Plaignant
Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) et Mme Carole Roberge, présidente
Mis en cause
M. Jeff Fillion, animateur, M. Denis Gravel, journaliste, M. Dominic Maurais, producteur délégué et directeur de l’information et la radio CHOI-FM
Résumé de la plainte
Mme Carole Roberge, présidente du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec SPGQ) porte plainte contre MM. Jeff Fillion et Denis Gravel; elle met en cause l’émission «Le monde parallèle de Jeff Fillion» diffusée le 10 février 2005 par la radio CHOI-FM. Selon elle, l’animateur et le journaliste tiennent des propos hostiles envers le personnel de la fonction publique.
Griefs du plaignant
La plainte se situe dans le contexte du débrayage légal d’une demi-journée déclenché par les membres du SPGQ le 10 février 2005. Des manifestations ont eu lieu devant plusieurs édifices gouvernementaux provinciaux, notamment devant l’immeuble où sont situés les locaux de CHOI-FM. À cette occasion, l’animateur M. Jeff Fillion et le lecteur de nouvelles M. Denis Gravel auraient tenu sur les ondes de CHOI-FM des propos méprisants à l’encontre du personnel de la fonction publique.
Mme Roberge déplore notamment que M. Claude Lussier, employé de Genex Communication, ait menacé de recourir à un bâton de hockey pour se frayer un passage dans la foule des manifestants. M. Lussier n’arrivait pas à accéder au stationnement de
l’entreprise, située dans un édifice où travaillent également des professionnels du gouvernement.
D’autre part, la plaignante explique que l’animateur s’est entretenu en ondes avec un prétendu jeune homme du SPGQ qui s’exprimait à titre personnel. Elle regrette que la radio n’ait pas plutôt sollicité une demande d’entrevue auprès du responsable des relations de presse du syndicat. Par ailleurs, l’émission a fait preuve de partialité en omettant d’informer les auditeurs sur les enjeux de la grève, alors qu’un communiqué et des annexes explicatives étaient diffusés par les agences de presse.
Aux yeux de Mme Roberge, l’animateur et le lecteur de nouvelles ont contribué à entretenir des préjugés défavorables à l’égard du personnel de la fonction publique. Selon elle, le traitement de l’information est déséquilibré car MM. Fillion et Gravel ont passé sous silence la position officielle du syndicat.
Mme Roberge a joint à sa plainte la transcription écrite de plusieurs extraits de l’émission.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me René Dion, avocat de Genex
Communication inc.:
L’avocat des mis-en-cause rappelle à son tour le contexte en précisant que, le 10 février 2005, environ 125 manifestants se trouvaient dans l’entrée de l’édifice où se situe la radio CHOI-FM. Ils bloquent alors les voitures des travailleurs oeuvrant dans l’édifice dans le but d’empêcher les membres du Syndicat de la fonction publique d’aller au travail. Les manifestants demandent donc aux gens de s’identifier en baissant la vitre de leur voiture. Lorsque ces derniers refusent de le faire, les manifestants se placent devant le véhicule et, selon M. Gravel, sur place au moment de la manifestation, certaines personnes mettent leur pied ou une pancarte sur les véhicules en insultant les travailleurs.
Ainsi, selon Me René Dion, plusieurs employés de CHOI-FM et/ou Genex Communications inc. ont été bloqués ou insultés par les manifestants, notamment MM. Marc Landriault, directeur musical et Claude Lussier, représentant des ventes.
L’avocat de Genex Communications explique que, dans son émission du 10 février 2005, M. Fillion dénonce les agissements violents des manifestants et tient des commentaires éditoriaux. M. Denis Gravel est ensuite envoyé sur place, afin de constater ce qui se passe à cette manifestation. Il se fait insulter par des manifestants et bousculer par une dame. Il constate en outre des actes de vandalisme, de violence et de désordre. Tout cela est dénoncé par M. Fillion, lequel s’entretient également avec M. Lussier, qui tente d’entrer dans l’immeuble et se serait fait insulter par les manifestants. M. Dion précise que plusieurs personnes, notamment des syndiqués, interviennent en ondes par téléphone ou par courriel.
L’avocat des mis-en-cause souligne que le commentaire éditorial, surtout en matière sociopolitique, doit demeurer sous la protection de la liberté d’expression, un fondement d’une société libre et démocratique.
Selon lui, il y a eu équilibre des propos diffusés en ondes. L’occasion a été donnée à plusieurs manifestants syndiqués d’exprimer leur point de vue. Certains l’ont fait de manière posée, d’autres par des attaques physiques et verbales.
M. Dion précise par ailleurs qu’aucune demande d’entrevue n’a été faite au producteur de l’émission par la SPGQ. Pourtant, il existe à CHOI-FM un droit de réplique utilisé
pour exprimer des opinons divergentes. Ainsi, dès qu’il le juge pertinent, le plaignant peut communiquer avec la direction ou le producteur de l’émission qui mettront en œuvre les mécanismes nécessaires afin de diffuser un point de vue additionnel.
Les mis-en-cause regrettent que le plaignant ait été offensé par les propos de M. Fillion et précisent que ce n’était pas leur intention. L’avocat concède que l’animateur a utilisé certains mots qui peuvent être considérés de mauvais goût, mais il juge que ces propos sont contenus dans un cadre éditorial basé sur les faits qui sont, de l’avis de M. Dion, d’un goût douteux. D’autre part, le code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs mentionne que la «responsabilité du radiodiffuseur ne s’étend pas aux questions liées au bon goût.»
Selon l’avocat de Genex Communications, il serait déraisonnable de s’attendre à ce que le contenu diffusé en ondes soit pur et aseptisé. La société dans son ensemble ne l’est pas, pas plus que ne le sont les rapports entre les individus.
M. Dion note que les préoccupations du Conseil de presse à l’égard de CHOI-FM ont été prises en considération. Il explique aussi que la radio a tenu, avec son personnel en ondes, une série de discussions au sujet des contenus diffusés et qu’elle continuera à exercer la plus grande vigilance concernant ces sujets.
Le représentant des mis-en-cause rappelle que l’animateur Jeff Fillion ne travaille plus à CHOI-FM depuis le 17 mars 2005 et ce pour diverses raisons, notamment certaines plaintes dont il fut l’objet au cours des dernières années. Ces plaintes mettaient principalement en cause le contenu verbal de l’émission «Le Monde parallèle de Jeff Fillion ». D’ailleurs, les propos mis en cause par Mme Roberge avaient fait l’objet d’une plainte antérieure au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Des discussions avaient déjà eu lieu avec M.Fillion et certaines mesures avaient été prises afin d’encadrer ses propos.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a soumis aucune réplique.
Analyse
L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice.
La plaignante déplore que CHOI-FM ait manqué à ses obligations en regard de l’équilibre et de l’exhaustivité de l’information en invoquant qu’aucun syndiqué n’ait été interviewé pour soutenir la position officielle du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec à l’antenne. « Le monde parallèle de Jeff Fillion» n’est pas une émission radiophonique à vocation uniquement informative mais relève à la fois du genre journalistique de la chronique ou du commentaire et de l’information.
Après examen du dossier, il est notamment démontré qu’une offre a été faite à l’un des responsables de la manifestation du SPGQ d’exposer son point de vue en ondes. Dans ce contexte, le Conseil estime que les membres de l’équipe de l’émission n’ont pas manqué à leur devoir d’équilibre dans l’information transmise aux auditeurs.
En conséquence, le grief quant aux manquements en regard de l’équilibre et de l’exhaustivité de l‘information est rejeté.
En outre, aux yeux du Conseil de presse, M. Jeff Fillion peut prendre parti et livrer ses opinions personnelles puisque celles-ci s’inscrivent dans le rôle du chroniqueur.
Pour sa part, le lecteur de nouvelles, M. Denis Gravel, présente la manifestation des fonctionnaires et évoque l’une de leurs revendications. Toutefois, il émaille sa nouvelle de commentaires alors qu’il devrait se cantonner à l’information brute puisqu’il agit à titre de journaliste, et non pas à titre de chroniqueur. Ceci constitue une faute.
Enfin, de l’avis du Conseil, l’animateur et ses collègues font montre d’une grande agressivité envers les fonctionnaires en grève, tout au long de l’émission. La présence d’insultes telles que: « gang d’imbéciles», «abrutis un peu malades» ou «arriérés» démontrent que M. Fillion et l’équipe de l’émission ont outrepassé les larges limites accordées au genre journalistique de la chronique et du commentaire.
Décision
Ainsi, le grief visant l’usage de préjugés est retenu à l’encontre des mis-en-cause soit MM. Jeff Fillion, Denis Gravel et Dominic Maurais ainsi que la radio CHOI-FM. Le Conseil blâme aussi le journaliste M. Denis Gravel qui, en ajoutant de nombreux commentaires à l’information qu’il a rapportée, a outrepassé son rôle de journaliste.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C18C Préjugés/stéréotypes