Plaignant
Mme Michelle Nasraoui
Mis en cause
M. Raymond Brassard, rédacteur en chef exécutif et le
quotidien The
Gazette
Décision sur la recevabilité de la plainte
Dans l’état actuel du guide Droits et responsabilités de la presse, le comité des plaintes et de l’éthique de l’information ne peut se prononcer que sur des actes et des produits journalistiques.
Considérant que l’extrait de la bande dessinée «The Boondocks», ne peut être assimilée à un produit journalistique, la plainte est jugée irrecevable.
Résumé de la plainte
Mme Michelle Nasraoui reproche à
The
Gazette d’avoir publié dans son édition
du 24 décembre 2004, une bande dessinée de M. Aaron McGruder
qu’elle juge offensante et de mauvais goût. Selon elle, la bande dessinée
encourage la diffusion de stéréotypes et la discrimination raciale.
Griefs du plaignant
La plaignante commence par décrire la bande dessinée parue
dans The
Gazette: on y voit le Père Noël
parler à deux enfants noirs. Il leur demande ce qu’ils veulent pour Noël en les
traitant de «vandales nègres» (
negro
holigans). Le Père Noël leur propose des
jantes ou des écussons d’automobiles et, alors que les enfants tournent les
talons, il les apostrophe: «Et un boulot? Vous n’en voulez pas de
ça, hein?»
Mme Nasraoui se dit outragée que
le journal ait cru pouvoir faire passer la bande dessinée pour humoristique.
Elle s’interroge sur le message que
The Gazette
transmet à ses lecteurs. Selon elle, le dessin est clairement dirigé vers les
enfants, particulièrement impressionnables, d’où l’impact d’une telle bande
dessinée. La plaignante explique qu’étant jeune, elle lisait souvent les bandes
dessinées dans les journaux de son père, et cela renforce ses inquiétudes quant
aux pensées que pourrait avoir un jeune enfant en lisant ceci.
Mme Nasraoui ajoute qu’à l’heure
actuelle, et particulièrement au moment de Noël,
The
Gazette devrait sensibiliser ses lecteurs aux questions raciales
et culturelles, plutôt que de conforter les stéréotypes et d’encourager la
discrimination.
La plaignante avise qu’elle prendra contact avec des groupes
antiracistes pour les informer de la méthode de
The
Gazette.
Commentaires du mis en cause
M. Raymond Brassard précise que
The
Gazette publie
Boondocks, la bande dessinée de M. McGruder,
depuis son lancement en 1998. Il s’agit d’une satire sociale et politique
souvent controversée. Toutefois, le mis-en-cause
indique que les personnages d’origine afro-amÉricaine reflètent le propre
patrimoine de M. McGruder et une bonne partie de son
commentaire vise sa propre communauté, souvent pour la critiquer.
De l’avis de M. Brassard, les lecteurs de
The
Gazette sont accoutumés depuis six ans
à la manière dont le dessinateur utilise la satire. Selon lui, la plaignante a
mal compris le sens de la bande dessinée, dans la mesure où le dessinateur
reprochait une attitude dans sa propre communauté afro-amÉricaine et n’essayait
pas de perpétuer les stéréotypes. M. Brassard ajoute que
The
Gazette ne songerait jamais à censurer M. McGruder.
M. Raymond Brassard a joint à ses commentaires une lettre de
la rédactrice en chef adjointe, Mme Lucinda
Chodan, qui répondait à une plainte de l’organisme,
The Canadian Race Relations
Foundation, sur la bande dessinée mise en cause. Elle
indique que Boondocks
est actuellement publié dans 400 journaux d’Amérique du Nord. Au sein des
bandes dessinées publiées à l’heure actuelle, les satires politiques et
raciales de M. McGruder comptent parmi les plus
controversées et ont déjà froissé aussi bien les communautés afro-amÉricaines
que les autres communautés.
Mme Chodan explique que M.
McGruder n’a pas voulu apporter de commentaire, jugeant que
son travail parlait pour lui. Elle rapporte néanmoins des propos tenus par le
dessinateur: «Je refuse de prouver combien j’aime mon peuple en
excluant de me moquer de lui.»
Mme Chodan remarque que
The
Gazette a publié le 24 décembre 2004
deux bandes dessinées qui font partie d’une série de M. McGruder
consacrée au Père Noël afro-amÉricain.
Le 23 décembre 2004, un des
personnages dit
: «I’ve
known self-hating black people before, but this take the cake! » (Dans
le passé, j’ai connu des personnes qui détestaient leur condition noire, mais
ça, c’est vraiment le comble!). Ceci illustre, selon Mme Chodan,
le but de la série : faire de la satire d’une attitude spécifique au sein de la
communauté afro-amÉricaine, que le dessinateur considère comme raciste.
La rédactrice en chef adjointe explique que
The
Gazette déteste censurer la satire
politique de leurs bandes dessinées. La rédaction pense que les dessinateurs
pointent souvent d’importants problèmes de notre société que d’autres ont peur
de dénoncer.
Mme Chodan ajoute qu’elle est
disposée à envoyer à la Fondation canadienne des relations raciales des copies
de la série dans son intégralité, de manière à apprécier le contexte de la
bande dessinée. Elle a également joint à l’attention de la plaignante, un
article tiré du USA Today
ainsi que des adresses de sites Internet concernant le dessinateur.
Réplique du plaignant
De l’avis de Mme Nasraoui, la
question ne concerne pas la liberté d’expression. Il s’agit plutôt de la
responsabilité de la presse de protéger ses lecteurs et la société en général
contre un langage et des attitudes qui déprécient un certain groupe de
personnes et soutiennent des préjugés raciaux.
Selon la plaignante, lorsque M. Brassard suggère que
l’humour du dessinateur est en faveur du combat afro-africain,
il se trompe en comparant dans ce domaine les sociétés canadienne et
amÉricaine. Elle soutient que les Canadiens se situent à un autre niveau de
responsabilité, concernant le respect et l’acceptation des gens d’origine
ethnique et culturelle différente qu’ils côtoient tous les jours.
De même, selon elle, l’argument de la couleur de la peau de
M. McGruder n’est pas pertinent. Les positions
exprimées sont les siennes et la plaignante doute que ce point de vue soit représentatif
des opinions de nombreux Canadiens.
Mme Nasraoui réitère que cette
bande dessinée peut avoir un fort impact sur les jeunes lecteurs de
The
Gazette, d’autant plus que cette
édition est sortie la veille de Noël, alors que les enfants sont en vacances et
donc davantage susceptibles de lire les journaux. En outre, la page des bandes
dessinées est principalement destinée aux jeunes enfants, qui y découvrent un
affreux Père Noël, crachant des insultes à deux enfants noirs.
Selon la plaignante, cette publication a pu amener des
enfants qui n’étaient pas conscients ou exposés à de tels stéréotypes, à faire
des distinctions entre les autres et eux. Sans parler de la
piètre image d’eux-mêmes que la bande
dessinée renvoie aux enfants noirs. Mme Nasraoui considère
que le choix de publier est une faute de jugement.
La Fondation canadienne des relations raciales juge elle
aussi que cette bande dessinée donne l’impression de conforter les stéréotypes
envers les jeunes Noirs et la qualifie de raciste. Le choix d’utiliser la forme
de la bande dessinée dénote un manque de sensibilité éditoriale et de respect
pour les Noirs en général et les enfants noirs en particulier.
The
Gazette serait devenue complice
d’observations racistes auxquelles le journal a donné son aval et l’impact est
d’autant plus fort que les pages consacrées aux bandes dessinées sont celles
les plus lues par les jeunes enfants.