Plaignant
La Coopérative de taxis de Montréal et M. François Bullock, directeur général
Mis en cause
M. Patrick Lagacé, chroniqueur, M. Serge Labrosse, directeur général de l’information et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. François Bullock reproche à M. Lagacé d’avoir condamné, dans sa chronique du 27 décembre 2004, un chauffeur de taxi et sa compagnie afin de se faire justice lui-même.
Griefs du plaignant
M. Bullock commence par donner la version des faits de la Coopérative de taxis de Montréal quant à la course de taxi racontée dans l’article en cause. Ainsi, le 25 décembre 2004, un taxi est envoyé à une adresse où un couple monte à bord. Le chroniqueur, Patrick Lagacé, qui porte une tuque noire et une parka style militaire, commence à poser des questions au chauffeur de taxi sans s’identifier. Le plaignant suppose que la discussion n’a pas tourné dans le sens où M. Lagacé le voulait et que le ton lui a déplu. Le journaliste prétend même avoir été victime de menaces au terme de la discussion.
Le lendemain, le chroniqueur a téléphoné M. Bullock pour lui faire part de cet épisode désagréable. Un quart d’heure plus tard, le président du conseil d’administration, M. Dory Saliba, a joint M. Lagacé afin de s’assurer de la pertinence du contenu de l’article qu’il voulait écrire pour Le Journal de Montréal.
MM. Saliba et Bullock ont informé le journaliste que leur compagnie était régie par un code d’éthique, des règlements disciplinaires, le Bureau du Taxi de Montréal, ainsi que par la Loi sur le transport par taxi. Il est possible de déposer une plainte à l’égard du taxi qui aurait commis une faute, ce qui permet d’amorcer une enquête sur l’événement. C’est pourquoi les deux dirigeants ont demandé à M. Lagacé de déposer auprès du Bureau de discipline de la Coopérative de Taxis de Montréal une plainte signée par lui et relatant l’événement. En attente du résultat du processus, ils n’avaient pas d’inconvénient à ce qu’un article soit publié dans le journal, sous certaines réserves telles que la confidentialité du professionnel et de l’association impliqués. Ceci visait un objectif de justice et de respect des lois et règlements cités ci-dessus.
Le plaignant souligne en outre que M. Lagacé a été informé, lors d’une entrevue en septembre 2004, que la Coopérative de Taxis de Montréal est reconnue dans le milieu depuis sa fondation. Elle a la réputation d’une association qui impose à ses professionnels une discipline rigoureuse et sévère, et ce afin de protéger sa clientèle.
Ainsi, M. Bullock a été grandement surpris de l’arrogance avec laquelle le journaliste a écrit son article, dans l’intention de se faire justice lui-même. Non seulement il relate sa propre version des faits, mais en plus il condamne sur la place publique le chauffeur et sa compagnie, en tant que juge et partie.
Les termes mis en cause dans l’article sont les suivants: «le chauffeur est une ordure», «zéro de civilité», «mongol à batterie», «mordeur de client pour rien», «l’escogriffe», «petit taliban du volant». M. Lagacé a également écrit que le ton employé par le chauffeur était celui qu’on emploie pour dire «Va donc chier». D’autre part, il identifie la compagnie de taxis, le président du conseil d’administration ainsi que le chauffeur, en citant son numéro de permis de travail.
Le plaignant précise qu’il ne veut pas prendre la défense du chauffeur, étant donné qu’il n’avait pas encore sa version au moment où il s’est plaint auprès de M. Labrosse. En revanche, il considère qu’en se livrant à un genre de journalisme à sensation au détriment d’autrui, le journaliste a bafoué la «Justice naturelle» et ce, sans égard aux conséquences que doivent supporter le chauffeur et l’association. En effet, selon le plaignant, ce genre d’affirmations intolérantes a créé un climat malsain et d’insécurité auprès du public, à l’égard du professionnel, de la direction et du personnel de la Coopérative des taxis de Montréal.
M. Bullock ajoute que le directeur de l’information Serge Labrosse a soutenu ce style de journalisme en ne répondant pas à son invitation.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Patrick Lagacé, chroniqueur au Journal de Montréal:
M. Lagacé rappelle qu’il a réalisé en septembre 2004 un grand reportage sur l’industrie du taxi à Montréal. À cette occasion, il a suivi la formation de chauffeur pendant cinq semaines, afin de conduire un taxi pendant un mois. Cela a donné lieu à une série publiée en octobre 2004 dans Le Journal de Montréal. Occasionnellement, le journaliste reprend le volant et en parle dans sa chronique «Légendes urbaines».
Le mis-en-cause mentionne qu’en tant que chroniqueur, il jouit d’une grande liberté, tant dans la sélection des sujets que dans la façon de rédiger ses papiers. Il lui arrive d’aborder, dans sa chronique, des événements qui surviennent dans sa vie et qu’il juge d’intérêt pour ses lecteurs, comme dans le cas de l’article mis en cause.
Concernant l’épisode survenu le 25 décembre 2004, M. Lagacé renvoie à sa version
exposée dans la chronique, étant donnée que la chronologie des faits n’a pas été contestée par Taxi Co-Op. Le journaliste raconte qu’après consultation avec le rédacteur en chef, il a été convenu que cet incident cadrait avec sa chronique, d’autant plus que, suite à sa série
d’articles sur le taxi, plusieurs lecteurs lui avaient souligné un aspect non traité: les chauffeurs à problème.
Étant impliqué personnellement dans l’incident, le journaliste dit avoir fait preuve de réserves à deux égards: l’identification du chauffeur et de la compagnie de taxi. En
effet, M. Lagacé n’a pas identifié le chauffeur par son nom, seulement par son numéro. Il s’agit d’une information publique, étant donné que chaque chauffeur est tenu d’afficher son permis de travail dans son taxi. Quant à Co-Op, le journaliste ne l’a identifié qu’en fin de chronique, et l’a définie comme étant «une compagnie rigoureuse, où la discipline est prise au sérieux».
Le journaliste signale que, s’il avait été de mauvaise foi, il aurait écrit le nom de la compagnie en titre ou en amorce et l’aurait répété plusieurs fois. Il aurait aussi pu écrire le nom du chauffeur dans sa chronique, mais ne l’a pas fait pour ne pas s’acharner.
De plus, M. Lagacé note qu’il a donné l’occasion aux dirigeants de Taxi Co-Op de lui livrer la version des faits du chauffeur. Néanmoins, les dirigeants de la compagnie n’ont pas saisi cette occasion le 26 décembre 2004. Selon le journaliste, si la Compagnie Co-Op lui avait fait une déclaration, quelle qu’elle soit, celle-ci serait évidemment apparue dans sa chronique. Mais il n’ont pas voulu livrer leur point de vue, et ont uniquement cherché à taire l’incident. Le mis-en-cause raconte qu’ils ont ensuite insisté pour que le nom de la compagnie ne soit pas cité, voyant que le journaliste était déterminé à écrire son article.
Quant aux termes utilisés dans la chronique pour décrire le chauffeur, M. Lagacé les qualifie de durs mais juge qu’ils ne dépassaient pas les bornes. Il constate également que Taxi Co-Op ne conteste pas sérieusement les faits rapportés dans sa chronique et il en déduit que la compagnie est surtout embêtée qu’il ait publié son nom.
Le journaliste souligne aussi une contradiction dans la plainte de la compagnie. D’un côté, M. Bullock affirme ne pas avoir eu le temps de recueillir la version du chauffeur; de l’autre, il décrit en détail sa tenue de ce soir-là. D’ailleurs, si le plaignant fait passer le manteau du mis-en-cause pour un «parka style militaire», c’est, selon lui, dans l’optique de le discréditer en lui prêtant une allure patibulaire.
En dernier lieu, M. Lagacé mentionne que, s’il avait voulu se faire justice, il aurait identifié le chauffeur et il aurait écorché la compagnie de taxi. Il explique enfin que la liberté de commentaire d’un chroniqueur n’est certainement pas absolue, mais croit l’avoir exercée, dans ce cas, fermement, mais sans dépasser les bornes.
Commentaires de M. Bernard Pageau, avocat :
Quant à Me Bernard Pageau, il rappelle à son tour et au nom du Journal de Montréal que la chronique est un style permettant à son auteur un vocabulaire coloré et imagé, surtout lorsque les faits à l’origine mettent en cause un tel vocabulaire. Selon lui, le vocabulaire utilisé par le journaliste ne peut donc pas lui être reproché.
La compagnie revendique également le droit à la confidentialité du professionnel et de l’association impliqués. De l’avis de Me Pageau, la chronique n’identifiait pas le chauffeur de taxi; elle donnait seulement son numéro de pocket. Il se demande ensuite en vertu de quels principes on doit taire l’identité de la compagnie de taxi. L’association fournit un service public et sa critique doit donc être publique. Il avance aussi que le président du conseil d’administration occupe un poste d’autorité et ne peut donc pas revendiquer la confidentialité.
Enfin, l’avocat rappelle que la Coopérative reproche au chroniqueur et au directeur de l’information de ne pas avoir accepté de le rencontrer. Me Pageau voit mal comment on peut prétendre qu’une telle invitation devait obligatoirement être acceptée par Le Journal de Montréal et son chroniqueur.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a pas opposé de réplique aux commentaires des mis-en-cause.
Analyse
Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes.
Sans pour autant cautionner le comportement dénoncé du chauffeur de taxi dans l’article en cause, le Conseil constate que le chroniqueur a insulté à plusieurs reprises le chauffeur de taxi. À son avis, le cumul des injures utilisées («ordure», «mongol à batteries», etc.) dépassent les limites de la civilité, alors même que le journaliste accuse le chauffeur de manquer de respect et de courtoisie. Le Conseil estime que la chronique ne justifie pas tous les écarts de langage.
Le Conseil de presse considère d’autre part que M. Lagacé peut raconter une histoire qui lui est personnellement arrivée. Néanmoins, ce faisant, il prend le risque de tomber dans le piège de l’apparence d’un règlement de comptes, ce qu’il a fait cette fois-ci. Le Conseil considère qu’il se dégage des faits au dossier et des termes utilisés par M. Lagacé que celui-ci utilise la liberté attribuée aux chroniqueurs pour avoir le dernier mot dans une situation l’impliquant personnellement.
Le Conseil de presse retient donc ces deux griefs contre le chroniqueur Patrick Lagacé.
Par ailleurs, le Conseil note que le chauffeur n’a été identifié que par son numéro de permis de travail, ce qui n’est pas une information confidentielle puisqu’il figure à l’intérieur de la voiture et que tous les clients en ont connaissance. Quant au nom de la compagnie, celui-ci est public, de même que l’identité de ses dirigeants. Le journaliste n’est donc pas en faute lorsqu’il publie ces noms.
Enfin, d e l’avis du Conseil, la chronique ne porte pas directement atteinte au chauffeur puisque celui-ci n’est pas clairement identifié. Quant aux noms de la compagnie de taxi et du président du conseil d’administration, ils n’apparaissent qu’en fin de chronique et sont dissociés des torts imputés au chauffeur. La chronique ne porte donc pas non plus atteinte à Co-Op ni au président de son conseil d’administration.
Ces deux derniers griefs sont par conséquent rejetés par le Conseil de presse.
Ainsi, le Conseil retient la plainte de M. Bullock sur les griefs concernant l’injure et le procès par les médias et blâme le chroniqueur Patrick Lagacé et le Journal de Montréal.
Décision
Le Conseil rejette les griefs de la divulgation de l’identité et d’atteinte à l’image, à l’encontre du chroniqueur et du journal.
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C17C Injure
- C17G Atteinte à l’image
- C17H Procès par les médias
Date de l’appel
13 December 2005
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité
de maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
La Coopérative de taxis de Montréal et M. François
Bullock, directeur général