Plaignant
M. Darrell Legge
Mis en cause
M. Brian Kappler, éditorialiste en chef et le quotidien The Gazette
Résumé de la plainte
M. Darrell Legge reproche au journaliste The Gazette d’avoir publié le 25 juillet et le 4 août 2005 deux lettres, d’opinion, qui entretiendraient des préjugés et véhiculeraient des propos racistes.
Griefs du plaignant
M. Darrell Legge précise d’abord qu’il porte plainte contre deux articles d’opinion parus dans le journal The Gazette le 25 juillet 2005 et qui font état, selon lui, d’un parti pris visant à induire aux Canadiens des valeurs qui ne sont pas les leurs. Le plaignant estime que ces articles sont en contradiction évidente avec les standards déontologiques exigés par la profession journalistique.
De l’avis de M. Legge, ces textes sont de même nature que ceux qui étaient publiés il y a des dizaines d’années, et qui prônaient « l’holocauste des bohémiens, homosexuels, juifs et handicapés ». Il souhaite, par son action auprès du Conseil, promouvoir une société juste et s’assurer que CanWest Publications Inc. comprenne que la haine et sa promotion n’y sont pas acceptables.
Le plaignant joint ensuite un commentaire détaillé, paragraphe par paragraphe, des deux articles mis en cause.
– Premier article : « Hate messages trigger terrorists » par un psychologue, directeur de la Clinique thérapeutique du comportement cognitif du complexe de santé Queen Elizabeth.
M. Darrell Legge regrette que la grande majorité des propos tenus dans l’article aient été l’objet d’une déformation de faits qui contribuent à l’entretien des préjugés contre les individus de confession musulmane et attisent la haine à leur égard.
Il précise que dès le début de l’article, l’auteur prétend qu’il présentera une analyse psychologique des facteurs qui mènent les individus à commettre des actes terroristes. Or, il s’agit, selon le plaignant, d’une fausse déclaration puisque l’auteur affirme baser son analyse sur des faits qui ne résistent pas à une vérification sérieuse.
Au troisième paragraphe, il précise que l’usage du terme « facts » est incorrect puisque l’auteur introduit son opinion et de ce fait, légitime un discours haineux. Dans le paragraphe suivant, le plaignant explique que l’exemple concernant la violence domestique tel qu’il est rédigé – « Many domestic acts of violence occur when enraged individuals act in impulsive, violent ways, showing little ability to control their anger or to express it in an appropriate manner » (De nombreux actes de violence conjugale se produisent quand des individus, dans un accès de rage, agissent de manière irréfléchie et violente tout en n’ayant pas assez de contrôle sur eux-mêmes pour maîtriser leur colère ou l’exprimer de manière appropriée) – crée une séparation stéréotypée entre bons et mauvais individus et précise qu’il aurait été souhaitable d’équilibrer cette approche par un exemple supplémentaire.
Au septième paragraphe, le plaignant reproche à l’auteur l’usage du terme « consistently » au sein de la phrase – « The stimulus of these violent urges is hate messages persistently and consistently communicated to individuals by authority figures and others they admire » (Ce sont des messages de haine constamment et invariablement transmis aux individus par des représentants du pouvoir, ou d’autres individus qu’ils admirent, qui sont à l’origine de cette soif de violence) – et qui ne reposerait sur aucune preuve et inciterait par conséquent à la haine.
Le plaignant ajoute que l’expression « pigs or monkeys » au sein de la phrase « When an imam in a mosque presches the advent of Islam means all other religions are mansukh and adherents to other religions are kuffar with no more status than pigs or monkeys… » (Quand un imam, dans une mosquée, prêche la venue de l’Islam signifie que toutes les religions sont interdites et que leurs membres sont infidèles, sans plus de statut que des singes et des cochons…). De plus, celle-ci aurait été condamnée par plusieurs imams. L’utilisation des mots « mansukh » (qui signifie « abrogé », « aboli ») et « kuffar » (qui signifie « infidèles », « incroyants ») déforment, selon lui, la véritable signification de l’Islam.
De son avis, l’exemple utilisé au dixième paragraphe, et faisant référence à M. David Ahenakew, « The prosecution and conviction of former First National leader David Ahenakew is an exellent example of this law in action » (Avoir poursuivi et condamné l’ancien grand chef autochtone est un excellent exemple de cette loi en action), attise et ravive une haine ancienne contre les Juifs et les musulmans. Au paragraphe suivant, le plaignant désapprouve l’expression « violent potential » puisque, selon lui, on ne peut qualifier quelqu’un de terroriste avant qu’il ne planifie ou ne mette à exécution un acte de violence. Il se questionne pour savoir si le droit d’être en désaccord constitue un crime.
Enfin, au quatorzième paragraphe, M. Legge précise que « the denunciation by 22 London imams of the terrorist bombings last week is an important first step » (La dénonciation des attentats à la bombe la semaine dernière, par 22 imams londoniens, est une première étape encourageante) est une fausse déclaration, puisque beaucoup d’imams ont dénoncé tout acte antisocial, et ce, en vertu des principes de la religion musulmane qui ne cautionnent pas de pareils actes.
– Second article : « Profiling only make sense » par un professeur d’informatique de l’Université de Yale, également publié dans le Los Angeles Times.
Le plaignant précise d’abord que le titre laisse entendre qu’une pratique en violation avec les droits de la personne existe, et ce, bien que les forces de l’ordre soient astreintes au respect de ceux-ci.
Selon M. Legge, l’expression « I’m happy to retort they are (unintentionally) lying » (Je suis heureux de répliquer qu’ils mentent (de manière non intentionnelle)) démontre que l’auteur est raciste et qu’il se réjouit des actions qui contribuent à éroder les droits de la personne. De plus, le fait qu’un profit soit établi en fonction de la couleur de la peau ou du port d’un sac à dos ne serait pas prouvé. De la même façon, il estime que l’expression « Terrorists are rare. If you fit the profile, it only means you are more likely thant other people to be a terrorist » (Les terroristes sont rares. Correspondre au profil signifie simplement qu’il y a une plus grande probabilité que l’on puisse être un terroriste) est, elle aussi, raciste.
De l’avis du plaignant, le terme « if », situé dans le quatrième paragraphe, laisse entendre que l’on peut s’interroger sur la véracité des propos qui suivent, étant donné l’inefficacité de la pratique telle que décrite précédemment par l’auteur, ce qui renforce encore le racisme. Dans le paragraphe suivant, l’usage de l’adjectif « black » dans l’expression « When police stop blacks merely because of their race » (Quand la police arrête des noirs simplement en raison de leur race) incite à la haine et est réductrice en ce sens qu’elle qualifie les individus uniquement en fonction de leurs traits physiques. L’expression « african american » aurait permis de qualifier les personnes en cause par leur réalité culturelle et ethnique. La dernière phrase : « All Americans, they say, must be treated equally » (Tous les amÉricains, dissent-ils doivent être traits de la même manière) serait basée sur la haine.
Le plaignant précise que la présentation proposée par l’auteur de la pratique de contrôle des individus qui pourraient être des terroristes est fausse et implique de la haine envers les minorités.
Au neuvième paragraphe, l’expression « the whole nation » contenue dans la phrase « If the goal is to pre-empt a terrorist attack that might hurt the whole nation » (Si le but est de tuer dans l’oeuf une attaque terroriste qui pourrait affliger toute la nation) constitue une exagération sensationnaliste qui renforce les préjugés racistes. Dans le paragraphe suivant, l’auteur préconise que lorsque l’on fait le choix d’utiliser le profilage racial, le profil doit être complet, ce qui est, de l’avis du plaignant, impossible et ne vise qu’à légitimer une pratique haineuse.
Au paragraphe suivant, l’auteur insiste sur l’importance de la nationalité qui transparaît au travers d’un type physique particulier, ce qui inciterait à la haine. à la suite du trait d’union, l’auteur emploie la phrase « I’m carrying a bulky backpack and you look Middle Eastern, and both items belong in the profile – why should I be stopped and not you? » (Si je porte un sac à dos volumineux et qu’une autre personne semble être originaire du Moyen-Orient, et que ces deux éléments font partie intégrante du profit, pourquoi m’arrêterait-on et pas l’autre personne?). Pour le plaignant, l’usage de cette interrogation est une manipulation de l’auteur. Plus loin, on peut lire : « Equality doesn’t mean you get a pass or special privileges just because your skin is dark or you appear Middle East » (L’égalité ne signifie pas que l’on puisse bénéficier de certains privilèges simplement parce qu’on a la peau noire ou parce qu’on est originaire du Moyen-Orient) qui véhiculerait un message haineux.
Selon le plaignant, le paragraphe douze – de par les propos suivants : « Americans have treated them so solicitously, and worked so hard to suppress racial prejudice, that dark-skinned people owe their country the benefit of the doubt » (Les AmÉricains les ont traité avec tant de solicitude et ont tant oeuvre pour supprimer les préjugés raciaux, que les individus noirs doivent à leur pays le bénéfice du doute) – est mensonger et raciste puisque le principe d’égalité pour tous les citoyens ne peut être sacrifié pour justifier une pratique inégalitaire. Il ajoute que, dans le paragraphe suivant, la phrase « But no nation in history has ever worked harder to correct a fault than the United States » (Mais aucune nation au cours de l’histoire n’a oeuvre plus que les états-Unis pour se racheter de sa faute) est fausse.
Dans le quatorzième paragraphe, l’usage des termes « a pain » au sein de l’expression « Which doesn’t make it any less of a pain to match a profile » (Ce qui ne rend pas plus facile, l’élaboration d’un profil) et « Islamic terrorism » dans l’expression « In those days, European Terrorist groups were bigger problems than Islamic terrorism » (à cette époque, les groupes terroristes européens représentaient une menace plus importante que les terroristes islamiques) banaliseraient une action qui a pour conséquence de priver certaines personnes de leurs droits et contribueraient à apeurer les citoyens n’ayant rien à se reprocher.
Enfin, dans l’avant-dernier paragraphe, l’auteur utiliserait l’exemple du patriotisme de John F. Kennedy afin de légitimer une pratique raciste. Le plaignant estime que ce patriotisme est mensonger.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Brian Kappler, éditorialiste en chef :
Le mis-en-cause précise d’abord qu’il est surpris que le plaignant prétende que les deux textes qu’il soumet au Conseil fassent état d’un parti pris du quotidien visant à « inspirer aux Canadiens des idées qui heurtent leurs valeurs ». Selon lui, aucune phrase ne prône ou ne supporte la haine. Il précise que, bien que les pages « Opinions et éditoriaux » permettent à de nombreuses personnes de s’exprimer, le journal The Gazette prend soin de rejeter tout texte pouvant être raciste ou faisant la promotion de préjugés.
Au contraire, selon le mis-en-cause, l’article du Dr Spevack est une dénonciation directe des discours haineux bien que le plaignant affirme que celui-ci contribue à la violence. Il termine en précisant que, de son avis, les deux articles se situent dans les limites acceptables du commentaire.
Réplique du plaignant
Selon M. Legge, le fait que le mis-en-cause se dise perplexe à la vue de la plainte prouve bien que son recours auprès du Conseil est nécessaire. Il précise que toutes les personnes à qui il a fait part de ces deux éditoriaux ont réagi avec dégoût ou colère. Il ajoute que la réponse du journal The Gazette le laisse, à son tour, perplexe.
Le plaignant joint copie d’une lettre de M. Dan Philip, président de la Ligue des noirs du Québec que celui-ci a fait parvenir au journal The Gazette, ainsi qu’une lettre de Mme Libby Davies, députée de Vancouver Est, en appui à la plainte contre les deux articles mis en cause par le plaignant.
Analyse
Les médias et les professionnels de l’information doivent encourager la libre circulation des idées et de l’expression du plus grand nombre de points de vue, soit en publiant les lettres des lecteurs, des documents, des communiqués, des opinions, des études, des sondages ou des analyses, soit en réservant au public des périodes sur les ondes. De tels espaces favorisent le débat démocratique et diversifient l’information.
Dans sa plainte, M. Darrell Legge s’opposait à deux lettres de lecteurs publiées dans la rubrique « Opinion » du journal The Gazette. Le Conseil rappelle cependant que le courrier des lecteurs a pour but de favoriser la libre expression des opinions.
Les médias ont toutefois la responsabilité de veiller à ce que les lettres des lecteurs ne véhiculent pas des propos outranciers, insultants ou discriminatoires pouvant être préjudiciables à des personnes ou à des groupes. Ils doivent éviter que ces lettres ne deviennent des tribunes pamphlétaires qui n’ont d’autre effet que de porter atteinte à la réputation des personnes.
Le plaignant reprochait au journal The Gazette de véhiculer des préjugés et des propos racistes par le biais des lettres d’opinion sur lesquelles il fait porter sa plainte. Après analyse, le Conseil constate que, bien que les propos puissent susciter une controverse, aucun préjugé ou propos raciste délibéré pouvant porter atteinte à la réputation d’un groupe d’individus n’était présent dans les articles. Le grief est donc rejeté.
Décision
Par conséquent, le Conseil de presse ne retient pas la plainte de M. Darrell Legge à l’encontre du quotidien The Gazette.