Plaignant
Le Congrès Islamique Canadien (CIC), Chapitre de Montréal et M. Mohamed Nekili, coordonnateur du comité de relations avec les médias
Mis en cause
M. Benoit Dutrizac, journaliste et animateur, «Les Francs-tireurs» et la télévision publique, Télé-Québec (M. Denis Bélisle, directeur des affaires juridiques) et Zone 3 (M. André Larin, président)
Résumé de la plainte
M. Mohamed Nekili reproche au journaliste Benoit Dutrizac d’avoir insulté la religion musulmane à deux reprises dans l’émission « Les Francs-Tireurs » du 2 février 2005.
Griefs du plaignant
M. Nekili explique que, après avoir entendu Mme Irshad Manji mentionner que les enfants musulmans sont invités à faire le jeune du Ramadan à partir d’un âge relativement bas, le journaliste s’est exclamé à deux reprises : « stupid religion». Le plaignant soutient que ces propos entretiennent les préjugés envers la religion musulmane et tendent à soulever le mépris, voire la haine et à heurter la dignité des musulmans.
M. Nekili précise qu’il s’agit d’une insulte gratuite. La communauté musulmane est à la fois indignée et inquiète de la facilité de proférer de telles insultes au sein de l’émission de
Télé-Québec. Le plaignant indique également que, malgré des plaintes auprès de la station de télévision, l’émission « Les Francs-Tireurs » a quand même été rediffusée à quelques reprises sans être modifiée.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Denis Bélisle, directeur des affaires juridiques à Télé-Québec et M. André Larin, président de Zone 3 :
Les mis-en-cause assurent que, si une expression utilisée par M. Dutrizac dans l’émission de Télé-Québec a blessé quiconque, ils en sont désolés.
Selon eux, l’expression « Les Francs-Tireurs », qui titre l’émission, vise ceux qui mènent une action indépendante à l’égard de sujets controversés sans être liés à des règles de groupe et avec la seule limite de l’application de la loi. Ils expliquent que ce magazine de société relève du genre journalistique de la chronique et du commentaire. Comme l’a maintes fois expliqué le Conseil de presse, ce genre permet le ton polémiste, le parti pris, l’expression de critique dans le style propre de son auteur.
Les mis-en-cause racontent que, depuis que l’émission est entrée en ondes en 1998, M. Dutrizac a toujours agi et traité de la même façon les sujets et les entrevues qu’il présente. Parmi tous les thèmes abordés dans le cadre de cette série, ce n’est pas la première fois que les propos critiques du journaliste visent une pratique religieuse, qu’elle soit chrétienne ou autre. À titre d’exemple, ils citent la réaction de M. Dutrizac face à la position de l’Église sur le port du préservatif et le mariage entre personnes du même sexe.
MM. Larin et Bélisle indiquent qu’en l’espèce, c’est la pratique du Ramadan chez les jeunes musulmans qui est visée par la critique du journaliste. Ce commentaire caustique de M. Dutrizac exprime une opinion, ce qui est certainement légitime dans une société juste et démocratique. Les mis-en-cause précisent que c’est le genre et le style de l’émission et du journaliste et font remarquer que M. Dutrizac a par ailleurs qualifié le livre de son invitée de « maudit livre ».
M. Bélisle ajoute que les propos de l’animateur critiquant la pratique du jeûne chez les enfants musulmans ne sont pas de nature à susciter la haine ou le mépris à l’égard des musulmans, d’autant plus que l’invitée explique qu’elle-même n’a pas été obligée par sa mère de le pratiquer. Selon M. Bélisle, aucun code, ni loi, ni règlement n’a pour but d’empêcher les commentaires. Ce serait à ses yeux une limite inacceptable à la liberté d’expression et au droit de public à l’information.
Réplique du plaignant
Reprenant les termes des mis-en-cause, le plaignant précise que mener une action indépendante et isolée sans observer la discipline d’un groupe n’autorise nullement à insulter le groupe en question. D’autre part, M. Nekili n’est pas rassuré par le fait que M. Dutrizac ait malmené d’autres religions ou communautés. Contrairement aux mis-en-cause, il soutient que l’insulte gratuite de minorités est incompatible avec une société libre et démocratique.
En outre, selon le plaignant, l’exemple invoqué par MM. Larin et Bélisle n’est pas pertinent. D’après lui, quand M. Dutrizac traite le livre de Mme Manji de « damned book », il ne l’insulte pas. En effet, ce dernier avance que, dans la culture québécoise, l’expression «maudit livre» est plutôt un compliment que l’on pourrait remplacer par « sacré livre! » dans le sens de «sacré bon livre!» De plus, rien dans l’émission ne laisse croire que le journaliste n’a pas aimé le livre, au contraire.
Le plaignant note que les propos de M. Dutrizac ne revêtaient aucun objectif pédagogique et servaient juste à exprimer en ondes son dégoût face à cette religion. Selon M. Nekili, il est ridicule de prétendre que cette injure a aidé le téléspectateur à mieux comprendre le sujet, ni à faire progresser la discussion avec son invitée. À sa connaissance, la liberté d’expression et le droit du public à l’information n’autorisent pas à proférer des insultes aussi directes contre une religion.
Analyse
Dans ses commentaires, le représentant des mis-en-cause précise le contexte de l’émission visée par la plainte en expliquant que le magazine de société «Les Francs-Tireurs», relève du genre journalistique de la chronique et du commentaire, ce que confirme d’ailleurs le Conseil.
Or, selon le guide de principes déontologiques du Conseil, le journalisme d’opinion auquel appartient le genre journalistique de l’émission accorde aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire. Ce genre journalistique laisse donc une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information et il permet même aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
C’est dans ce contexte d’émission et plus précisément à l’égard du fait que des enfants étaient soumis au jeûne du Ramadan, que les mots contestés ont surgi. L’animateur a réagi spontanément, «what a stupid religion! », pour retourner aussitôt la question à son invitée.
Tout en tenant compte du caractère spontané de la réaction et de la question subséquente, qui a permis à l’invitée de s’exprimer sur le sujet, le Conseil comprend que l’expression utilisée ait pu choquer une portion de l’auditoire. Toutefois, le Conseil estime que M. Dutrizac est resté dans les limites acceptables pour le type d’émission en cause.
Décision
Pour ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre de M. Benoit Dutrizac journaliste à l’émission « Les Francs-Tireurs » ainsi que contre la société Télé-Québec.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C17C Injure
Date de l’appel
13 December 2005
Appelant
Le Congrès Islamique Canadien (CIC), Chapitre de Montréal et M. Mohamed Nekili, coordonnateur du comité de relations avec les médias
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.