Plaignant
La Ligue québécoise contre la propagande et la corruption canadiennes (M. Gilles Rhéaume, porte-parole) et M. Philippe Blanche
Mis en cause
M. Vincent Marissal, journaliste, M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Gilles Rhéaume porte plainte, au nom de la Ligue québécoise contre la propagande et la corruption canadiennes, contre la chronique intitulée «Souveraineté, sors de ce corps!» rédigée par le journaliste M. Vincent Marissal, le 19 août 2005 dans le quotidien La Presse. M. Philippe Blanche dépose également, en son nom, une plainte concernant ledit article. Selon les plaignants, l’article mis en cause comporterait des informations inexactes et des expressions erronées, qui auraient portées préjudice à M. Rhéaume et aux sympathisants souverainistes.
Griefs du plaignant
Griefs de M. Gilles Rhéaume, porte-parole de la Ligue québécoise contre la propagande et la corruption canadiennes:
La plainte de M. Rhéaume concerne la chronique de M. Vincent Marissal parue le 19 août 2005 sous le titre «Souveraineté, sors de ce corps!». Cet article, portant principalement sur les allégeances politiques de la Gouverneure générale du Canada Mme Michaëlle Jean, vise nommément le plaignant.
M. Rhéaume déplore l’utilisation du terme «extrémiste» à son endroit dans le texte, lorsqu’on y affirme « ils ont présenté un groupuscule d’extrémistes à la Gilles Rhéaume». Le plaignant soutient qu’il n’est pas un extrémiste et ajoute que dans le dossier Johnson contre O’Neill (D1999-08-004), le Conseil a statué sur l’utilisation de cette expression par les médias.
Un second extrait du texte mis en cause précise «c’est vrai que Gilles Rhéaume prend beaucoup de place quand il beugle dans un débat télévisé». Le plaignant regrette l’utilisation de cette expression, précisant qu’elle est généralement attribuée à un animal et ne devrait pas l’être à une personne. À cet effet, l’utilisation du terme «beugler» serait impropre et contreviendrait à l’intégrité de la personne et à l’éthique journalistique.
Le plaignant ajoute que la chronique contient également des «erreurs de faits». Ainsi, la traduction française du concept anglais «prominent souveraignist in Québec» par «porte-parole crédible» est incorrecte, puisque le terme «prominent» se traduirait plutôt, en français, par «bien connu».
Selon le plaignant et la Ligue québécoise contre la propagande et la corruption canadiennes, «le groupe qui publie La Presse est fédéraliste». Il aurait ainsi «bénéficié de plusieurs millions dans le programme des commandites et ce pendant des années», ce qui ne constituerait pas une raison pour traiter de la sorte le plaignant et le mouvement souverainiste.
M. Rhéaume conclut en indiquant qu’il souhaite utiliser son droit de réplique dans le journal et joint à sa plainte une copie de la lettre de réplique envoyée aux mis-en-cause.
Griefs de M. Philippe Blanche:
M. Blanche reproche au journaliste Vincent Marissal d’avoir fait certaines attaques diffamatoires dans la chronique mise en cause.
Ainsi, la désignation «groupuscule d’extrémistes à la Gilles Rhéaume» serait vexante et contraire aux idées véhiculées par ce dernier. Selon le plaignant, en qualifiant M. Rhéaume d’extrémiste, le chroniqueur «donne l’impression que M. Rhéaume est un illuminé dangereux et que toute personne associée à lui l’est tout autant».
Quant à l’utilisation du terme «beugler», elle s’appliquerait aux animaux mais non à un «homme sensé», alors que plusieurs autres qualificatifs adéquats auraient pu convenir pour illustrer les propos du chroniqueur.
Enfin, «M. Rhéaume n’a jamais prétendu être le porte-parole du mouvement souverainiste ni présenté comme tel». Selon le plaignant, lui associer ce titre et le comparer avec Mme Diane Francis serait inapproprié et malhonnête.
Commentaires du mis en cause
M. Éric Trottier précise d’abord que M. Marissal est un «columnist» et que, par conséquence, il «a le mandat d’émettre des opinions, aussi fortes soient-elles».
Selon M. Trottier, les écrits du journaliste seraient «loin du type de déclarations incendiaires que M. Rhéaume a proférées par le passé». À son avis, les déclarations de ce dernier permettaient au journal d’utiliser les termes «beugler» ou «extrémiste» à l’endroit de M. Rhéaume. Le terme«extrémiste» serait d’ailleurs employé dans la chronique au sens de «contraire à modéré», sens que lui confère le dictionnaire Le Petit Robert.
Quant au dossier du Conseil de presse, Johnson contre O’Neill (D1999-08-004), cité dans la plainte de M. Rhéaume, le directeur de l’information précise qu’il ne découle pas, selon lui, du même contexte. Il ajoute que «M. Rhéaume est bien connu pour ses propos incendiaires à l’endroit des ses adversaires politiques, et notamment des anglophones durant la crise linguistique de la fin des années 1980». Il aurait alors «admis barbouiller de graffiti (sic) les commerces qui affichaient en anglais, tout en invitant les jeunes à l’imiter». M. Rhéaume a également organisé des manifestations devant les locaux d’Alliance-Québec. Selon M. Trottier, lors de ces manifestations «il haranguait les anglophones avec une vigueur verbale peu commune». De plus, bien que M. Rhéaume ne soit pas à l’origine d’actes criminels, certains jeunes qui ont lancé des cocktails molotovs dans les commerces qui affichaient uniquement en anglais «ont pu s’inspirer du contexte mis en place» par M. Rhéaume.
Le mis-en-cause ajoute que le site web de M. Rhéaume http://membres.lycos.fr/quebecunpays/GILLES-RHEAUME.html contient lui aussi plusieurs propos incendiaires à l’endroit notamment de divers médias québécois, tels le journal La Presse qu’il accuse d’être un «organe de désinformation lorsqu’il s’agit du projet québécois» et la Société Radio-Canada ou RDI qui, selon M. Rhéaume, «lessive les esprits avec ces nouvelles format de poche». Ce dernier précise «[i]l suffit de comparer ce qui se fait ailleurs dans la Francophonie pour constater combien l’information est biaisée dans ce cher Canada mensonger et fraudeur».
Le directeur de l’information du journal La Presse précise que de tels propos tenus par le plaignant «relèvent de l’extrémisme idéologique, selon nous, dans le sens qu’ils sont contraires à la modération». De plus, ils seraient également «dangereux car plusieurs personnes, qui suivent M. Rhéaume dans sa croisade contre La Presse, prennent ses paroles pour vérité».
Pour ce qui est de l’utilisation du terme «beugler», «le Petit Robert, en 2e définition, explique que celui qui pousse des hurlements, crie très fort, dans le sens de « brailler, gueuler, hurler », celui-là beugle, même s’il s’agit d’un humain». Ainsi, de l’avis du mis-en-cause, le terme «beugler» pouvait être utilisé dans le texte de M. Marissal comme une «métaphore».
M. Trottier rappelle également que La Presse a publié la réplique de M. Rhéaume dans ses pages le 29 août 2005.
Enfin, en réaction au commentaire de M. Rhéaume, qui précise dans sa plainte que les propos du journaliste M. Marissal ne découleraient pas d’une «pure analyse de la scène politique comme c’est son mandat», mais seraient plutôt liés au fait que «le groupe qui publie La Presse est fédéraliste et qu’il a bénéficié de plusieurs millions dans le programme des commandites», le directeur de l’information précise que cette allusion «est gratuite et fait insulte à tous les journalistes de La Presse (des syndiqués de la CSN, syndicat souverainiste […])», ainsi qu’aux dirigeants du journal «pour qui la liberté de presse et la rigueur de l’information passent avant tout». M. Trottier conclut en ajoutant qu’une telle allusion le persuade de la justesse des propos tenus par le chroniqueur dans son article.
Réplique du plaignant
Réplique de M. Gilles Rhéaume, porte-parole de la Ligue québécoise contre la propagande et la corruption canadiennes:
En rapport avec la réplique de M. Éric Trottier, le plaignant précise que le fait d’aller chercher des gestes ou des déclarations datant de 20 ans dans le but de démontrer le bien-fondé des propos de M. Marissal «n’est pas rigoureux». En lien avec ce grief, M. Rhéaume évoque le dossier Francis contre O’Neill (D1999-01-060), qui concernait également une chronique où le Conseil a statué qu’un journaliste, même s’il occupe la fonction de chroniqueur, «doit justifier ses propos, les démontrer, les appuyer sur quelque chose», ce que le chroniqueur M. Marissal n’a pas fait en qualifiant le plaignant «d’extrémiste».
Au sujet de l’emploi du terme «beugler» pour parler de M. Rhéaume, ce dernier précise n’avoir rien à ajouter outre le fait que quiconque a droit au respect.
Le plaignant indique que, contrairement à M. Marissal qui est journaliste, son «vocabulaire n’est pas celui d’un journaliste mais d’un militant».
Pour conclure, M. Rhéaume ajoute que les propos avancés dans son texte de réplique au journal La Presse, qui furent publiés en partie seulement, présentent également certains arguments au sujet de sa plainte.
*Il est à noter qu’une erreur est survenue dans la réplique de M. Rhéaume et que l’affaire à laquelle il fait référence n’est pas Francis contre O’Neill, mais bien Richard B. Holden contre Diane Francis, qui se rapporte au dossier D1999-01-060.
Réplique de M. Philippe Blanche :
M. Blanche se dit étonné de la réponse de M. Éric Trottier «qui défend les propos diffamatoires» de M. Marissal.
En ce qui concerne l’épisode des années 1980 relaté par le mis-en-cause, M. Blanche précise que «les tensions linguistiques étaient palpables autant des deux côtés». Il ajoute que les démonstrations organisées par M. Rhéaume devant les locaux d’Alliance-Québec étaient légales et qu’il s’agit d’une interprétation personnelle ou d’une manipulation des faits que de prétendre que des vandales ayant commis «un acte de vandalisme par cocktail molotov» aient «pu s’inspirer du contexte mis en place par M. Rhéaume».
Le plaignant mentionne que le rôle d’un journaliste n’est pas de faire des associations gratuites et que, de ce fait, M. Marissal «a le droit d’émettre ses opinions, aussi fortes soient-elles» mais qu’il ne peut toutefois pas dire «n’importe quoi n’importe comment».
M. Blanche soutient avoir entendu à plusieurs reprises M. Rhéaume parler à de jeunes militants en «leur vantant les mérites de se tenir debout et de combattre avec les outils que la démocratie leur offre» et qu’il ne peut accepter de voir l’image de ce dernier «se faire extrémiser de la sorte». Il ajoute que M. Rhéaume est «un militant actif qui milite honorablement aux côtés du peuple québécois et des francophones d’Amérique», en plus d’être un «fin connaisseur d’histoire et un professeur de philosophie» et que s’il est associé à l’utilisation d’un cocktail molotov les partis mis-en-cause devraient le prouver ou attendre d’être en mesure de le faire pour l’accuser et le cataloguer «d’extrémiste».
Bien qu’il ne soit pas toujours en accord avec les opinions du porte-parole de la Ligue
québécoise contre la propagande et la corruption canadiennes, M. Blanche précise que la couverture du quotidien La Presse entourant la nomination de la Gouverneure générale Mme Michaëlle Jean ne donne qu’une importance secondaire au fait qu’elle et son mari, M. Lafond, aient été souverainistes, alors que M. Rhéaume a réussi pour sa part à semer ce doute chez plusieurs.
Le plaignant conclut que le commentaire de M. Trottier ne l’a «pas convaincu du bien fondé des propos de M. Marissal» et qu’il persiste à croire que cet article n’était pas digne de paraître dans le quotidien.
Analyse
Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes.
Les plaignants soutiennent que M. Rhéaume n’est pas un «extrémiste» et qu’il était inapproprié de le qualifier ainsi dans la chronique de M. Marissal.
Selon le dictionnaire Le Petit Robert (2002), une personne extrémiste est favorable aux idées, aux opinions extrêmes. De l’avis du Conseil, c’est en ce sens que le chroniqueur a employé ce terme. Après examen des articles soumis par le mis-en-cause, de la lettre de réplique adressée au journal et du site Internet personnel de M.Rhéaume,le Conseil constate qu’il n’est pas inexact de prétendre, dans le contexte d’une chronique, que le plaignait tient des propos extrêmes.
M. Rhéaume appuyait notamment le présent grief sur un dossier tiré de la jurisprudence du Conseil de presse. Le dossier D1999-08-004, précise que «[l]e Conseil trouve malheureuse et discutable l’utilisation du mot « extrémiste » dans le contexte du reportage incriminé, soit celui d’un article de nouvelle». À cet effet, le Conseil rappelle que la chronique est un genre qui confère à son auteur des libertés autres que le genre de la nouvelle.
Les plaignants contestent également l’utilisation du verbe «beugler», au sujet de M. Gilles Rhéaume, dans l’article mis en cause. Selon eux, ce terme s’applique aux animaux et il était irrespectueux de la part de M. Marissal d’en faire l’utilisation dans sa chronique.
Toujours selon le dictionnaire Le Petit Robert, le terme «beugler», appliqué aux personnes, signifie «pousser des hurlements, crier très fort» dans le sens de «brailler, gueuler, hurler». Compte tenu du style de la chronique et des libertés que ce genre journalistique confère à son auteur, le Conseil estime que M. Marissal pouvait utiliser ce genre d’expression pour illustrer ses propos.
En troisième grief, M. Rhéaume dénonce des erreurs de faits dans les informations présentées par M. Marissal, notamment au niveau de la traduction de l’expression anglaise « prominent souveraignist in Québec» par «porte-parole crédible», ce qui n’aurait pas la même signification.
Le Robert 1/4 Collins Senior (1993) traduit le terme « prominent» par «important, bien en vue», lorsqu’il réfère à une personne . À la lecture du paragraphe complet où l’auteur réfère à cette expression anglaise, il apparaît clairement au Conseil que le chroniqueur ne cherche pas à la traduire par «porte-parole crédible», comme le soutient M. Rhéaume.
En dernier grief, le plaignant, M. Philippe Blanche, évoque qu’il est erroné d’affirmer que M. Rhéaume aurait prétendu être le porte-parole du mouvement souverainiste et qu’il ne fut jamais présenté comme tel.
Le Conseil considère que le chroniqueur n’a pas prétendu que M.Rhéaume était le porte-parole du mouvement souverainiste . En effet, M. Marissal réfère aux médias anglophones qui auraient présenté le plaignant de la sorte, puisque ce dernier a pris la parole publiquement dans certains de ces médias au sujet de la nomination de Mme Michaëlle Jean à titre de Gouverneure générale du Canada.
Décision
En raison de ces considérations et de la collaboration du journal LaPresse quant à la publication de la réplique de M. Rhéaume, le Conseil rejette la plainte contre le journaliste M. Vincent Marissal, le directeur de l’information M. Éric Trottier et le journal La Presse.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11H Terme/expression impropre
Date de l’appel
24 October 2006
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de
maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. Gilles
Rhéaume