Plaignant
M. Luc
Archambault
Mis en cause
Mme Annie Saint-Pierre,
journaliste, M. Jean-Claude L’Abbée, éditeur et chef de la rédaction et le
quotidien Le Journal de Québec
Résumé de la plainte
M. Luc
Archambault porte plainte contre le Journal
de Québec, son éditeur et chef de la rédaction, ainsi que contre la journaliste
Annie Saint-Pierre pour des articles qu’il considère favoriser le projet
Rabaska, au détriment des opposants à ce projet. Le plaignant reproche aux
mis-en-cause leur parti pris et leur « dérive propagandiste » qui vise à
défendre les arguments du promoteur. Les articles ont été publiés les 1er avril,
27 mai, 1er et
3 juin
2005
.
Griefs du plaignant
La plainte
a pour cible quatre articles publiés dans le
Journal de Québec au sujet du projet Rabaska. Les promoteurs de ce
projet envisagent de construire un terminal méthanier dans le fleuve Saint-Laurent,
à l’est de Lévis. Les articles, et le Journal
de Québec seraient favorables au projet. M.Luc Archambault fait
partie des opposants.
La plainte
déposée au Conseil de presse est constituée de trois lettres préalablement
adressées au Journal de Québec.
Les deux dernières lettres mentionnent
qu’elles constituent en même temps une plainte au Conseil. Les lettres sont
datées des 1er avril, 1er juin et 7 juin 2005.
L’essentiel de la plainte est contenu
dans la seconde lettre, expédiée conjointement à l’éditeur du
Journal de Québec
et au Conseil de presse. Elle a d’ailleurs été
publiée intégralement par le Journal,
avec la réponse de l’éditeur. C’est cette publication qui a provoqué la
troisième lettre qui vient compléter la plainte. Quant à la première lettre,
point de départ de la démarche du plaignant, elle consiste essentiellement en
une réaction aux propos de MmeAnnie Saint-Pierre. Elle ne contient pas de
reproches directs et a été adressée à la journaliste seulement, sans copie
conforme au Conseil.
Ainsi, le 1er
juin, M. Archambault adresse une plainte à l’éditeur en chef du
Journal de Québec, M.Jean-Claude
L’Abbée, pour un article publié le 27 mai 2005, sous le titre « Les
oiseaulogues ». Il lui reproche d’avoir pris « fait et cause pour le projet
Rabaska en prenant le mot à mot des
élites économiques de la région qui tentent de nous faire croire que
l’opposition à l’implantation d’un port méthanier à 500m d’une zone moyennement
peuplée est le fait d’obscurs « groupuscules » et d’une minorité qui
veut conserver des privilèges au détriment des intérêts d’une collectivité ».
Le plaignant reproche à M. L’Abbée « son parti pris évident » qui irait plus
loin que celui des autres observateurs du débat. Le mis-en-cause n’aurait pas
eu la décence d’attendre les conclusions du Bureau d’audiences publiques sur
l’environnement (BAPE) avant de publier
son opinion.
Le plaignant se dit toutefois peu surpris car « déjà le 1er
avril dans la même page 13, Annie Saint-Pierre avait elle aussi tancé les
opposants et appuyé le référendum hâtif de M. Garon ». Pour le plaignant, le
Journal de Québec « minimise l’ampleur
de l’opposition en n’accordant aux opposants que la portion congrue d’une
couverture journalistique équitable », ce qu’une étude attentive pourrait
prouver. Le plaignant invoque, à titre d’exemple, le peu d’attention accordée
dans les pages du Journal à une
mobilisation d’artistes ayant donné un spectacle-bénéfice qui a attiré des
centaines de personnes et rapporté près de 25000 $.
M. Archambault dénonce ce qu’il appelle la « dérive propagandiste que
consacre la publication […]
du premier volet d’un reportage d’Annie Saint-Pierre » qui avait
antérieurement pris position en faveur du projet en page éditoriale. Le plaignant
reproche au chef de la direction « de l’avoir dépêchée à grand frais en France,
avec un photographe, pour faire la défense et l’illustration des arguments du
promoteur de Rabaska » à l’aide de l’exemple du port et terminal méthanier de
Montoir-de-Bretagne. Le titre de son article du 1er juin était
d’ailleurs « Le « Rabaska » français. Sécuritaire et payant! ».
Tout en
reconnaissant la liberté de presse qui autorise les mis-en-cause à prendre une
position éditoriale à ce sujet, il rappelle que l’éthique et l’équité doivent
être respectées dans le traitement de la nouvelle. Pour le plaignant, le
Journal de Québec vient ainsi assujettir
le traitement de la nouvelle à des prises de positions éditoriales.
Après avoir réitéré ses protestations, le plaignant
demande quelle crédibilité doit être accordée à la journaliste qui, quelques
semaines plus tôt, aurait pris publiquement fait et cause en page éditoriale
pour le projet Rabaska. Pour M. Archambault, « il est évident que ce reportage
biaisé est officiellement endossé » par la direction du
Journal de Québec.
La dernière lettre du plaignant (7 juin) fait suite à
la publication par le Journal de Québec
de sa lettre d’opinion du 1er juin et, dans la même page, de la
réponse de l’éditeur, M.Jean-Claude L’Abbée. M.Archambault rétorque
qu’il n’est pas « un féroce opposant au projet Rabaska » comme l’écrit M.
L’Abbée, mais qu’il est préoccupé par la sécurité et l’écologie.
Il reproche aussi à l’éditeur et chef de la rédaction
de lui prêter de mauvaises intentions qui déformeraient son propos et le
dénigreraient, ce qui autoriserait ensuite l’éditeur à porter de graves
accusations à son endroit. M. Archambault dit ne pas comprendre qu’il puisse
être accusé formellement et publiquement de « faire preuve de mauvaise foi ».
Il invite le porte-parole du Journal de
Québec à retirer ses accusations.
Le plaignant rappelle ce qu’il considère comme
l’essentiel : ayant pris fait et cause pour les promoteurs de Rabaska dans son
article du 1er avril, Mme Saint-Pierre n’aurait pas dû être assignée
ensuite à traiter ce même dossier à titre de « journaliste ». Pour lui, le
traitement de la nouvelle, « titres, mise en page, et présentation qui sont
l’apanage du chef de pupitre – est partial et biaisé ». Il en est de même, selon
lui, « en ce qui concerne plusieurs faits, soi-disant « objectifs »
rapportés ou interprétés par madame Saint-Pierre ».
Commentaires du mis en cause
Avant de présenter ses commentaires, M. L’Abbée
propose un « historique » du cas. Il reconnaît que c’est le droit le plus
strict de M.LucArchambault s’il :
– s’oppose au projet de terminal méthanier à
Lévis, le projet Rabaska;
– n’est pas d’accord avec l’opinion d’Annie
Saint-Pierre dans sa chronique du 1er avril 2005;
– n’a pas aimé et n’est pas d’accord, et avec la
chronique de l’éditeur du 27 mai 2005 qui portait sur
les opposants au projet Rabaska, et sur le
projet de l’élargissement de la route
175;
– n’a pas aimé le reportage du quotidien
sur le terminal méthanier de
Montoir-de-Bretagne.
Selon le mis-en-cause, M. Archambault fait
indûment un lien entre la chronique de Mme Saint-Pierre, celle de l’éditeur et
le reportage; le plaignant y verrait machination et ferait des sous-entendus et
des accusations sans preuve.
L’éditeur fait aussi observer qu’il a publié la
lettre d’opinion de M.Archambault dans les pages d’opinion du vendredi 3
juin 2005, et que ce même jour, il a répondu au plaignant, mais que ce dernier
n’aurait manifestement pas aimé la réponse reçue.
M. L’Abbée expose ensuite ses propres commentaires :
1. Dans sa chronique d’opinion du 1er avril, Mme Saint-Pierre ne
se prononce pas sur le projet Rabaska, mais soutient simplement que le maire de
Lévis a raison de demander au gouvernement d’organiser un référendum. La
journaliste aurait toutefois pu prendre position dans l’article comme lui
permettait le genre journalistique de la chronique d’opinion.
2.
La publication d’un reportage en plusieurs volets répartis sur plusieurs
jours ne constitue pas un précédent au Journal
de Québec, qui en a publié près d’une trentaine dans la dernière année.
3.
Cette façon de faire émane de la volonté de la direction du
Journal et vise à approfondir certains
sujets d’actualité. Dans le cas présent, l’objectif était de constater ce
qu’était un port méthanier en opération.
4.
Le fait de promouvoir ce genre de reportage en première page ne
constitue pas une première.
5.
Mme
Saint-Pierre
est soumise aux normes professionnelles en
vigueur au Journal de Québec, normes
qui correspondent globalement au code de déontologie du Conseil de presse; et
la convention collective du quotidien lui garantit son indépendance sur le plan
professionnel.
6.
Le reportage sur le port méthanier de Montoir-de-Bretagne constatait des
faits, comprenait des entrevues avec des citoyens et des autorités, décrivait
des installations, des mesures de sécurité,etc.
7.
Depuis le début du projet de l’installation d’un terminal méthanier dans
la région de Québec, d’abord à Beaumont puis à Lévis, les professionnels du
Journal de Québec ont toujours informé la
population sur les positions de chaque partie et ce, sans contrainte ni
censure.
8.
La chronique d’opinion et le reportage sont deux genres journalistiques
distincts et au Journal de Québec, la
chronique d’opinion est nettement identifiée comme telle et ne peut être
confondue.
9.
Le plaignant met en doute l’intégrité du quotidien et de ses
journalistes. Qu’il soit en désaccord avec des chroniques d’opinion est une
chose, qu’il accuse indûment et sans preuve en est une autre.
L’éditeur et chef de la rédaction conclut en
ces termes :
– Les genres journalistiques sont bien identifiés
dans le Journal de Québec;
– Le quotidien
a investi des ressources pour se rendre en Bretagne et aller au fond des
choses;
– Le Journal
de Québec et ses journalistes n’ont commis aucune faute déontologique;
– Le traitement accordé est similaire à ce qui
est d’usage au Journal de Québec;
– La plainte de M. Archambault est non fondée.
M. L’Abbée annexe à ses commentaires
copie des articles des 1er
avril, 27 mai et 3 juin 2005; copie du
reportage sur le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne publié les 1er
,
2
et 3 juin 2005; copie du reportage de la Bourse
de l’éditeur 2004 et plusieurs exemples de reportages publiés en plusieurs
volets, avec référence à la une.
Réplique du plaignant
Dans sa réplique,
le plaignant reprend la division en trois parties utilisée par M. L’Abbée dans
ses commentaires. Il répond d’abord à la première partie des commentaires
intitulée «historique» :
§ M. Archambault fait le lien entre la chronique
d’opinion de madame Mme Saint-Pierre, la mienne et le reportage. Il y voit une
machination, il laisse sous-entendre, il accuse sans preuve.
À cela, le
plaignant répond qu’il ne fait que regarder les faits : Mme Saint-Pierre cumule
les genres « chronique d’opinion » et
«journalisme d’information » sur le terrain et dans un même dossier. Pour
lui, le Journal de Québec est
responsable de cette double affectation qui dure depuis des mois.
Il explique
que la journaliste a pris position à titre de « chroniqueuse d’opinion », mais
que c’est également elle qui a été affectée à titre de «journaliste
d’information » à la rédaction d’un reportage sur un seul site gazier, celui de
Gaz de France qui, comme par hasard, est partie au projet Rabaska. Or, le
promoteur de Rabaska aurait pour stratégie de faire tenir par le maire de Lévis
un référendum hâtif qu’il compte gagner, en prévision des audiences du BAPE
dont il doit obtenir l’aval. Une stratégie cautionnée par la journaliste «
chroniqueuse d’opinion ». Le plaignant affirme qu’il ne fait que constater
l’inadéquation entre cette pratique du cumul des genres et ce qu’indiquent les
textes de déontologie journalistique. Il dénonce donc le rôle du
Journal lorsqu’il permet, dans ses
affectations, un tel cumul des genres journalistiques.
En seconde
partie, le plaignant réplique, un à un, aux neufs commentaires du mis-en-cause.
Il cite chacune des phrases de M. L’Abbée et les commente.
1. Dans sa chronique d’opinion du 1er
avril, Mme Saint-Pierre ne se prononce pas sur le projet Rabaska, mais soutient
simplement que le maire de Lévis a raison de demander au gouvernement
d’organiser un référendum. La journaliste aurait toutefois pu prendre position
dans l’article comme lui permettait le genre journalistique de la chronique
d’opinion.
Pour M.
Archambault, non seulement la journaliste donne-t-elle raison au maire Garon,
mais en plus, MmeSaint-Pierre prend position contre ce qu’elle appelle «
les prétentions » des opposants au
projet Rabaska. Quand elle utilise les mots « il est faux de dire », elle
affirme ainsi que l’opinion des opposants est « fausse ». Ce faisant, elle se
prononce en faveur de la stratégie des promoteurs de Rabaska et des personnes
qui appuient cette implantation.
Selon le
plaignant, « le fait de se prononcer en faveur d’une démarche référendaire, le
fait de se prononcer en faveur d’un processus démocratique serait, aux dires du
JdQ, neutre. Plusieurs éléments du
dossier contredisant cette prétendue neutralité ». Il explique que les
promoteurs du projet et leurs supporteurs s’apprêtaient à faire taire les
opposants au moyen du référendum dans la grande ville de Lévis. Dans les
circonstances, « prendre parti pour le maire Garon, […] c’était clairement
« se prononcer sur le projet Rabaska » de manière éminemment favorable
». Et l’article de Mme Saint-Pierre « reprend le mot à mot de l’argumentaire du
projet Rabaska », selon lui. Il s’agirait d’une suite d’affirmations qui ne
sont pas de l’ordre des faits mais de l’ordre de l’opinion.
M.
Archambault reconnaît s’entendre avec M. L’Abbée sur le fait que la prise de
position de MmeSaint-Pierre correspond au genre journalistique de la
chronique d’opinion. Mais contrairement à ce que prétendrait l’éditeur, la
journaliste a clairement pris position selon lui, en faveur du projet et contre
les opposants. Pour lui, cela « pose un grave problème » à cause de la
confusion que cela engendre pour le public.
Le
plaignant cite le Guide de déontologie de
la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (
FPJQ
) pour présenter
les distinctions à faire entre les notions de
«chronique d’opinion », de « journalisme d’information » et de «
journalisme de terrain », pour cerner le travail effectivement fait par la
journaliste. Selon
le plaignant, la coutume veut qu’un membre d’une
«équipe éditoriale » ayant pris position dans un dossier évite le cumul
des genres dans le même dossier. En ne tenant pas compte de cette coutume, la
communication de la journaliste risque d’avoir une incidence sur les rapports
avec les personnes rencontrées lors de sa recherche, allant même jusqu’à
compromettre la qualité de cette recherche.
M. Archambault affirme que même si cette pratique n’est pas interdite
nommément par la déontologie, elle l’a été dans les faits, sauf à de très rares
exceptions qui sont du reste de nature différente. Pour lui, le
Journal de Québec est allé trop loin
cette fois. Selon lui, il est impossible qu’une personne oeuvre dans la
chronique d’opinion et dans le journalisme d’information au sein du même
dossier tout en respectant la déontologie. Il en conclut que le
Journal de Québec mérite un blâme pour
une « compréhension cloisonnée, technique et partielle de la déontologie ».
2. La publication d’un reportage en plusieurs
volets répartis sur plusieurs jours ne constitue pas un précédent au
Journal de Québec, qui en a publié près
d’une trentaine dans la dernière année.
M. Archambault revient sur le fait que la journaliste
affectée au reportage est la même qui avait été amenée à se prononcer sur le
sujet dans une chronique d’opinion. Selon le plaignant, cette double
affectation se produit rarement dans les médias nord-amÉricains. Il demande
comment, dans les circonstances, le Journal
de Québec peut prétendre être « le chien de garde à l’égard des pouvoirs et
des institutions », qui est le rôle de la presse selon un document de la
FPJQ
.
3. Cette façon de faire émane de la volonté de la direction du
Journal et vise à approfondir certains
sujets d’actualité. Dans le cas présent, l’objectif était de constater ce qu’était
un port méthanier en opération.
Selon le plaignant, l’article vise à établir une
comparaison entre ce qu’est un port méthanier en opération et le projet
Rabaska. L’article ne compare pas des choses identiques. Le plaignant identifie
des différences entre les deux. M. Archambault reproche aussi au texte et à son
titre de laisser sous-entendre faussement que le projet québécois serait
nécessairement sécuritaire et payant. D’ailleurs, pour lui, ce titre est
véritablement l’expression d’une opinion. Il en va de même de l’expression « En
France, ça gaze», induisant qu’il en serait de même au Québec, avec
Rabaska.
Le plaignant reproche donc au reportage son manque
d’équilibre. Il demande pourquoi ne pas avoir choisi de s’intéresser à
l’installation de FossurMer où l’agrandissement du terminal
méthanier en place est l’objet d’une très forte contestation, comme c’est le
cas pour le projet Rabaska. Pour lui, le fait que Gaz de France soit l’un des
actionnaires du consortium Rabaska ne fait que semer le doute dans l’esprit du
public quant à l’impartialité de la journaliste et du
Journal de Québec.
4. Le fait de promouvoir ce genre de reportage en première page ne
constitue pas une première.
M. Archambault répond que ce fait n’est pas contesté.
Ce qui l’est, c’est la partialité des titres qui contredisent le contenu du
reportage et qui, comme partie intégrante du reportage, en transforment le
genre, mais sans que cela soit indiqué. Selon lui, on passe du journalisme
d’information à la chronique d’opinion.
5. Mme
Saint-Pierre
est soumise aux normes professionnelles en
vigueur au Journal de Québec, normes
qui correspondent globalement au code de déontologie du Conseil de presse; et
la convention collective du quotidien lui garantit son indépendance sur le plan
professionnel.
M. Archambault s’arrête sur le mot « globalement »
pour demander si cela veut dire que les «normes professionnelles » en
vigueur au
Journal de Québec
ne
correspondent pas toutes à celles du Conseil de presse, comme celles du cumul
de genres journalistiques qui doivent habituellement être distincts. Il dit
mettre en
doute « l’impartialité » de la journaliste.
6. Le reportage sur le port méthanier de
Montoir-de-Bretagne constatait des faits, comprenait des entrevues avec des
citoyens et des autorités, décrivait des installations, des mesures de
sécurité,etc.
Selon le
plaignant, en contrepartie, le reportage « établissait à tort une comparaison »
entre le site français et le projet Rabaska, à cause de sa nature, parce que
les titres (même s’ils ne sont pas de la journaliste) sont du domaine de la «
chronique d’opinion ». Et en ce qui concerne le corps du texte, une analyse de
contenu indépendante devrait être faite, selon lui, pour mesurer si la
journaliste a été non seulement « objective » mais aussi « un chien de garde à
l’égard des pouvoirs et des institutions ».
7. Depuis le début du
projet de l’installation d’un terminal méthanier dans la région de Québec,
d’abord à Beaumont puis à Lévis, les professionnels du
Journal de Québec ont toujours informé la population sur les
positions de chaque partie et ce, sans contrainte ni censure.
Le plaignant est en désaccord. Pour lui, «les
opposants subissent contraintes et censure ». Le milieu des affaires serait
parvenu à imposer une ligne de conduite qu’il qualifie de « quasi-unanimisme »
auquel contribuerait l’appui éditorial des médias, dont celui du
Journal de Québec
.
Dans un long exposé, M. Archambault refait ensuite
l’historique des projets Rabaska 1 et Rabaska2.
Le plaignant revient sur le travail journalistique de
Mme Saint-Pierre dans son article du 6décembre 2004, pour démontrer que
son traitement de l’information est inéquitable. Selon lui, c’est à partir de
ce moment qu’on peut observer un cumul de genres et une certaine partialité,
autant éditorialeque journalistique,dans ce dossier. Le plaignant
précise qu’il ne désire pas pour autant laisser entendre qu’il y a eu collusion
entre le représentant du promoteur et le personnel ou la direction du
Journal de Québec
.
8. La chronique d’opinion et le reportage sont
deux genres journalistiques distincts et, au
Journal de Québec, la chronique d’opinion est nettement identifiée
comme telle et ne peut être confondue.
M. Archambault
répond que les titres
du reportage sur Montoir-de-Bretagne démontrent le contraire. « Ils sont
l’expression d’une opinion ».
9. Le plaignant met en doute l’intégrité du quotidien et de ses
journalistes. Qu’il soit en désaccord avec des chroniques d’opinion est une
chose, qu’il accuse indûment et sans preuve en est une autre.
M. Archambault répond qu’il n’a jamais mis en doute l’intégrité et la
probité du Journal de Québec et de
ses journalistes. Il conteste plutôt
l’idée que semblent se faire les mis-en-cause du rôle des médias
comparativement à celui décrit dans les textes déontologiques qu’ils disent
endosser. Le plaignant dénonce aussi la confusion entre les genres
journalistiques du journalisme d’opinion et d’information.
Après avoir
répondu aux neufs commentaires du mis-en-cause,
M. Archambault
aborde les «conclusions » de
M. L’Abbée et les commente. Il commence par celle selon laquelle « l
es genres
journalistiques sont bien identifiés dans le
Journal de Québec ». Le plaignant réplique qu’il y a un point dont
M. L’Abbée ne parle pas, soit celui du contenu et du « genre » de la réplique
publiée dans la page « opinions » du
Journal de
Québec
en réaction à sa lettre d’opinion
. Ces éléments
contreviendraient à la déontologie journalistique, car dans sa réponse, M.
L’Abbée dénigre les opinions exprimées par le plaignant et porte une grave
accusation, soit celle de « faire preuve de mauvaise foi ».
Le plaignant explique alors les motifs de sa réaction.
Il expose notamment qu’il n’a jamais proféré d’accusation de malhonnêteté; que
le mis-en-cause invoque des accusations qu’il ne formule pas, ce qui tend à le
discréditer; et que le mis-en-cause ne le contredit pas sur l’essentiel, mais
s’attaque à l’accessoire. M. Archambault reproche à l’éditeur de ne pas avoir
publié sa lettre en réaction à la réponse de M. L’Abbée, qui contenait de
«graves accusations personnelles et diffamatoires ».
M. Archambault poursuit ses explications. Il relève
que le
Journal de Québec
a affecté
sa journaliste en France peu de temps après que le GIRAM, organisme qui fait
partie de la coalition opposée au projet Rabaska, ait annoncé qu’il enverrait
une délégation pour enquêter sur la filière Gaz de France. La journaliste
aurait été envoyée à l’avance pour lui faire contrepoids.
Il reproche également à l’éditeur d’avoir utilisé à
son endroit l’expression « féroce ». Il revient sur la question du cumul des
genres, explore les types de « pouvoirs » financiers et médiatiques sur les
institutions économiques et politiques, et il aborde le rôle des médias dans
ces conditions. Il affirme qu’« au
Journal de
Québec
, dans le dossier Rabaska et depuis le rejet du projet Rabaska1
par référendum, il n’y a plus de distance suffisante entre le « journalisme
d’information » et la « chronique d’opinion » des « équipes
éditoriales » ».
COMMENTAIRES À LA RÉPLIQUE :
L’éditeur
et chef de la rédaction indique qu’il s’agit de ses commentaires finaux à la
plainte de
M.Archambault
.
1. Le
Journal de Québec
n’a pas pris fait et
cause pour le projet Rabaska.
2. Le rôle d’un quotidien comme Le
Journal de Québec
consiste
également à élargir la perspective des enjeux.
3. Le plaignant est impliqué dans un groupe d’opposition au projet de
terminal méthanier.
Le
Journal de Québec
a toujours rapporté
les craintes et les critiques des opposants mais ne peut livrer uniquement
cette partie du débat même si les réticences des opposants au projet Rabaska
apparaissent comme étant légitimes pour la rédaction du Journal.
4. Les genres journalistiques ont toujours été très bien identifiés par le
Journal de Québec.
Les accusations de
M. Archambault
sont sans fondement.
Analyse
Le Conseil de presse a examiné les griefs exprimés par le plaignant en considérant tour à tour les articles visés soit ceux des 1er avril et 27 mai, les reportages des 1er , 2 et 3 juin et les articles d’opinion du 3 juin 2005.
En regard de l’article du 1er avril 2005, le plaignant reprochait à MmeSaint-Pierre d’avoir pris parti en faveur du projet Rabaska et réprimandé les opposants tout en appuyant le référendum sur le projet. L’examen de l’article contesté révèle qu’il s’agit d’une chronique et donc, d’un texte d’opinion, publié dans la page d’opinion et bien identifié comme tel. Dans ce contexte de journalisme d’opinion, le Conseil considère que MmeSaint-Pierre avait le droit d’exprimer son point de vue comme elle l’a fait et qu’elle n’a pas dérogé aux principes de l’éthique journalistique.
Le second article mis en cause, celui du 27 mai 2005, est coiffé du nom et de la photo de l’auteur ainsi que de son titre d’éditeur et chef de la rédaction. Il est évident que ce second article appartient lui aussi au genre du journalisme d’opinion. Dans ce cas, le plaignant reprochait à l’éditeur d’avoir pris fait et cause pour le projet Rabaska, sans attendre les conclusions du Bureau d’audiences publiques (BAPE). En vertu de la latitude dans le traitement de l’information autorisée par ce genre journalistique, l’éditeur et chef de la rédaction pouvait prendre position dans le dossier sans que cela ne représente une transgression des principes journalistiques. Il s’agit d’une prérogative attachée à sa fonction de journaliste et d’éditeur.
Au sujet des reportages publiés les 1er , 2 et 3 juin 2005, voici les conclusions du Conseil. M. Archambault reprochait au Journal d’avoir endossé officiellement le reportage d’Annie Saint-Pierre sur Montoir-de-Bretagne, publié le 1er juin, reportage qu’il considérait comme biaisé. Le Conseil rappelle que les médias sont responsables de tout ce qu’ils publient. Par conséquent, il n’y avait aucune faute à ce que le Journal endosse le travail de son employée, d’autant plus qu’il n’a pas été démontré que le traitement journalistique était biaisé comme le soutenait le plaignant.
Le guide de principes déontologiques du Conseil indique que l ‘information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix et que ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice; qu’ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition, non plus qu’au nombre de lignes. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. De plus, la jurisprudence du Conseil veut également que ce soit aux plaignants à démontrer les griefs qu’ils formulent.
Le plaignant reprochait au Journal d’avoir minimisé l’ampleur de l’opposition au projet Rabaska en n’accordant aux opposants qu’une couverture journalistique minimale. Il indiquait, en outre, qu’une étude pourrait démontrer le manque d’équilibre du dossier; mais il n’a pas fourni cette étude. En l’absence de cette démonstration, le grief n’a pas été retenu.
Il en a été de même du reproche fait au Journal pour avoir manqué à l’éthique et à l’équité, et avoir assujetti le traitement de la nouvelle à des prises de position éditoriales. En regard de ces reproches, le Conseil a constaté qu’en aucun moment dans la plainte il n’était démontré que la direction du
Journal de Québec avait obligé la journaliste à adapter son traitement journalistique à des prises de position éditoriales.
M. Archambault déplorait aussi que le Journal de Québec ait « donné dans la dérive propagandiste » par la publication du premier volet d’un reportage d’Annie Saint-Pierre dépêchée en France.
La déontologie journalistique veut que le choix d’un sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, appartiennent en propre aux professionnels de l’information et que nul ne puisse dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information. Ainsi, les mis-en-cause pouvaient légitimement choisir le site du terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne comme objet de reportage.
Toujours au sujet du reportage du 1er juin, le plaignant estimait que le traitement de la nouvelle (titres, mise en page et présentation) était partial et biaisé; et il en était de même pour plusieurs faits, soi-disant «objectifs » rapportés ou interprétés par la journaliste. Le Conseil a jugé que les titres du reportage étaient, en général, descriptifs et ne présentaient aucun caractère exagéré, dans la mesure où ils sont conformes aux faits. Or, le plaignant n’a pas démontré le contraire. Et même si les premier et second titres peuvent paraître accrocheurs, il n’apparaissent pas contraires à la vérité, ni présenter d’écart important avec la réalité décrite par l’article.
Le plaignant reprochait aussi à la direction du Journal de Québec d’avoir assigné Mme Saint-Pierre au traitement de ce dossier à titre de «journaliste», après qu’elle ait pris fait et cause pour les promoteurs de Rabaska dans son article d’opinion du 1er avril. Selon la jurisprudence du Conseil de presse, le cumul des genres journalistiques dans un même produit, dans la même émission par exemple, est reconnu comme un manquement. Il en va de même pour ce qui est du passage d’un genre journalistique à l’autre, quand il s’agit d’un même sujet.
Même si le journalisme d’opinion et le journalisme d’information sont deux formes de pratique professionnelle qui reviennent de droit au journaliste, ce dernier peut difficilement, selon le Conseil, passer librement d’un genre journalistique à l’autre sur un même sujet sans risquer de porter atteinte à sa crédibilité professionnelle et à la validité de son information.
Par conséquent, même si Mme Saint-Pierre n’a pas pris position sur le fond du dossier du port méthanier mais sur le référendum touchant le projet, le Conseil a considéré que ce passage d’un genre journalistique à l’autre sur un aspect du sujet déjà couvert par la journaliste, constituait un manquement déontologique et a retenu le grief. De plus, comme l’affectation de la journaliste relevait ultimement de la direction, celle-ci est conjointement responsable de ce manquement.
Pour ce qui est de l’éditorial du 3 juin, le Conseil estime que le plaignant peut difficilement reprocher au mis-en-cause d’y avoir interprété ses intentions et d’avoir déformé ses propos : dans cet article l’éditeur et chef de la rédaction reproche au plaignant d’avoir sauté aux conclusions sans se renseigner et sans avoir communiqué avec lui. Toutefois, jamais dans ce dossier M. Archambault ne contredit cette affirmation. Le Conseil n’a donc pas retenu ce grief.
Dans le même article, le plaignant déplorait que l’éditeur et chef de la rédaction l’ait accusé de faire preuve de mauvaise foi. Après examen, le Conseil a constaté que l’accusation constituait une riposte à la lettre ouverte du plaignant. Cette riposte a été exprimée dans le cadre d’un texte d’opinion. Comprise dans son contexte de riposte, l’accusation n’avait pas la portée que lui reproche le plaignant et le grief n’a pas non plus été retenu.
Décision
Au terme de son analyse et pour l’ensemble de ces raisons, c’est sur le seul grief du passage d’un genre journalistique à l’autre sur un même sujet que le Conseil de presse retient la plainte contre la journaliste Mme Annie Saint-Pierre et LeJournal de Québec.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C13C Manque de distance critique
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C20A Identification/confusion des genres
- C22H Détourner la presse de ses fins
Date de l’appel
24 October 2006
Décision en appel
Après examen,
les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision
rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. Luc
Archambault et Le Journal de Québec