Plaignant
L’Hôpital Santa Cabrini et Dr Anas Nseir
Mis en cause
M. Jean-Luc Mongrain, animateur, M. Yves Poirier, journaliste, M. Jacques Rochon, directeur de l’information et l’émission « Le Grand Journal » et le réseau de télévision TQS
Résumé de la plainte
Dans un reportage diffusé lors du « Grand Journal » sur TQS, une jeune femme dénonce un médecin qui aurait facturé un acte médical à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) tout en ayant refusé de l’examiner. Les plaignants, que sont l’établissement hospitalier où la jeune femme a voulu consulter et le médecin, déplorent que l’information diffusée n’ait pas été vérifiée ainsi que de ne pas avoir été entendus par l’équipe du «Grand Journal ». Ce reportage porterait de ce fait atteinte à leur réputation.
Griefs du plaignant
L’Hôpital Santa Cabrini et le Dr Anas Nseir précisent d’abord qu’ils dénoncent la manière dont TQS a procédé pour diffuser une nouvelle non vérifiée et portant atteinte à leur réputation.
Dans le cadre de l’émission « Le Grand Journal » du 20 mai 2005 à 17 h 05, une information non vérifiée aurait été diffusée, à l’effet qu’un médecin du service des urgences aurait facturé des actes médicaux sans les avoir rendus et qu’il aurait renvoyé une jeune femme enceinte sans lui rendre de services.
Selon les plaignants, le contexte de cette nouvelle contenait des affirmations et des propos extrêmement graves à l’endroit du médecin. Ils citent ensuite des extraits choisis de la transcription de l’émission pour étayer leurs propos. L’Hôpital Santa Cabrini et le Dr Anas Nseir ajoutent que le reportage a clairement identifié l’établissement ainsi que le médecin visés par la plaignante.
Ils admettent que l’équipe de l’émission « Le Grand Journal » a tenté de joindre la direction générale de l’Hôpital Santa Cabrini le jour de la diffusion du reportage. Or, le médecin visé par ce reportage était en vacances et ne pouvait retourner l’appel. Cependant, TQS et MM.Mongrain et Poirier ont choisi, au risque d’entacher la réputation de l’établissement et du médecin, de publier un reportage dont les faits n’ont jamais été vérifiés auprès de l’établissement et du médecin.
Les plaignants ajoutent que, le jour de la diffusion du reportage, l’établissement n’était saisi d’aucune plainte et que, par conséquent, aucune enquête n’était en cours et ce, contrairement aux affirmations faites dans le reportage. Une enquête a toutefois été ouverte depuis.
Le Dr Anas Nseir déplore vivement ne pas avoir eu l’occasion de présenter sa version des faits et nie catégoriquement les reproches qui lui sont adressés. Selon lui, sa réputation a été irrémédiablement entachée et ce, par mauvaise foi et manque de jugement de la part de TQS. De plus, en associant l’Hôpital Santa Cabrini à de telles pratiques, ce reportage a également entaché la réputation de l’établissement.
En ne vérifiant pas la véracité des accusations véhiculées par le reportage et en choisissant de les publier, les plaignants estiment que TQS, MM. Mongrain et Poirier ont commis de graves manquements aux normes professionnelles du journalisme raisonnable. Selon eux, la teneur de leur reportage, sa méthodologie et son contexte ont porté atteinte à leur honneur, leur réputation et leur dignité. Ils ajoutent que de tels manquements portent atteinte au droit du public à une information exacte et rigoureuse.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M.Bernard Guérin, directeur général, Affaires juridiques:
Le mis-en-cause précise d’abord que le reportage doit être mis en contexte. En effet selon lui, l’objet de ce dernier était de mettre en lumière un problème administratif concernant la facturation de services médicaux à la RAMQ.
Selon M.Bernard Guérin, le reportage ne faisait qu’illustrer qu’il peut arriver, pour des raisons purement administratives, que des services médicaux soient facturés à la RAMQ alors que ceux-ci n’ont pas été rendus.
En effet, le système de facturation de la Régie de l’assurance-maladie du Québec commence dès l’arrivée du bénéficiaire à l’hôpital ou dans une clinique au moment où l’empreinte de sa carte d’assurance-maladie est prise. Il peut arriver, et ce pour des raisons purement administratives, que le service médical ne soit toutefois pas rendu. En effet, fatigué d’attendre, un bénéficiaire peut décider de quitter les lieux bien que sa carte ait été utilisée au comptoir et que la facturation s’ensuive.
Par conséquent, le reportage ne visait que la présentation de ce qui apparaît comme une faille administrative dans le système de facturation. Selon le mis-en-cause, cette situation doit préoccuper la collectivité et ce, dès lors que des services qui ne sont pas rendus sont facturés. Selon le mis-en-cause, le reportage n’allègue ainsi aucune faute, fraude ou malversation de la part de l’Hôpital Santa Cabrini et du docteur Nseir; il vise uniquement à faire ressortir les failles du système de facturation.
M. Bernard Guérin termine en précisant que la décision d’aller en ondes avec un reportage relève de la direction éditoriale et non du journaliste ou de l’animateur.
Réplique du plaignant
L’Hôpital Santa Cabrini et le Dr AnasNseir affirment que l’argument des mis-en-cause concernant la mise en contexte n’est pas exact. En effet, il n’y a, dans lereportage en lui même, aucune mise en contexte ni réserve invitant à la prudence.
Dans l’hypothèse où le seul but visé par le reportage était la dénonciation d’une faille administrative, le journaliste aurait dû faire une enquête approfondie sur le sujet avant de présenter celui-ci, ce qui n’est pas le cas. Il n’aurait pas dû identifier l’établissement et le médecin, sans les avoir entendus, s’il souhaitait se limiter à la dénonciation d’un système administratif déficient.
Selon les plaignants, M. Yves Poirier ne se contente pas de dénoncer le Dr Anas Nseir, il introduit également le terme «fraude» lors de l’échange avec l’amie de la plaignante et ce, dans le but de qualifier d’une manière malsaine, inacceptable et imprudente, le reproche qui est adressé au médecin de l’Hôpital. De leur avis, cette manière de faire est de la mauvaise foi combinée à une intention de nuire. Elle s’attaque à la réputation du Dr Anas Nseir et à celle de l’Hôpital de manière à les exposer au mépris du public. Ils ajoutent que ce reportage dénonce, sans enquête ni vérification, non pas une faille administrative mais un médecin qui travaille dans un hôpital et il ne fait aucun doute que c’est ce qui fut perçu par le public.
L’Hôpital Santa Cabrini et le Dr Nseir ajoutent que les journalistes doivent respecter les standards de la profession et tenter, dans la mesure du possible, de transmettre une information exacte et complète, fruit d’une enquête sérieuse.
Ils considèrent que la direction éditoriale a été irresponsable en permettant la diffusion de ce reportage. En questionnant minimalement le journaliste avant la diffusion du reportage, la direction aurait dû prendre conscience de l’absence d’enquête et de vérification des faits. Selon eux, une direction sérieuse n’aurait ainsi pas permis la diffusion d’une information tronquée, aussi grave et malicieuse. Ils font aussi remarquer qu’aucune urgence ne justifiait la diffusion d’un tel reportage.
De leur avis, TQS, l’animateur et le journaliste sont solidairement et pleinement responsables des préjudices causés au Dr Anas Nseir et à l’Hôpital Santa Cabrini.
Analyse
Le traitement de l’information relève du jugement rédactionnel des professionnels de l’information. Ceux-ci doivent cependant livrer au public une information exacte et conforme aux faits. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. Elle doit être synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des événements.
En ce qui a trait au reportage, les médias et les professionnels de l’information doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Spécialement dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition.
Le point de vue de Mme Dora Rhessal est le seul à être présenté dans le reportage. Or, si on s’en tient aux exigences de la déontologie, le point de vue de l’Hôpital Santa Cabrini ainsi que celui du Dr Nseir auraient dû également apparaître afin d’assurer un traitement journalistique équilibré. Sur le même plan, le Conseil constate que la mise en contexte du reportage est insuffisante puisqu’elle ne permet pas au spectateur de saisir le véritable objectif qui serait, selon les mis-en-cause, un problème purement administratif de facturation. Le grief est donc retenu.
Par ailleurs, les professionnels de l’information doivent prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer de la fiabilité de leurs sources d’information et pour vérifier, auprès d’autres sources indépendantes, l’authenticité des informations qu’ils en obtiennent.
Dans le présent cas, le manque de vérification consiste à n’avoir pas pris le temps d’interroger comme il se doit les représentants de l’Hôpital Santa Cabrini et le médecin afin d’obtenir leur version des faits, et ce, d’autant plus que le reportage ne nécessitait pas une diffusion immédiate. L’information diffusée n’ayant pas été vérifiée, le grief est par conséquent retenu.
D’autre part, le reportage identifie clairement le nom du centre hospitalier et du médecin, sans que ceux-ci aient eu l’opportunité de présenter leurs points de vue afin qu’ils apparaissent au sein du reportage. Le Conseil conclut que la rédaction de TQS aurait dû minimalement taire le nom du médecin dont la responsabilité directe, dans les circonstances, a été rejetée à la suite d’une enquête de la RAMQ.
De plus, les plaignants affirment que l’enquête concernant la facturation de frais médicaux à Mme DoraRhessal n’a débuté qu’après la diffusion du reportage. M. Yves Poirier déclare cependant lors de celui-ci qu’il «y a enquête […] à Santa Cabrini». L’affirmation faite par le journaliste au moment du reportage est contredite par la correspondance du personnel de l’Hôpital fournie au Conseil par les plaignants. Celle-ci prouve que l’enquête a bien débuté après la diffusion du reportage. Le grief est donc retenu.
En ayant diffusé un reportage dans lequel un traitement équilibré n’a pas été accordé à toutes les parties, il est apparu vraisemblable au Conseil que le plaignant considère qu’il y a eu atteinte à sa réputation.
Décision
Pour toutes ces raisons, le Conseil de presse retient la plainte de l’Hôpital Santa Cabrini et du Dr Anas Nseir et blâme MM. Jean-Luc Mongrain, Yves Poirier et Jacques Rochon ainsi que le réseau de télévision TQS.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C15C Information non établie
- C15D Manque de vérification
- C16E Mention non pertinente
- C17A Diffamation
- C17G Atteinte à l’image
Date de l’appel
9 May 2006
Décision en appel
Après examen, les membres de la
commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première
instance.
Griefs pour l’appel
M. Jean-Luc Mongrain,
animateur, M. Yves Poirier, journaliste, M. Jacques
Rochon, directeur de l’information et l’émission
«Le Grand Journal» et le réseau de télévision
TQS