l’appel aux questions des lecteurs sur le projet et
la copie d’une lettre qu’il a adressée à M. André Provencher,
président du Soleil.
Commentaires du mis en cause
Le mis-en-cause précise que
Le Soleil n’a aucun intérêt dans le
projet de port méthanier et n’avait d’autre objectif dans la publication de ces
questions-réponses au promoteur que celui d’informer le mieux possible ses
lecteurs sur un enjeu régional majeur.
D’autre part, M. Bellefleur
explique que la demande d’explications du plaignant n’est jamais parvenue au
Soleil. Dans le cas contraire, la
direction du journal aurait répondu à M. Sénéchal, comme elle a l’habitude de
le faire, particulièrement sur des sujets sensibles comme celui-ci.
D’ailleurs, Le Soleil a
déjà expliqué sa décision d’agir en tant qu’intermédiaire, comme l’atteste un
courriel envoyé à M. Yves Saint-Laurent, le porte-parole de Rabat-Joie,
un groupe de citoyens opposés au projet de port méthanier à Beaumont. M.
Saint-Laurent réclamait que son groupe ait aussi le droit de répondre aux
questions des lecteurs dans les pages du
Soleil. Le journal lui a répondu que, dans ce dossier, c’est le promoteur
qui est accusé de cacher l’information. C’était donc à Gaz Métro de défendre le
bien-fondé de son projet de terminal méthanier.
Le Soleil a voulu ouvrir les échanges entre ses lecteurs et la
compagnie pour obtenir les éclaircissements réclamés, ce qui est conforme à son
rôle d’informer. M. Bellefleur explique avoir
transmis toutes les demandes des lecteurs du
Soleil, favorables ou non au projet, à Gaz Métro, une preuve de l’absence
de parti pris du quotidien.
Le vice-président à l’information du
Soleil estime que la couverture de ce projet par le quotidien a
bien reflété ce qui s’est passé sur le terrain en accordant un large écho aux
opposants du port méthanier. Au contraire, la compagnie Gaz Métro n’a eu que
peu de couverture en raison de ses rares sorties publiques. En outre, les
opposants au projet étaient aussi plus nombreux à s’exprimer dans les pages
«Opinions ».
En éditorial, Le
Soleil a plaidé pour que le projet soit examiné à sa juste valeur,
réclamant qu’il ne soit pas condamné avant que les risques pour l’activité
humaine ou l’environnement soient mesurés. Le journal a prôné le dialogue
pouvant permettre de créer un terrain d’entente et sauver un investissement
majeur de 700 M$ pour la région et une sécurité d’approvisionnement naturel
pour l’avenir.
Le quotidien a largement couvert les activités des opposants
au projet et il a également condamné Gaz Métro pour le flou dont ses dirigeants
ont entouré leur projet. Toutefois, même si les réticences des gens de Beaumont
et de Lévis sont apparues légitimes aux yeux de la rédaction du
Soleil, M. Bellefleur
précise que c’est le rôle d’un quotidien de remettre les enjeux dans une
perspective plus large.
Réplique du plaignant
Aux yeux du plaignant, la justification du
Soleil qui avance que Gaz Métro n’a
«eu que peu de couverture en raison de ses rares sorties publiques»
est peu probante. Le journal ne justifie pas que les positions de la compagnie
auraient été moins couvertes, ce qui est loin d’être certain, selon M.
Sénéchal. Et même si c’était le cas, cette lacune aurait dû être comblée
autrementqu’en octroyant deux pages à Gaz Métro : en cherchant les
informations auprès de la compagnie et en les rapportant aux lecteurs.
M. Sénéchal reproche au
Soleil d’avoir offert à Gaz Métro un accès direct et privilégié aux
lecteurs, sans droit de réplique, leur permettant ainsi d’influencer
l’information en fonction de leurs propres intérêts. Il rappelle qu’il
s’agissait d’un débat social majeur et que l’apparence de conflit d’intérêts
s’avère aussi préjudiciable que le conflit d’intérêts réel.
Analyse
L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public.
Depuis que ce projet de port méthanier est connu, il a suscité une forte opposition de la population, rapportée par Le Soleil. De son côté, Gaz Métro ne s’est guère exprimé, alors que la grogne des citoyens s’amplifiait. Le quotidien est donc allé chercher les informations auprès du promoteur du projet, en le confrontant aux questions du public. En employant ce moyen de communication, le journal pouvait s’exposer à l’apparence de conflit d’intérêt, ce qui, selon le Conseil, aurait pu être évité en donnant un droit de réplique aux opposants au projet. Toutefois, aux yeux du Conseil de presse, la démarche du journal Le Soleil n’était pas inéquitable.
Le plaignant ne s’appuie sur aucune preuve pour conclure à une entente inappropriée entre le journal et la compagnie. De l’avis du Conseil, on ne peut déceler, à la lecture de l’information soumise par le plaignant, aucun conflit d’intérêts réel ou apparent entre le journal et la compagnie Gaz Métro.
Décision
Pour ces raisons, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Pierre-Paul Sénéchal contre le quotidien Le Soleil.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C22H Détourner la presse de ses fins