Plaignant
M. Marc Lemay, député de l’
Abitibi-Témiscamingue
Mis en cause
M. Patrick Rodrigue, journaliste, M. David Prince, directeur
de l’information et l’hebdomadaire La
Frontière
Résumé de la plainte
M. Marc Lemay, député de l’
Abitibi-Témiscamingue, reproche au journal
La Frontière d’avoir publié, dans
l’édition du 25 mai 2005, un article sur
un contrevenant qui est son homonyme en laissant croire qu’il s’agissait de
lui.
Griefs du plaignant
M.Marc Lemay précise d’abord
qu’il porte plainte contre un article paru dans l’édition du 25 mai 2005, de
l’hebdomadaire La Frontière.
L’article traite d’infractions
commises à la Loi sur les forêts, par des contrevenants dont l’un d’eux est un
homonyme du plaignant. Selon ce dernier, le titre accrocheur de l’article
n’aurait pour but que d’attirer l’attention du lecteur qui, s’il ne lit pas
l’article au complet, peut facilement confondre la personnalité publique du
plaignant avec le véritable auteur des délits. Ce n’est qu’au quatrième
paragraphe, titré des mots: «Marc Lemay
coupable», qu’il est précisé que le contrevenant mentionné n’est pas le
député.
D’après le député Lemay, la
nouvelle aurait été traitée dans un seul but de sensationnalisme alors qu’il
aurait été possible de le faire dans le souci de respecter son image publique.
Si les personnalités publiques doivent s’attendre à faire
l’objet de critique suite au travail qu’ils accomplissent, le plaignant conclut
que leur nom ne doit cependant pas «servir à faire vendre, fallacieusement,
de la copie».
Commentaires du mis en cause
M. David Prince, directeur de l’information, rapporte que
l’article paru le 25 mai 2005 dans le journal
La Frontière faisait état d’informations provenant de la liste des
contrevenants du quatrième trimestre 2004, publiée par le ministère des
Ressources naturelles du Québec.
Il ajoute que la particularité de ces chiffres était qu’ils
combinaient le nombre d’infractions des deux dernières années et qu’il
s’agissait d’un fait sans précédent. De plus, le rapport faisait état du record
d’un individu nommé Marc Lemay, ayant été condamné à
13313 $ d’amendes.
M.David Prince conteste les faits que le plaignant
reproche au journal La Frontière,
soit le titre de l’article qui, selon le plaignant, n’avait pour but que d’attirer
l’attention du lecteur sur la personne du député, et l’hypothèse selon
laquelle, le lecteur ne lira pas l’article au complet et ne se fiera qu’au
titre.
Il explique que le journal
La Frontière n’a nullement voulu donner un aspect sensationnel à l’article
en utilisant le nom de Marc Lemay dans le titre. De
l’avis de M. Prince, le journal La
Frontière a publié une information d’intérêt public, soit l’information que
le record d’amendes pour la région était celui de Marc Lemay
et s’élevait à 13313 $.
Le mis-en-cause présume qu’un
lecteur raisonnable lira l’article au complet et comprendra que la personne du
nom de Marc Lemay, mentionnée dans l’article, n’est
pas le député de l’Abitibi-Témiscamingue. En effet,
au troisième paragraphe de l’article, il est clairement indiqué, après le nom
de Marc Lemay: «qui n’est pas le député
d’Abitibi-Témiscamingue…».
M.Prince ajoute que le journal ne peut censurer le nom
des individus impliqués dans les infractions au motif que l’un d’entre eux
porte le même nom qu’un député. De plus, il précise que le nom a été mentionné
dans le titre, comme le journal La
Frontière a l’habitude de le faire lorsqu’il s’agit d’individus impliqués
dans des évènements faisant l’objet de l’article.
Il conteste donc que le journal
La Frontière ait utilisé le nom de Marc Lemay
uniquement pour fin de sensationnalisme.
Le mis-en-cause joint, à titre
d’exemple, copie d’un article paru dans le journal
La Frontière le 15 septembre 2004 et dont le titre est
«Daniel Bernard s’en va en dedans pour 12 mois». Il est mentionné
dans cet article «qu’il ne fallait pas confondre cet individu avec le
député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue».
Réplique du plaignant
M.Marc Lemay précise d’abord
qu’il s’entend avec le mis-en-cause lorsque celui-ci
allègue que le record d’infractions en forêt est une information d’intérêt
public. Il ajoute comprendre que l’individu ayant cumulé le montant record
d’amendes se nomme Marc Lemay et que divulguer son
nom faisait partie de l’information qui devait être fournie au lecteur.
Cependant, le plaignant reproche au journal
La Frontière son choix rédactionnel dans
la présentation de l’information à travers les titres que sont:
«Marc Lemay bat des records d’infractions en
forêt» et «Marc Lemay coupable».
Il cite ensuite deux extraits du guide
Droits et responsabilités de la presse en relation avec la
présentation et l’illustration de l’information. Il ajoute que dans le cas des
titres choisis par le journal La
Frontière, ceux-ci encouragent une perception fausse et trompeuse de la
réalité.
À la lecture des titres de l’article, M. Lemay
se demande où s’arrête l’efficacité pour rendre l’information intéressante et
où commence le sensationnalisme qui attire l’attention du public par un
possible malentendu sur la personne citée. Selon lui, l’article rapporte et
commente les données fournies par le ministère des Ressources naturelles. Il
fait toutefois remarquer qu’à la lecture de ces données, on constate que le
point marquant n’en est pas le nom du contrevenant, mais plutôt le montant
record des amendes encourues. Pourquoi alors ne pas plutôt mentionner le
chiffre record de 13313 $ en titre?
Le plaignant s’interroge: «pourquoi mettre en
titre « Marc Lemay coupable »» au
troisième paragraphe? En effet, l’article mentionne que dix particuliers ont
été mis à l’amende. Dans ce cas, pourquoi choisir d’exploiter ce titre et ce
phrasé?
Selon lui, ce genre de rapprochement, de flou entourant la
vérité trahit un manque de rigueur. En effet, l’éthique journalistique
recommanderait d’éviter de laisser planer des malentendus qui risquent de
discréditer les personnes. Les professionnels de la presse ne doivent-ils pas
éviter d’utiliser des termes qui tendent à heurter la dignité d’une personne?
M.Marc Lemay ajoute que
l’affichage en gros caractères d’un nom connu semble être une pratique courante
du journal La Frontière, comme le
rapporte le directeur de l’information M.David Prince. Le plaignant
s’interroge sur cette façon de faire: a-t-elle pour but «d’informer
le public des faits et des évènements nouveaux, significatifs […] qui sont
porteurs de conséquences pour la population et la société, en situant ceux-ci
dans leur contexte de signification»? Selon lui, ce genre de titre
encouragerait plutôt le quiproquo auprès des lecteurs.
Par ailleurs, le député Lemay
précise que sa plainte porte sur un autre aspect qu’est le «risque»
d’induire le public en erreur. Il ajoute que, bien que le directeur de
l’information du journal LaFrontière
présume «qu’un lecteur raisonnable lira l’article et comprendra que
la personne […] n’est pas le député d’Abitibi-Témiscamingue»,
un professionnel de l’information ne peut toutefois laisser courir ce risque à
une personne, qu’elle ou non soit de notoriété publique.
Il conclut que les rapprochements tendancieux, les
insinuations et les propos équivoques porteurs de connotation négative ne font
pas partie d’une information de qualité à laquelle le public a droit.
Analyse
Le Conseil rappelle que le choix des titres relève de la responsabilité de l’éditeur. Ce choix doit s’opérer dans le respect du contenu informatif de l’article et doit faire preuve d’une grande rigueur intellectuelle. Les médias, en ayant recours aux moyens les plus efficaces pour attirer l’attention du lecteur, doivent toutefois veiller à ce que les titres ne deviennent pas un prétexte au sensationnalisme.
M. Marc Lemay, député de l’Abitibi-Témiscamingue, conteste le choix rédactionnel du journal LaFrontière en matière de présentation de l’information au travers du titre et du sous-titre «Marc Lemay bat des records d’infractions en forêt» et «Marc Lemay coupable». Après analyse, le Conseil constate que, sur le fond, les titres ne reflètent pas l’essentiel du contenu de l’article.
Les médias et les professionnels de l’information doivent veiller à traiter l’information sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des événements ainsi que d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelle des informations qui lui sont transmises.
Sur cet aspect, le Conseil conclut que l’incertitude établie par le titre, et entretenue jusqu’au quatrième paragraphe de l’article, risque d’induire le public en erreur sur la véritable identité du contrevenant. Dès lors que le titre soulève une question quant à l’identité réelle du contrevenant, le journaliste aurait dû, dès le début de l’article, préciser qu’il ne s’agissait pas du député. Par conséquent, le Conseil retient le grief concernant la pondération de l’information.
Enfin, les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas et ainsi de laisser planer des malentendus qui risqueraient de discréditer des personnes ou des groupes auprès de l’opinion publique.
Comme le texte ne mentionnait que tardivement que le contrevenant n’est pas le député de l’ Abitibi-Témiscamingue, et compte tenu de la notoriété publique du plaignant, le Conseil considère, qu’au point de vue de l’éthique journalistique, l’article contesté risquait de porter atteinte à l’image publique du plaignant.
Décision
En raison du sensationnalisme et des manquements à la pondération, de même que pour l’utilisation de titre et de sous-titre inappropriés, le Conseil de presse retient la plainte et blâme M.Patrick Rodrigue et le journal La Frontière.
Analyse de la décision
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15H Insinuations
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17F Rapprochement tendancieux