Plaignant
M. Marc Jetten
Mis en cause
M. Robert Paradis, éditeur,
M. Gilles Lévesque, rédacteur en chef et l’hebdomadaire
Le Canada Français
Résumé de la plainte
M. Marc Jetten se plaint de l’article intitulé « Les
garderies» rédigé par l’éditeur du Canada
Français, M. Robert Paradis, paru le 29
juin 2005, ainsi que de la publication de sa lettre d’opinion et d’une réponse
de l’éditeur, publiés le 6 juillet 2005 sous le titre «Un travail
exigeant qui mérite d’être payé». Le
plaignant déplore plusieurs manquements à l’éthique qui lui auraient causé
préjudice.
Griefs du plaignant
La plainte de M. Marc Jetten concerne un article paru dans
l’édition du 29 juin 2005 de l’hebdomadaire Le
Canada Français, sous le titre «Les garderies», auquel le
plaignant a décidé de répondre par courriel, considérant qu’il contenait
plusieurs inexactitudes.
Dans l’édition du 6 juillet 2005, M. Robert
Paradis faisait paraître les commentaires du plaignant en y ajoutant sa
réplique. Selon M. Jetten, le mis-en-cause aurait alors commis plusieurs
manquements à l’éthique journalistique.
D’abord, M. Jetten précise qu’il n’avait aucunement
l’intention de faire publier son commentaire, envoyé par courriel à l’éditeur.
Il ajoute que celui-ci fut tout de même publié sans son autorisation,
accompagné de la réplique du mis-en-cause.
M. Jetten stipule également que «le ton agressif de
cette réplique n’est pas du tout approprié», compte tenu que son
commentaire reposait sur des arguments mesurés. Le plaignant ajoute que le
journaliste cherchait à avoir le dernier mot et qu’il a formulé des attaques
personnelles à son égard, plutôt que de favoriser un débat constructif.
En regard de la rigueur et de la collecte de
l’information, les propos tenus par
l’éditeur au sujet des centres de la petite enfance (CPE), dans les deux textes
mis-en-cause, reposent uniquement sur ses opinions personnelles et n’exposent
aucun fait concret, mis à part le coût global des services quotidiens de garde
pour un enfant en CPE, soit de 45 $. Ils ne correspondent pas non plus à la
réalité vécue sur le terrain.
Quant à l’équilibre et à l’exhaustivité de l’information, le
plaignant souligne que «les commentaires de M. Paradis témoignent d’un
parti pris évident et d’un refus systématique de considérer l’ensemble des
faits relatifs à cette question».
M. Jetten rappelle également que, tel que mentionné dans sa
lettre publiée par le Canada Français,
il est membre du conseil d’administration d’un CPE. Il précise qu’il
«exerce également des fonctions administratives à titre de secrétaire
exécutif du comité consultatif pour l’environnement de la Baie James». De
ce fait, la remarque de l’éditeur, dans la réponse à son opinion, à l’effet
qu’il devrait «aller suivre des cours d’administration ou
d’économie» est de nature à nuire à sa réputation professionnelle. Le
plaignant ajoute que cette accusation est gratuite et ne repose sur aucun fait.
Commentaires du mis en cause
M. Gilles Lévesque amorce son commentaire en précisant que
l’éditeur du journal, M. Robert Paradis, a
décidé de ne pas répondre à la plainte de M. Jetten et au Conseil de presse du
Québec, considérant qu’il n’a enfreint aucune règle déontologique.
Il précise que M. Paradis « s’est prévalu de son droit de
réplique dans la section des pages d’opinion, au bas de la lettre[de M.
Jetten]». M. Lévesque ajoute que ce procédé est une pratique courante en
journalisme et que de l’avis du journal les propos tenus par M. Paradis
n’avaient rien d’offensant.
Le rédacteur en chef précise toutefois que la plainte de M.
Jetten a incité le journal à revoir sa politique au sujet de la publication des
lettres des lecteurs, puisque dans le cas présent les mis-en-cause ont cru que
M. Jetten souhaitait voir sa lettre d’opinion publiée. De plus, selon M.
Lévesque, il est rare que des lecteurs envoient de telles lettres dans le seul
«but de sensibiliser l’auteur d’un éditorial ou d’une opinion» et,
dans un tel cas, ces derniers ajoutent une mention de non-publication. Il n’y
avait pas une telle mention dans la lettre de M. Jetten.
M. Lévesque précise qu’afin d’éviter que cette situation ne
se reproduise et par souci de rigueur, le journal communiquera dorénavant avec
les auteurs de lettres d’opinions qui ne spécifieront pas si elles sont
envoyées pour publication.
Réplique du plaignant
M. Jetten se dit d’abord déçu du fait que «M. Paradis
n’ait pas cru bon de justifier [ses] commentaires» et qu’il semble ainsi
ne pas assumer la responsabilité incombant à son rôle d’éditeur.
Le plaignant précise qu’il a tenté de joindre M. Paradis au
lendemain de la publication de sa lettre et qu’il lui a fait parvenir un
courriel le 8 juillet 2005, au sujet de la démarche de plainte envisagée auprès
du Conseil de presse et des motifs entourant celle-ci, ce à quoi l’éditeur n’a
pas cru bon de répondre pour «justifier ses propos»,
«préciser le contexte ou offrir une rétractation».
M. Jetten ajoute être également surpris du fait que M.
Lévesque soutienne que les propos tenus par M. Paradisn’avaient
«rien d’offensant», puisque dans sa réplique l’éditeur l’accuse
d’avancer des «phrases toutes faites sorties de la bouche des
négociateurs de la CSN», ce qui mettrait non seulement en doute la
capacité du plaignant à «exercer un jugement autonome», mais qui
serait non fondé puisque ce dernier n’est «pas un employé syndiqué»
et n’entretient «aucun lien avec des négociateurs de la CSN».
Dans le même sens, le plaignant rappelle les propos de M.
Paradis « vous devriez aller suivre des cours d’administration ou
d’économie», selon M. Jetten cette allusion faite par l’éditeur au fait
qu’il «ne sache pas équilibrer un budget» est «dégradante et
pernicieuse». M. Paradis recours à l’insulte plutôt que de participer
à un «échange constructif
d’idées». De l’avis du plaignant, cette «remarque est
potentiellement lourde de conséquence[s]» puisque les lecteurs pourraient
en conclure que le plaignant est un «administrateur incompétent».
M. Jetten rappelle enfin que cette accusation ne repose sur aucun fait, qu’elle
est «malveillante et non fondée».
Quant au droit du public à une information équilibrée, le
fait que l’éditeur présente dans ses textes une «charge virulente contre
les éducatrices et le réseau des CPE» relève d’une méconnaissance du
contexte et des valeurs entourant la création des CPE et d’une méconnaissance
des descriptions de tâches des éducatrices qui ne pratiquent pas seulement le
gardiennage comme le prétend le mis-en-cause, ce qui contribue à une
information déséquilibrée.
Selon le plaignant, «la visite d’un CPE et la
supervision d’un groupe d’enfants» auraient encore davantage permis à
l’éditeur de comprendre le rôle des CPE et des éducatrices et ainsi de
présenter une information plus équilibrée.
En rapport à l’initiative des représentants du média de
revoir la politique de publication des opinions des lecteurs, le plaignant
s’estime heureux de ce geste qu’il juge positif pour éviter aux lecteurs
désirant seulement informer davantage l’auteur d’un texte sur un sujet, de voir
leur lettre publiée.
M. Jetten conclu en précisant que les lecteurs désireux de
faire connaître leur opinion dans le journal ne méritent pas «d’être pris
à partie» comme ce fut son cas.
Analyse
Les organes de presse étant responsables de tout ce qu’ils publient, il en va de même de l’information qui leur provient du public pour publication ou des espaces réservés à cette fin. Il est également de leur responsabilité d’être courtois et ouverts envers leurs lecteurs.
Le plaignant, M. Marc Jetten, désapprouve la publication de son commentaire dans la section «Opinions» de l’hebdomadaire LeCanada Français, le 6 juillet 2005. Il considère que son texte n’était qu’une lettre personnelle adressée à l’éditeur, M. Robert Paradis, en réaction à son article intitulé « Les garderies».
La lettre de M. Jetten a été publiée dans la section «Opinions» du journal. Le Conseil considère qu’elle respecte le style et la forme que doit prendre le courrier des lecteurs. De plus, la jurisprudence du Conseil de presse indique que«nul ne peut s’étonner que des informations confiées à un ou à une journaliste dont la fonction première est d’informer, aient été rendues publiques. Publier et diffuser de l’information est la première fonction des journalistes et des médias».(D1999-04-097) Aucune mention n’indiquait que la lettre était de nature privée et, de ce fait, l’éditeur était légitimé de la publier.
M. Jetten dénonce également le manque de vérification et l’absence d’ informations factuelles dans les éditoriaux de M. Paradis, parus les 29 juin et 5 juillet 2005 au sujet des CPE.
Aux yeux du Conseil, le genre journalistique employé dans les articles mis en cause permettait à l’auteur d’exprimer le point de vue du journal et d’appuyer ces propos par ses propres commentaires, sans pour autant se soustraire à son devoir de rigueur. À la lecture de l’éditorial en question, le Conseil n’a pas identifié de manquement à la rigueur prescrite par l’éthique journalistique. Ce grief est rejeté.
Le plaignant reproche, par ailleurs, à M. Paradis de présenter les faits avec un parti pris et de refuser de considérer l’ensemble de la situation et des faits relatifs à la question des CPE.
À cet effet, le Conseil rappelle que l’éditeur était en droit d’exprimer l’opinion du journal sur la question des CPE. De l’avis du Conseil, la publication de la lettre du plaignant indique que le journal a cherché à présenter un regard divergent sur la question des CPE et ainsi à équilibrer l’information.
En outre, la section «Opinions» du 6 juillet 2005 présente aussi une lettre de Mme Carmen Roy, au nom de l’association des CPE de la Vallée-des-forts, dont les propos vont également dans le sens de ceux tenus par M. Jetten et présentent un point de vue différent de celui de l’éditorialiste. Le grief concernant l’équilibre de l’information est donc rejeté.
M. Jetten considère également que la réplique de l’éditeur publiée à la suite de cette lettre serait inappropriée de par son ton agressif, ses insinuations et ses attaques personnelles.
Le Conseil rappelle d’abord que la réplique d’un journaliste à une lettre d’opinion est fréquemment utilisée par les médias lorsqu’elle constitue une réaction à certains articles parus dans le même journal. Tel que précisé précédemment, le commentaire confère à son auteur la liberté d’employer un ton différent des autres genres journalistiques.
Le Conseil invite toutefois le mis-en-cause à faire preuve de plus de prudence dans le choix de ses commentaires et dans le ton qu’il emploie, de même que d’une plus grande ouverture quant à la collaboration avec le public dans le traitement des plaintes. Le Conseil considère que les expressions «[v]ous avancez des phrases toutes faites sorties de la bouche des négociateurs de la CSN» et «vous devriez aller suivre des cours d’administration ou d’économie» témoignent d’un certain mépris disproportionné par rapport au ton employé par le plaignant dans sa lettre.
Décision
Après avoir pris en considération tout ce qui précède, le Conseil retient partiellement la plainte, à l’encontre de l’éditeur M. Robert Paradis, du rédacteur en chef M. Gilles Lévesque et de l’hebdomadaire Le Canada Français, sur le motif de manque de respect dans la note de la rédaction en réponse à la lettre de M. Jetten, dans la rubrique «Opinions».
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C08F Tribune réservée aux lecteurs
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C15C Information non établie
- C15D Manque de vérification
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17G Atteinte à l’image